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Text File  |  1996-08-11  |  27KB  |  81 lines

  1. LE PEUPLEMENT FRANCOPHONE DANS LES PRAIRIES DE L'OUEST (1870-1920)
  2.  
  3. Robert Painchaud 
  4.  
  5.      Trop souvent quand on pense au Canada fran├ºais, on ne voit que la province de Qu├⌐bec. Cette image fait oublier la contribution d'environ un million de francophones qui habitent d'autres provinces, particuli├¿rement l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et les trois provinces des Prairies. Les francophones de l'Ouest du Canada, qui ne repr├⌐sentent aujourd'hui qu'une faible minorit├⌐ de la population de cette r├⌐gion du pays, sont les descendants de M├⌐tis fran├ºais install├⌐s dans les Prairies depuis le XVIIIe si├¿cle, de Canadiens fran├ºais qui ont ├⌐migr├⌐ du Qu├⌐bec vers l'Ouest ou ont ├⌐t├⌐ rapatri├⌐s entre 1870 et 1920, ou d'immigrants francophones venus au Canada de la France, de la Belgique et de la Suisse apr├¿s 1890. Leur pr├⌐sence atteste toutefois de l'existence du fait fran├ºais dans toutes les r├⌐gions du Canada.
  6.  
  7.      Dans les trois provinces des Prairies, l'importante population anglophone menace l'├⌐l├⌐ment francophone d'assimilation linguistique et culturelle. Le recensement de 1971 d├⌐montre d'ailleurs, d'une part, qu'un nombre accru de personnes qui, ├á l'origine, parlaient fran├ºais, ne comprennent d├⌐sormais plus cette langue et, d'autre part, qu'il y en a de moins en moins qui parlent quotidiennement le fran├ºais. Fait assez int├⌐ressant toutefois, davantage de personnes de descendance autre que fran├ºaise apprennent et utilisent le fran├ºais.
  8.  
  9.      L'histoire des francophones dans l'Ouest canadien et leur situation actuelle soul├¿vent des questions int├⌐ressantes. Que serait le Canada si la proportion des francophones dans l'Ouest ├⌐tait plus ├⌐lev├⌐e? Imaginez cette r├⌐gion du pays comptant 25 ou 30% de francophones au lieu du pourcentage inf├⌐rieur ├á 10% enregistr├⌐ dans chacune des trois provinces des Prairies. Comment le Canada aurait-il fait face au probl├¿me du bilinguisme si plus de Canadiens fran├ºais s'├⌐taient ├⌐tablis dans l'Ouest entre 1870 et 1920? Y aurait-il eu des partis et des mouvements s├⌐paratistes ou ind├⌐pendantistes au Qu├⌐bec? Existerait-il moins de m├⌐fiance entre les Canadiens fran├ºais et les Canadiens anglais? Le bilinguisme serait-il un fait accompli depuis plusieurs d├⌐cennies? Ou est-ce qu'un plus grand nombre de Canadiens fran├ºais aurait augment├⌐ les probl├¿mes linguistiques et culturels au Canada?
  10.  
  11.      Personne n'est ├⌐videmment en mesure de r├⌐pondre ├á toutes ces questions hypoth├⌐tiques. Elles font partie des ┬½si┬╗ historiques. Mais sont-elles vraiment tellement vaines alors que tous les ├⌐l├⌐ments n├⌐cessaires ├á la r├⌐alisation de ces hypoth├¿ses existaient? Il suffit de se rappeler qu'au cours du si├¿cle ├⌐coul├⌐ entre la guerre de 1812 et la Grande Guerre, plus de 700,000 Qu├⌐b├⌐cois francophones ont quitt├⌐ leur province pour s'├⌐tablir ailleurs et tenter d'y faire fortune. Des milliers d'entre eux sont revenus au pays par la suite et se sont ├⌐tablis dans l'Ouest, mais la grande majorit├⌐ a pris racine dans les ├ëtats de la Nouvelle-Angleterre ou ailleurs aux ├ëtats-unis, pour devenir graduellement une partie int├⌐grante du ┬½creuset des immigrants┬╗.
  12.  
  13. Les interpr├⌐tations 
  14.  
  15.      Pourquoi ces Canadiens fran├ºais ont-ils pr├⌐f├⌐r├⌐ un autre pays au leur? Pourquoi ont-ils choisi l'Ouest am├⌐ricain au lieu de l'Ouest canadien?
  16.  
  17.      Il y a diverses explications de la faible migration des Canadiens fran├ºais vers l'Ouest du Canada. Selon Arthur I. Silver (CHR, vol. 50, num├⌐ro 1, 1969), lorsque le Manitoba s'est joint ├á la Conf├⌐d├⌐ration, les Qu├⌐b├⌐cois ne se seraient pas ├⌐tablis dans cette nouvelle province en aussi grand nombre que les Ontariens ├á cause de leur attitude n├⌐gative et d├⌐faitiste ├á l'├⌐gard d'une r├⌐gion aussi ├⌐loign├⌐e de leur ┬½patrie┬╗. En outre, leur ┬½scepticisme ├á l'├⌐gard de la valeur mat├⌐rielle des prairies┬╗ r├⌐fl├⌐tait une mentalit├⌐ conservatrice, saisissant contraste avec l'esprit ┬½pionnier┬╗ des Ontariens. Ce manque d'audace de la part des Canadiens fran├ºais remontait jusqu'├á la Conqu├¬te, ou ils avaient probablement appris ├á ┬½frener leurs ambitions┬╗. Le d├⌐faitisme et le d├⌐couragement s'├⌐taient infiltr├⌐s dans la soci├⌐t├⌐ canadienne-fran├ºaise. Il est vrai que des rapports publi├⌐s dans la presse qu├⌐b├⌐coise du XIXe si├¿cle d├⌐crivant les colonies fond├⌐es ├á la Rivi├¿re-Rouge comme une r├⌐gion froide, st├⌐rile et d├⌐serte n'├⌐taient gu├¿re favorables. Il y a lieu de croire que les descriptions d'inondations, de famine et de solitude dans ces r├⌐gions lointaines ont fait peur aux Canadiens fran├ºais. Silver affirme que ceux-ci ├⌐taient incapables d'un optimisme suffisant pour s'├⌐loigner de leur patrie, le Qu├⌐bec, et s'adapter ├á la vie dans une r├⌐gion ├⌐loign├⌐e du Canada. Et finalement, Silver croit que les Canadiens fran├ºais ont peut-├¬tre redout├⌐ l'Ouest ├á cause de la pr├⌐sence des protestants et des orangistes!
  18.  
  19.      L'interpr├⌐tation de Silver soul├¿ve des questions encore sans r├⌐ponses sur les Canadiens fran├ºais. Serait-il possible qu'ils soient toujours rest├⌐s un peuple frontalier? N'ont-ils pas ouvert en canots les voies vers l'Ouest? Leur pr├⌐sence dans le mid-ouest am├⌐ricain ne d├⌐montre t-elle pas que plusieurs ├⌐taient pr├¬ts ├á s'├⌐tablir loin de leur patrie? Pr├⌐f├⌐raient-ils les centres industriels de la Nouvelle-Angleterre aux r├⌐gions agricoles de l'Ouest parce qu'ils ne se sentaient aucun penchant pour l'agriculture? A-t-on largement exag├⌐r├⌐ leur crainte de tout ce qui ├⌐tait anglais et protestant?
  20.  
  21.      Les historiens ├⌐conomistes pr├⌐sentent une autre opinion sur les modes de migration des Canadiens fran├ºais.Albert Faucher et Gilles Paquet (Recherches sociographiques, vol. 3, sept.-d├⌐c. 1964) soutiennent, dans leur analyse finale, que les gens ├⌐migrent pour des raisons personnelles, dans l'espoir de trouver de meilleures conditions sociales et ├⌐conomiques. Il faut ├⌐tudier la concentration de Canadiens fran├ºais dans les centres industriels de la Nouvelle-Angleterre dans le contexte des modes de colonisation en Am├⌐rique du Nord. Au XIXe si├¿cle, vu les conditions ├⌐conomiques au Qu├⌐bec, des centaines de milliers de Canadiens fran├ºais ont refus├⌐ de se plier aux pressions exerc├⌐es par le clerg├⌐ et les politiciens pour les inciter ├á ne pas abandonner la terre, pas plus qu'ils n'ont accept├⌐ de r├⌐pondre aux appels lanc├⌐s pour la colonisation des ┬½pays d'en haut┬╗, soit la r├⌐gion septentrionale du Qu├⌐bec. Des paroisses enti├¿res se sont vid├⌐es au fur et ├á mesure que des jeunes gens, vite rejoints d'ailleurs par d'autres membres de la famille, cherchent des emplois de bas niveau dans les tanneries du Maine, du Vermont ou du Massachusetts. D'autres partent vers l'ouest, au Kansas; en Iowa ou m├¬me en Californie. Les ├⌐conomistes affirment qu'il faudrait interpr├⌐ter leur d├⌐cision d'├⌐migrer dans un milieu industriel, de toute ├⌐vidence proche du Qu├⌐bec dans le cas des ├ëtats de la Nouvelle-Angleterre, dans une optique ├⌐conomique et non pas en termes culturels.
  22.  
  23.      Si le Qu├⌐bec s'├⌐tait industrialis├⌐ plus t├┤t, il est fort possible que les Canadiens fran├ºais seraient rest├⌐s dans leur province. Albert Faucher et Maurice Lamontagne (┬½L'histoire du d├⌐veloppement industriel au Qu├⌐bec,┬╗ dans La soci├⌐t├⌐ canadienne-fran├ºaise de Marcel Rioux et d'Yves Martin, 1971) expliquent le retard de l'industrialisation du Qu├⌐bec par des facteurs d'ordre g├⌐ographique qui ont favoris├⌐ le d├⌐veloppement de l'Ontario avant celui du Qu├⌐bec. Inutile d'ajouter que la question d'industrialiser l'Ouest canadien ne s'est m├¬me pas pos├⌐e.
  24.  
  25. Le r├┤le de l'├ëglise 
  26.  
  27.      Quelles qu'aient ├⌐t├⌐ les r├⌐percussions de la colonisation, l'absence totale de celles-ci, ou les pressions d'ordre ├⌐conomique et g├⌐ographique exerc├⌐es sur les Canadiens fran├ºais, l'├ëglise catholique s'est tenue au premier rang des promoteurs de l'├⌐tablissement des francophones dans l'Ouest et de la colonisation de cette r├⌐gion par ces derniers. Des autorit├⌐s religieuses tels que les archev├¬ques Tach├⌐ (1854-1894) et Langevin (1895-1915) de Saint-Boniface ont d├⌐fini les objectifs de la colonisation; ils ont recrut├⌐ eccl├⌐siastiques et s├⌐culiers charg├⌐s d'├⌐tablir des colonies ou de fonder de nouvelles communaut├⌐s, ont constamment intriqu├⌐ ├á Ottawa pour faire nommer des agents gouvernementaux et ont personnellement incit├⌐ leurs confr├¿res du Qu├⌐bec, de France, de Belgique et des ├ëtats-Unis ├á venir les appuyer.
  28.  
  29.      Les buts de la colonisation ont vari├⌐ de temps ├á autre. Ainsi, au d├⌐but des ann├⌐es 1870, Mgr Tach├⌐ d├⌐sire former un bloc de paroisses canadiennes-fran├ºaises autour des ├⌐tablissements m├⌐tis qui existaient d├⌐j├á. En 1871, il fonde un journal, Le M├⌐tis, suivi par la cr├⌐ation, en 1874, de la Soci├⌐t├⌐ de Colonisation du Manitoba. L'arriv├⌐e du premier groupe de colons au printemps de 1876, tous des Canadiens rapatri├⌐s des ├ëtats de la Nouvelle-Angleterre, co├»ncide cependant avec l'exode des M├⌐tis vers les plaines de la Saskatchewan et les rives du lac Manitoba. L'├ëglise modifie donc ses positions, soutenant que les Canadiens fran├ºais devraient poursuivre des objectifs nationaux en veillant ├á exercer leur influence dans l'Ouest du Canada, ├⌐tant donn├⌐ qu'ils constituaient la premi├¿re soci├⌐t├⌐ europ├⌐enne ├á s'y ├¬tre ├⌐tablie. Le maintien du dualisme fran├ºais et anglais devint l'objectif premier des chefs francophones.
  30.  
  31.      Les arguments de Mgr Tach├⌐ en faveur d'une forte pr├⌐sence francophone dans l'Ouest seront repris par tous ses successeurs. Malgr├⌐ plusieurs demandes, ils n'ont pourtant pas r├⌐ussi ├á convaincre les autorit├⌐s eccl├⌐siastiques ou politiques du Qu├⌐bec, alors inqui├¿tes en raison de l'abandon massif de paroisses enti├¿res pour les centres industriels de la Nouvelle-Angleterre. Elles soutiennent que les Canadiens fran├ºais ne devraient pas quitter leur province et risquer de perdre leur majorit├⌐ et leur influence au sein de la Conf├⌐d├⌐ration. La politique ├⌐nonc├⌐e en 1871, dans une lettre du clerg├⌐ qu├⌐b├⌐cois qui pr├⌐cise que ceux qui veulent absolument quitter le Qu├⌐bec devraient s'installer au Manitoba ou dans l'Ouest canadien plut├┤t qu'aux ├ëtats-unis, n'a jamais ├⌐t├⌐ modifi├⌐e. Au cours des ann├⌐es vingt, les politiciens qu├⌐b├⌐cois ont continu├⌐ de rappeler aux dirigeants eccl├⌐siastiques de l'Ouest canadien le contenu de ce mandement, et ont insist├⌐ pour que les agents de colonisation ne cherchent pas ├á d├⌐peupler le Qu├⌐bec au profit d'une autre r├⌐gion.
  32.  
  33. L'immigration catholique et francophone 
  34.  
  35.      Deux autres questions ont pourtant influenc├⌐ les objectifs de l'├ëglise dans l'Ouest: d'une part les probl├¿mes d'ordre scolaire soulev├⌐s ├á la fin des ann├⌐es 1880 et d'autre part l'immigration de l'est de l'Europe apr├¿s 1896. Afin de r├⌐tablir les ├⌐coles confessionnelles subventionn├⌐es par l'├ëtat, il fallait trouver un nombre suffisant de personnes pour que les politiciens soient impressionn├⌐s par la d├⌐termination des francophones catholiques ├á obtenir le droit de parler et d'enseigner leur langue. Sur ce point, l'arriv├⌐e des immigrants d'outre-mer les a quelque peu aid├⌐, car bon nombre des arrivants ├⌐taient catholiques d'origine ruth├⌐nienne, polonaise ou allemande. Il est pourtant difficile d'unir ces groupes nationaux et culturels distincts en une force politique organis├⌐e. De plus, la pr├⌐sence de deux ou m├¬me de plusieurs groupes linguistiques dans une m├¬me collectivit├⌐ pose un s├⌐rieux dilemme. La religion, facteur commun d'unification, devrait-elle avoir pr├⌐s├⌐ance sur des consid├⌐rations de nationalit├⌐s? L'admonition ┬½qui perd sa langue perd sa foi┬╗ veut-elle dire que l'├⌐l├⌐ment francophone n'aura pas de statut sp├⌐cial et que tous les groupes deviendront de simples ┬½ethnies┬╗? Qui aura la priorit├⌐? L'├ëglise pourrait-elle ├¬tre une institution francophone? Pr├⌐voyait-elle comme but ultime un m├⌐lange des groupes catholiques?
  36.  
  37.      La r├⌐ponse ├á ces questions ├⌐tait, du moins selon les autorit├⌐s religieuses francophones, qu'en conservant leurs valeurs linguistiques et culturelles, la foi des diverses ethnies serait plus solide dans l'Ouest canadien. C'est pourquoi l'├ëglise est port├⌐e ├á consid├⌐rer la population francophone comme l'├⌐l├⌐ment dirigeant dans la lutte pour maintenir et faire respecter les droits de la religion et des minorit├⌐s. Elle reconnait par ailleurs la n├⌐cessit├⌐ pour le clerg├⌐ de maltriser deux langues ou plus et l'archev├¬que Langevin refuse des offres de services de pr├¬tres et de diverses communaut├⌐s religieuses qui ne pouvaient satisfaire aux exigences d'une soci├⌐t├⌐ multilingue. Mgr Langevin et ses coll├¿gues ont recrut├⌐ ou form├⌐ des pr├¬tres et des religieuses capables de r├⌐pondre aux besoins des ├⌐l├⌐ments fran├ºais, flamands, allemands, polonais et ruth├⌐niens. Il va de soi que les missionnaires, eux, ont poursuivi leur oeuvre aupr├¿s des Indiens de l'Ouest dans le dialecte propre ├á chaque tribu.
  38.  
  39. Les agents de colonisation 
  40.  
  41.      Pour atteindre leurs objectifs, les dirigeants francophones de l'Ouest se sont adress├⌐s par l'interm├⌐diaire de comit├⌐s locaux aux gouvernements, aux soci├⌐t├⌐s de colonisation, aux missionnaires colonisateurs, aux journaux et aux organismes comme la Soci├⌐t├⌐ Saint-Jean-Baptiste.
  42.  
  43.      Les collaborateurs les plus pr├⌐cieux ont probablement ├⌐t├⌐ les missionnaires colonisateurs qui ont fait venir des colons pour fonder de nouvelles paroisses ou pour ├⌐toffer celles qui existaient d├⌐j├á. Des hommes tels que les abb├⌐s Fillion et Beaudry au Manitoba, les abb├⌐s Gravel et Lefloch en Saskatchewan ou le p├¿re Lacombe et l'abb├⌐ Morin en Alberta ont beaucoup voyag├⌐ ├á titre d'agents gouvernementaux ou de repr├⌐sentants de leurs ├⌐v├¬ques respectifs. Ils ont r├⌐dig├⌐ des brochures, donn├⌐ des conf├⌐rences, correspondu avec des familles et des groupes int├⌐ress├⌐s et dirig├⌐ ceux-ci vers des exploitations rurales dans l'Ouest. Parmi les autres colonisateurs connus, citons Dom Paul Beno├«t, moine fran├ºais venu au Manitoba au d├⌐but des ann├⌐es 1890 qui a fond├⌐ diverses communaut├⌐s, entre autres Notre-Dame-de-Lourdes et Saint-Claude, ainsi que l'abb├⌐ Jean Gaire, pr├¬tre fran├ºais lui aussi, qui a fond├⌐ une vingtaine de colonies r├⌐parties entre Grande-Clairi├¿re et Wauchope, dans le sud du Manitoba et de la Saskatchewan entre 1887 et 1925.
  44.  
  45.      Des soci├⌐t├⌐s de colonisation, cr├⌐├⌐es dans les trois provinces des Prairies, pour attirer les compatriotes francophones leur ont r├⌐serv├⌐ des townships entiers ou ont tent├⌐ d'obtenir des tarifs r├⌐duits pour le transport de leur famille et de leurs biens. ├Ç leur t├¬te, il y a souvent des professionnels et des hommes d'affaires d├⌐sireux de s'assurer une client├¿le. Parfois ils cherchent ├⌐galement ├á mettre des capitaux en commun pour racheter les terres abandonn├⌐es par des cultivateurs afin de les revendre ├á leurs compatriotes. Beaucoup de personnes voient ces activit├⌐s et les slogans patriotiques et religieux qui les accompagnent comme l'un des ├⌐l├⌐ments d'une ┬½mission┬╗ destin├⌐e ├á ├⌐tablir des bases solides de groupes francophones catholiques dans l'Ouest.
  46.  
  47.      Les journaux sont des instruments de la propagande pour inciter des francophones ├á s'installer sur les terres dans l'Ouest. Le M├⌐tis (plus tard, Le Manitoba), du Manitoba et Le Patriote (Saskatchewan) et Le Courrier de l'Ouest (Alberta), entre autres, publient quantit├⌐ d'├⌐ditoriaux, de lettres et de renseignements sur les conditions locales de la colonisation et de l'immigration. On invite m├¬me les abonn├⌐s ├á envoyer des articles ├á leurs parents et amis! Des membres de la Soci├⌐t├⌐ Saint-Jean-Baptiste fournissent ├á ces hebdomadaires des d├⌐tails sur les terres disponibles et les possibilit├⌐s commerciales dans leurs localit├⌐s respectives. Tous ces articles visent ├á d├⌐montrer les avantages de la colonisation dans l'Ouest. On ne sait cependant pas dans quelle mesure ils ont r├⌐ellement contribu├⌐ ├á attirer des colons.
  48.  
  49. D'autres efforts de colonisation 
  50.  
  51.      Les deux niveaux gouvernementaux, f├⌐d├⌐ral et provincial, s'int├⌐ressaient beaucoup au peuplement francophone dans les Prairies. Au d├⌐but des ann├⌐es 1870, le gouvernement Mackenzie r├⌐serva des ┬½townships┬╗ au Manitoba pour les Canadiens fran├ºais rapatri├⌐s des ├ëtats-Unis. Durant les 1880, les Conservateurs ont subventionn├⌐ un journal, Le Colonisateur Canadien, qui ├⌐tait distribu├⌐ au Qu├⌐bec et en Nouvelle-Angleterre. La nomination d'Hector Fabre au poste de Haut Commissaire canadien en France facilita d'avantage l'immigration francophone de l'Europe vers l'Ouest canadien. Des annonces ├á ce sujet apparaissent dans Paris-Canada, publi├⌐ ├á compter de 1884. Apr├¿s 1896, le gouvernement lib├⌐ral envoie des repr├⌐sentants en Europe qui dans leurs discours en France et en Belgique font valoir l'Ouest canadien. En 1902, le gouvernement du Manitoba ouvre un bureau ├á Montr├⌐al et envoie des pr├¬tres et des la├»ques dans les r├⌐gions am├⌐ricaines o├╣ se trouvent le plus de Canadiens fran├ºais afin de les convaincre ├á revenir au Canada.
  52.  
  53.      Les efforts de colonisation francophone ont eu d'autres promoteurs. D├¿s le d├⌐but, le Canadien Pacifique accorde des laissez-passer aux agents colonisateurs et ses agents accompagnent les missionnaires-colonisateurs dans leurs voyages. Vers 1900, lorsque l'abb├⌐ J.A. Ouellette ├⌐tablit une colonie francophone dans le sud de l'Alberta, il b├⌐n├⌐ficie du concours du Canadien Pacifique. Au Qu├⌐bec, des associations telles La Soci├⌐t├⌐ de Rapatriement de Montr├⌐al et La Soci├⌐t├⌐ des Artisans Canadiens-Fran├ºais accordaient un certain appui aux tentatives de colonisation dans l'Ouest. En Europe, la Soci├⌐t├⌐ d'lmmigration Fran├ºaise et La Canadienne, ont essay├⌐ d'int├⌐resser les capitalistes ├á investir dans les grandes concessions sur lesquelles les colons pourraient former des communaut├⌐s ind├⌐pendantes, pourvues de leurs propres institutions. Les rapports des journalistes, des riches aristocrates et des pr├¬tres convaincus de l'avenir des colonies francophones dans l'Ouest, ont aussi beaucoup aid├⌐ l'impulsion colonisatrice.
  54.  
  55. La colonisation et les modes d'immigration 
  56.  
  57.      Le premier groupe francophone ├⌐tabli dans l'Ouest du Canada apr├¿s 1870 s'est install├⌐ sur les rives de la rivi├¿re Rouge au sud de Winnipeg et de Saint-Boniface, dans deux townships fournis par le gouvernement f├⌐d├⌐ral. Les familles rapatri├⌐es qui arrivent au Manitoba apr├¿s 1875 sont pour la plupart tr├¿s pauvres. Un ralentissement ├⌐conomique dans les ├ëtats de la Nouvelle-Angleterre, l'accord de subventions pour le transport des colons et la distribution gratuite de terres dans les Prairies, encouragent quelques centaines de familles ├á venir s'├⌐tablir dans les nouvelles paroisses de Letellier, Sainte-Agathe et Saint-Pierre-Jolys.
  58.  
  59.      L'essor ├⌐conomique du Manitoba entre 1879 et 1882 attire des familles et entrepreneurs prosp├¿res qui viennent directement du Qu├⌐bec. Cette petite bourgeoisie inspire de l'optimisme ├á l'├⌐lite francophone, dont les espoirs s'effondrent cependant apr├¿s l'in├⌐vitable d├⌐pression de 1882, alors que la plupart d'entre eux retournent dans l'Est du Canada, jurant de ne jamais plus investir au Manitoba, r├⌐pandant des histoires peu flatteuses sur l'Ouest canadien et provoquant un d├⌐bat enflamm├⌐ entre la presse francophone du Manitoba et celle du Qu├⌐bec. Cette lutte ne sert pas ├á grand-chose parce que, d'une part, le sort des francophones, groupe minoritaire, au Manitoba du moins, ├⌐tait d├⌐j├á r├⌐gl├⌐ et que, d'autre part, les ann├⌐es 1880 ├⌐taient en fait, pour les Prairies, des ann├⌐es de disette. Les gel├⌐es ├⌐taient pr├⌐coces et les r├⌐coltes maigres. Le nombre d'immigrants ontariens s'amenuisait aussi. La r├⌐bellion du Nord-Ouest et l'ach├¿vement des travaux de construction du Canadien Pacifique engendrent de l'agitation, mais aucun de ces deux ├⌐v├⌐nements n'influe profond├⌐ment sur la migration des francophones dans la r├⌐gion. Aux ├ëtats-Unis toutefois, des agents fonciers d├⌐ploient des efforts pour d├⌐tourner les colons de l'Ouest canadien en le d├⌐crivant comme un ┬½pays sauvage┬╗, peu s├╗r pour les familles des colons.
  60.  
  61.      Vers 1885, des dirigeants francophones comme l'archev├¬que Tach├⌐ et Thomas-Alfred Bernier, ├⌐minent catholique de la communaut├⌐ francophone du Manitoba, cherchent du renfort en Europe. Des d├⌐l├⌐gations d'hommes d'affaires et d'aristocrates europ├⌐ens visitent l'Ouest canadien apr├¿s 1885. Par cons├⌐quent, des collectivit├⌐s de francophones s'installent hors de la vall├⌐e de la rivi├¿re Rouge. C'est l├á le d├⌐but de ce qui sera plus tard qualifi├⌐ de plan concert├⌐ pour ├⌐tablir un chapelet de paroisses allant vers l'Ouest jusqu'aux Rocheuses.
  62.  
  63.      Les nouvelles colonies sont essentiellement compos├⌐es d'immigrants belges et fran├ºais. Des agriculteurs quittent les ┬½vieux pays┬╗ ├á cause des gouvernements anticl├⌐ricaux. De riches familles confient leurs fils, encore peu murs, ├á des pr├¬tres et ├á des familles ├⌐tablies esp├⌐rant que cette vie rude formera leur caract├¿re. Ces jeunes ne re├ºoivent pas d'argent avant d'avoir fait leurs preuves; ce n'est qu'├á ce moment-l├á qu'ils ont le droit de poss├⌐der une exploitation rurale ou d'acheter une propri├⌐t├⌐ quelconque. Dans d'autres cas, des groupes d'aristocrates se forment et tentent de cr├⌐er des soci├⌐t├⌐s qui respectent les hi├⌐rarchies sociales et excluent les ind├⌐sirables. On en trouve des exemples ├á Fannystelle (Manitoba), ├á Saint-Hubert, mieux connu sous le nom de La Rollandrie (Saskatchewan) et ├á Trochu (Alberta). Les ranchs, les fermes laiti├¿res et les autres ├⌐tablissement agricoles fond├⌐s par ces Europ├⌐ens francophones ├⌐largissent consid├⌐rablement la diversit├⌐ de la population francophone en termes d'apport culturel et commercial.
  64.  
  65.      L'immigration massive d'Europ├⌐ens de l'Est dans l'Ouest canadien apr├¿s 1896 exerce des pressions sur la population francophone. Les efforts d├⌐ploy├⌐s par l'abb├⌐ Gaire pour ├⌐tablir une s├⌐rie de colonies rapproch├⌐es sont contrecarr├⌐s par le nombre ├⌐crasant d'immigrants non francophones. Apr├¿s 1905, l'abb├⌐ Louis-Philippe Gravel a affermi la position de ses compatriotes en fondant diverses communaut├⌐s aux environs de Gravelbourg. Entre temps, d'autres agents de colonisation dirigent de nouveaux colons vers les alentours de Prince-Albert tandis que dans le nord de l'Alberta, l'abb├⌐ J.-A. Ouellette voit ├á l'expansion de Saint-Albert, base des M├⌐tis fond├⌐e par le p├¿re Albert Lacombe, en 1861. Des tentatives de rapatriement contribuent ├á la cr├⌐ation de nouvelles paroisses, mais en revanche la migration des agriculteurs francomanitobains vers les deux autres provinces des Prairies devient pratique courante.
  66.  
  67.      Cet exode alarme tellement les autorit├⌐s francophones du Manitoba qu'en 1910, face au d├⌐clin rapide de la population des ┬½anciennes paroisses┬╗ ├⌐tablies le long de la rivi├¿re Rouge et de la rivi├¿re Seine, elles envisagent des mesures pour endiguer le flot d'├⌐migration. Les dirigeants craignent que leur groupe passe apr├¿s leurs homologues de la Saskatchewan et de l'Alberta et ils redoutent les cons├⌐quences malheureuses que ce d├⌐clin de la population pourrait avoir sur leur statut de groupe minoritaire. Des appels au patriotisme n'apportent pas non plus de solution ├á ces d├⌐parts. Les fils de cultivateurs ne veulent pas exploiter des fermes dans d'autres r├⌐gions de la province ou, sont incapables d'obtenir des terres dans les paroisses o├╣ ils sont n├⌐s, ce qui les am├¿ne donc ├á partir vers l'Ouest.
  68.  
  69.      La Grande Guerre n'enraye pas les efforts de colonisation des francophones. Ils consid├¿rent que cet ├⌐v├⌐nement leur offre un moyen de compenser leurs pertes puisque l'immigration europ├⌐enne diminue. Malheureusement, de nombreux Fran├ºais et Belges retourn├⌐s dans leur patrie ne survivent pas ├á la guerre, tandis que beaucoup de Canadiens fran├ºais croient que la crise de la conscription au Canada ne fait qu'empirer le manque d'attrait de l'Ouest canadien comme une r├⌐gion hospitali├¿re. L'urbanisation et l'industrialisation acc├⌐l├⌐r├⌐es contribuent ├á garder les gens au Qu├⌐bec. Des coop├⌐ratives destin├⌐es aux francophones, cr├⌐├⌐es juste avant la d├⌐claration de la guerre, ne r├⌐ussissent pas non plus ├á promouvoir les avantages de la colonisation et de l'agriculture dans l'Ouest en cette p├⌐riode inflationniste.
  70.  
  71.      Au cours de la deuxi├¿me d├⌐cennie du XXe si├¿cle, les subventions gouvernementales pour les programmes de colonisation et de rapatriement sont tr├¿s difficiles ├á obtenir. Le r├┤le du bureau des missionnaires-colonisateurs, ├á Montr├⌐al, dispara├«t petit ├á petit. L'ultime effort pour consolider la position des colonies francophones ├⌐parpill├⌐es, en rachetant les agglom├⌐rations de Mennonites qui les s├⌐paraient dans certaines r├⌐gions de la Saskatchewan et du Manitoba, n'a donn├⌐ que peu de r├⌐sultats. C'est le dernier effort de colonisation francophone dans l'Ouest.
  72.  
  73. Le probl├¿me de la survie 
  74.  
  75.      Dans son ouvrage Group Settlement. Ethnic Communities in Western Canada (Toronto, Macmillan, 1936), C.A. Dawson affirme que des groupes ├⌐trangers ont cherch├⌐, par une colonisation en bloc, un moyen d'assurer leur survie, ├á titre ┬½d'├«lots culturels┬╗. Les chemins de fer, soutient-il, ont constitu├⌐ l'un des agents d'assimilation de ces minorit├⌐s au sein d'une collectivit├⌐ plus vaste. Le professeur Dawson aurait pu ajouter d'autres facteurs d'assimilation, notamment, les ├⌐coles, la radio et la t├⌐l├⌐vision et les pressions g├⌐n├⌐rales exerc├⌐es par une soci├⌐t├⌐ en ├⌐volution.
  76.  
  77.      Pour lutter contre ces tentatives d'assimilation, les groupes francophones ont eu recours ├á bien des instruments utilis├⌐s aussi par d'autres minorit├⌐s: les journaux, la langue, la religion et toute une gamme d'├⌐tablissements culturels et politiques. Ainsi, il existe aujourd'hui dans les provinces des Prairies des hebdomadaires francophones, des stations radiophoniques, des cha├«nes de t├⌐l├⌐vision, des troupes de th├⌐├ótre, des coll├¿ges (Saint-Boniface, Gravelbourg et Saint-Jean ├á Edmonton) et de nombreux autres organismes ayant pour but de promouvoir et d'accro├«tre le fait fran├ºais dans l'Ouest canadien. En r├⌐ponse ├á ce nouvel ├⌐tat d'esprit, qui d├⌐coule en partie des revendications formul├⌐es par les Qu├⌐b├⌐cois pendant les ann├⌐es 1960 et 1970, les gouvernements ont offert leur aide pour assurer la survie de l'├⌐l├⌐ment francophone hors des fronti├¿res du Qu├⌐bec. Certains pr├⌐tendent que les pressions en faveur d'un Qu├⌐bec ind├⌐pendant se feront plus fortes, ├á moins que des groupes francophones puissent survivre ailleurs que dans une seule province. Les minorit├⌐s francophones hors du Qu├⌐bec seraient dont des ┬½pions┬╗ importants sur l'├⌐chiquier opposant les f├⌐d├⌐ralistes aux forces nationalistes du Qu├⌐bec.
  78.  
  79.      La vague francophone qui a d├⌐ferl├⌐ sur l'Ouest canadien au cours de l'├¿re de colonisation allant de 1870 ├á 1920 aurait pu modifier le cours des relations entre les deux groupes fondateurs du Canada et, ├á plus forte raison, entre les diverses ethnies du pays. Que cette influence ne se soit pas manifest├⌐e fait maintenant partie de l'histoire, mais il n'y a pas lieu de douter de la port├⌐e ou du manque de port├⌐e de ce mouvement.  
  80.  
  81.