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Text File | 1995-04-11 | 24KB | 515 lines

:Magnificat

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:                          Commentaire du
:                            MAGNIFICAT

                    Ecrit par A.Bouchez - 1994


:

: Introduction
#1

  Il est parfois utile d'approfondir ce qui nous semble
habituel. Chanter chaque soir un même cantique n'épuise
absolument pas sa richesse. Si le "Notre Père" n'est pas une
prière figée, combien cela est-il aussi vrai pour le cantique de
Marie ! Ainsi, une étude du Magnificat ne pourra qu'enrichir son
sens spirituel et liturgique.

  Si le cantique de @Lc 1,46_56@ peut paraître "mal rattaché,
textuellement, au récit de Luc", (cf l'encadré "Cantique de Marie
ou d'Elisabeth ?", C.E. 77 p. 46),  son attribution à Marie
semble certaine, à la vue même de toute la tradition des pères de
l'Eglise et de sa forme répondant au "grand cri" d'Elisabeth
devant la Mère de Dieu. (cf "bienheureuse" en @Lc 1,45 1,48@;
"servante" en @Lc 1,48 1,38@)

  Il s'agit donc à priori d'une hymne attribuée à Marie, une des
(très) rares paroles qu'on lui consacre dans la Bible. Nous
allons essayer de voir comment ce court texte biblique possède de
richesses théologiques  et littéraires.

  Comme la place m'est limitée, il m'a semblé nécessaire
d'articuler ma réflexion autour de trois thèmes principaux, les
développant selon la figure de Marie, tout en laissant en note
quelques détails plus techniques. Ainsi, après avoir articulé le
cantique avec l'héritage de l'Ancien Testament, je développerai
son enracinement christologique, puis le message d'espérance que
Marie proclame et veut faire nôtre.



: 1. "Selon qu'il l'avait annoncé à nos pères"
#2
   @Lc 1,55@

  L'hymne Magnificat est tissée de réminiscences bibliques. Ici,
comme dans les récits de l'Annonciation (@Lc 1,26_38@ et de la
Visitation (@Lc 1,39_45@) qui
précèdent notre texte, nous pouvons remarquer l'utilisation
constante d'images et de mots de l'Ancien Testament. Les
citations d'expressions sont très nombreuses [100], et mettent
Marie, une vraie fille de Sion, au centre de la réalisation de
l'espoir messianique d'Israël.

  Elle se présente elle-même comme étant en lien étroit avec
l'histoire de son peuple et avec l'Ecriture Sainte. L'Esprit
Saint, qui vient de la "couvrir de son ombre" (@Lc 1,35@), a
permis aussi que la joie intense (une joie de jeune mère) qui
débordent de son coeur s'exprime par les mots des psaumes et des
prophéties. La servante de Dieu représente Israël, le serviteur
de YHWH. Ainsi, Israël continue en elle sa fonction propre:
faire mémoire des bienfaits du Seigneur dans la vie des hommes.
#3
  Ce lien entre Marie et l'Ancien Testament se précise si on
compare son cantique avec celui d'Anne (@1S 2,1_10@). On
pourrait même dire que Marie transfère dans sa propre vie la
situation extrême de la mère de Samuel. Stérile et humiliée,
Anne présente à Dieu son humble prière, sa supplique
bouleversante, mettant comme Marie l'accent sur "la misère de ta
servante".(@1S 1,11@) Lorsque Samuel naîtra et sera consacré à
YHWH, Anne loue le Seigneur ("mon coeur exulte en YHWH"
@1S 2,1@), exprimant l'espérance des pauvres et des petits
[101]. Mais sa prière, dont l'hymne de Marie s'inspire
visiblement, reste beaucoup plus universelle que celle de Marie.

#4
  Le Magnificat serait peut-être une prière plus personnelle,
plus liée aux qualités de son auteur, la vierge Marie, que ne
l'est le cantique d'Anne. Même si Marie reconnaît pleinement les
merveilles que YHWH accomplit "d'âge en âge" (@Lc 1,50@), même si
c'est bien le Dieu d'Israël qu'elle magnifie [102], il n'en demeure
pas moins que sa prière est essentiellement messianique. Ce n'est
pas une louange passagère, un élan mystique qui traverse son
affectivité: Marie rend grâce non pas d'avoir un enfant (ce qui
serait gocentrique - donc pas très marial !), mais que Jésus, le
Messie, vive en Elle. Il peut être intéressant de remarquer (on
l'oubli trop souvent) qu'Elisabeth, elle aussi, vient de
"concevoir un fils dans sa vieillesse [...]; car rien n'est
impossible à Dieu" (@Lc 1,36_37@). Nous sommes donc en présence
de deux conceptions "miraculeuses".
  Mais saint Luc ne nous rapporte pas la prière de louange
qu'Elisabeth n'a surement pas oublié d'offrir à Celui qui lui a
donné un enfant contre toute espérance. Ses paroles, en effet,
sont toutes tournées vers Marie: '"Bénie es-tu entre les femmes,
et béni est le fruit de ton saint" [103]. La réponse du
Magnificat n'est pas qu'une simple prière, ni même la prière
d'une femme simple, mais nous assistons en vérité à un
moment-clé de la Révélation. Marie reconnaît elle-même la place
toute particulière qu'elle occupe dans l'Histoire du salut. Ne
place-t-elle pas sa personne à l'aboutissement de toutes les
promesses messianiques: "selon qu'il l'avait annoncé à nos
pères, en faveur d'Abraham et de sa descendance à jamais" ?
(@Lc 1,55@) Elle joue en vérité un rôle charnière, sommet pour
le peuple juif et source de la vie même des baptisés: elle est
mère de l'unique Sauveur Jésus Christ, Fils de Dieu.


: 2. "Il est venu en aide à Israël son serviteur"
#5
     @Lc 1,54@

  Jean Paul Michaud, dans le C.E. 77 en page 47, note que le
passé des verbes des versets 51 à 55 est à interpréter en
fonction de la conception de Jésus: "Ils ne font que déployer,
commenter, dégager la signification de la naissance prochaine
du Messie".
  Apparaît alors un point fondamental de la personnalité de
Marie: jamais elle ne s'arrête à elle-même.  Lorsque Elisabeth
publie ses louange, Marie publiera les louanges du Seigneur, se
reconnaissant comme sa servante, donc comme fabuleusement riche:
si "les générations me diront bienheureuses", ce n'est pas par
des mérites personnels, dit-Elle, mais "le Tout-Puissant fit pour
moi des merveilles" (@Lc 1,48_49@). L'événement surnaturel qui
concerne Marie n'est pas survenu pour sa propre gloire, mais
seulement pour la glose divine.

#6
  Paradoxe d'un Dieu qui "renverse les puissants" pour "élever
les humbles" (@Lc 1,52@): voici un visage du Dieu  consolateur et
libérateur des petits et des faibles.  Apparaît ici le thème
fondamental d'une pauvreté qui parvient à la gloire. Si Marie a
été choisie par Dieu pour faire de grandes choses, c'est parce
qu'elle est une porte d'humilité, de virginité, de disponibilité
et de pauvreté.
  Encore faut-il bien situer cette pauvreté. La figure d'Israël
(champ sémantique "ethnique" @Lc 1,54_55@) s'articule avec
celle de la puissance matérielle et temporelle (champ sémantique
"socio-politique" aux @Lc 1,52_53@). Mais "on ne dira pas que la
force de Dieu qui s'exerce en faveur des pauvres se déploie
contre les riches" [104]: la vérité de ce texte atteint avant tout
celui de la révélation spirituelle. Marie ne cherche pas à créer
ou prophétiser une idéologie politique révolutionnaire. Ses
parole témoignent avant tout de la réalité spirituelle qui
l'habite: en Elle, le Messie vit; son sang est celui qui passe
dans les artères de Jésus, Fils de Dieu. Luc, avec Marie, nous
encourage à dépasser l'illusion des réussites matérielles pour
découvrir le vrai trésor, une ascension à Dieu par le Christ.
"Heureux les pauvres de coeur"... [105]

#7
  Marie réalise ainsi une union intime de volonté avec le Père
[106] par la foi, avec l'Esprit Saint qui la couvre de "son
ombre", pour être vraiment  le nouveau sanctuaire de Dieu
présentant Jésus Christ à l'humanité [107].  Voilà l'aide
extraordinaire qu'il apporte "à Israël son serviteur". Le
Magnificat n'est peut être pas une hymne mariale. Ou plutôt,
elle est l'hymne mariale par excellence: c'est une hymne
christocentrique.  Si une mère dévouée dit ne vivre "que pour
son enfant", combien plus encore cela est-il vrai de Marie... La
très grande rareté de ses apparitions dans l'Evangile sont le
témoignage de son attachement secret à son Fils: pourquoi parler
d'Elle si elle ne vit que par et pour son Fils, à la fois
pleinement homme, fils de sa propre chair (@Lc 1,42@), et
pleinement Dieu [108]. Elle est la seule Mère a pouvoir adorer
son Fils en vérité !


: 3. "Toutes les générations me diront bienheureuse"
#8
      @Lc 1,48@)

  Luc a accumulé dans ce cantique les expressions de la
mansuétude divine, du bonheur, de l'allégresse que soulèvent les
bienfaits du Seigneur: "exalte" (@Lc 1,46@), "tressaille de joie"
(@Lc 1,47@), "sa miséricorde s'étend" (@Lc 1,50@), "comblé de
biens" (@Lc 1,53@), "se souvenant de sa miséricorde"
(@Lc 1,54@)... Ce concert de louanges se résonne d'ailleurs à
travers toutes les pages de l'évangile de Luc [109].
  Mais il ne s'agit aucunement d'un débordement affectif
instable: ce bonheur terrestre est fondé sur l'expérience
personnelle et véritable de la miséricorde et du salut. Le mot
même "miséricorde" est répété deux fois, de façon symétrique
(@Lc 1,50 1,54@), nous exhortant à son accueil. Ce thème est
d'ailleurs très cher à Luc, qui développe toutes les richesses de
l'enseignement du Christ par des paraboles et des récits d'une
grande pertinence historique et théologique [110].
  Cette espérance et cette confiance se trouve magnifiquement
exprimé par le verset @Lc 1,48@ du Magnificat: "Toutes les
générations me diront bienheureuse". Arrêtons-nous quelques
instants sur ce terme "bienheureuse", car son utilisation et son
sens sont d'une extrême richesse.
  Le terme utilisé est "makariousin me" - "on me considérera pour
la plus heureuse". Cette expression ne se retrouve pas ailleurs
telle quelle dans le Nouveau Testament, car ici Marie le dit de
sa propre personne.  Qui sinon Elle pourrait dire une telle
chose? Elle a vraiment accueilli et reçu avec telle profusion,
elle est si "comblée de grâce" [111] que  sa condition la place
plus proche de Dieu que toute autre créature.

#9
  L'expression grecque la plus proche est "makariou", qui
n'apparait qu'en @1Tm 1,11@: "l'Evangile de gloire du Dieu
bienheureux". Un mot qualifiant l'état de Dieu ! Il est bien
surprenant de voir une qualité divine attribuée à  une créature.
Mais il s'agit surement d'une voie à suivre: si Marie peut ainsi
participer à la Vie même de Dieu, pourquoi ne pouvons-nous pas
suivre son chemin ? Une route d'espérance s'ouvre à nous, passant
par la porte qu'a franchi Marie: la porte de la foi
("bienheureuse celle qui a cru") et de l'humilité ("son humble
servante").
  Enfin, la racine la plus simple du mot est "makarios", qui est
LE mot des béatitudes: "heureux les ...". Il apparaît 43 fois
dans le Nouveau Testament [112]: autant dire qu'il s'agit d'un thème
central. Tout homme est en effet appelé à la béatitude, c'est à
dire à voir Dieu, à participer par le Christ, à sa Vie même.
C'est le message central de saint Jean, lui aussi très proche de
Marie [113].
  On peut classer les "valeurs" du Christ selon deux catégories
de béatitude: la pauvreté (et ses harmoniques que sont justice,
humilité, douceur, pureté, miséricorde, souci de paix) et la
persécution pour l'amour du Christ [114].  Il apparaît alors qu'à
l'image de l'incarnation des images employées dans le magnificat
(qu'il y a-t-il malheureusement de plus humain que le thème
richesse / pauvreté ?), le chemin des béatitudes est un chemin
concret,  vécu dans le creuset de la foi et à la sueur du front .
Marie, qui est la créature la plus parfaite, Mère du Rédempteur,
ne cherche pas à faire un exposé mystique ou théorique sur le
salut et la foi: elle puise dans sa culture juive l'expression de
son expérience, c'est-à-dire le combat spirituel et les vrais
chemins de vie que sont les béatitudes vécues à Nazareth [115].



:
: Conclusion

  Le Magnificat apparaît donc comme un "accomplissement"
littéraire de l'Ancien Testament. Sa richesse en citations en est
la preuve la plus immédiate. Mais au delà de cet aspect formel,
le cantique de Marie révèle la réalisation complète des promesses
messianiques de la tradition juive. Alors Marie, fille de Sion,
fille de la promesse, héritière des richesses historiques et
spirituelles du Peuple de YHWH, est aussi la Mère de Dieu.

  En cela, la bonne nouvelle du Magnificat est le coeur de la
bonne nouvelle du Christ. Luc a donc réalisé en ce cours poème
comme une "table des matières" de tous les thèmes de son
Evangile: miséricorde, salut, béatitude, action de grâce...
Vraiment, en priant à l'aide du Magnificat, nous nous unissons à
la prière même de Marie, donc au coeur à coeur avec Dieu.

  Cette intimité caractérise le coeur virginal de Marie, tout
entier abandonné à la volonté du Père, tout entier sous la
mouvance de l'Esprit Saint, tout entier orienté pour vivre en son
Fils sa vocation d'Amour, c'est-à-dire une maternité immaculée.
Et ce mystère, ce secret jalousement gardé de la Maternité de
Marie nous est donné par son Fils à la croix. Comment
pourrions-nous refuser une telle Mère ? A l'école de la vie, nous
faisons la dure expérience de Dieu - "pain des forts", du rude
chemin des béatitudes, qui passe forcément par la croix. Mais à
l'école de Marie, comme dit Saint Louis Marie Grignon de
Montfort, nous découvrons Dieu - "pain des enfants", des
béatitudes montrées et enseignées par notre Mère.
  Enfin, l'humilité radicale de Marie nous apprend à découvrir
son vrai visage: toute entière tournée vers Dieu, elle n'est pas
une "intermédiaire commode et doucereuse", mais plutôt une Mère
"comblée de grâce",  qui, en "servante du Seigneur", nous apprend
à accepter la grâce de Dieu pour cheminer vers la sainteté malgré
nos faiblesses d'enfants capricieux. Un chemin d'humilité qui ne
fait pas de bruit. Qui ne laisse pas beaucoup de traces dans les
livres. Mais qui vit dans les coeurs.



:
: Bibliographie
:
 J'avoue ne pas avoir compulsé beaucoup de documents. J'ai
plutôt essayé d'utiliser les connaissances accumulées depuis
l'année dernière, et de réaliser un travail assez spéculatif et
personnel. J'ai toutefois compulsé les notes des différentes
Bibles en ma possession, ainsi que des concordances et
dictionnaires théologiques informatiques.

* Cahier Evangile numéro 77. "Marie et les Evangiles" Ed Cerf
* "Vocabulaire de Théologie Biblique" Ed Cerf
* "Synopse des quatres Evangiles" P.Benoit  M.E.Boismard  Ed Cerf


\
: Note 1
#100
Pour s'en convaincre, il suffit de rapprocher les expressions
suivantes aux textes de l'Ancien Testament:

"a exulté en Dieu mon Sauveur": @Ha 3,18@
"il a regardé la bassesse de sa servante": @1S 1,11@
"saint est son Nom": @Ps 110,9@
"sa miséricorde, pour des générations et des générations est sur
ceux qui le craignent": @Ps 102,17@
"il renversa les puissants [...] et éleva les humbles": @Si 10,14@
"les affamés, il les rassasia de biens": @Ps 107,9@
"Il secourut Israël son serviteur, se souvenant de la
miséricorde": @Is 41,8; Ps 98,3@
"ainsi qu'[...] à nos pères, en faveur d'Abraham et de sa
postérité, à jamais": @Mi 7,20; 2S 22,51@

\
: Note 2
#101
 Les humbles et les opprimés tiennent une grande place dans la
Bible. Les prophètes réclament justice pour eux. (cf @Is 49,13 53,4; 66,2@
@Ps 22,25; 22,27; 34,3_4; 37,11_12; 69,34; 74,19; 149,4@) Avec
Sophonie, ces pauvres deviennent un catégorie morale et
eschatologique (@So 2,3@): à ces vrais Israélites, sera envoyé le
Messie (@Is 61,1@), lui-même humble et doux.
(@Mt 5,3; 21,5; 11,25; 11,29; Lc 6,20; 7,22@)

\
: Note 3
#102
 Elle invoque "le Seigneur" (@Lc 1,46@), "Dieu sauveur" (@1,46@), "le
Tout-puissant" (@Lc 1,49@)... Autant de visages de Dieu tout à fait
habituels dans l'Ancien Testament: "Adonaï", "Elyôn"...
 Même si les accents guerriers de @Lc 1,51_53@ semblent mal
placés dans la bouche d'une jeune fille enceinte, ils enracinent
ses paroles dans la grande tradition des cantiques à YHWH, comme
celui de Myriam, en @Ex 15,21@. (cf. C.E. 77 p.45)

\
: Note 4
#103
 @Lc 1,42@. L'allégresse d'Elisabeth (comme celle du petit Jean
Baptiste, en @Lc 1,41 1,44@), n'est pas une simple salutation de
politesse: Luc précise qu'"Elisabeth fut remplie d'Esprit Saint".
(@Lc 1,41@). Et voici ce que nous annonce l'Esprit Saint à
travers les paroles d'Elisabeth: "l'accomplissement de ce qui lui
a été dit de la part du Seigneur". (@Lc 1,45@)
  Voilà peut-être une différence fondamentale entre la conception
de Jean le baptiste et de Jésus: Elisabeth avait besoin et envie
d'un Fils, tandis que Marie n'avait rien demandé ! Une jeune
fille de 15 ans avait toute la vie devant elle pour avoir un
enfant, tandis qu'Elisabeth était "dans la vieillesse" (@Lc 1,36@).
Il est même possible, selon la tradition, que Marie, encore
vierge, (cf @Lc 1,27 1,34@) ait résolu de le rester. D'un côté,
une prière "intéressée", de l'autre, l'abandon à la volonté de
Dieu: "Je suis la servante du Seigneur; qu'il advienne selon ta
parole" (@Lc 1,38@).

\
: Note 5
#104
 cf C.E. 77 page 48. Michaud précise: "Comme si Dieu prenait
plaisir à la vengeance ! C'est tout simplement que la violence
amoureuse de celui qui veut sauver les écrasés ne peut pas ne pas
s'en prendre à ceux qui les écrasent."
    Jésus ne condamne pas la richesse en elle même: Il connaît de
"bons riches", comme Zachée (@Lc 19,2; 19,8@) et Joseph d'Arimathie
(@Lc 23,50_51@). Mais l'Evangile de Luc est aussi celui des
exigences, du renoncement absolu
(@Lc 14,25_33; 12,33; 6,34_35; 12,13_21; 14,12_14; 16,9_13@).

\
: Note 6
#105
 Les béatitudes de Luc (@Lc 6,20_23@) s'appliquent d'abord à
l'ordre matériel. Son message est avant tout l'évangile du salut
et de la miséricorde. Matthieu se tient sur le plan purement
spirituel, et @Mt 5,1_12@ montre le Christ proclamant "heureux
ceux qui ont une âme de pauvre, parce que le royaume des cieux
est à eux" (littéralement "pauvres quant à l'esprit, par
l'esprit").
   Si Jésus a donné l'exemple de la pauvreté (@Lc 9,58@),  il nous
donne aussi celui de la prière: Luc aime à représenter son
Seigneur en prière (@Lc 3,21 6,12; 9,28; 5,16@ et surtout @11,1@),
nous invitant à prier sans cesse (@Lc 18,1@). On ne peut donc pas
dire qu'il y ait chez Luc d'opposition entre béatitude et vie
spirituelle: il s'agirait plutôt pour lui de veiller à l'unité de
style de son récit, privilégiant donc dialogues et figures
scéniques par rapport aux grands discours plus abstraits, comme
ceux que Jean place dans son Evangile (voir @Jn 1,1_18 15 17@...)

\
: Note 7
#106
 cf @Lc 1,28@: "qu'il advienne selon ta parole !". Par ce "fiat",
nous pouvons pressentir la disponibilité exceptionnelle de Marie,
dont le coeur virginal est tout entier tourné vers Dieu. C'est la
foi de Marie que salue Elisabeth: "Oui, bienheureuse celle qui a
cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du
Seigneur !" (@Lc 1,45@ littéralement: "celle qui a cru qu'il y
aura accomplissement" ou "celle qui a cru parce qu'il y aura
accomplissement").

\
: Note 8
#107
 Les notes des Bibles (TOB, BJ et Osty) voient en @Lc 1,35@ une
évocation assez nette (par le verbe episkiazô) de la nuée
lumineuse du récit de la Transfiguration (@Lc 9,34@: espekiazen),
ainsi que l'expression de l'Ancien Testament évoquant la nuée qui
accompagne et révèle la présence de YHWH dans son Temple
(@Ex 40,35 et en Nb 9,15; 9,18; 10,34@).

\
: Note 9
#108
 "comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon
Seigneur ?" @Lc 1,43@. Elisabeth annonce les deux natures de Jésus
de façon plus précise que l'ange (il "sera appelé Fils de Dieu";
@Lc 1,35@) et Marie (qui exalte le Père, mais reste effacée et
prend bien soin de conserver "toutes ces choses en son coeur":
@Lc 2,19; 2,51@).

\
: Note 10
#109
  Luc note toutes les manifestations de reconnaissance
(@Lc 5,26 10,17 13,17 18,43 19,37 24,41 24,52@), exubérance inaugurée
par le "Gloria" des anges devant l'enfant Jésus (@Lc 5,14@).
L'évangile de Luc est vraiment celui de la joie. Une allégresse
messianique qui parcourt l'évangile (@Lc 1,14 1,47 2,10 10,20 15,7@
(...); voir aussi @Ac 2,46; 8,8; 12,14; 13,52; 15,3@ (...) et se
conclu par l'ascension et la "grande joie" des disciples,
"continuellement dans le Temple à bénir Dieu" (@Lc 24,52_53@).

  Le disciple de Paul insiste avec complaisance sur la "bonté de
Dieu [...] et son amour pour les hommes" (cf @Ti 3,4@), et met
souvent en scène des hommes répondant dans la joie à cet amour.

\
: Note 11
#110
  L'Evangile de Luc est celui des grands pardons: la femme
pécheresse (@Lc 7,36_50@), Zachée (@19,1_10@), les bourreaux (@23,24@),
"le bon larron" (@Lc 23,39_43@). Luc préféra même la parabole du
figuier stérile (@Lc 13,6_9@) à l'épisode du figuier desséché
(@Mc 11,12_14; 11,20_25@)...
   Le visage du Christ est celui d'un sauveur plein de pitié
pour toutes les misères humaines, comme témoignent la parabole de
la brebis perdue et retrouvée (@Lc 15,4_7@), et sa grande
sensibilité envers les hommes
(@Lc 12,4; 12,32; 19,41_44; 23,28_31; 22,48; 22,61@).

\
: Note 12
#111
  @Lc 1,28@, littéralement "toi qui as été et demeure comblée de
faveur divine". Ces paroles de l'ange évoquent des textes
messianiques tels que @2S 7,1; Is 9,6; Dn 7,14@...

\
: Note 13
#112
 @Mt 5,3_11;  11,6; 13,16;  16,17;  24,46@
@Lc  6,20_22 7,23 10,23 11,28 12,37_38 12,43 14,14_15@
@Jn  13,17; 20,29; Ac 20,35; 26,2; Rm 4,7_8;  14,22@
@1Tm  6,15; Jc  1,12_25; 1P 3,14;  4,14@
@Ap 1,3; 14,13;  16,15;  19,9;  20,6;  22,7; 22,14@

\
: Note 14
#113
 Selon la tradition séculaire, Jean, c'est-à-dire le "disciple
que Jésus aimait" reçoit du Christ en croix Marie pour Mère
(@Jn 19,25_27@). Ultime testament de Jésus, ce geste a été relu comme
le don de la maternité de Marie envers tout homme (le pape Jean
Paul II a souvent développé ce thème. Par exemple, le 11 mai
1983, cf la D.C. 612: "Jésus manifeste la volonté de faire de
Marie non seulement la Mère de l'ensemble de ses disciples, mais
de chacun d'eux en particulier, comme s'il était son seul fils
qui prend la place de son Fils unique").

    Et l'enseignement de Saint Jean s'exprime en @1Jn 1,1_4; 4,9@
pour nous inviter à participer à la vie même de la sainte
Trinité... un extraordinaire but de sainteté: voilà le sens des
béatitudes.

\
: Note 15
#114
 cf Vocabulaire de Théologie Biblique, article "Béatitude", p.
117_119. Les auteurs notent aussi "l'ambiguité d'une
représentation terrestre de la béatitude", et précisent que "ce
renversement des valeurs était rendu possible par celui qui est
toute valeur" (@1P 3,14; 4,14@). Cela concorde bien avec l'analyse
précédente du paradoxe du Dieu justifiant la pauvreté.

\
: Note 16
#115
 Il est à noter que l'Evangile de Luc est le plus détaillé pour
ce qui concerne la vie cachée à Nazareth. Les textes qui nous
rapportent la naissance de Jésus (@Lc 2,1_7@), la circoncision et
la présentation au Temple de Jésus (@Lc 2,21_40@), et surtout le
recouvrement de Jésus au Temple(@Lc 2,41_52@) ne sont présents que
chez Luc. On peut noter que la superbe note concernant Marie
"gardant ces choses en son coeur" n'apparaît aussi que chez Luc:
a-t-il profité de sources plus sûres ?

   Je crois plutôt que ces récits furent ajoutés après tous les
textes d'enseignement du Christ, après ce qui fait le centre des
Evangiles: le ministère et la montée pascale de Jésus. Afin de
bien mettre en avant l'incarnation, surement face aux courants
gnostiques, il a surement été nécessaire aux communautés
chrétiennes de préciser la vie de Jésus à Nazareth.