Survol historique

Période des débuts (1827-1900)

Cette période est marquée par la mise en place de certaines structures économiques, politiques, sociales et éducatives qui vont prendre toute leur ampleur au cours de la période suivante. L'État canadien s'est donné un cadre politique : la Confédération. L'économie capitaliste a jeté ses bases : l'industrialisation et l'urbanisation. La bourgeoisie a forgé des instruments pour asseoir son pouvoir. La masse des agriculteurs et des nouveaux ouvriers est confrontée aux changements. La population rurale a dû s'adapter aux exigences d'une société qui s'industrialisait et s'urbanisait. Les connaissances traditionnelles, transmises oralement de génération en génération, ne servaient à rien dans un contexte socioéconomique où l'introduction d'une nouvelle machinerie sur la ferme et une répartition du travail en usine posaient aux travailleurs des problèmes différents de ceux qu'ils avaient l'habitude d'affronter. Apparaissent donc de nouveaux besoins auxquels l'éducation informelle et l'éducation formelle (pour ceux qui y ont accès) ne sont pas en mesure de répondre. C'est dans ce contexte qu'est apparue l'ÉA, principalement au sein de la société civile. L'État est intervenu bien plus tard, contraint par les industriels devenus impuissants devant l'ampleur des besoins à combler.

Divers groupes religieux donnent naissance à de nombreuses associations à but social et éducatif dont le Young Men's Christian Association (YMCA), en 1851, et son pendant féminin, le Young Women's Christian Association (YWCA), en 1874. L'éducation que les protestants vont recevoir à travers ces différents organismes tend à former des individus autonomes et débrouillards, pratiques et artisans de leur propre destin. Cet idéal correspond parfaitement aux principes et aux exigences d'une communauté vouée à la libre entreprise.

Le YMCA, conçu sur un modèle britannique, est probablement emblématique des meilleures initiatives de la période. C'est une institution vouée à l'éducation des adultes, caractéristique de l'action volontaire communautaire des collectivités anglo-saxonnes protestantes. Le YMCA de Montréal, fondé en 1851, est le premier à voir le jour en Amérique du Nord.

C'est beaucoup en milieu agricole que sont apparues les expériences qui ont fourni les premiers cadres de l'ÉA. Les travailleurs agricoles ont été les premiers à comprendre que cette formation a posteriori n'était pas un instrument d'avancement personnel, mais qu'elle constituait un des leviers de transformation de l'ensemble du milieu. Les travailleurs industriels ont emboîté le pas et se sont dotés d'outils de formation. Très rapidement, ces groupes de travailleurs se sont heurtés aux mêmes types de problèmes. Les projets issus de la base ont en général répondu adéquatement aux désirs des travailleurs, mais ils ont connu une vie éphémère, faute de source régulière de financement. D'un autre côté, les projets institutionnels ont eux aussi souvent connu des échecs, parce qu'ils ne tenaient pas assez compte des conditions de vie et des habitudes d'apprentissage des travailleurs. Malgré les limites de ces premières expériences d'éducation, on assiste quand même à la naissance d'un large mouvement d'éducation des adultes qui va se développer au cours du XXe siècle.

Bref, la culture et l'économie seront deux agents importants de l'état de développement de l'éducation des adultes. En ce qui a trait à la culture, les comportements induits par l'éthique du protestantisme, par exemple, expliquent en partie l'essor rapide de l'éducation des adultes chez les Anglo-saxons protestants. À l'opposé, le caractère autoritaire, hiérarchique et dogmatique du catholicisme est partiellement responsable des retards qui se manifestent chez les Canadiens français. Et certaines initiatives se révéleront contradictoires, car elles pervertissent en quelque sorte l'esprit même de l'éducation des adultes. Ainsi, en 1888, l'instauration par le Secrétariat de la province de cours du soir pour ceux qui ont abandonné hâtivement l'école s'inscrit dans la stratégie du mouvement catholique ultramontain, qui s'oppose au mouvement réclamant l'école obligatoire. L'offre de cours le soir sert d'argument pour justifier que l'école obligatoire n'est pas nécessaire : les jeunes qui ont abandonné hâtivement l'école peuvent y retourner le soir. Mais le mouvement réactionnaire sera parvenu à contrer celui de la fréquentation scolaire et les écoles du soir seront fermées! Autre exemple, l'Église catholique instaure l'½oeuvre des bons livres╗ et le ½cabinet de lecture paroissial╗, moins pour répandre l'alphabétisation et le goût de la lecture que pour canaliser et contrôler l'essor de la lecture au sein des couches sociales plus instruites. Le clergé s'oppose ainsi au courant libéral (francophone) qui cherche à diffuser la littérature et à l'offensive d'organisations culturelles protestantes qui rendent accessibles aux Canadiens français les textes rédigés dans leur langue.

Évidemment, il faut se garder d'une vision manichéenne du catholicisme et du protestantisme, car l'Église catholique est devenue un agent historique important de l'éducation des adultes, particulièrement dans la période qui va suivre. De plus, il faut considérer d'autres facteurs évoqués plus haut, comme l'économie (et le politique). Concrètement, il appert que le faible développement de l'éducation des adultes chez les francophones était également le produit et le reflet de leur confinement dans des activités traditionnelles (l'autarcie rurale, par exemple) et par leur position économique inférieure (leur concentration dans les métiers manuels et les postes de manoeuvre, par exemple) par rapport aux Canadiens anglais qui contrôlaient largement la vie économique et qui se réservaient les postes supérieurs dans les entreprises.

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