L'histoire Äcrite de presque toutes les rÄgions du Canada commence avec la traite des fourrures. Cette activitÄ Äconomique englobe un vaste Äventail d'expÄriences qui comporte tout aussi bien les rÄalisations quasi hÄroòques de certains individus que les machinations de puissantes compagnies dont le siÅge social se trouvait dans des pays ÄloignÄs. Pourtant, tout bien considÄrÄ, l'essence de la traite des fourrures rÄsidait dans les activitÄs quotidiennes de ceux qui pratiquaient ce commerce.
Pendant toute l'histoire du Canada, des ressources comme le poisson, la fourrure, le bois d'oeuvre, le blÄ et les minÄraux ont suscitÄ l'intÄrÉt des diverses mÄtropoles. Des particuliers, des entreprises et des gouvernements ont investi de fortes sommes dans les principales ressources de l'arriÅre-pays canadien, recherchant la richesse, la puissance et la sÄcuritÄ promises par ces ressources. Par sa durÄe et son Ätendue gÄographique, sinon par le nombre de personnes qui y participaient et l'ampleur des fonds qui y Ätaient consacrÄs, le commerce des fourrures fut la plus importante activitÄ primordiale d'exploitation des ressources dans le Canada d'autrefois. Ce commerce visait principalement ê Ächanger des fourrures contre des produits manufacturÄs d'Europe de l'Ouest. Les chasseurs amÄrindiens piÄgeaient les animaux dont ils traitaient la fourrure et transportaient leurs produits jusqu'ê des endroits stratÄgiques o¥ les traiteurs de fourrures d'Europe de l'Ouest offraient en Ächange aux Autochtones des biens et des services qui les intÄressaient. ╦ titre d'agents des diverses mÄtropoles et de rÄseaux de traite se faisant concurrence, ces traiteurs cherchaient des voies navigables qui permettraient la circulation des fourrures vers l'est et des produits manufacturÄs vers l'ouest. Ils finirent par Ätablir des voies de communication dans toute la moitiÄ nord du continent et par atteindre l'Arctique et le Pacifique. L'immensitÄ du Canada actuel est, entre autres, un legs des hommes qui ont rÄussi ce tour de force. Toutefois, si important qu'ait ÄtÄ le rÖle des mÄtropoles d'Europe de l'Ouest et de leurs rÄseaux d'influence dans l'arriÅre-pays nord- amÄricain, la coopÄration des Autochtones d'AmÄrique du Nord fut tout aussi nÄcessaire au succÅs du commerce des fourrures.
On peut aussi envisager le commerce des fourrures sous l'angle des raisons qui ont poussÄ des particuliers et des collectivitÄs ê adapter leurs cultures ê un nouveau milieu et des moyens qu'ils ont pris pour y parvenir. Deux peuples, les AmÄrindiens d'AmÄrique du Nord et les EuropÄens de l'Ouest, commencÅrent ê faire la traite des fourrures et poursuivirent cette activitÄ afin de rÄaliser les objectifs dictÄs par leurs traditions culturelles propres. Les premiers habitants du continent s'Ätaient forgÄs des modes de vie distincts, admirablement adaptÄs ê l'exploitation efficace des ressources de la terre. C'Ätaient surtout des chasseurs nomades. Leurs pratiques culturelles, caractÄrisÄes par l'adaptabilitÄ aux changements du milieu, furent un facteur-clÄ de leur rÄussite. ╦ quelques exceptions prÅs, les peuples amÄrindiens accueillirent avec faveur les biens et les services que leur proposaient les traiteurs et qui semblaient faciliter leur survie et embellir certains aspects de leurs modes de vie traditionnels.
Les traiteurs d'Europe de l'Ouest, principalement les Britanniques et les Franìais, constatÅrent aussi qu'il leur fallait s'adapter en fonction des conditions de la traite. La nÄcessitÄ stimula d'importants changements technologiques, notamment l'emprunt d'outils et de techniques aux AmÄrindiens. Des changements sociologiques et idÄologiques, moins Ävidents, rÄsultÅrent des situations qui avaient provoquÄ ces adaptations technologiques. Pour comprendre la traite des fourrures au Canada, il est aussi important d'Ätudier la vie de ceux qui s'y adonnÅrent que les rÄseaux d'influence et de contrÖle mis en place par une mÄtropole ÄloignÄe.
La traite des fourrures jusqu'en 1665
L'expÄrimentation fut le facteur-clÄ qui marqua l'expansion du commerce des fourrures en AmÄrique du Nord, ê partir du voyage d'exploration de Jean Cabot, en 1497, jusqu'en 1663, date de l'intervention directe du gouvernement du roi Louis XIV dans les affaires de la colonie de la Nouvelle-France. Les AmÄrindiens et les EuropÄens de l'Ouest se familiarisÅrent avec les produits qu'il fallait se procurer et expÄrimentÅrent la meilleure stratÄgie d'acquisition. Entre temps, de nouveaux rÖles et de nouveaux modes de vie propres au commerce des fourrures se dÄveloppÅrent tant chez les AmÄrindiens que chez les EuropÄens de l'Ouest.
Aux dÄbuts, les EuropÄens de l'Ouest et les AmÄrindiens Ächantillonnaient divers produits pouvant prÄsenter un intÄrÉt. Les entrepreneurs d'Europe de l'Ouest eurent beaucoup de succÅs avec les pÉcheries, puis avec le commerce des fourrures de luxe, fourrures auxquelles adhÄrait encore le pelage et qui servaient ê fabriquer des manteaux, des robes et des garnitures. Pour des raisons Äconomiques et technologiques, le bois d'oeuvre promettait peu, et le trafic d'esclaves amÄrindiens n'Ätait pas particuliÅrement attrayant. Sans doute les AmÄrindiens de la rÄgion, Micmacs et MalÄcites des Maritimes, BÄothuks de Terre-Neuve et Montagnais de la rive nord du golfe Saint-Laurent, avaient-ils des prÄoccupations similaires lors de leurs premiers contacts avec des EuropÄens de l'Ouest. Chasseurs nomades vivant en petites bandes trÅs dispersÄes, ils chassaient le gibier dans les rÄgions boisÄes au cours de l'hiver et migraient sur la cÖte, au printemps, afin d'exploiter les ressources du littoral. Ils trouvÅrent trÅs fonctionnels les outils de mÄtal des pÉcheurs; plus tard, des articles comme des tissus et des fusils s'avÄrÅrent utiles pour eux.
Dans leur recherche de produits, ni AmÄrindiens ni EuropÄens de l'Ouest n'Ätaient Ätrangers aux techniques d'acquisition qu'Ätaient le commerce et la razzia. La rencontre, en 1534, entre Jacques Cartier et son Äquipage et une bande de Micmacs, sur le rivage de la baie des Chaleurs, dans le golfe du Saint-Laurent, montre bien que chaque groupe connaissait les produits de l'autre et cherchait avidement ê en faire le commerce. L'absence des femmes et des enfants micmacs, lors de ces rencontres, rÄvÅle une absence de confiance et la peur d'ÄchauffourÄes. Toutefois, tant les AmÄrindiens que les EuropÄens de l'Ouest semblaient considÄrer que le commerce plutÖt que la maniÅre forte constituait la stratÄgie la plus efficace pour acquÄrir des produits.
L'importance d'une stratÄgie de troc est mise en relief par la tragique histoire des BÄothuks de Terre-Neuve qui ne rÄussirent pas ê Ätablir de relations commerciales durables avec les pÉcheurs. Les contacts entre ces deux groupes furent marquÄs par le vol et la violence de part et d'autre. Lorsque les pÉcheurs de la cÖte s'aventurÅrent ê l'intÄrieur et se mirent ê remonter les diverses riviÅres pour pÉcher le saumon, chasser et piÄger les animaux ê fourrure, les BÄothuks apparurent comme des concurrents plutÖt que comme des associÄs nÄcessaires pour l'exploitation de ces ressources. Les BÄothuks eurent aussi ê subir des incursions par les Micmacs des rÄgions environnantes. En raison de ces escarmouches continuelles, les BÄothuks disparurent dÅs le dÄbut du XIXe siÅcle.
Les pÉcheurs et les Micmacs eurent des rapports trÅs diffÄrents. Ayant dÄcidÄ que les alliances commerciales reprÄsentaient le meilleur moyen d'acquÄrir des produits utiles d'Europe de l'Ouest, les Micmacs adaptÅrent leurs coutumes traditionnelles de faìon ê tenir compte des avantages et des co₧ts du commerce des fourrures. Les Franìais en vinrent ê accaparer la majeure partie du commerce entre les EuropÄens de l'Ouest et les Micmacs, et dÅs la fin du XVIe siÅcle, les AmÄrindiens acceptÅrent la prÄsence de traiteurs ayant des postes ê terre. Un traiteur franìais, qui voulait s'assurer l'amitiÄ d'une bande en particulier et donc de son commerce de fourrures, Äpousait une femme de cette bande. AprÅs s'Étre Ätabli dans un poste de traite, il faisait de nombreux voyages avec ses parents amÄrindiens. Ces traiteurs et leurs fils mÄtis furent connus sous le nom de capitaines des sauvages. Les Franìais comme les Micmacs prÄfÄraient traiter entre eux par l'intermÄdiaire de ces hommes. Les capitaines des sauvages, intermÄdiaires entre les deux cultures, semblent avoir jouÄ un rÖle essentiel dans le succÅs du commerce terrestre des fourrures dans les Maritimes et dans celui des alliances politiques subsÄquentes qui liÅrent les Franìais et les AmÄrindiens dans cette rÄgion.
╦ l'origine, on faisait surtout le commerce des fourrures de luxe. Le commerce des fourrures communes vit le jour lorsque les fabricants de feutre de l'Europe de l'Ouest apprirent que la ╟laine╚ ou le ╟duvet╚ constituÄ par les poils subsistant sous le pelage proprement dit du castor, une fois dÄtachÄs de la peau, permettaient d'obtenir du feutre de trÅs grande qualitÄ. Le chapeau fabriquÄ ê partir de cette matiÅre, le fameux chapeau de castor, devint ê la mode chez les hommes et resta populaire jusque dans les annÄes 1830, pÄriode ê laquelle le commerce des fourrures communes cÄda de nouveau la place au commerce des fourrures de luxe.
Au fur et ê mesure qu'il se dÄveloppa dans la seconde partie du XVIe siÅcle, le commerce de fourrures communes ne demeura plus une activitÄ complÄmentaire de la pÉche. Des navires commencÅrent ê se rendre sur la cÖte est uniquement pour aller chercher des fourrures. La fourrure commune Ätait le principal produit recherchÄ, mais la fourrure de luxe, particuliÅrement la fourrure de peu de volume, mais de grande valeur comme celle du vison, de la loutre, du pÄkan et de la martre demeura aussi un produit secondaire trÅs important pendant toute l'histoire du commerce des fourrures communes. La fourrure de castor portÄe par les AmÄrindiens sous forme de manteau ou de robe Ätait la meilleure fourrure commune. Lorsqu'on portait la fourrure, les jarres qui en constituaient le revÉtement extÄrieur et qui lui enlevaient de la valeur tombaient, laissant la laine ou le duvet sur une peau souple et bien tannÄe. On pouvait feutrer ce castor gras d'hiver ê un co₧t beaucoup moindre que le castor sec. Les traiteurs franìais qui cherchaient ê obtenir la fourrure de ces castors gras remontaient le Saint-Laurent, ê la recherche de bandes plus ÄloignÄes avec lesquelles ils pourraient commercer. Un important commerce d'ÄtÄ avec les Montagnais se dÄveloppa ê Tadoussac, au confluent du Saguenay et du Saint-Laurent, ê la fin du XVIe siÅcle.
Au cours du XVIe siÅcle, le rÖle des Montagnais dans le commerce des fourrures Ävolua : de chasseurs qui troquaient occasionnellement des fourrures avec les pÉcheurs, ils devinrent des intermÄdiaires qui avaient des contacts annuels rÄguliers avec les traiteurs franìais. Ils dÄcouragÅrent les contacts entre leurs voisins amÄrindiens et les Franìais, prÄfÄrant troquer des produits europÄens avec les premiers contre des fourrures qu'ils Ächangeaient avec les EuropÄens en faisant un profit substantiel. Les Montagnais qui contrÖlaient le commerce des fourrures ê Tadoussac pouvaient limiter la circulation des fourrures et encourager les traiteurs franìais concurrents ê surenchÄrir sur les fourrures. La prospÄritÄ des Montagnais finit par attirer l'attention des bandes ÄloignÄes. Certaines tribus provenant de rÄgions aussi ÄloignÄes que les Grands Lacs cherchaient ê se procurer les produits franìais par le commerce. D'autres, notamment les Agniers (Mohawks) de la ConfÄdÄration des Iroquois, dÄcidÅrent plutÖt d'effectuer des razzias, ce qui leur semblait le meilleur moyen d'obtenir des produits franìais. Pour faire face ê cette nouvelle menace, les Montagnais renforcÅrent leur alliance avec leurs voisins algonquins de la vallÄe de l'Outaouais en leur permettant de trafiquer directement avec les traiteurs franìais. Ce fait nouveau encouragea les Franìais ê remonter plus ê l'ouest dans la vallÄe du Saint-Laurent et ê Äriger, en 1608, une habitation permanente ê QuÄbec.
En 1603, Pierre du Gua, sieur de Monts, noble franìais se livrant activement ê des entreprises commerciales ê risque ÄlevÄ comme la traite d'ÄtÄ ê Tadoussac, obtint du gouvernement franìais le monopole du commerce des fourrures et accepta en retour de veiller aux intÄrÉts franìais dans la rÄgion. Samuel de Champlain se chargeait des intÄrÉts de Monts en ce qui concerne le commerce des fourrures. AprÅs avoir fondÄ QuÄbec, Champlain vit la nÄcessitÄ de renforcer son alliance commerciale avec les Algonquins. Il apprit rapidement que dans les rÄgions environnant les Grands Lacs, ces alliances Ätaient aussi bien des pactes politiques que des accords commerciaux. Les deux victoires qu'il remporta sur les Agniers en 1609 et 1610, de concert avec les Algonquins et leurs alliÄs, favorisÅrent les intÄrÉts franìais. Fait trÅs important, les Franìais entrÅrent en contact avec les Hurons qui vivaient prÅs de la baie GÄorgienne, et qui Ätaient des commerìants habiles et des alliÄs des Algonquins.
Les Montagnais virent leur situation se transformer radicalement ê la suite de la consolidation de l'alliance franco-huronne. ╦ la suite de leurs premiers contacts avec les pÉcheurs, les Montagnais ne faisaient qu'ajouter des produits d'Europe de l'Ouest ê leur propre Äventail de produits. Les outils de mÄtal comme les couteaux et les hachettes complÄtaient donc les outils de pierre, d'os ou de bois, les tissus s'ajoutaient au cuir, et les denrÄes europÄennes ÄchangÄes ê l'occasion comme des cÄrÄales, des fruits et des lÄgumes sÄchÄs servaient de complÄment aux produits de la chasse. ╦ l'origine, ces nouvelles acquisitions n'Ätaient pas nombreuses, mais au fur et ê mesure que les Montagnais eurent des contacts annuels prÄvisibles avec des traiteurs, ils cessÅrent de fabriquer les produits dont il leur Ätait plus facile d'obtenir les Äquivalents par le commerce des fourrures. Les articles d'Europe de l'Ouest commencÅrent de remplacer les articles amÄrindiens plutÖt que de les complÄter. Les Montagnais commencÅrent ê abandonner leur Äconomie de subsistance au profit de la production de surplus. Ils eurent besoin d'un plus grand nombre de fourrures ê Ächanger avec les Franìais contre des produits d'Europe de l'Ouest et ils devinrent dÄpendants de ces denrÄes pour assurer leur survie. Lorsque des circonstances nouvelles leur firent perdre leur rÖle d'intermÄdiaires, les Montagnais furent forcÄs de retourner ê la chasse et au piÄgeage. Ces Autochtones, qui avaient perdu beaucoup des connaissances techniques associÄes ê ce mode de vie, trouvÅrent la transition plus difficile en raison de la raretÄ du gibier et des fourrures. La famine et les ÄpidÄmies aggravÅrent une situation dÄjê mauvaise. Les Montagnais ne reprirent jamais leur position d'intermÄdiaires dans le commerce des fourrures et leur expÄrience malheureuse allait Étre par la suite le lot de nombreux peuples autochtones.
AprÅs les premiÅres rencontres entre des membres de la ConfÄdÄration des Hurons et des traiteurs franìais, ê QuÄbec, les deux parties travaillÅrent ê renforcer leur alliance. Sur le plan gÄographique et culturel, les Hurons Ätaient admirablement placÄs pour assumer un rÖle d'intermÄdiaires coopÄratifs dans le commerce des fourrures. ╦ titre d'agriculteurs, ils avaient des rÄserves alimentaires que ne connaissaient pas les chasseurs comme les Outaouais, les Nipissings et les Algonquins qui vivaient ê l'ouest, au nord et ê l'est d'eux. âtant donnÄ que les femmes, en Huronie produisaient la plupart des denrÄes alimentaires, les adultes mëles avaient beaucoup de temps ê consacrer aux activitÄs commerciales et guerriÅres. Des rÄseaux commerciaux Ätendus couvraient dÄjê la rÄgion des Grands Lacs avant l'arrivÄe des Franìais. Les Ächanges commerciaux prÄcolombiens au cours desquels on cherchait surtout ê obtenir des produits de luxe comme des coquillages, du cuivre natif, de la pierre de pipe et du tabac comportaient le transport du maòs depuis les territoires hurons jusqu'au nord, et son Ächange pour de la viande, des fourrures et des peaux fournies par les chasseurs du Bouclier canadien. Cette expÄrience prÄparait les Hurons ê assumer le rÖle d'intermÄdiaires au sein du rÄseau d'Ächanges commerciaux Saint-Laurent-Grands Lacs qui reliait les traiteurs franìais ê QuÄbec et les chasseurs du Bouclier, au nord. Les membres de la ConfÄdÄration des Iroquois cherchaient ê avoir accÅs ê ces mÉmes fourrures. La gÄographie, les relations politiques entre leurs bandes et leurs propres traditions culturelles encourageaient les Iroquois ê considÄrer les razzias comme le meilleur moyen d'acquÄrir ces produits. DÅs 1630, les ressources en fourrures de leurs territoires n'Ätaient plus suffisantes. Les Iroquois, qui recevaient des fusils et des munitions des traiteurs britanniques de la Nouvelle-Angleterre et plus tard des Hollandais de la Nouvelle-Amsterdam, avaient les moyens d'obtenir des fourrures d'autres peuples. Sans doute la diplomatie iroquoise ne rÄussit-elle pas ê faire rompre l'alliance entre les Franìais et les Hurons, mais ce pacte ne dissuada par les Iroquois d'effectuer des incursions dans toute la rÄgion des Grands Lacs.
Durant la pÄriode qui sÄpara la fondation de QuÄbec et la destruction de la Huronie en 1648-1649, les Franìais tentÅrent deux tactiques pour accroötre leur influence sur leurs partenaires de traite hurons. Les missionnaires jÄsuites s'efforìaient d'occuper une place prÄpondÄrante dans la vie des Hurons, alors que les coureurs de bois qui pratiquaient la traite ê l'intÄrieur, souvent au mÄpris de lois franìaises, faisaient Ägalement office d'intermÄdiaires culturels, car leur connaissance intime des deux cultures leur permettaient de faire comprendre ê chacune les usages de l'autre. AprÅs l'Ächec de leur apostolat auprÅs des bandes dissÄminÄes de Montagnais nomades, les missionnaires jÄsuites concentrÅrent leurs efforts sur les grands villages hurons. Faisant appel aux traiteurs de fourrures pour pÄnÄtrer en Huronie dans les annÄes 1630, les jÄsuites connurent de longues annÄes d'insuccÅs. Cependant, ê la fin de la dÄcennie, le vent sembla tourner en leur faveur, un nombre croissant d'AmÄrindiens acceptant de se convertir.
Il semble que les jÄsuites importÅrent en Huronie des maladies europÄennes qui en l'espace de quelques annÄes, rÄduisirent de moitiÄ la population huronne. ╦ la longue, les maladies et les biens matÄriels acquis grëce ê la traite des fourrures portÅrent prÄjudice aux structures sociales et ê la culture des Hurons. Au contraire, les Iroquois, cousins mÄridionaux des Hurons, semblent avoir rÄduit au minimum l'action nÄfaste de la traite des fourrures en perfectionnant et en consolidant leur confÄdÄration. Chez les Hurons, l'acquisition du bien-Étre matÄriel par les commerìants et les tribus orientales de la confÄdÄration se faisait aux dÄpens des guerriers et des tribus occidentales. Cette situation suscita un malaise social et politique en opposant les intÄrÉts individuels liÄs ê la traite aux responsabilitÄs communautaires. De tels problÅmes pouvaient Étre rÄsolus de maniÅre satisfaisante pour peu que les institutions permissent d'intÄgrer les intÄrÉts individuels dans l'ensemble des intÄrÉts communautaires. Les Iroquois rÄussirent dans cette entreprise, mais pas les Hurons.
Chez les Hurons, ces problÅmes furent aggravÄs par les ÄpidÄmies, non seulement parce qu'elles tendaient ê frapper les vieillards, dÄpositaires de la sagesse ancestrale, mais aussi parce qu'elles suscitÅrent chez les Hurons des doutes quant ê l'efficacitÄ de leurs mÄthodes traditionnelles de sauvegarde des vies face aux mÄthodes de la ╟sorcellerie rivale╚. Le message religieux des missionnaires jÄsuites vint aggraver une situation dÄjê prÄcaire. Non seulement les jÄsuites mettaient-ils en question les pratiques et les croyances traditionnelles, mais les nÄophytes avaient tendance ê fuir les rites paòens. Cette attitude constituait pour la culture traditionaliste des Hurons une menace plus grave que les coups de main iroquois. Les Hurons ne parvenaient pas ê surmonter l'inertie des tendances ê l'individualisation engendrÄes par la prospÄritÄ liÄe ê la traite des fourrures et accÄlÄrÄes par les ÄvÄnements et la situation associÄe ê la mission des jÄsuites. En 1648-1649, la ConfÄdÄration huronne fut dÄmantelÄe par les attaques iroquoises qui ne laissÅrent que des groupes de rÄfugiÄs, et la mission des jÄsuites en Huronie fut dÄtruite avec elle.
L'Ächec des jÄsuites en terre huronne eut pour effet de mettre en valeur les exploits des coureurs de bois qui incarnÅrent les succÅs de la rÄaction franìaise aux circonstances de la traite des fourrures dans la rÄgion des Grands Lacs. Des hommes semblables aux coureurs de bois, les capitaines des sauvages, s'Ätaient adonnÄs ê la traite des fourrures dans la rÄgion des Maritimes. Mais c'est la date de 1610, annÄe o¥ Champlain dÄcida d'envoyer le jeune âtienne Br₧lÄ accompagner les Algonquins qui se rendaient chez leurs alliÄs hurons, qui marque les dÄbuts de l'histoire des coureurs de bois. Br₧lÄ ne fut pas le seul; d'autres marchÅrent sur ses pas. Ces jeunes hommes acquirent une connaissance non seulement de la langue de leurs hÖtes, mais aussi des traiteurs, des itinÄraires et des coutumes liÄs ê la pratique de la traite. Partageant volontiers l'existence de leurs hÖtes, ils s'attirÅrent la confiance gÄnÄrale des populations amÄrindiennes. Ils ne tardÅrent pas ê faire figure d'intermÄdiaires culturels entre les deux parties intÄressÄes par la traite des fourrures, expliquant ê chacune les usages singuliers de l'autre et facilitant les Ächanges pacifiques entre les deux. Les risques Ätaient tels que certains, tels Br₧lÄ lui-mÉme, y laissÅrent la vie. Mais les bÄnÄfices escomptÄs Ätaient considÄrables, car cette activitÄ promettait une abondance de richesses matÄrielles et de prestige socio-politique dans les deux groupes.
AprÅs la destruction de la ConfÄdÄration huronne et la dispersion des traiteurs hurons, les coureurs de bois jouÅrent un rÖle dÄterminant dans la rÄorganisation du systÅme de traite du Saint- Laurent et des Grands Lacs. Soumis aux raids incessants des Iroquois, les AmÄrindiens du Bouclier et des Grands Lacs supÄrieurs avaient du mal ê acheminer rÄguliÅrement les fourrures destinÄes aux Franìais de MontrÄal. Afin de prÄserver le rÄseau de traite du Saint-Laurent et des Grands Lacs, les Franìais durent se charger du transport des fourrures et des denrÄes commerciales entre MontrÄal et les centres de traite des Grands Lacs supÄrieurs. On vit un nombre croissant d'engagÄs franìais pÄnÄtrer ê l'intÄrieur des terres ê bord de canots. Pour sa part, le bourgeois, sorte de marchand-traiteur, accompagnait ses marchandises vers l'ouest pour superviser les opÄrations de traite dans les postes ÄloignÄs. Mais le succÅs de la traite reposait sur l'activitÄ du coureur de bois, qui recherchait de nouvelles bandes amÄrindiennes, les mettait en rapport avec les traiteurs et resserrait, au moyen d'alliances, les liens qu'elles entretenaient avec des marchands particuliers. Ces activitÄs Ätaient parfois contraires aux lois du gouvernement colonial. Il arrivait souvent que les rÖles de coureur de bois et de bourgeois fussent cumulÄs en la personne du voyageur. Ce fut le cas de Pierre-Esprit Radisson et de MÄdard Chouart sieur Des Groseilliers dans les annÄes 1650.
Les aventures commerciales de Radisson et de Des Groseilliers parmi les Cris qui vivaient entre les Grands Lacs et la baie d'Hudson laissÅrent un double hÄritage. Les pratiques qu'ils instaurÅrent dans l'ensemble du rÄseau de traite du Saint-Laurent et des Grands Lacs se dÄveloppÅrent au cours du demi-siÅcle suivant en un mode de vie associÄ ê la traite des fourrures. Le rÖle du coureur de bois fut de plus en plus exercÄ par un sang-mÉlÄ qui Ätait apparentÄ au bourgeois du poste de traite mais qui avait ÄpousÄ une femme appartenant ê une famille Äminente de la bande amÄrindienne. C'est lui qui conduisait de petites expÄditions de traite ╟en dÄrouine╚ -- expression archaòque dÄsignant le commerce itinÄrant de marchandises -- jusqu'aux terrains de chasse et de piÄgeage des AmÄrindiens. Les autres sang-mÉlÄ pratiquant la traite des fourrures avaient tendance ê fonder leurs aspirations sur le mode de vie et le prestige socio-politique de cet intermÄdiaire culturel. Au dÄbut du XVIIIe siÅcle, le titre de coureur de bois cÄdait le pas ê celui de voyageur, mais le rÖle que ces hommes jouaient dans la traite des fourrures demeurait tout aussi capital.
Le second hÄritage laissÄ par Radisson et Des Groseilliers fut la crÄation de la Compagnie de la baie d'Hudson. Ces aventuriers tirÅrent de leurs contacts avec les Cris vivant au nord du lac SupÄrieur la conclusion que les navires en provenance d'Europe pouvaient se rendre au seuil du territoire des AmÄrindiens trappeurs, ce qui allait permettre de court-circuiter les intermÄdiaires co₧teux et d'Äviter les dangers d'un trajet jalonnÄ de rapides et exposÄ aux attaques des Iroquois.RebutÄs par l'indiffÄrence des marchands et des autoritÄs de la Nouvelle-France et de la mÅre patrie, Radisson et Des Groseilliers soumirent leur projet ê des courtisans anglais qui, aprÅs avoir prouvÄ qu'il Ätait rÄalisable grëce aux voyages de l'Eaglet et du Nonsuch, obtinrent un monopole du roi britannique Charles II le 2 mai 1670. Les conseils de Radisson et Des Groseilliers furent dÄterminants dans les premiers succÅs que la Compagnie de la baie d'Hudson remporta dans ses rapports avec les AmÄrindiens.
Le systÅme de traite des fourrures de la baie d'Hudson de 1670 ê 1770
Deux thÅmes marquÅrent le premier siÅcle d'existence du systÅme de traite basÄ sur les postes installÄs sur les rives de la baie d'Hudson. Le premier fut l'adaptation de l'expÄrience franìaise et amÄrindienne dans la rÄgion du Saint-Laurent et des Grands Lacs aux circonstances de la traite aux postes de la baie d'Hudson et, dans les annÄes suivantes, le dÄveloppement de cette expÄrience adaptative dans la vie des AmÄrindiens et des Britanniques. Le second thÅme se rapportait ê l'adaptation des traditions britanniques aux circonstances particuliÅres des comptoirs cÖtiers.
La charte de la Compagnie de la baie d'Hudson accorda un ╟don magnifique╚ aux aventuriers commerìants de la mÄtropole londonienne. La terre de Rupert, correspondant ê la rÄgion drainÄe par la baie d'Hudson, s'Ätendait sur plus du tiers du territoire canadien actuel. Les premiÅres annÄes, la Compagnie centra son activitÄ ╟au bas de la baie╚ sur Fort Albany, avec une succursale ê Moose Factory. Plus tard, l'administration centrale fut transfÄrÄe ê York Factory sur la cÖte ouest de la baie d'Hudson et des succursales furent Ätablies aux Forts Severn et Churchill. Avec l'Ätablissement de ces centres de traite, l'activitÄ des AmÄrindiens de la rÄgion s'orienta vers les comptoirs de la cÖte, ê l'Äcart des forts du rÄseau du Saint-Laurent et des Grands Lacs.
En rÄaction ê la prÄsence des traiteurs britanniques sur les bords de la baie d'Hudson, les Cris des terres du Bouclier -- qui correspond ê l'Ontario septentrional d'aujourd'hui -- et leurs voisins et alliÄs du sud-ouest, les Assiniboines (appelÄs Stonies dans l'Alberta d'aujourd'hui), entreprirent une migration qui devait conduire certains de leurs descendants aux contreforts des montagnes Rocheuses. D'abord attirÄs vers le sud-est par les traiteurs franìais, les Cris et les Assiniboines prirent finalement la direction du nord-ouest pour y chercher aussi bien les fourrures communes que les fourrures de luxe. ╦ bord de leurs canots d'Äcorce ils purent emprunter les riviÅres Saskatchewan et Churchill pour voyager en direction de l'ouest, au-delê du lac Winnipeg. Leur migration vers l'ouest fut facilitÄe par le fait que la riviÅre Saskatchewan-Nord traversait la forÉt-parc (prairie boisÄe) de la rÄgion des Grandes Plaines. Zone Äcologique comprise entre la forÉt borÄale au nord et la prairie au sud, la forÉt-parc (prairie boisÄe) rÄunissait les ressources vÄgÄtales et animales de ces deux milieux. Les Cris et les Assiniboines y trouvÅrent donc une riche rÄserve de ressources convenant admirablement ê leur existence de chasseurs nomades et sise des deux cÖtÄs de la partie supÄrieure de la principale voie de communication reliant les montagnes Rocheuses ê York Factory.
Les AmÄrindiens de la terre de Rupert adaptÅrent leurs traditions de maniÅre ê jouer trois rÖles distincts dans le commerce des pelleteries. ╦ une certaine distance des comptoirs cÖtiers, les fourrures Ätaient prÄlevÄes par les AmÄrindiens qui s'adonnaient une partie de l'annÄe au piÄgeage. ╦ certaines bandes de Cris et d'Assiniboines s'ajoutaient les membres de la ConfÄdÄration des Pieds-Noirs, c'est-ê-dire les Pieds-Noirs, les Gens-du-Sang, les PiÄgans et les Gros-Ventres, ainsi que les Sarcis, les Castors, les Tchippewayans et d'autres populations de langue athapascane vers le nord-ouest. Ces bandes de trappeurs rencontraient rarement, sinon jamais, des traiteurs britanniques, mais elles connaissaient bien les articles en mÄtal tels que couteaux, hachettes et chaudrons. Ces populations allaient finir pas se procurer des fusils et des munitions, ainsi que des produits de luxe tels que des perles et du tabac. Des AmÄrindiens agissant comme intermÄdiaires mettaient les AmÄrindiens trappeurs en relations commerciales avec les traiteurs de la Compagnie de la baie d'Hudson. Dans l'ouest, les Cris et les Assiniboines commandaient l'accÅs ê York Factory; au nord ê Churchill, les Cris et les Tchippewayans se disputaient le contrÖle, alors qu'au sud de la baie, les Saulteux et les Cris faisaient tous deux fonction d'intermÄdiaires.
Dans la premiÅre moitiÄ du XVIIIe siÅcle, les Cris et les Assiniboines de la rÄgion de la riviÅre Saskatchewan jouaient un rÖle utile d'intermÄdiaires dans la traite des fourrures. Ce rÖle s'appliquait surtout aux activitÄs commerciales des bandes des hautes-terres. Au dÄbut du printemps, ces AmÄrindiens traiteurs quittaient leurs terres d'hivernage des forÉts-parcs (prairies boisÄes) pour gagner le bord des riviÅres o¥ ils fabriquaient leurs canots et se livraient ê la traite des fourrures avec les bandes de trappeurs avoisinantes. Des fusils que les Cris avaient achetÄs l'ÄtÄ prÄcÄdent ê York Factory au prix de douze plues et qu'ils avaient utilisÄs durant tout l'hiver furent vendus ê un prix variant entre 24 et 30 plues. (Le plue Ätait la monnaie en usage dans le territoire de traite de la baie d'Hudson o¥ toutes les fourrures Ätaient ÄvaluÄes par rapport ê une fourrure de castor adulte de premiÅre qualitÄ.) D'autres articles Ätaient vendus avec des marges bÄnÄficiaires semblables. AprÅs la dÄbëcle des riviÅres, les chefs de traite rassemblaient leurs partisans pour se rendre ê York Factory. Laissant la plupart des femmes et des enfants prÅs des lacs de pÉche au nord de la riviÅre Saskatchewan-Nord, les bandes descendaient la riviÅre en direction du poste. Elles arrivaient souvent ê moitiÄ affamÄes entre la troisiÅme semaine de juin et la deuxiÅme semaine de juillet pour un sÄjour qui pouvait durer jusqu'ê deux semaines. Leur arrivÄe Ätait marquÄe par des salves d'honneur, des discours de bienvenue et des Ächanges de cadeaux. AprÅs deux ou trois jours de festivitÄs o¥ l'on mangeait et buvait aux frais de la Compagnie de la baie d'Hudson, la traite dÄbutait. Les AmÄrindiens faisaient passer les fourrures par le guichet du magasin de traite et recevaient des biens en retour. Le chef de traite restait souvent dans la salle de traite pour confirmer ê ses hommes que la Compagnie respectait les conditions convenues lors des discours de bienvenue. Le grand marchÄ annuel se terminait par d'autres discours et d'autres dons de nourriture et de boissons aux AmÄrindiens. De retour ê leurs terres ê la fin de l'ÄtÄ ou au dÄbut de l'automne, ils abandonnaient leurs canots -- Äcorce ne rÄsistait pas au gel -- recueillaient leurs familles et repartaient vers le sud pour chasser le bison. ╦ l'approche de l'hiver, les bisons quittaient la prairie pour la forÉt-parc (prairie boisÄe) o¥ les AmÄrindiens traiteurs les chassaient jusqu'ê ce que l'arrivÄe du printemps sonnët l'heure des prÄparatifs pour un autre voyage ê York Factory.
Un petit nombre d'AmÄrindiens cris s'Ätablirent dans les rÄgions cÖtiÅres, prÅs des comptoirs de la baie d'Hudson, o¥ ê cause de leur rÖle ils furent connus sous le nom d'AmÄrindiens ╟Homeguard╚. Ils effectuaient jusqu'ê quatre ou cinq voyages au poste par annÄe. Ils fournissaient non seulement des fourrures de petits animaux tels que pÄkans, martres et visons, mais aussi de la viande, du cuir, des plumes et d'autres produits de la nature et servaient de guides et de messagers du poste. Comme les alentours du poste Ätaient des plus inhospitaliers, la vie des Homeguards n'Ätait pas sans danger. L'exercice de leurs diverses activitÄs les exposait souvent ê la famine et si le poste n'Ätait pas prÄvenu de leur situation, le groupe entier risquait de pÄrir. Cela dit, la vie des Cris homeguards avait ses bons cÖtÄs. Ils consommaient par tÉte plus de denrÄes de traite que les AmÄrindiens trappeurs ou traiteurs. Leurs fonctions leur assuraient un approvisionnement de produits europÄens sans Ägal dans le commerce des fourrures.
Les diverses activitÄs des AmÄrindiens reflÄtÄes par les trois grandes fonctions liÄes ê la traite, c'est-ê-dire celles de trappeur, d'intermÄdiaire et de ╟Homeguard╚, permettaient ê la Compagnie de diriger son commerce ê partir des comptoirs cÖtiers. Les AmÄrindiens traiteurs se rÄvÄlÅrent dÄsireux et capables d'affronter les problÅmes et les dÄpenses liÄs au transfert des fourrures et des denrÄes entre les trappeurs amÄrindiens et les traiteurs de la Compagnie. Les voyages que firent ê l'intÄrieur des terres Henry Kelsey en 1691-92, William Stewart en 1717-18, Anthony Henday en 1754-55, Samuel Hearne en 1777-78 et d'autres n'Ätaient pas de nature commerciale. Ces expÄditions visaient ê obtenir des informations et ê Ätablir des contacts avec les bandes d'AmÄrindiens plus ÄloignÄes pour les encourager ê affronter les difficultÄs du voyage aux comptoirs cÖtiers.
Depuis la fondation de la Compagnie de la baie d'Hudson jusqu'ê la chute de la Nouvelle-France en 1763, les Franìais constituÅrent la principale menace aux succÅs de la Compagnie. Durant le premier quart du siÅcle, les Franìais luttÅrent farouchement contre la prÄsence de la Compagnie sur les rives de la baie d'Hudson. De nombreux combats illustrÅrent la grande maötrise tactique des Franìais dans la guerre qu'ils livraient ê la Compagnie sur terre et sur mer. Cependant, ni la France ni la Nouvelle-France ne pouvaient dÄcider si leurs intÄrÉts justifiaient le temps, les efforts et les dÄpenses mis en oeuvre pour chasser la Compagnie de ses postes. Les difficultÄs de la navigation dans l'Arctique jointes ê l'importance nÄgligeable des pelleteries de la baie d'Hudson dans le dÄveloppement Äconomique de la France engendrÅrent dans la mÅre patrie un manque d'en- thousiasme flagrant pour les aventures dans l'Arctique. En Nouvelle-France, la coterie des entrepreneurs influents s'intÄressait davantage au commerce du castor sec vers le sud-ouest, dans les terres de l'Illinois et au-delê. MÉme les marchands en vue comme Charles Aubert de la Chesnaye et Charles Le Moyne, qui prÖnaient une expansion en direction du nord-ouest, craignaient qu'une dÄfaite de la Compagnie de la baie d'Hudson n'entraönët un excÅs de castors gras d'hiver sur le marchÄ et ne crÄët ainsi un problÅme de sur-approvisionnement dont souffrait dÄjê la traite du castor sec. Cette indÄcision en matiÅre de stratÄgie empÉcha les Franìais de donner suite ê leurs succÅs tactiques pour obtenir des rÄsultats durables et permit ê la Compagnie de surmonter de nombreux Ächecs avant que le traitÄ d'Utrecht ne rÄtablöt tous ses postes en 1713. Le conflit avec la France amena la Compagnie ê renforcer la dÄfense de ses comptoirs cÖtiers et cette initiative, jointe ê l'acceptation, par les AmÄrindiens traiteurs, d'assumer les frais de transport, aboutit ê la crÄation du systÅme de traite basÄ sur les comptoirs cÖtiers. Les censeurs de la Compagnie appelÅrent cette politique ╟le sommeil au bord de la mer de glace╚.
Pour rÄgler les rapports sociaux entre les employÄs des postes de traite de la Compagnie, les directeurs de celle-ci et les employÄs eux-mÉmes s'inspirÅrent des coutumes, des usages et des lois de la tradition navale britannique du dÄbut de l'Åre historique moderne. InspirÄes de la hiÄrarchie et du schÄma d'autoritÄ en usage dans les familles britanniques de l'Äpoque, ces traditions navales Ätaient appliquÄes ê une sociÄtÄ composÄe exclusivement d'adultes mëles. Si la Compagnie, ses agents et ses engagÄs s'inspiraient de l'exemple britannique, les circonstances particuliÅres aux comptoirs cÖtiers de la baie d'Hudson exigeaient des adaptations. Cela dit, les traditions associÄes ê la hiÄrarchie sociale et au rÄgime d'autoritÄ semblaient fonctionner dans le contexte du Nouveau Monde. Les hommes adultes fondaient leurs rapports rÄciproques sur les responsabilitÄs et les privilÅges associÄs au rang de chacun. Toutefois, la condition sociale n'Ätait pas le seul facteur qui dÄterminait la place de chacun; le mÄrite permettait ê bon nombre de monter en grade. Au cours du XVIIIe siÅcle, la plupart des agents Ätaient recrutÄs parmi les hommes de mÄtier. Le comportement de mise Ätait modelÄ sur l'idÄal de ╟l'homme d'importance╚. Le personnage qui dominait la hiÄrarchie sociale des ╟hommes d'importance╚ dans le poste de traite Ätait le gouverneur du poste, c'est-ê-dire l'agent principal. Ses prÄrogatives lui donnaient droit ê des aliments, des boissons, des vÉtements plus abondants et de meilleure qualitÄ ainsi qu'ê un logement plus confortable. Il avait pour responsabilitÄ d'assurer non seulement la rentabilitÄ du commerce des fourrures, mais le bien-Étre des employÄs du comptoir et des bandes environnantes d'AmÄrindiens homeguards. Son maintien et son mode de vie devinrent les symboles mÉmes de la grande vie au poste de traite. MÉme les Cris homeguards lui dÄcernÅrent le titre d'╟Uckimow╚, c'est-ê-dire patriarche.
Officiellement, la Compagnie de la baie d'Hudson interdisait toute fraternisation avec les AmÄrindiens, sauf dans le cas des agents ê l'Äpoque de la traite. Cette rÅgle avait un double but : empÉcher quiconque de commercer ê titre personnel et Äviter des incidents dÄplorables qui pourraient perturber le commerce paisible des fourrures. PlutÖt que de suivre la directive de la Compagnie en cette matiÅre, les habitants du poste de traite semblent avoir fondÄ leurs relations avec les Cris homeguards sur les coutumes en usage dans la marine de Grande-Bretagne. Dans le poste de traite, seul le gouverneur ou l'agent principal Ätait autorisÄ ê Äpouser une AmÄrindienne ╟ê la mode du pays╚. Les autres agents et les engagÄs cherchant ê Ätablir des liens familiaux sur la terre de Rupert ne pouvaient le faire qu'au sein des bandes de Cris homeguards. Ceux-ci pouvaient accepter ce type d'arrangement, car ils comprenaient l'importance d'avoir dans le poste de traite un parent ayant accÅs au magasin. Par ailleurs, les agents et engagÄs qui avaient une famille dans ces bandes cries installÄes dans les environs comptaient sur leurs parents masculins adultes pour veiller aux intÄrÉts de leur famille durant les longues pÄriodes o¥ ils ne pouvaient quitter les postes de traite. Lorsque l'agent ou l'engagÄ prenait sa retraite, il ne pouvait ni rejoindre sa famille ni regagner avec elle la Grande-Bretagne. L'un des rÄsultats remarquables de cette situation fut que, au cours du siÅcle s'Ätendant de 1670 ê 1770, les Cris homeguards en vinrent ê former, tout en conservant leurs caractÅres culturels, une population biologiquement mÄlangÄe.
En dÄpit de la concurrence efficace des Franìais ê l'intÄrieur des terres, la Compagnie de la baie d'Hudson continua de pratiquer la traite en se cantonnant dans ses comptoirs cÖtiers. Avec les mÄthodes empruntÄes aux traditions du coureur de bois du siÅcle prÄcÄdent, les traiteurs canadiens se rÄpandirent dans la rÄgion situÄe au nord des Grands Lacs. Des groupes en dÄrouine rendaient visite aux bandes amÄrindiennes sur les lieux de chasse et de piÄgeage, leur prÄsentant un choix d'articles de commerce dont ils avaient besoin. Pourtant, la Compagnie de la baie d'Hudson mit du temps ê rÄagir. Elle n'abandonna sa politique, vieille d'un siÅcle, que lorsqu'elle s'aperìut que les avantages qu'elle tirait des co₧ts de transport moins ÄlevÄs ne lui permettaient pas de lutter avec succÅs contre ses concurrents dont la base d'opÄrations Ätait le territoire Saint-Laurent-Grands Lacs.
Le systÅme commercial du Saint-Laurent et des Grands Lacs de 1665 ê 1763
Dans les annÄes 1660, le gouvernement franìais changea de ligne de conduite ê l'Ägard de la traite des fourrures : jusque lê entreprise surtout commerciale, celle-ci devint un instrument d'expansion impÄriale. Parce que la faìon de pratiquer la traite des fourrures, par l'intermÄdiaire des marchands locaux et des agents du gouvernement, s'harmonisait admirablement avec l'idÄe que se faisaient les AmÄrindiens de leurs propres intÄrÉts politiques et Äconomiques, les Franìais remportÅrent de grands succÅs. Du point de vue d'un EuropÄen de l'Ouest, le systÅme mis en place pour la traite des fourrures dans le territoire Saint-Laurent-Grands Lacs permettait aux Franìais de dominer l'intÄrieur du continent et de protÄger en mÉme temps les jeunes colonies de la Nouvelle-France contre la force expansionniste des colonies anglo-amÄricaines, plus peuplÄes, du Sud. La traite des fourrures joua Ägalement un rÖle important dans l'Ämergence du ╟Canadien╚, qui se distinguait culturellement du ╟Franìais╚ en AmÄrique du Nord.
Au dÄbut, le gouvernement du Roi voyait dans la traite des fourrures la principale raison de la vulnÄrabilitÄ de la colonie devant les attaques des Iroquois. Comme un grand nombre de jeunes hommes quittaient la colonie pour chercher fortune dans la traite des fourrures ê l'intÄrieur des terres, la Nouvelle-France Ätait privÄe des bases socio-Äconomiques nÄcessaires pour rÄsister avec succÅs aux attaques. Le gouvernement du Roi adopta une politique de rassemblement, restreignant l'accÅs ê l'intÄrieur des terres et favorisant la diversification Äconomique et la croissance dÄmographique.
Les intÄrÉts personnels des marchands se livrant ê la traite des fourrures ne concordaient pas avec la politique de peuplement sur un territoire rÄduit. Le systÅme des congÄs de traite donna rapidement lieu ê des abus; les marchands et les fonctionnaires s'associaient pour tourner, ê leur profit, les ordres du gouvernement du Roi. On en trouve un exemple particuliÅrement frappant dans le cas de l'entreprise commune ê laquelle participaient le gouverneur (le comte de Frontenac) et le marchand-aventurier RenÄ-Robert Cavelier de La Salle. De telles associations contribuÅrent ê l'arrivÄe d'un nombre de plus en plus grand de castors secs dans les magasins des Franìais, amenant ainsi l'effondrement temporaire du commerce des peaux de castor en 1696. Toutefois, les agents locaux et les marchands canadiens rÄussirent, en tournant la politique officielle, ê maintenir le systÅme des alliances conclues en vue de la traite des fourrures et dont MontrÄal Ätait le pivot et purent continuer ê faire du systÅme commercial du Saint-Laurent et des Grands Lacs un instrument de la politique franìaise. Lorsque, en 1701, le gouvernement du Roi abandonna sa politique traditionnelle pour une autre destinÄe ê restreindre l'action des Anglais aux rÄgions boisÄes de la cÖte atlantique et aux rives de la baie d'Hudson, le systÅme commercial du Saint-Laurent et des Grands Lacs se rÄvÄla propre ê favoriser cette politique.
Des problÅmes de logistique limitÅrent l'expansion des Franìais dans le Nord-Ouest ê la rÄgion de la TÉte des lacs (lac SupÄrieur). Les provisions de maòs et de porc salÄ destinÄes aux voyageurs vinrent ê manquer dans la rÄgion du lac SupÄrieur et les Äquipages des canots, ê court de temps, ne pouvaient chasser pour se nourrir. C'est Pierre Gaultier de Varennes, sieur de La VÄrendrye, commandant de poste du nord ê Fort Kaministiquia de 1729 ê 1743, qui trouva la solution. Avec l'aide du gouvernement du Roi, acquis ê l'exploration de la route vers la Mer de l'Ouest, il construisit, ê partir de la TÉte des lacs, une chaöne de postes allant vers l'ouest par les voies navigables, en passant par le lac ê la Pluie et le lac des Bois jusqu'ê la riviÅre Winnipeg et au lac Winnipeg. Ces postes recevaient les fourrures apportÄes par les bandes des environs, mais ils favorisaient aussi le commerce des denrÄes comestibles. Le riz sauvage de la rÄgion convenait admirablement bien aux besoins du commerce des fourrures; rÄcoltÄ par les AmÄrindiens ê l'automne, il pouvait Étre facilement entreposÄ et transportÄ. On faisait aussi le commerce de la viande et du poisson sÄchÄ et, dans chaque poste, on s'employait activement au jardinage. La rÄussite qui couronna les efforts de La VÄrendrye pour rÄgler le problÅme de la logistique rendit possible l'expansion du systÅme commer- cial du Saint-Laurent et des Grands Lacs jusqu'aux Prairies. Le voyage qui l'amena par la suite dans les villages agricoles des Mandans Ätablis le long du Missouri fut un Ächec, qu'il s'agisse de la traite des fourrures ou de la recherche de la Mer de l'Ouest. Ses successeurs tournÅrent leurs efforts vers la Saskatchewan, o¥ la possibilitÄ, sinon de dÄcouvrir la Mer de l'Ouest, du moins d'obtenir des fourrures de qualitÄ, Ätait plus Ävidente.
Le succÅs obtenu par le systÅme commercial du Saint-Laurent et des Grands Lacs du cÖtÄ de la Saskatchewan tenait ê une politique contraire ê celle de la Compagnie de la baie d'Hudson. PlutÖt que de laisser aux AmÄrindiens le soin d'apporter les fourrures aux dÄpÖts cÖtiers, les nÄgociants canadiens, fidÅles en cela au systÅme de traite existant depuis la destruction de la Huronie, formaient de petits groupes partant en dÄrouine commercer avec les AmÄrindiens. Ces groupes rassemblaient les fourrures dans des centres, d'o¥ ils les transportaient, avec leurs engagÄs, jusqu'ê MontrÄal. Ce systÅme entraönait des risques et des frais importants. C'est pourquoi les traiteurs canadiens s'intÄressaient surtout aux fourrures peu volumineuses et de grande valeur, nÄgligeant les fourrures d'ours et de loup, ainsi que les peaux d'orignal et de bison. Le canot du nord, qui remplaìa le canot du maötre sur les eaux nordiques, avait une contenance infÄrieure de moitiÄ ê celle du second, de sorte que les traiteurs canadiens ne pouvaient offrir ni le nombre ni la variÄtÄ d'articles qu'on pouvait trouver dans les postes cÖtiers de la Compagnie de la baie d'Hudson. Pourtant, mÉme s'ils devaient payer des prix plus ÄlevÄs, les AmÄrindiens de l'intÄrieur accueillaient manifestement avec plaisir les traiteurs canadiens. Le commerce de la Compagnie de la baie d'Hudson ê York Factory diminua immÄdiatement des deux cinquiÅmes et, en peu de temps, de plus de la moitiÄ. Les considÄrations pratiques constituaient un facteur dÄterminant en matiÅre de traite chez les AmÄrindiens de l'intÄrieur.
Nul doute que certaines des familles de Cris et d'Assiniboines pratiquant la traite avaient certaines craintes concernant la prÄsence des traiteurs de la Nouvelle France, prÄsence qui offrait certains avantages, mais qui rÄduisait l'utilitÄ des grands chefs, en permettant aux chefs de bandes de nÄgocier eux-mÉmes. Certains grands chefs continuÅrent ê jouer leur rÖle traditionnel en apportant les fourrures qui n'Ätaient d'aucune utilitÄ pour les Canadiens aux postes cÖtiers de la Compagnie de la baie d'Hudson. Toutefois, d'autres, abandonnant la traite, se tournÅrent vers les plaines et l'exploitation, tout au long de l'annÄe, du bison. L'Ävolution culturelle de certains Cris et Assiniboines vers un mode de vie axÄ sur les ╟plaines╚, s'accomplit lentement au cours du demi-siÅcle s'Ätendant de 1730 ê 1780. Contrairement aux Montagnais, un siÅcle plus tÖt, ils continuÅrent de jouer un rÖle d'intermÄdiaire, non pas dans le commerce, mais au sein des alliances politico-militaires, en empÉchant leurs ennemis et en permettant ê leurs amis d'avoir accÅs au matÄriel de guerre apportÄ par les EuropÄens de l'Ouest. Lorsque les Cris et les Assiniboines se tournÅrent vers l'exploitation permanente des troupeaux de bison, leurs intÄrÉts s'opposÅrent ê ceux de la ConfÄdÄration des Pieds-Noirs. Les Pieds-Noirs commenìaient ê se procurer des chevaux auprÅs des populations du Sud-Ouest et ils Ätaient harcelÄs par les Cris et les Assiniboines, mieux armÄs, qui dÄsiraient aussi acquÄrir cet animal, moyen technique supÄrieur pour exploiter les troupeaux de bisons. Pour y parvenir, les Cris et les Assiniboines s'efforcÅrent de contrÖler la circulation du matÄriel de guerre provenant des postes de traite.
Le rÖle de l'intermÄdiaire commercial et culturel fut un ÄlÄment dÄcisif du succÅs remportÄ par les traiteurs des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Avec l'expansion de la traite dans les Prairies, diverses personnes remplirent ce rÖle, qui avait ÄtÄ celui du coureur de bois. Pour rÄussir, l'intermÄdiaire devait possÄder l'amÄnitÄ du diplomate, le sens de la mise en scÅne de l'artiste, la curiositÄ de l'aventurier et l'instinct de survie de l'homme politique. Dans nombre de cas, les chefs amÄrindiens pratiquant la traite avaient accompli ce rÖle d'une maniÅre admirable et allaient continuer de le faire. Certains bourgeois avaient acquis ces qualitÄs en remplissant les fonctions de commis dans leur jeunesse et en dirigeant des groupes en dÄrouine. Cette activitÄ constituait le rÖle par excellence du coureur de bois. On trouvait parmi les engagÄs ceux qui voulaient Étre ╟leur propre patron╚ tout en continuant ê faire la traite des fourrures. Ces ╟gens du libre╚, Äpousaient des AmÄrindiennes et faisaient souvent fonction d'intermÄdiaires dans les relations avec les parents de leur femme. Les traiteurs canadiens et les AmÄrindiens respectaient ceux qui remplissaient cette fonction de coureur de bois. Pour un commis ambitieux, c'Ätait l'occasion d'acquÄrir l'expÄrience et d'Ätablir les contacts avec les AmÄrindiens et les traiteurs qui ouvraient la voie vers une carriÅre profitable de bourgeois au sein de la communautÄ canadienne. Grëce au rÖle qu'ils jouaient, les gens du libre obtenaient souvent de meilleurs prix pour les articles qu'ils Ächangeaient au poste de traite. Lorsqu'ils vivaient parmi les AmÄrindiens, ils obtenaient une part de leurs biens et un haut rang au sein de leurs conseils. Cette situation permit ê certaines gens du libre de passer aisÄment du monde socio-culturel de l'AmÄrindien ê celui du Canadien et vice-versa, ce ê quoi beaucoup ne pouvaient aspirer, qui Ätaient liÄs ê une seule culture.
Les ÄvÄnements qui se produisirent en Europe au milieu du XVIIIe siÅcle et auxquels firent Ächo en AmÄrique du Nord les combats entre armÄes classiques, marquÅrent la fin de la domination des Franìais sur l'intÄrieur de l'AmÄrique du Nord. Le dÄroulement de la guerre de Sept Ans en AmÄrique du Nord rÄduisit ê peu de choses la circulation des articles de commerce vers le pays d'en-haut, au nord-ouest de la TÉte des lacs. Avant mÉme la bataille des plaines d'Abraham en 1759, la Compagnie de la baie d'Hudson croyait que les ÄvÄnements justifiaient son systÅme, vieux d'un siÅcle, axÄ sur les Ätablissements cÖtiers. MalgrÄ les critiques formulÄes contre sa politique d'immobilisme, la Compagnie croyait que, avec la chute de QuÄbec et la fin de la menace ╟franìaise╚, elle pourrait suivre sa ligne de conduite traditionnelle pendant encore cent ans. Dans la dizaine d'annÄes qui suivirent, elle allait se rendre compte qu'il n'en Ätait rien.
Les traiteurs rivaux ê l'intÄrieur des terres de 1763 ê 1787
Les marchands qui s'Ätaient engagÄs ê contrat ê approvisionner les forces britanniques victorieuses occupant la Nouvelle-France furent parmi les premiers ╟pedlars╚ (colporteurs) ê tenter de faire revivre le systÅme commercial du Saint-Laurent et des Grands Lacs. Les colporteurs, qui dÄpendaient des engagÄs et des commis canadiens, se disputaient bruyamment avec les AmÄrindiens et entre eux. Les ÄvÄnements qui entourÅrent le soulÅvement de Pontiac en 1763 montra que le gouvernement et les marchands britanniques ignoraient tout de la faìon de pratiquer la traite des fourrures dans la rÄgion des Grands Lacs. MalgrÄ tout, les colporteurs surmontÅrent, au bout de quelques annÄes, leurs difficultÄs initiales et pÄnÄtrÅrent dans le territoire situÄ au-delê de la TÉte des lacs, menaìant le commerce de la Compagnie de la baie d'Hudson dans les comptoirs cÖtiers.
Leur commerce reposait sur des associations des plus efficaces. ╦ MontrÄal, un associÄ Ätait chargÄ de l'acquisition des objets de commerce et de leur acheminement vers l'intÄrieur ainsi que de la mise en marchÄ des fourrures de l'annÄe prÄcÄdente par l'intermÄdiaire d'agents ê Londres. Un ou plusieurs associÄs, appelÄs bourgeois, passaient l'hiver dans les territoires, o¥ ils Ätaient chargÄs de nÄgocier avec les AmÄrindiens. Poursuivant leur marche vers l'ouest et vers le nord, les colporteurs jugÅrent utile de transformer leurs associations en syndicats, afin de s'assurer des moyens logistiques suffisants pour qu'un associÄ puisse promouvoir les intÄrÉts des autres dans des territoires plus ÄloignÄs. C'est grëce ê l'un de ces syndicats que Peter Pond put se rendre, en 1778, vers le nord au-delê des bassins hydrographiques de la Saskatchewan et de la Churchill jusqu'ê la riviÅre Athabasca, qui dÄbouche, par le Mackenzie, dans l'ocÄan Arctique. La rÄgion de l'Athabasca, centrÄe sur Fort Chipewyan, se rÄvÄla Étre l'╟eldorado╚ de la traite des fourrures; elle englobait les terrains de piÄgeage des Tchippewayans, qui avaient auparavant commercÄ avec la Compagnie de la baie d'Hudson ê Fort Churchill. Les succÅs remportÄs par le syndicat d'Athabasca ouvrit la voie ê la crÄation, en 1784, d'un syndicat plus important, appelÄ Compagnie du Nord-Ouest. Trois ans plus tard, celle-ci prit la forme sous laquelle elle allait exister pendant une gÄnÄration et exercer une forte influence sur le dÄveloppement commercial de MontrÄal.
La Compagnie de la baie d'Hudson tenta d'abord de faire obstacle aux succÅs que remportaient les colporteurs en envoyant des reprÄsentants dans l'intÄrieur afin d'inciter les AmÄrindiens ê ne pas tenir compte des offres des colporteurs et ê se rendre aux comptoirs cÖtiers. L'inefficacitÄ de cette tactique amena la Compagnie ê abandonner en 1773 son systÅme commercial fondÄ sur les comptoirs cÖtiers. L'annÄe suivante, elle crÄa Cumberland House sur le lac Pine, prÅs de la Saskatchewan en amont des Grand Rapids o¥ la riviÅre pÄnÅtre dans le lac Winnipeg. Une trentaine d'annÄes auparavant, Henley House avait ÄtÄ ÄrigÄ au fond de la baie, sur l'Albany, ê 240 kilomÅtres en amont de Fort Albany. ╦ cette Äpoque, la construction du poste n'avait pas ÄtÄ considÄrÄe par les directeurs de la Compagnie comme une dÄrogation ê leur politique traditionnelle. Il s'agissait plutÖt pour eux d'un bastion destinÄ ê protÄger les AmÄrindiens contre les dÄprÄdations des groupes de Canadiens en dÄrouine et ê ravitailler les AmÄrindiens pour la derniÅre Ätape de leur voyage vers Fort Albany. La mise ê sac de Henley House en 1755 et en 1759 confirmait les directeurs dans leur opinion selon laquelle le commerce ê l'intÄrieur des terres comportait des risques et des frais. Toutefois, avec la construction de Cumberland House, la Compagnie abandonnait sa politique traditionnelle d'Ätablissements au fond de la baie et commenìait ê pÄnÄtrer ê l'intÄrieur des terres.
╦ ce moment, il devint vite Ävident que la Compagnie de la baie d'Hudson souffrait d'un handicap hÄritÄ de sa politique d'immobilitÄ. La technologie nÄcessaire pour se dÄplacer sur les voies d'eau de l'intÄrieur lui faisait dÄfaut. On ne trouvait pas de bouleaux prÅs des comptoirs de la cÖte ouest de la baie d'Hudson et il fallait se procurer l'Äcorce auprÅs des AmÄrindiens de l'intÄrieur des terres. Les AmÄrindiens qui construisaient des canots pour la Compagnie prÄfÄraient leur traditionnelle embarcation ê deux places plutÖt que le canot du nord qu'employait sa rivale, la Compagnie du Nord-Ouest, et qui pouvait transporter six personnes. Les employÄs ╟anglais╚ de la Compagnie n'avaient pas l'habiletÄ nÄcessaire pour se servir des canots et les guerres europÄennes rendaient difficile le recrutement de jeunes hommes capables d'acquÄrir cette dextÄritÄ. Les tentatives pour employer des AmÄrindiens traiteurs ÄchouÅrent, parce que ceux-ci refusÅrent d'accepter la position infÄrieure de ╟tripman╚ ê laquelle voulait les rÄduire la Compagnie. Durant la pÄriode de quinze ans o¥ la Compagnie cherchait ê rÄsoudre ses problÅmes de transport, la Compagnie du Nord-Ouest Ätablit sa suprÄmatie dans la traite des fourrures. Il fallut encore une gÄnÄration avant que le Compagnie de la baie d'Hudson puisse rivaliser avec succÅs avec sa concurrente de la rÄgion du Saint-Laurent.