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Text File  |  1996-06-21  |  42KB  |  121 lines

  1. 1885 - LA RâBELLION DU NORD-OUEST 
  2.  
  3. Desmond Morton 
  4.  
  5. Introduction 
  6.  
  7.      Les ÄvÄnements de 1885 ont profondÄment divisÄ et divisent toujours les Canadiens. MÉme la fiertÄ d'avoir remportÄ une victoire militaire grëce ê laquelle a ÄtÄ prÄservÄe l'intÄgritÄ du territoire canadien fut rapidement assombrie par les amÅres divergences sur le sort rÄservÄ ê Louis Riel. Toute guerre civile ne fait que des perdants. La rÄbellion de 1885 n'a pas rÄsolu les problÅmes existant ê l'Äpoque, et d'ailleurs encore aujourd'hui, dans le Nord-Ouest du pays. En outre, les Canadiens ont tendance ê se sentir coupables d'avoir participÄ ê la dÄtÄrioration des conditions de vie des MÄtis et des AmÄrindiens de la rÄgion.
  8.  
  9.      Certains Canadiens sont allÄs jusqu'ê nier l'existence mÉme d'une rÄbellion en 1885. En 1955, le bureau du premier ministre a mÉme enjoint les historiens officiels de faire allusion aux ÄvÄnements en terme de ╟campagne du Nord Ouest╚. C'est une absurditÄ. Quand on parle du premier gouvernement provisoire formÄ par Louis Riel ê la RiviÅre-Rouge en 1870 on peut raisonnablement arguer du fait que la faible autoritÄ de la Compagnie de la baie d'Hudson avait dÄjê ÄtÄ rÄduite ê nÄant; mais il est impossible de nier l'existence d'un gouvernement Ätabli dans le Territoire de la Saskatchewan en 1885, annÄe o¥ Riel rÄitÄra les mesures prises 15 ans plus tÖt. Si un certain nombre de MÄtis se souvenant de la victoire remportÄe par la force en 1870 ne considÄraient pas qu'ils se livraient ê une rÄbellion, il en Ätait tout autrement de leur chef qui avait sciemment organisÄ et menÄ une insurrection.
  10.  
  11.      Voici ce dont il s'agissait: le gouvernement provisoire dÄsirait satisfaire aux exigences des AmÄrindiens, des MÄtis et des Blancs vivant dans cette rÄgion des Territoires du Nord-Ouest que l'on peut situer au sud des provinces actuelles de l'Alberta et de la Saskatchewan. Des annÄes d'atermoiements furent soudainement suivies de trois mois d'ÄvÄnements dÄcisifs. Les quelques centaines de MÄtis et d'AmÄrindiens qui avaient pris les armes furent ÄcrasÄes par une armÄe composÄe de six mille volontaires venus pour la moitiÄ de l'est du Canada. Le gouvernement de Sir John A. Macdonald proclama une victoire totale avec une rapiditÄ qui surprit ceux qui connaissaient l'Ätat lamentable de la milice du Canada et les difficultÄs que l'on rencontrait pour faire campagne dans les rÄgions du front pionnier.
  12.  
  13.      La lutte armÄe n'avait cependant rien rÄglÄ. Le procÅs et l'exÄcution de Louis Riel sÄparÅrent les Canadiens franìais et anglais comme rien ne l'avait fait depuis la ConfÄdÄration. L'Ächec des insurgÄs ne fit qu'accÄlÄrer le dÄclin de deux fiers peuples -- les AmÄriendiens et les MÄtis -- qui avaient rÄghÄ sur la rÄgion. Leurs friefs demeurent actuels et n'ont rien perdu de leur caractÅre pressant et dÄlicat.
  14.  
  15. Les griefs 
  16.  
  17.      La ConfÄdÄration avait pour objectif ultime la crÄation d'un Dominion a mari usque ad mare. Il fallait pour cela que les Canadiens occupent la vaste rÄgion des Prairies que William Butler, un officier irlandais chargÄ de rendre compte des activitÄs de la Compagnie de la baie d'Hudson en Saskatchewan, avait qualifiÄ de ╟grand pays solitaire╚. Couvrir ce territoire reprÄsentait pour une pauvre nation composÄe de moins de quatre millions de personnes, une entreprise formidable. Les visÄes expansionnistes du pays voisin, puissant et riche, dÄsireux d'imposer sa doctrine de la ╟destinÄe manifeste╚ de faìon ê contrÖler toute l'AmÄrique du Nord, accentuaient le caractÅre urgent et difficile de la tëche. Par consÄquent, toutes les mesures importantes prises par le gouvernement Macdonald, de l'achat des Territoires du Nord-Ouest en 1868 ê la crÄation du Chemin de fer Pacifique canadien en 1881, ressortissaient d'un dÄsir obstinÄ de garder l'Ouest au sein du Canada.
  18.  
  19.      Malheureusement pour Macdonald, l'image qu'avait donnÄ Butler du Nord-Ouest Ätait trompeuse. En effet, il s'y trouvait des habitants prÄoccupÄs d'une faìon tout ê fait lÄgitime de leur avenir; des AmÄrindiens qui avaient ingÄnieusement adaptÄ leur culture et leur mode de vie ê la chasse au bison; des marchands de race blanche qui depuis deux siÅcles troquaient des articles provenant d'Europe contre des fourrures et divers produits de fabrication amÄrindienne; des ╟sang-mÉlÄ╚, descendant d'AmÄrindiens et d'âcossais; de fiers MÄtis, issus de mariages franco-amÄrindiens qui constituaient peu ê peu un peuple ê part entiÅre, une ╟nouvelle nation╚. Il y avait surtout le jeune Louis Riel, MÄtis ayant fait ses Ätudes ê MontrÄal, celui-lê mÉme qui avait mobilisÄ son peuple ê la RiviÅre-Rouge en 1869 et qui avait, en l'espace de quelques mois, obligÄ Ottawa ê reconnaötre ê la petite colonie le statut de nouvelle province du Manitoba.
  20.  
  21.      MÉme Riel n'aurait pas pu prÄvoir la vague de changements qui allait dÄferler sur tout le Nord-Ouest, au cours des dix annÄes suivantes. Aux yeux des jeunes fils des fermiers ontariens, le Manitoba reprÄsentait un nouveau territoire ê coloniser et en 1881, le nombre des nouveaux arrivants dÄpassait dÄjê celui des habitants de longue date. De nombreux MÄtis, cernÄs par la marÄe d'immigrants, irritÄs par les pratiques malhonnÉtes et dÄsireux de prÄserver leur mode de vie ancestral, se mirent en route vers l'ouest dans l'espoir de pouvoir y poursuivre la pratique de la chasse au bison. Malheureusement, ê l'instar des AmÄrindiens des Plaines, ils furent confrontÄs au plus grand dÄsastre Äcologique de l'Äpoque, l'extinction du bison. Ce pesant animal constituait leur principale ressource. En effet, c'est grëce ê lui que les AmÄrindiens et les MÄtis pouvaient se nourrir, se vÉtir, se loger et mÉme au moyen des bouses sÄchÄes, se chauffer. Les chasses trop frÄquentes, les maladies et les massacres de la part des soldats amÄricains qui menaient contre les AmÄrindiens des guerres longues et sans merci, eurent raison de vastes troupeaux de bisons. En 1879, les AmÄrindiens et les MÄtis avaient vu disparaötre l'ÄlÄment essentiel ê leur survie. Cette extinction constitua la principale cause de la rÄbellion de 1885.
  22.  
  23.      MenacÄs par une famine imminente, les AmÄrindiens dÄmoralisÄs n'avaient plus qu'ê se soumettre ê la politique du gouvernement d'Ottawa qui voulait les parquer dans des rÄserves o¥ ils devaient se convertir ê l'agriculture. Aucune population n'aurait pu s'adapter facilement ê une transformation aussi brutale de leur Äconomie mÉme si ce changement avait ÄtÄ amenÄ avec une patience, une habiletÄ et un tact surhumains. Or, ces qualitÄs n'Ätaient pas particuliÅrement l'apanage des personnalitÄs politiques d'Ottawa ni de la plupart de leurs dÄlÄguÄs dans les rÄgions. Parmi les AmÄrindiens, les aönÄs dÄclarÄs ╟chefs╚ par les agents du gouvernement et les fonctionnaires responsables de la politique, essayÅrent bien d'exercer leur prÄtendue autoritÄ pour calmer les jeunes pleins d'amertume, mais en 1885, leur pouvoir s'Ämoussait.
  24.  
  25.      Les MÄtis, du moins, pouvaient aspirer ê un autre avenir. En effet, ils avaient davantage d'expÄrience de l'agriculture et avaient fait office de charretiers, transportant les marchandises destinÄes aux immigrants. Mais, comme ils s'attendaient ê tenir une place de choix dans la sociÄtÄ canadienne, leurs griefs Ätaient plus prononcÄs que ceux des AmÄrindiens dÄcouragÄs. Quelle garantie auraient-ils de conserver les bandes Ätroites de terre qu'ils s'Ätaient attribuÄes le long des rives de la Saskatchewan du Sud, alors que les arpenteurs du gouvernement voulaient absolument dÄterminer des parcelles Ägales de 640 acres (259 hectares)? Combien de temps pourraient-ils assurer le transport de marchandises alors que la Compagnie de la baie d'Hudson lanìait des vapeurs sur les riviÅres et que les trains du Chemin de fer Pacifique canadien dÄferlaient sur les Prairies? Pourquoi n'Ätaient-ils pas traitÄs comme les MÄtis du Manitoba?
  26.  
  27.      Les Blancs avaient Ägalement leurs revendications propres. Ils n'avaient pas voix au chapitre au sein du Parlement et un seul reprÄsentant Älu parlait en leur nom au Conseil des Territoires du Nord-Ouest ê Regina. La politique de Macdonald sur les tarifs douaniers obligeait les colons des Prairies ê payer plus cher les marchandises, que leurs voisins amÄricains. Pour couronner le tout, les habitants de localitÄs comme Prince-Albert, Battleford et Edmonton assistÅrent au brusque revirement du Pacifique canadien qui dÄcida de faire passer ses lignes plus au sud, ê travers le triangle Palliser, territoire infertile et semi-aride, au lieu de desservir et d'enrichir leurs communautÄs.
  28.  
  29. La prise de Batoche par Riel et la bataille du lac aux Canards 
  30.  
  31.      En 1884, presque tous les habitants du Nord-Ouest, les Blancs, les AmÄrindiens et les MÄtis avaient de lÄgitimes revendications ê prÄsenter ê Ottawa. La Police ê cheval du Nord-Ouest qui jouissait autrefois du respect de tous, eut de grandes difficultÄs ê procÄder ê l'arrestation d'un suspect, dans une rÄserve amÄrindienne prÅs de Battleford, pendant la danse de la Soif (danse du Soleil). Quand les policiers arrivÅrent sur place aprÅs l'attaque d'un moniteur d'agriculture envoyÄ par le gouvernement, on assista ê une vaste dÄbandade; ce n'est qu'en bombardant d'aliments les AmÄrindiens en furie qu'ils rÄussirent ê s'emparer du prÄvenu. L'amertume se faisait Ägalement sentir dans les colonies blanches et mÄtisses. ╦ Ottawa, Sir John A. Macdonald et ses collÅgues vieillissants se contentaient de classer les rapports et les lettres de dolÄances provenant du Nord-Ouest. On espÄrait que la question amÄrindienne se rÄglerait avec le temps et d'autant plus vite que le gouvernement diminuerait les vivres. Quant aux fermiers blancs et mÄtis, on pensait qu'une bonne rÄcolte suffirait ê leur remonter le moral. Peu de gens ê Ottawa connaissaient les alÄas de l'agriculture dans les Prairies.
  32.  
  33.      La patience des habitants du Nord-Ouest avait des limites. Les Blancs et les MÄtis se rÄunirent, se rendirent compte de la similitude de leurs griefs et dÄcidÅrent de faire appel ê celui qui 14 ans plus tÖt avait forcÄ Ottawa ê l'Äcouter. En juin 1884, une dÄlÄgation prit la route pour le Montana o¥ Louis Riel exerìait les fonctions d'instituteur. Moins d'un mois plus tard sa famille et lui-mÉme Ätaient de retour, aprÅs un exil volontaire. Mais Riel n'Ätait plus le mÉme. JugÄ rebelle et meurtrier pour sa participation aux ÄvÄnements de 1870 et pour l'exÄcution de Thomas Scott, il avait ÄtÄ persÄcutÄ; en outre, la pauvretÄ et la dÄception avaient fait de lui un visionnaire si extravagant qu'il avait fallu l'interner plusieurs annÄes. Blancs et MÄtis s'attendaient ê ce que Riel lutte avec force et mÄthode pour le redressement de leurs griefs; au lieu de cela, il leur fit part de sa volontÄ d'unir les MÄtis et les AmÄrindiens, de crÄer une rÄpublique mÄtisse inspirÄe et de nommer pape du Nouveau Monde l'archevÉque TachÄ de Saint-Boniface. Quoiqu'il en soit, Riel et les reprÄsentants des colons rÄdigÅrent une pÄtition, l'envoyÅrent le 16 dÄcembre 1884 au gouvernement d'Ottawa qui se contenta d'expÄdier un accusÄ de rÄception rÄvÄlateur du caractÅre hëtif de l'Ätude qui en avait ÄtÄ faite.
  34.  
  35.      Riel aurait pu repartir au Montana. CensÄment pour obtenir le redressement de ses griefs personnels auprÅs du gouvernement qui, d'aprÅs lui, lui devait des millions de dollars, il resta; en fait, il dÄsirait poursuivre ses efforts de crÄation d'un nouveau gouvernement provisoire. EffrayÄs par les hÄrÄsies de Riel, les missionnaires catholiques lui interdirent la frÄquentation des sacrements; par ailleurs ses prÄtendues visions mystiques choquaient la piÄtÄ des MÄtis. Certains furent cependant sÄduits par la ferveur et la dÄvotion qu'affichait Riel et dÄlaissÅrent le catholicisme traditionnel. Certains Blancs lui tournÅrent le dos et la plupart des bandes d'AmÄrindiens firent comment bon leur semblait malgrÄ la prÄsence de messagers envoyÄs par Riel. Le gouvernement accr₧t l'effectif de la Police ê cheval du Nord-Ouest qui compta alors cinq cent cinquante hommes concentrÄs pour la plupart prÅs de Prince-Albert et de la principale colonie mÄtisse, Batoche.
  36.  
  37.      Le 18 mars, Riel et ses hommes attaquÅrent, s'emparant de personnalitÄs politiques ê Batoche. Le lendemain, jour de la fÉte de saint Joseph, le patron des MÄtis, Riel forma son nouveau gouvernement, nomma l'╟Exovidat╚ (conseil) et obligea deux chefs cris, Gros-Ours et Faiseur-d'Enclos et leurs bandes ê joindre les rangs de ses partisans. ╦ Fort Carlton, il tenta de forcer le commissaire de la Police ê cheval du Nord-Ouest, Leif Crozier, ê se rendre; il espÄrait pouvoir le tenir, avec ses hommes, en otage pendant qu'il nÄgocierait avec Ottawa. Crozier refusa et, le 26 mars, se mit en route avec cent hommes dans l'intention de s'emparer d'une cache d'armes prÅs du lac aux Canards. Riel, Gabriel Dumont et plus d'une centaine d'AmÄrindiens et de MÄtis les y attendaient.
  38.  
  39.      Dumont, ancien chasseur de bisons, et l'adjudant gÄnÄral de l'╟Exovidat╚, vint ê la rencontre de Crozier prÅs du lac aux Canards. On Ächangea des mots acides, un coup de feu claqua qui fut suivi d'une fusillade gÄnÄrale. Les hommes de Crozier se dissimulaient derriÅre des congÅres et des traöneaux. Une demi-heure plus tard, Crozier, blessÄ, ordonnait ê ses hommes de battre en retraite. Riel, agitant un crucifix, commanda aux siens d'arrÉter de tirer, ce qui permit aux ennemis de disparaötre, laissant derriÅre eux dans la neige neuf morts et un colon gravement blessÄ. Dumont n'Ätait que blessÄ mais son frÅre Isidore et quatre camarades avaient ÄtÄ tuÄs.
  40.  
  41. La mobilisation des forces gouvernementales 
  42.  
  43.      Le tÄlÄgraphe fit se rÄpandre la nouvelle des ÄvÄnements du lac aux Canards comme une traönÄe de poudre dans tout le pays. Des centaines de colons blancs, saisis de terreur, se rÄfugiÅrent dans le fort le plus proche, pour se mettre sous la protection de la police. Les jeunes AmÄrindiens, surexcitÄs par l'annonce de la nouvelle, formÅrent des sociÄtÄs militaires selon la tradition ancestrale. Dans leur grande impÄtuositÄ, des membres de la bande de Gros-Ours tuÅrent, le 2 avril, deux missionnaires et sept autres Blancs, au lac aux Grenouilles. SecouÄ par cet ÄvÄnement tragique, Gros-Ours prit les choses en main et, en ayant acceptÄ les consÄquences du geste de ses compagnons, attaqua avec sa bande le poste de la Compagnie de la baie d'Hudson, situÄ tout prÅs du fort Pitt. Celui-ci n'ayant rien d'un ouvrage dÄfensif, l'agent dÄcida de se rendre, avec sa famille et ses employÄs. La petite garnison du fort, formÄe d'agents de la Police ê cheval du Nord-Ouest, s'enfuit dans un chaland qui faisait eau sur la Saskatchewan du Nord jusqu'ê Battleford, o¥ se trouvaient 500 hommes, femmes et enfants terrifiÄs, entassÄs dans le fort de la Gendarmerie.
  44.  
  45.      Ottawa avait dÄfendu au lieutenant-gouverneur Edgar Dewdney de nÄgocier avec Riel. Avant mÉme qu'Äclate la bataille du lac aux Canards, le major gÄnÄral Frederick Middleton, officier britan- nique d'un certain ëge, qui commandait la milice canadienne, avait ÄtÄ envoyÄ pour rÄprimer le soulÅvement. Il arriva ê Winnipeg au moment o¥ y parvenait la nouvelle du combat. ╦ la nuit tombante, un train du Pacifique canadien emportait Middleton et la plus grande partie de la milice de Winnipeg vers l'ouest, ê destination de Qu'Appelle. D'Ottawa, le ministre de la Milice, Adolphe Caron, et son petit groupe de collaborateurs mobilisÅrent, par tÄlÄgramme, quelque 600 des 850 hommes composant la petite force permanente du Canada, ainsi que les rÄgiments de milices urbaines les mieux organisÄs. En Ontario, les colonels de la milice rÄclamÅrent ê cor et ê cri la possibilitÄ de se rendre utiles. L'attrait de l'aventure remplit de volontaires les dÄpÖts d'armes. En quelques heures, le Queen's Own Rifles et le Royal Grenadiers rÄunirent chacun, ê Toronto, 250 hommes. Ce fut plus difficile pour Caron, dans sa propre province, qui finalement choisit le 9e Voltigeurs de QuÄbec et le 65e Carabiniers Mont-Royal. Ce dernier rÄgiment recruta la plupart de ses hommes dans la rue.
  46.  
  47.      La compagnie de chemin de fer du Grand Tronc avait promis de transporter rapidement et ê bas prix les troupes et les vivres par les âtats-Unis, mais le gouvernement Macdonald insista pour emprunter la voie inachevÄe du Pacifique canadien, compagnie qui avait fait faillite et pour qui l'occasion Ätait providentielle. Au nord du lac SupÄrieur, entre Dog Lake et Red Rock, il fallait traverser, ê pied ou en traöneau, des distances totalisant 160 km. En mars et en avril, 3 000 miliciens canadiens effectuÅrent le trajet, malgrÄ les tempÉtes de neige, la pluie glacÄe, la cÄcitÄ des neiges et la nourriture infecte. Un soldat, voulant se soustraire ê ces tribulations, s'Äcrasa dÄlibÄrÄment le pied dans l'attelage d'un train; un autre devint fou. Des vÄtÄrans racontÅrent plus tard que le voyage vers l'Ouest avait ÄtÄ la pire Äpreuve de la campagne. Le festin par lequel les habitants de Port-Arthur accueillaient chaque contingent remonta temporairement le moral des troupes. ╦ Winnipeg, on les dirigea vers l'un des trois endroits o¥ l'on prÄparait les opÄrations, le long de la voie ferrÄe.
  48.  
  49.      Devant la menace que reprÄsentaient les AmÄrindiens et les MÄtis, les griefs des colons blancs devenaient moins urgents. Plus de  3 000 volontaires du l'Ouest constituÅrent des bataillons impro- visÄs, formÅrent des escadrons d'Äclaireurs ou organisÅrent la dÄfense de leur territoire. Des centaines d'autres encore, parmi lesquels comptaient des MÄtis, offrirent leurs services et devinrent charretiers pour transporter les vivres des hommes de Middleton. Par tÄlÄgramme, Adolphe Caron autorisa la crÄation d'hÖpitaux de campagne, de groupes de tireurs d'Älite et d'arpenteurs ainsi que d'Ätats-majors. Face ê la menace de rÄbellion, on dÄployait toute l'Änergie qui avait fait dÄfaut lorsqu'il s'Ätait agi de rÄpondre aux griefs des habitants de l'Ouest. La raison en Ätait Ävidente: le Canada devait prouver aux âtats-Unis que son autoritÄ s'exerìait sur le Nord-Ouest.
  50.  
  51. La stratÄgie 
  52.  
  53.      Le sort du Nord-Ouest Ätait entre les mains de deux hommes: Louis Riel et Fred Middleton. Riel semblait avoir l'avantage. Le dÄgel imminent du printemps allait entraver les dÄplacements des troupes gouvernementales. Il n'y aurait pas d'herbe pour nourrir leurs chevaux, et le sol collant des Prairies rendrait leur marche pÄnible. Seules quelques centaines de MÄtis et d'AmÄrindiens adhÄraient aux vues de Riel, mais des milliers d'autres se joindraient au mouvement au moindre signe de succÅs. Le colonel A.G. Irvine, prÄfet de la Police ê cheval du Nord-Ouest, qui avait abandonnÄ le fort Carlton aprÅs la bataille du lac aux Canards restait passif ê Prince-Albert. ╦ Battleford, quelques agents de police et des centaines de colons attendaient nerveusement dans l'enceinte peu s₧re du fort de police, pendant que les hommes de la rÄserve de Faiseur-d'Enclos pillaient la ville et les fermes des environs.
  54.  
  55.      DÅs lors, contrairement aux espoirs qu'avait entretenus Riel, la suite des ÄvÄnements ne fut pas celle de 1870. La gÄnÄrositÄ de Riel avait permis ê Crozier et ê ses hommes de s'Ächapper. Ottawa avait envoyÄ des troupes plutÖt que des nÄgociateurs, et celles-ci avaient ÄtÄ amenÄes ê pied d'oeuvre, non pas en quelques mois, mais en une semaine par la voie ferrÄe, inachevÄe, du Pacifique canadien. Cette fois, l'homme qui exerìait le pouvoir au nom du Canada Ätait un vieux soldat rubicond et intrÄpide qui affichait autant de superbe qu'il avait de bon sens. Contrairement ê l'imprudent lieutenant-gouverneur William McDougall, chargÄ du commandement en 1870, le gÄnÄral Middleton avait un plan -- simple, clair et logique. L'╟Exovidat╚ de Riel se trouvant au coeur de la rÄbellion, Middleton savait que, s'il s'emparait de Batoche, la rÄsistance s'effondrerait. Les Ätablissements des Prairies, dont les habitants tremblaient de panique, seraient ainsi davantage en sÄcuritÄ que s'il dispersait ses hommes en petites garnisons. En outre, le pays Ätant dans un Ätat de trÅs grande dÄpendance ê l'Ägard d'investisseurs Ätrangers que la situation rendait nerveux, une victoire rapide s'imposait.
  56.  
  57.      Le plan de capture de Batoche comportait deux lacunes sÄrieuses. D'une part, hormis les quelques soldats appartenant ê la force permanente, l'armÄe de Middleton se composait de miliciens inexpÄrimentÄs et mal armÄs. L'inexpÄrience de ses officiers n'avait d'Ägal que leur grande confiance en soi. On disait ê Middleton que les MÄtis et les AmÄrindiens Ätaient des tireurs d'Älite, comparables au combat ê ceux qui avaient ÄcrasÄ la cavalerie du gÄnÄral Custer, huit ans auparavant, ê la bataille de Little Big Horn. D'autre part, le dÄplacement des hommes et des chariots dans les Prairies au printemps prÄsentait des difficultÄs. Middleton rÄsolut partiellement ce problÅme en envoyant une partie de ses troupes ê Swift Current, d'o¥ elles pourraient descendre en vapeur la Saskatchewan du Sud, dÅs que celle-ci deviendrait navigable. Middleton dÄcida de se rendre par voie de terre ê Clarke's Crossing, pour y opÄrer la jonction avec les vapeurs. Il se proposait de frapper l'ennemi trÅs vite. Quant ê ses hommes, ils n'avaient qu'une chose ê faire: apprendre le mÄtier de soldat ╟sur le tas╚.
  58.  
  59.      Lorsque, le 6 avril, les hommes de Middleton dÄbouchÅrent de la vallÄe de la Qu'Appelle pour affronter le vent glacÄ des Prairies, aucun ne se doutait de la prÄsence dans la longue caravane de chariots grinìants, d'un espion mÄtis, Jerome Henry, l'un des charretiers. ╦ Batoche, Dumont et Riel Ätaient au courant de l'approche des troupes de Middleton. Dumont sollicita l'autorisation d'effectuer une attaque de nuit, ce qui constituait pour les jeunes recrues l'expÄrience la plus terrifiante d'entre toutes; Riel refusa. Jugeant cette solution trop barbare, Riel ne put cependant en proposer d'autres.
  60.  
  61.      Entre temps, sensible aux pressions exercÄes par le public et les hommes politiques, Middleton avait changÄ ses plans. AprÅs avoir appris la nouvelle du massacre du lac aux Grenouilles, le public exigeait qu'on aille au secours de Battleford. Convaincu que la ville n'Ätait pas menacÄe, Middleton n'en ordonna pas moins, ê contrecoeur, au lieutenant-colonel William Otter, qui se trouvait ê Swift Current, d'abandonner le projet de descente de la riviÅre. Il l'envoya plutÖt vers le Nord y rassurer les colons retranchÄs. Une troisiÅme colonne, partie de Calgary sous le commandement d'un officier britannique ê la retraite, le major gÄnÄral T.B. Strange, devait marcher sur Edmonton, puis vers l'est ê la poursuite de Gros-Ours.
  62.  
  63. L'Anse-aux-Poissons et le colline du Couteau cassÄ 
  64.  
  65.      Middleton atteignit Clarke's Crossing, localitÄ situÄe un peu plus de cinquante kilomÅtres en amont de Batoche, avec des troupes renforcÄes par l'arrivÄe de 800 soldats et de quatre canons. On conseilla vivement au gÄnÄral d'attendre les vapeurs, mais il dÄcida de continuer. MÉme sans les hommes d'Otter, ses troupes Ätaient beaucoup plus nombreuses que celles de Riel, ÄvaluÄes ê trois cents MÄtis et AmÄrindiens. Quoi qu'il en soit, son premier geste consista ê envoyer la moitiÄ de ses troupes sur la rive opposÄe de la riviÅre, car on ne savait pas de quel cÖtÄ Riel se prÄsenterait. On reprit la route le 23 avril. Cette nuit-lê, tandis que les soldats de Middleton se remettaient de la fatigue que leur avait causÄe une marche de trente kilomÅtres, le vieux gÄnÄral fit sa ronde habituelle, sachant pertinemment qu'il Ätait le seul professionnel dans une armÄe d'amateurs, mais ignorant que Dumont campait ê moins d'un kilomÅtre de lê.
  66.  
  67.      Riel avait cÄdÄ. Le 23 avril, Dumont s'Ätait dirigÄ vers le sud avec deux cents AmÄrindiens et MÄtis, bien que Riel e₧t rappelÄ le quart d'entre eux. Cette nuit-lê, la plupart des hommes campÅrent dans le profond ravin de l'Anse-aux-Poissons, tandis que certains allÅrent se cacher avec Dumont, de l'autre cÖtÄ dans les buissons bordant le sentier. Dumont avait l'intention de prendre au piÅge les hommes de Middleton au moment o¥ ils seraient engagÄs dans le profond ravin et de les abattre comme des bisons.
  68.  
  69.      Le lendemain matin 24 avril, Middleton et ses Äclaireurs Ätant bien engagÄs, les MÄtis ouvrirent le feu. Les hommes de Middleton se lancÅrent en avant, devenant ainsi des cibles parfaites se dÄtachant sur l'horizon. CachÄs dans le ravin boisÄ, les hommes de Dumont tenaient les soldats ê distance. EffrayÄs par leur premier combat et par les cris de leurs camarades blessÄs, les soldats des forces gouvernementales Ätaient paralysÄs. Une balle avait traversÄ le chapeau de Middleton et ses deux jeunes aides de camp avaient ÄtÄ blessÄs. Middleton et Dumont se trouvaient dans une impasse. Les soldats, les premiers, battirent en retraite. Au crÄpuscule, la pluie s'Ätant mise ê tomber ê torrents, Middleton ordonna ê ses hommes de se retirer pour former un camp. De l'autre cÖtÄ, le frÅre de Dumont, Edouard, arrivait avec cinquante hommes frais et dispos, mais trop tard pour participer au combat. Il raccompagna chez lui, ê Batoche, le commandant mÄtis ÄpuisÄ. Cette nuit-lê, les hommes de Middleton, les nerfs mis ê vif par la pluie, l'obscuritÄ et la peur d'une attaque, ne purent trouver le sommeil.
  70.  
  71.      Le lendemain, les journaux annonìaient la victoire remportÄe ê l'Anse-aux-Poissons, mais on pouvait facilement lire entre les lignes ou comparer les cinquante-cinq morts et blessÄs de l'armÄe de Middleton avec les simples estimations des pertes rebelles. Le gÄnÄral britannique avait ÄchouÄ, mais le colonel canadien Otter avait sauvÄ Battleford . Une marche de six jours sur deux cent soixante kilomÅtres dissipa le suspens crÄÄ dans une large mesure par les mises en garde des journaux ê propos d'un massacre imminent. Du jour au lendemain, Otter devint un hÄros. Ses ordres Ätaient clairs: ne pas bouger, mais grisÄ par la gloire, pressÄ d'agir par ses hommes et par les colons qui rÄclamaient vengeance, Otter cÄda ê la tentation. Avec l'approbation du gouverneur Dewdney, ê Regina, Otter se mit en marche avec trois cent cinquante hommes le 1er mai afin d'exercer des reprÄsailles officielles. Il n'Ätait pas au courant du rÖle modÄrateur que jouait Faiseur-d'Enclos.
  72.  
  73.      ╦ l'aube, la colonne d'Otter atteignit le ruisseau du Couteau cassÄ prÅs duquel devait se trouver le camp des Cris, mais l'endroit Ätait dÄsert. AprÅs avoir pÄniblement gravi la colline du mÉme nom, tout prÅs de lê, les soldats dÄcouvrirent le village cri qui s'Ätendait en contrebas. Pendant que les soldats prÄparaient les canons, les chiens et les chasseurs matinaux donnÅrent l'alerte. Les femmes et les enfants coururent se mettre ê l'abri. Les guerriers saisirent leurs armes et se dispersÅrent rapidement dans les ravins et les escarpements couverts de peupliers, endroits qui leur Ätaient familiers. Ce n'Ätaient plus les AmÄrindiens, mais les hommes d'Otter qui devaient se dÄfendre, immobilisÄs sur une colline dÄcouverte. Les aff₧ts pourris de leurs deux canons s'ÄcroulÅrent. Une mitrailleuse Gatling, prÉtÄe par le fabricant amÄricain, maintint un feu nourri, sans effet ê cause de la distance. Vers midi, Otter dut ordonner la retraite. PrÄcÄdÄs des Äclaireurs et de la Police ê cheval, les Canadiens rÄussirent ê se frayer un chemin et ê s'Ächapper, avec la plupart de leurs huit morts et quatorze blessÄs entassÄs dans les chariots.
  74.  
  75.      Il Ätait clair que s'ils avaient rÄussi ê s'Ächapper sains et saufs, c'Ätait grëce ê Faiseur-d'Enclos qui avait interdit ê ses guerriers de les poursuivre. ╟Lorsque mon peuple et les hommes blancs se sont battus, dit-il plus tard, j'ai ÄpargnÄ les soldats de la Reine.╚ C'Ätait la vÄritÄ, mais, dans l'Est du Canada, la bataille de la colline du Couteau cassÄ fut prÄsentÄe comme une victoire. L'action d'Otter avait constituÄ le remÅde contre l'╟ingratitude╚ des AmÄrindiens, prÄtendait un rÄdacteur en chef.
  76.  
  77. La libÄration de Batoche et la dÄfaite de Riel 
  78.  
  79.      ╦ l'Anse-aux-Poissons, Middleton Ätait consternÄ par la folie d'Otter et dÄpitÄ de devoir se rÄsoudre ê l'immobilitÄ. Les risques que comportait un Äventuel envoi de ses troupes inexpÄrimentÄes ê la rencontre d'un ennemi habile Ätaient plus Ävidents que jamais; le pire Ätait qu'il avait atteint la limite du territoire que pouvaient couvrir les voitures de ravitaillement tirÄes par des chevaux. On commenìait ê manquer de nourriture et de mÄdicaments. Par ailleurs il se rÄvÄlait impossible de mettre en service le Northcote, vapeur de la Compagnie de la baie d'Hudson rÄquisitionnÄ pour le transport des vivres et des renforts; cela montrait bien que la navigation intÄrieure tenait encore du rÉve. Les troupes commencÅrent ê se plaindre de l'extrÉme lenteur du ╟vieux Fred╚. Le 5 mai, le vapeur apparut enfin, avec une dizaine de jours de retard. Middleton, qui voulait faire du Northcote son arme secrÅte, le ╟fortifia╚ de balles de foin et de sacs de flocons d'avoine. Les soldats pourraient ainsi se rendre ê Batoche par la riviÅre, comme par voie de terre.
  80.  
  81.      Le vapeur armÄ n'avait rien de secret pour Dumont. ╦ Batoche, des MÄtis retirÅrent de la riviÅre le lourd cëble du transbordeur et le tendirent entre les berges. Ils espÄraient ainsi faire chavirer le Northcote, tel un jouet. D'autres perfectionnÅrent les cachettes creusÄes pour les tirailleurs autour du village. Pendant ce temps, Riel priait, notait ses visions dans son journal et rÄdigeait de nouveaux ordres pour l'╟Exovidat╚.
  82.  
  83.      Le Northcote, crachant la fumÄe, apparut de bonne heure le 9 mai. Des deux cÖtÄs, on ouvrit le feu. Le capitaine aperìut trop tard le cëble du transborteur. Le mët et les cheminÄes roulÅrent sur le pont, sous les moqueries des hommes de Dumont. L'embarcation, passant son chemin, descendit la riviÅre ê toute allure, son capitaine, un amÄricain, jurant de ne jamais plus se mÉler d'une querelle dans un pays Ätranger. C'est alors que, du haut des berges, se fit entendre le grondement du canon. Les troupes de Middleton, arrivÄes au presbytÅre situÄ au sud de Batoche, bombardaient le village. Les hommes de Dumont gravirent en hëte les escarpements couverts de peupliers, afin de prendre part au combat.
  84.  
  85.      Cette fois encore, les soldats, se dÄtachant sur l'horizon, offraient des cibles faciles pour les tireurs d'Älite. PlutÖt que de battre en retraite, Middleton rassembla ses chariots pour former une ╟zareba╚, sorte d'ouvrage dÄfensif improvisÄ; en fin d'aprÅs-midi, son camp Ätait installÄ. Lord Melgund, son chef d'Ätat-major et futur gouverneur gÄnÄral, partit ê cheval vers le sud afin d'ordonner aux miliciens tenus en rÄserve de se rapprocher. Il savait qu'il servirait de guide ê l'armÄe de mÄtier britannique qui viendrait les venger, si Middleton et ses hommes Ätaient anÄantis. Le lendemain matin, ceux-ci avaient repris courage et Middleton cherchait des tactiques qui lui permettraient de rÄduire au minimum les pertes infligÄes ê son armÄe de ╟soldats╚. Le 11 mai, il conduisit ses Äclaireurs vers le nord et l'est de Batoche; en chemin, Middleton vit les hommes de Dumont traverser leurs lignes ê toute allure pour lui faire face. Il s'aperìut que cette tactique de diversion lui permettrait d'attaquer les MÄtis lê o¥ leur dÄfense Ätait la plus vulnÄrable.
  86.  
  87.      Le lendemain, les MÄtis suivirent de nouveau les hommes de Middleton. Les miliciens avaient reìu l'ordre d'attaquer les tranchÄes ê moitiÄ dÄgarnies des MÄtis dÅs qu'ils entendraient le canon tonner, mais le coup partit et rien ne se produisit. Lorsque le gÄnÄral, furieux, rejoignit ses officiers, ceux-ci se justifiÅrent en affirmant qu'ils n'avaient pas entendu le canon. AprÅs le dÄjeuner, Middleton ordonna aux bataillons de miliciens de regagner leur ancienne position. Une unitÄ composÄe d'agriculteurs ontariens continua d'avancer. Son commandant, un dÄputÄ, avait ÄtÄ piquÄ au vif par les reproches de Middleton. Les autres bataillons, provenant de Toronto et de Winnipeg, suivirent. En quelques instants, la colline descendant vers Batoche fut couverte de soldats, criant et poussant des hourras.
  88.  
  89.      Dumont et ses hommes avaient, depuis longtemps, ÄpuisÄ leurs munitions. Ils lancÅrent aux attaquants de petits cailloux ou des morceaux de mÄtal. Les aönÄs moururent sur place; les autres reculÅrent en tirant; ils touchÅrent trente miliciens. Au crÄpuscule, le village mÄtis en ruine fut pillÄ, sous le prÄtexte qu'un officier aimÄ de tous, le capitaine John French, avait ÄtÄ tuÄ par un tireur mÄtis isolÄ. Dumont exhorta Riel ê fuir, mais celui-ci refusa. Ils se sÄparÅrent dans l'obscuritÄ. Dumont s'enfuit aux âtats-Unis. Trois jours plus tard, le 15 mai, Riel se rendit ê des Äclaireurs de Middleton, qui le ramenÅrent clandestinement au camp. Middleton eut un entretien avec lui, aprÅs quoi on lui prÉta un manteau et on l'emmena vers le sud jusqu'ê Regina, conformÄment aux directives reìues d'Ottawa. On se remit en campagne.
  90.  
  91. La reddition de Faiseur-d'Enclos 
  92.  
  93.      Quittant Batoche, Middleton conduisit ses troupes vers le nord jusqu'ê Prince-Albert, o¥ elles montÅrent ê bord des vapeurs qui devaient, en remontant la Saskatchewan du Nord, riviÅre plus facilement navigable, les amener ê Battleford et au fort Pitt. Avant de partir, le gÄnÄral profita de l'occasion pour exprimer son mÄpris au colonel Irvine qui Ätait demeurÄ, pendant toute la campagne, ê Prince-Albert avec un important effectif de policiers ê cheval. Les soldats et les civils les traitaient dÄdaigneusement de ╟marmottes╚ pour s'Étre cachÄs dans leur fort. Le 26 mai, Middleton ayant uni ses forces ê celles du colonel Otter ê Battleford, Faiseur-d'Enclos se rendit avec sa bande crie. Il aurait pu facilement s'Ächapper, mais il dÄcida de ne pas abandonner son peuple.
  94.  
  95. La butte aux Franìais 
  96.  
  97.      A Calgary, le gÄnÄral Strange avait improvisÄ une petite armÄe formÄe de policiers, de cowboys, de Winnipeguiens et de soldats du 65e Carabiniers de MontrÄal. Les agents des Affaires indiennes furent soulagÄs de voir Strange partir pour Edmonton; l'╟artilleur cocardier╚, comme on l'appelait, constituait une menace pour le maintien d'une paix chancelante avec la bande de Pieds-Noirs de Pied-de-Corbeau. ╦ Edmonton, la colonne de Strange s'entassa sur des chalands de fortune qui faisaient eau et se dirigea vers l'est en suivant la Saskatchewan du Nord. Strange ne disposait que d'un canon et d'ê peine deux cents hommes lorsqu'il rencontra Gros-Ours ê la butte aux Franìais. Les miliciens se perdirent dans les marÄcages et la dense forÉt de peupliers et durent donc cesser le combat. Les AmÄrindiens, terrifiÄs par les obus, avaient quittÄ leurs positions et s'Ätaient enfuis dans les profondeurs de la forÉt au nord de la riviÅre, emmenant les prisonniers capturÄs au fort Pitt.
  98.  
  99.      Pendant la plus grande partie du mois de juin, les colonnes de miliciens et de policiers ratissÅrent en vain les marÄcages et les bois ê la recherche de Gros-Ours ainsi que des hommes, femmes et enfants que lui-mÉme, ses partisans les Cris des Bois et les Cris des Plaines gardaient captifs. ╦ la suite de dissensions entre AmÄrindiens, les prisonniers furent pris en charge par les Cris des Bois qui les relëchÅrent. DÅs que les prisonniers furent retrouvÄs, Middleton renonìa ê la poursuite de Gros-Ours. Quelques semaines plus tard, le 2 juillet, Gros-Ours et un jeune compagnon se livrÅrent ê un policier stupÄfait au fort Carlton. C'en Ätait fait de la rÄbellion.
  100.  
  101. Les suites de la guerre 
  102.  
  103.      Dans l'Est, des experts avaient exprimÄ des vues pessimistes sur la guerre dans le Nord-Ouest, affirmant qu'elle pourrait se poursuivre tout l'ÄtÄ, voire pendant des annÄes, menant ainsi le jeune Dominion au bord de la faillite et freinant pour longtemps la colonisation. Riel et Middleton avaient pourtant mis fin ê la campagne en trois mois. Quarante soldats et agents de police ainsi que onze civils avaient ÄtÄ tuÄs. Personne ne dÄnombra officiellement les pertes subies par les rebelles, mais elles se montaient peut-Étre ê la moitiÄ.
  104.  
  105.      Le gouvernement cherchait dÄsespÄrÄment ê rÄduire ses pertes. Les miliciens, qui avaient le mal du pays, rÄclamaient ê grands cris leur dÄpart du Nord-Ouest; leurs employeurs menaìaient de les remplacer. Middleton voulait passer en revue toute son armÄe victorieuse ê Winnipeg, mais ses soldats, que ce retard rendait furieux, grommelaient. Les miliciens ricanÅrent lorsque la pluie battante entraöna l'annulation de la revue et se rÄjouirent de la dÄcision du maire de Winnipeg de laisser les tavernes ouvertes toute la nuit. Le retour fut plus facile que l'aller: les voies du Pacifique canadien Ätaient alors achevÄes et certains soldats furent transportÄs par vapeur depuis la rive nord du lac SupÄrieur jusqu'ê Owen Sound ou ê Collingwood au sud de l'Ontario. De London, en Ontario, ê Halifax, en Nouvelle-âcosse, des comitÄs cÄlÄbrÅrent le passage des soldats: on avait organisÄ des banquets, construit des arcs de triomphe et suspendu des banniÅres. La peau tannÄe et vÉtus de guenilles, les hommes du 9e Voltigeurs formÅrent une garde d'honneur, ê la clÖture de la session parlementaire.
  106.  
  107.      Le gouvernement, reconnaissant, accorda aux anciens combattants un terrain d'un quart de section dans l'Ouest, dans l'espoir qu'ils s'y Ätabliraient, mais la plupart vendirent leur concession ê des spÄculateurs. Le gouvernement britannique offrit, ê contrecoeur, une mÄdaille commÄmorative. Le Parlement accorda ê Middleton vingt mille dollars de rÄcompense; Adolphe Caron et lui-mÉme furent faits chevaliers en remerciement des services rendus. Au sein de la milice, la fiertÄ et la cordialitÄ dÄgÄnÄrÅrent rapidement en disputes mesquines, chacun cherchant ê s'attribuer le mÄrite du succÅs de la campagne.
  108.  
  109.      Avec le recul, de telles querelles semblent insignifiantes et absurdes, mais elles sont symptomatiques de l'animositÄ que semblait ressentir la plupart des Canadiens. En juin, Macdonald chargea des avocats du gouvernement de faire enquÉte sur la rÄbellion en vue d'engager des poursuites. Leurs conclusions n'ont pratiquement pas ÄtÄ remises en question par les historiens. MalgrÄ le fait qu'Ottawa ait cru, au dÄbut, ê une conspiration s'Ätendant jusqu'ê des sympathisants libÄraux chez les colons de Prince-Albert, les enquÉteurs du gouvernement s'entendirent rapidement pour attribuer ê Louis Riel seul toute la responsabilitÄ du soulÅvement. Les accusations officielles, formulÄes dans le langage dÄsuet du ╟Statute of Treasons╚ d'Edouard III, constituaient l'aboutissement de l'enquÉte. Le gouvernement avait scrupuleusement suivi les voies lÄgales.
  110.  
  111.      Lorsqu'ê la fin de juillet, Riel passa en jugement ê Regina, les Canadiens franìais, par un renversement spectaculaire de la situation, avaient pris parti pour lui. En dÄpit de l'horreur produite au QuÄbec par le meurtre des missionnaires et les hÄrÄsies profÄrÄes par Riel, celui-ci devint le symbole des Canadiens franìais persÄcutÄs par la majoritÄ de langue anglaise. On invoquait maintenant la folie pour excuser ses fautes. Ses avocats quÄbÄcois s'opposÅrent au verdict du jury. La condam- nation ê mort, prononcÄe par le juge et confirmÄe par deux juridictions supÄrieures, fut tout simplement attribuÄe au fanatisme des Canadiens anglais. En fait, comme l'ont montrÄ Thomas Flanagan et Neil Watson, le procÅs fut Äquitable selon les rÅgles de l'Äpoque, le verdict inÄluctable et la condamnation inÄvitable. AprÅs trois sursis et l'examen de son Ätat de santÄ mentale, Riel fut pendu ê Regina ê le 16 novembre 1885.
  112.  
  113.      Cet ÄvÄnement joua un rÖle de catalyseur dans la lente destruction du conservatisme au QuÄbec. Wilfrid Laurier, le jeune libÄral qui proclamait que lui aussi aurait pris les armes sur les rives de la Saskatchewan, devint premier ministre onze ans plus tard. En Ontario, l'opinion Ätait divisÄe au sujet de Riel, mais l'obstination avec laquelle le premier ministre insistait pour que la loi suive implacablement son cours, ne devait rien ê la pression de l'opinion publique. Il jugeait que la mort de Riel devait servir d'avertissement: le Canada avait l'intention de maintenir sa souverainetÄ dans l'Ouest.
  114.  
  115.      Tandis que les Canadiens se querellaient bruyamment sur le sort de Riel, presque personne n'intervint en faveur des huit AmÄrindiens pendus pour le rÖle qu'ils avaient jouÄ dans le soulÅvement, ni pour Gros-Ours, Faiseur-d'Enclos ou les quarante-deux AmÄrindiens et MÄtis condamnÄs ê la prison. Quatre ans seulement avant la rÄbellion, la rÄputation qu'avait valu ê Faiseur-d'Enclos son intÄgritÄ et ses qualitÄs de chef Ätait telle qu'on lui avait demandÄ d'accompagner le gouverneur gÄnÄral du Canada au cours d'une visite dans le Nord-Ouest. Bien qu'il e₧t reprochÄ ê ses jeunes guerriers la destruction de Battleford et permis aux troupes gouvernementales d'Ächapper ê l'anÄan- tissement aprÅs la bataille de la colline du Couteau cassÄ, il fut reconnu coupable de trahison. L'emprisonnement de Faiseur-d'Enclos et Gros-Ours constitua pour eux une humiliation et un coup mortel. ╦ l'instar de Macdonald, Laurier et ses successeurs n'ont pas remuÄ le petit doigt pour tenter de rÄsoudre les terribles problÅmes qui avaient conduit les MÄtis et leurs alliÄs amÄrindiens ê prendre Riel pour chef.
  116.  
  117.      La rÄbellion fut-elle vaine? Une commission avait ÄtÄ nommÄe pour enquÉter sur les revendications des MÄtis ê la suite de la pÄtition prÄsentÄe par Riel, avant mÉme que celui-ci ait proclamÄ son  ╟Exovidat╚, mais la guerre ayant ÄclatÄ, les membres de cette commission ne pouvaient Étre qu'ê la remorque de l'armÄe de Middleton. Sans la rÄbellion, le Nord-Ouest n'aurait peut-Étre par eu voix au chapitre au sein du Parlement fÄdÄral en 1887. Quant aux AmÄrindiens, qui restaient tout ê fait en marge de la rÄbellion --  qu'ils soient neutres, divisÄs ou tiÅdes -- ils n'y gagnÅrent rien et en souffrirent cruellement. On poursuivit la politique de confinement dans les rÄserves. Le gouvernement, en s'efforìant de transformer les chasseurs en agriculteurs, persista ê pousser l'assimilation des AmÄrindiens. Au dÄbut, les colons terrifiÄs s'Ätaient persuadÄs, ê la suite d'une victoire apparemment facile, qu'ils ne devaient rien ê ceux qui, longtemps avant leur arrivÄe, avaient rendu les Prairies habitables.
  118.  
  119.      Il Ätait facile d'oublier que, dans leur combat pour l'autodÄtermination, les AmÄrindiens et les MÄtis avaient remportÄ toutes les escarmouches et toutes les batailles, sauf celle de Batoche.
  120.  
  121.