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Text File  |  1996-06-20  |  22KB  |  65 lines

  1. L'ARGENT DE TROC DANS LA CULTURE INDIENNE 
  2.  
  3. N. Jaye Goossen 
  4.  
  5. La traite des fourrures en tant qu'Ächange culturel 
  6.  
  7.      Ce fut d'abord pour se manifester rÄciproquement leurs bonnes intentions que les Indiens d'AmÄrique du Nord et les EuropÄens, ê l'occasion de leurs premiÅres rencontres, ÄchangÅrent des peaux de castor contre des bijoux, des miroirs et des vÉtements. Mais la mode du castor se rÄpandant rapidement en Europe, et les articles europÄens venant Ätancher des besoins ressentis comme tels par les Indiens, ces Ächanges se multipliÅrent et adoptÅrent des formes de plus en plus complexes. La traite de la fourrure, qui devait prendre ultÄrieurement des proportions considÄrables, Ätait donc contenue en germe dans les tout premiers contacts; elle Ätait appelÄe ê modifier de faìon majeure le mode de vie des habitants de l'AmÄrique du Nord. Le dÄveloppement de ce commerce entraöna les marchands au coeur du continent, ouvrant ainsi les grandes voies de transport et de communication sur lesquelles devaient s'Älancer plus tard les colons. DÅs l'instant o¥ la traite des fourrures introduisit ainsi la technologie et les articles de l'Occident dans les cultures autochtones d'AmÄrique du Nord, il devenait inÄvitable que le genre de vie des Indiens subisse de profondes modifications.
  8.  
  9.      La traite de la fourrure donna lieu ê un Ächange culturel fort complexe, dans lequel les Indiens tinrent un rÖle aussi important que leurs partenaires europÄens. Avant mÉme l'arrivÄe de ceux-ci, les Indiens Ächangeaient dÄjê entre eux des fourrures ainsi que d'autres objets. Du XVIe au XVIIIe siÅcle, le don Ätait considÄrÄ par plusieurs groupes autochtones comme un ÄlÄment majeur des relations sociales et politiques. Les chefs remettaient parfois des cadeaux ê leurs peuples. On en donnait Ägalement aux parents dont les enfants venaient de se faire attribuer un nom. Mariages et dÄcÅs s'accompagnaient aussi de dons. Dans ces diverses circonstances, on considÄrait l'objet donnÄ plus Äloquent que ne l'auraient ÄtÄ des mots. Ce phÄnomÅne prenait beaucoup d'importance dans les relations inter-tribales ou encore inter-confÄdÄrations; c'est par des Ächanges de ceintures wampum, de peaux de castor ou de calumets de paix que les guerres Ätaient dÄclarÄes, les trÉves demandÄes, les traitÄs de paix acceptÄs et les alliances consolidÄes. ╦ eux seuls, les mots ne suffisaient pas ê enterrer la hache de guerre.
  10.  
  11.      Les EuropÄens ne tardÅrent pas ê tirer profit de cette coutume. Des Ächanges de castor et de wampum permirent aux Anglais et aux Franìais de s'allier respectivement aux Iroquois et aux Hurons. D'aprÅs des tÄmoignages anglais et iroquois, leur alliance Ätait symbolisÄe par une chaöne d'argent reliant un navire anglais ê l'arbre de paix des Iroquois. L'argent avait ÄtÄ retenu parce que, contrairement au fer, il ne se dÄtÄriore pas. Cette "chaöne d'alliance," comme on l'appelait alors, Ätait polie ê chaque annÄe, et l'alliance elle-mÉme renouvelÄe pÄriodiquement par des Ächanges de cadeaux entre les deux partenaires.
  12.  
  13.      De cÄrÄmonial diplomatique qu'il Ätait au dÄbut, cet Ächange de dons devint peu ê peu une vÄritable entreprise Äconomique. ╦ travers cette transformation, il prit des formes redevables aussi bien aux Indiens qu'aux EuropÄens. Bien que ces derniers ne les aient pas toujours trÅs bien ÄvaluÄes, les aspirations indiennes eurent un impact certain sur la nature des articles qu'on leur offrit en Ächange de la fourrure. Le succÅs d'un traiteur reposait le plus souvent sur la connaissance qu'il pouvait avoir des besoins et des go₧ts spÄcifiques des gens vivant sur son territoire; il avait tout intÄrÉt ê s'y conformer pour assurer une paix durable et, partant, la pÄrennitÄ de ses succÅs commerciaux. Mais la recherche du profit imposait Ägalement un certain nombre de contraintes ê ce commerce avec les Indiens. Ainsi les compagnies Ävitaient d'offrir ê ceux-ci des quantitÄs considÄrables d'articles de valeur. La mÉme restriction touchait les objets trop gros, en raison des Änormes distances ê parcourir sur les riviÅres et sur la mer, pour rejoindre les marchÄs europÄens. C'est pourquoi les babioles s'avÄrÅrent les articles les plus Äconomiques, tant par rapport ê leur valeur intrinsÅque que pour les co₧ts de transport.
  14.  
  15.      Durant plus de trois siÅcles de traite de la fourrure, une grande variÄtÄ d'articles sont venus satisfaire aux exigences de chacun des partenaires, tout en modifiant considÄrablement le mode de vie de l'Indien. Ce dernier dÄveloppa un grand intÄrÉt pour des denrÄes alimentaires nouvelles, comme le sucre, le thÄ et la farine. Il en fut de mÉme pour divers articles domestiques: bouilloires de cuivre, pots de fer, cuillÅres, ciseaux, couteaux et aiguilles. Nouvelles armes et outils nouveaux (fusils, haches, hameìons et piÅges) augmentÅrent le nombre de prises de chaque chasseur. Mais les effets destructeurs des conflits inter-tribaux furent Ägalement dÄcuplÄs par l'introduction du fusil et, pour ce qui est des Indiens des Plaines, du cheval. Les perles de verres, les clochettes ainsi que diverses breloques en mÄtal enrichirent les parures traditionnelles. Il est jusqu'aux habitudes vestimentaires indiennes qui subirent l'influence du costume europÄen. La traite de la fourrure ne fut donc en aucun cas une activitÄ ê sens unique; les Indiens y jouÅrent un grand rÖle. Leurs exigences prÄsidÅrent, dans une certaine mesure, au choix des articles offerts par les EuropÄens avides de fourrure. TrÅs souvent, ils transformÅrent ces articles occidentaux en vue de leur confÄrer un usage jusque-lê inÄdit, leur attachant mÉme parfois une valeur symbolique que n'auraient pu soupìonner leurs usagers d'Europe. C'est ainsi que des ustensiles de cuisine devinrent des ÄlÄments dÄcoratifs. On voit donc comment des objets de fabrication occidentale acquirent, ê travers de tels Ächanges trans-culturels, des caractÄristiques authentiquement indiennes.
  16.  
  17.      Rien de tel que l'argent de troc, pour illustrer cet entrelacement d'influences europÄennes et indiennes sur le destin des objets ÄchangÄs. Les bijoux d'argent Ätaient inconnus des Indiens dits de la forÉt avant l'arrivÄe des Blancs; ils le virent pour la premiÅre fois entre les mains de ceux venus leur en offrir pour marquer leurs intentions pacifiques. Ces bijoux revÉtirent une grande valeur commerciale aux XVIIIe et XIXe siÅcles. FabriquÄs alors spÄcialement en vue du commerce de la fourrure, ils Ätaient dÄcorÄs de motifs d'inspiration vraisemblablement autochtone, prenant mÉme parfois la forme d'articles dÄcoratifs non-mÄtalliques que les Indiens produisaient dÄjê avant l'arrivÄe des Blancs en AmÄrique (bandes portÄes aux jambes et aux bras). Plusieurs Indiens se mirent ê considÄrer de tels ornements en argent comme des biens de prestige. Ils les comptaient ainsi au nombre de leurs possessions les plus prÄcieuses, et se faisaient fort de les porter sur eux lors des grandes occasions, voire mÉme de leur reconnaötre une certaine valeur rituelle. Quelques-uns en vinrent mÉme ê faìonner leurs propres bijoux, donnant ainsi naissance ê une orfÅvrerie dont on ne peut dire qu'elle soit ni purement autochtone, ni purement europÄenne.
  18.  
  19. Origine du troc de l'argent 
  20.  
  21.      Le plus ancien rapport relatant l'usage de ce mÄtal prÄcieux, dans les relations entre Blancs et Indiens en AmÄrique du Nord, remonte ê 1661. La colonie de Virginie avait alors offert des mÄdailles d'argent ê des Indiens dits "amicaux." Tout au long des XVIIe et XVIIIe siÅcles, des mÄdailles portant l'effigie des rois Louis XIV et Louis XV de France furent donnÄes aux alliÄs indiens de l'empire franìais, tandis que des mÄdailles portant le sceau des monarques britanniques se retrouvÅrent pendues au cou de chefs d'autres tribus, en particulier ceux des Iroquois. Les Indiens saisirent peut-Étre la valeur symbolique rÄservÄe ê ces mÄdailles par ceux qui les leur offraient ainsi; il est toutefois possible que d'autres motifs aient prÄsidÄ ê leur grand empressement ê les accepter. Quoiqu'il en soit, l'usage consistant ê honorer ainsi les chefs des tribus amies se rÄpandit trÅs rapidement.
  22.  
  23.      Dans l'Ätat actuel des connaissances, la plus ancienne de ces mÄdailles spÄciales fut Ämise en Virginie en l'an 1670; elle avait pour but de permettre l'identification des Indiens alliÄs qui avaient accÅs aux divers villages coloniaux. On produisit assez tÖt de telles mÄdailles en Europe et en AmÄrique; trÅs peu cependant, sinon aucune, furent fabriquÄes au Canada. Les mÄdailles de fabrication britannique Ätaient de dimensions variÄes, les plus grandes revenant aux chefs les plus importants, les plus petites Ätant destinÄes aux personnes de rang infÄrieur. ParallÅlement ê la dÄtÄrioration des relations franco-anglaises en AmÄrique du Nord, la valeur stratÄgique de ces alliances entre Indiens et EuropÄens prenait de plus en plus d'importance. Les chefs de guerre indiens se virent alors offrir des gorgerins d'argent, vestiges dÄcoratifs des anciennes armures, portÄs par les officiers venus d'Europe. GravÄs aux armoiries du roi, ces gorgerins Ätaient considÄrÄs par les Indiens comme des signes de prestige et de rang ÄlevÄ. Le titre de "capitaine ê gorgerin" de l'armÄe britannique fut confÄrÄ ê des chefs indiens, au XVIIIe siÅcle, par les Anglais. C'est ainsi que le capitaine Joseph Brant (Thayendanega), qui donna son nom ê la ville ontarienne de Brantford, fut dÄcorÄ par le roi George III pour ses initiatives militaires en faveur de la couronne, durant la rÄvolution amÄricaine.
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  25.      Il y eut occasionnellement des prÄsentations tout ê fait particuliÅres d'objets d'argent. C'est ainsi que, en 1710, quatre chefs indiens furent prÄsentÄs ê la cour d'Angleterre; John, Nicholas, King Hendrick et Brant reìurent, des mains de la reine Anne elle-mÉme, un ensemble en argent pour la communion. Ils le dÄposÅrent ê leur retour en AmÄrique dans la chapelle dÄdiÄe ê Sa MajestÄ, qui se trouve chez les Mohawks de Fort Hunter. Quand les Iroquois restÄs fidÅles ê la couronne anglaise quittÅrent l'Ätat de New York, suite ê la rÄvolution amÄricaine, ce trÄsor en argent fut transportÄ au Canada et rÄparti entre le groupe ayant dÄcidÄ de s'installer ê Brantford et celui ayant Älu rÄsidence ê la baie de Quinte. Encore en usage dans les cÄrÄmonies religieuses, ces piÅces devinrent en ces lieux le tÄmoignage concret de la loyautÄ tenace des Mohawks envers la couronne d'Angleterre.
  26.  
  27.      âgalement pour crÄer et consolider leurs alliances avec les tribus indiennes, les autoritÄs coloniales distribuÅrent bon nombre de petits objets d'argent: broches, boucles d'oreilles, pendentifs portÄs au nez, bracelets, croix, bagues et gorgerins circulaires ou de forme lunaire. De telles babioles reproduisaient le plus souvent des objets dÄcoratifs d'inspiration indienne. Les gorgerins circulaires, par exemple, n'existaient pas en Europe; ils furent conìus pour imiter ces coquillages en forme de lune que les Indiens arboraient sur la poitrine. Les boucles d'oreille et les pendentifs naseaux jusque-lê taillÄs ê mÉme des coquillages, les bandeaux de tÉte, de bras et de jambes faits jadis en cuir et en laine par les Indiens, tous ces objets furent dÅs lors fabriquÄs en argent. Les croix, cependant, Ätaient nettement d'origine europÄenne.
  28.  
  29. Production et distribution de l'argent de troc 
  30.  
  31.      DÅs l'instant o¥ les EuropÄens mesurÅrent l'immense popularitÄ de ce prÄcieux mÄtal, ils se rendirent compte de sa pertinence ainsi que de sa valeur rituelle pour les activitÄs commerciales. C'est alors que s'intensifia la circulation de l'argent entre les diverses tribus indiennes. L'importation ne suffisait plus; les orfÅvres du Nouveau Monde durent supplÄer au manque d'articles en argent. DÅs 1760, les artisans canadiens avaient ajoutÄ ê leur production ordinaire d'objets profanes et religieux, la fabrication d'articles en argent destinÄs ê la traite des fourrures. Un trafiquant de DÄtroit nommÄ Duperon Baby Äcrivait, en 1759, a son frÅre Franìois habitant alors QuÄbec, lui demandant de faire une commande de bijoux d'argent pour son commerce de fourrure. C'est ê Jonas Schindler, un orfÅvre d'origine allemande bien connu ê QuÄbec, que fut transmise la commande de "cent paires de pendants d'oreille et de vingt-quatre boucles d'oreille." L'argent devait "Étre mince et bien poli, quoique encore susceptible d'Étre gravÄ." Ce fut lê le premier argent ê Étre effectivement troquÄ contre des fourrures indiennes. L'expression "argent de troc" fut dÅs lors utilisÄe, pour dÄsigner toutes les parures d'argent indiennes de cette Äpoque.
  32.  
  33.      L'orfÅvre canadien disposait de deux mÄthodes pour fabriquer ainsi des babioles destinÄes au troc, ê partir des piÅces de monnaie europÄenne alors en usage au Canada. Il pouvait marteler les piÅces en vue de leur donner la forme d'un disque mince. Mais il pouvait aussi les faire fondre, y ajouter du cuivre au besoin afin d'en augmenter la rÄsistance, et enfin les pilonner ou encore les presser pour obtenir des feuilles minces. C'est dans de telles feuilles qu'il taillait ensuite les gorgerins, les croix, les bandes, les bracelets, les perles et les haches, donnant ê chaque piÅce la forme souhaitÄe et l'ornant de motifs gravÄs ou perforÄs. Il lui arrivait exceptionnellement de mouler des petites figurines de castor, de loutre ou d'autres espÅces animales. L'article terminÄ portait parfois le poinìon de son auteur, mais il n'y avait souvent aucune signature, l'orfÅvre ayant tendance ê dÄvaloriser ce genre de production spÄciale.
  34.  
  35.      Entre 1760 et 1820, les babioles d'argent Ätaient trÅs rÄpandues dans certaines rÄgions du pays. Les commerìants de MontrÄal s'en approvisionnaient en Ontario, au QuÄbec mÉme et, occasionnellement, dans les Maritimes. AprÅs 1790, la Compagnie de la Baie d'Hudson reìut de Londres les articles d'argent qui lui Ätaient nÄcessaires dans certains de ses postes de traite. Les tribus suivantes reìurent frÄquemment de l'argent, en Ächange de leurs fourrures:
  36.  
  37.      1.   les Indiens dits de la forÉt dans la rÄgion des Grands Lacs: Hurons, Ojibwas, Algonquins, de mÉme que les cinq nations formant la Ligue Iroquoise (Mohawk, Oneida, Onondaga, Cayuga et Seneca),
  38.  
  39.      2.   les Indiens de la cÖte atlantique: AbÄnaquis, MalÄcites et Micmacs,
  40.  
  41.      3.   les orfÅvres iroquois et delaware portÅrent leurs techniques jusqu'aux tribus algonquiennes vivant dans les plaines du centre de l'AmÄrique du Nord.
  42.  
  43.      On trouve encore aujourd'hui des gens qui pratiquent cette forme traditionnelle d'artisanat, notamment chez les Iroquois, les Cheyennes, les Pawnes et dans certains groupes de l'Oklahoma.
  44.  
  45. Usage et signification de l'argent de troc dans la culture matÄrielle des Indiens 
  46.  
  47.      Il semble bien que les Indiens d'alors considÄraient l'argent comme le symbole d'un rang social ÄlevÄ; plus un chef en garnissait son costume cÄrÄmoniel, plus son prestige s'en trouvait accru. Mais les chefs n'Ätaient pas les seuls ê s'en parer ainsi; de nombreuses autres personnes portaient elles aussi des ornements qui, tout en Ätant d'argent, Ätaient cependant de confection plus sobre. Outre la simple broche circulaire connue sous le nom de "boucle de poitrine," des broches de dimension variÄe avaient la forme d'un coeur soit simple soit double, de motifs gÄomÄtriques ou encore maìonniques, de motifs perforÄs circulaires et complexes, d'Ätoiles ê pointes multiples, de carrÄs de conseil. On en portait parfois jusqu'ê des douzaines a la fois fixÄes non seulement aux vÉtements de corps, mais Ägalement aux cheveux, ê la coiffure, ê la ceinture ou encore aux langes des enfants. ╦ chaque oreille Ätaient Ägalement suspendus un grand nombre d'anneaux. Les Iroquois apprÄciaient tout particuliÅrement un certain type de pendentif long d'environ un pouce, fait d'une feuille d'argent enroulÄe sur elle-mÉme en forme de cÖne; ils s'en accrochaient plusieurs a chaque oreille. Les Indiens dits de la forÉt prÄfÄraient au contraire, comme pendants d'oreille, des disques ajourÄs de motifs divers.
  48.  
  49.      Plusieurs formes de bandeaux Ätaient alors en vogue, les plus connus Ätant portÄs aux bras, aux jambes, aux poignets et autour de la tÉte. Les orfÅvres produisaient ces bandeaux ê partir de minces feuilles d'argent, dont la largeur variait entre 1 et 7 pouces. Ils Ätaient ensuite maintenus en place au moyen de lacets en cuir ou en fibre vÄgÄtale. Les Indiens aimaient aussi porter un ou deux bandeaux au milieu de la partie supÄrieure du bras, au poignet, ê la cheville ou encore au mollet. Les bandeaux de tÉte Ätaient peut-Étre les moins rÄpandus et gÄnÄralement les plus dÄcorÄs. Certains se prÄsentaient sous la forme d'une couronne, d'autres tenaient plutÖt lieu de rubans dÄcoratifs sur les chapeaux d'homme de type europÄen.
  50.  
  51.      Le plus ancien argent de troc s'est vraisemblablement prÄsentÄ sous la forme de croix. Les premiers missionnaires franìais en AmÄrique du Nord distribuÅrent ê leurs nÄophytes des croix et des crucifix. La traite de la fourrure transforma ces objets de piÄtÄ en articles de toute premiÅre valeur pour les Ächanges commerciaux, les vidant en mÉme temps de leur dimension religieuse. C'est tout particuliÅrement la croix qui, grëce ê sa valeur marchande, a beaucoup circulÄ, et ce jusqu'au XIXe siÅcle. On en a trouvÄ ê une ou deux traverses, de dimension variÄe et plus ou moins dÄcorÄes. Les Indiens les portaient soit en sautoir sur la poitrine, soit comme broche ou comme pendants d'oreille. Les berceaux, les sacs et les coiffures Ätaient Ägalement dÄcorÄs d'argent. On apprÄciait beaucoup les colliers ê grains d'argent. Des reprÄsentations zoomorphes Ätaient portÄes en sautoir ou encore comme broches. Les Indiens inventÅrent ainsi plusieurs utilisations trÅs astucieuses de l'argent pour leur culture matÄrielle.
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  53.      On ne sait rien de prÄcis quant aux prÄfÄrences des diverses tribus pour certains types de dÄcorations d'argent. Les motifs qui y Ätaient gravÄs ou ajourÄs pourraient cependant permettre d'en dÄterminer les propriÄtaires. Les premiers objets d'argent Ätaient ainsi souvent gravÄs; des efforts Ävidents furent faits pour retenir l'attention des Indiens au moyen de scÅnes de leur vie courante, ou encore de scÅnes relatant leurs rencontres commerciales avec leurs partenaires blancs. Les reprÄsentations animales retrouvÄes sur les articles en argent tiennent tantÖt de l'imagination, tantÖt de la rÄalitÄ zoomorphique; elles Ävoquent ê bien des Ägards les emblÅmes de plusieurs chefs, ou encore les totems des clans iroquois comme la tortue, l'ours et le loup. Les motifs floraux, les feuilles et branches d'arbres typiques des forÉts de l'est, constituaient autant de dÄcorations hautement apprÄciÄes.
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  55.      Nous ne savons pas encore trÅs bien comment des ornements d'argent fabriquÄs par des artisans canadiens ou europÄens, en vinrent ê porter des motifs typiquement autochtones. Les trafiquants auraient-ils servi d'intermÄdiaires entre les artistes indiens qui les auraient tracÄs, et les artisans occidentaux qui les auraient simplement reproduits sur les objets? Il se pourrait aussi que ces motifs dÄcoratifs aient ÄtÄ ajoutÄs par les Indiens eux-mÉmes, aprÅs que les traiteurs leur eurent remis les articles en argent. Une des plus anciennes observations scientifiques relate que les Iroquois avaient commencÄ, dÅs 1845, ê travailler l'argent; ils auraient donc ÄtÄ en mesure de modifier les objets obtenus dans le cadre de leur commerce avec les Blancs.
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  57. L'orfÅvrerie indienne 
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  59.      La mode europÄenne du castor en perte de vitesse, la diminution croissante du castor lui-mÉme dans les forÉts canadiennes, l'ouverture du Nord Ouest canadien au commerce de la fourrure, voilê autant de facteurs responsables du dÄclin de la traite dans la partie orientale du Canada. La fusion des compagnies de la Baie d'Hudson et du Nord-Ouest, vers 1822, mettant un terme ê une concurrence souvent violente, la valeur des objets offerts en Ächange de la fourrure connut une baisse impressionnante. L'argent disparut comme objet d'Ächange dans la rÄgion des Grands Lacs et de l'Est canadien. Mais il avait eu le temps de s'intÄgrer au costume des Indiens de l'Est, et ceux-ci possÄdaient dÄjê les techniques occidentales de orfÅvrerie. Dans son ouvrage League of the Ho-De-No Sau-Nee or Iroquois, Louis H. Morgan rapportait qu'on trouvait encore, en 1851, un orfÅvre dans chaque village iroquois. C'est ê partir de cette Äpoque que l'artisanat autochtone se mit ê dÄcliner. Vers la fin du XIXe siÅcle, il ne restait guÅre que quelques vieux artisans. Quand ils furent morts, soit vers le dÄbut du XXe siÅcle, cette pratique iroquoise sembla disparaötre. Les anciens ornements d'argent Ätaient encore portÄs lors des cÄrÄmonies, mais toute fabrication avait cessÄ. Les bijoux eux-mÉmes se firent de plus en plus rares.
  60.  
  61.      Mais un orfÅvre Onondaga de la RÄserve des Six Nations, M. Arthur Powless, fait revivre de nos jours cet artisanat autochtone. AprÅs s'Étre mis ê l'Ätude des vieux motifs de l'Äpoque de la traite des fourrures, il entreprit de fabriquer des broches et des pendentifs de type traditionnel. Ses mÄthodes empruntent Ävidemment beaucoup ê la technologie moderne; le polissoir Älectrique a remplacÄ la peau de chamois et une drille Älectrique est employÄe pour la premiÅre taille des feuilles d'argent. Parmi les autres outils de M. Powless, on trouve une collection de limes et de ciseaux, un petit chalumeau pour souder, ainsi que divers produits chimiques pour la protection du mÄtal. Ses bijoux diffÅrent de ceux du XVIIIe siÅcle par la rÄgularitÄ de leur Äpaisseur, leur teneur en argent et le poinìon de l'artiste, une anguille.
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  63.      L'oeuvre de l'orfÅvre iroquois contemporain tÄmoigne ê sa faìon de l'extraordinaire fÄconditÄ des contacts culturels. Tandis que le mÄtal, les techniques et, en certains cas, les formes furent apportÄes par les EuropÄens, c'est ê une origine autochtone que renvoient les motifs, les utilisations et les significations de cet argent de troc. Chaque bande, chaque broche nous rappelle l'impact de la civilisation indienne tant sur le contenu que sur la forme de ce phÄnomÅne qu'on appelle la traite des fourrures en AmÄrique du Nord.  
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