home *** CD-ROM | disk | FTP | other *** search
/ Canadas Visual History / Canadas_Visual_History_CD-ROM_1996_WIN31-95.iso / pc / v3 / v3fpre.x < prev   
Text File  |  1994-06-09  |  27KB  |  49 lines

  1. 1919: UNE ANN╔E DE GR╚VES 
  2.  
  3. David J. Bercuson 
  4.  
  5.      En 1919, le Canada Θtait secouΘ par le plus grand nombre de grΦves et de contre-grΦves (lock-out) de toute son histoire. De Halifax α Vancouver, des milliers de travailleurs dΘclenchaient des centaines de grΦves touchant α la fois les petits commerces, les grosses entreprises et des villes entiΦres. La crise atteignit son paroxysme en juin 1919: 35 000 travailleurs, soit une proportion importante de la population de Winnipeg qui comptait alors 180 000 Γmes, firent une grΦve d'une durΘe de six semaines paralysant la ville entiΦre. De plus dans les villes de Vancouver, Calgary, Edmonton, Medicine Hat, Brandon, Toronto et MontrΘal des travailleurs se mirent en grΦve afin d'appuyer leurs confrΦres de Winnipeg. Cette vague d'agitation dΘferlera sur presque tout le Canada et ses effets les plus graves se feront sentir principalement dans l'ouest du pays o∙ des chefs syndicalistes radicaux crΘeront une organisation marxiste militante, le One Big Union.
  6.  
  7.      Des conditions sociales mΘprisantes existant depuis plusieurs annΘes contribuΦrent α aiguiser ce mΘcontentement et ce militantisme de 1919 davantage prΘsents dans les provinces de l'Ouest que dans le reste du pays. DΦs les dΘbuts de l'industrialisation, soit au cours des annΘes 1870 et 1880, les travailleurs Θtaient devenus un simple rouage de la mΘcanique gΘante de l'industrie. Les conditions de travail dans lesquelles se trouvaient ces ouvriers les exposaient parfois α des dangers qui pouvaient non seulement nuire α leur santΘ mais mettre leur vie en pΘril. Le salaire et les conditions de travail Θtaient tout simplement imposΘs par les patrons.
  8.  
  9.      La situation dans l'Ouest Θtait devenue tragique particuliΦrement en raison de facteurs gΘographiques et de l'orientation que les gouvernements donnaient alors au dΘveloppement Θconomique du pays. Autre facteur d'importance, l'arrivΘe au Canada d'individus originaires des rΘgions frontaliΦres de l'Ouest des ╔tats-Unis et des villes industrielles lardΘes de taudis et surpeuplΘes du Nord de l'Angleterre et de l'╔cosse, dΘjα politisΘs, amena la crΘation d'un mouvement syndicaliste ouvrier plus militant. Quoique isolΘ, ce mouvement n'hΘsita pas α recourir α l'action politique en vue d'assurer α ses membres le droit de vivre et d'avoir un certain contr⌠le sur leur propre bien-Ωtre.
  10.  
  11.      Dans le cadre des politiques nationales de dΘveloppement, l'Ouest Θtait destinΘ α l'exploitation des champs, des forΩts et des mines dont les produits devaient Ωtre acheminΘs par la suite vers les provinces centrales, secteur industriel en expansion. Les entrepreneurs Θtaient souvent partis de rien, sortis depuis peu des classes infΘrieures, ces tenants de l'individualisme croyaient aux vertus de la libre entreprise. Par consΘquent, ils n'Θtaient pas enclins α tolΘrer l'existence d'organisations dont les buts Θtaient de voir α faire hausser les salaires et α amΘliorer les conditions de travail des ouvriers; car de tels objectifs n'avaient d'autre consΘquence que de faire monter le prix de la main-d'oeuvre. Dans leur action, les travailleurs se butΦrent α l'opposition des propriΘtaires de mines, des magnats du papier et des administrations ferroviaires qui n'hΘsitaient jamais α recourir α la force pour dΘfier et mΓter les syndicats. Un tel comportement engendra un militantisme, un enracinement plus profond du conflit social et de la division des classes.
  12.  
  13.      Les travailleurs de l'Ouest exerτaient habituellement des mΘtiers dans des secteurs comme l'exploitation miniΦre ou forestiΦre, qui comportaient bien des risques. Souvent, ils se trouvaient isolΘs les uns des autres. C'Θtaient des hommes robustes α qui les patrons faisaient porter le fardeau des contraintes sociales, matΘrielles et psychologiques qu'imposait une telle entreprise. DΦs les annΘes 1860, les travailleurs signifiΦrent α leurs employeurs leur refus non Θquivoque d'accepter pareille situation en dΘclenchant des grΦves violentes et longues dans les mines de l'εle Vancouver.
  14.  
  15.      Bien avant la PremiΦre Guerre mondiale, le malaise s'Θtait fait sentir α Winnipeg, la plus grosse ville de l'Ouest α l'Θpoque. De riches hommes d'affaires et leurs alliΘs politiques avaient espΘrΘ construire une mΘtropole trΘpidante qui aurait pu devenir le Chicago de l'Ouest en dΘveloppant les transports, l'industrie et  le commerce des grains. Cependant, le fait que les ateliers de rΘparation de la principale compagnie ferroviaire et que les cours et rotondes de trois chemins de fer transcontinentaux se trouvaient dans cette ville, stimulant ainsi la croissance industrielle, entraεna la crΘation d'une main-d'oeuvre importante et relativement unifiΘe. Ces travailleurs habitaient des quartiers bien dΘlimitΘs de la ville et Θtaient issus de milieux ethniques et sociaux extrΩmement variΘs. Les immigrants britanniques et amΘricains rompus aux activitΘs et aux politiques des syndicats et des partis socialistes, les prirent en main et en forgΦrent un mouvement syndicaliste dynamique. Deux objectifs sociaux distincts commencΦrent α Θmerger: tout d'abord les propriΘtaires dΘsiraient se dΘbarrasser α tout prix des syndicats tandis que ces derniers Θtaient convaincus du devoir d'accroεtre leur puissance pour leur protection propre et le bien-Ωtre de leurs membres. D'o∙ les grΦves sΘrieuses et inΘvitables dΘclenchΘes avant la PremiΦre Guerre mondiale et qui, presque chaque fois, ont entraεnΘ les grΘvistes dans des ΘchauffourΘes et ont obligΘ les employeurs α faire appel α l'armΘe. La grΦve du tramway α Winnipeg (1906) et la grΦve du charbon α l'╬le Vancouver (1912-1914) constituent probablement les deux meilleurs exemples des grΦves de l'Θpoque. Dans le premier cas, il s'agissait de travailleurs urbains, et dans l'autre, de mineurs. Au cours de ces grΦves, des affrontements entre ouvriers et employeurs causant des blessures corporelles et des dΘgΓts matΘriels, nΘcessitΦrent l'intervention de l'armΘe; l'╔tat se portait α ce moment α la dΘfense de l'employeur du secteur privΘ.
  16.  
  17.      Pour ajouter aux difficultΘs de l'industrie, des milliers d'immigrants affluΦrent dans les villes et les localitΘs de l'Ouest au cours de cette pΘriode. MΩme si le Canada attirait nombre d'entre eux par les 160 acres de vertes prairies, octroyΘes α tout colon qui venait s'Θtablir, beaucoup s'installΦrent dans les secteurs urbains α la suite d'un Θchec agricole ou avant mΩme de se lancer dans l'exploitation du sol. Pour bien des Canadiens, ces gens Θtaient Θtrangers α la vie nationale du fait qu'ils ne parlaient pas anglais et que leur religion semblait exotique α bien des Canadiens protestants de race blanche. Un grand nombre de ces immigrants Θtaient originaires de l'Europe de l'Est et beaucoup Θtaient pauvres et inexpΘrimentΘs. └ Winnipeg, ils s'Θtablissaient presque exclusivement dans le secteur sis au nord des rails du Canadien Pacifique et vivaient dans des taudis insalubres et surpeuplΘs. L'existence de ce quartier nord rendait plus frappant l'Θcart entre les riches et les pauvres et reflΘtait une situation assez unique, moins manifeste dans les autres villes et villages de l'Ouest. Vers la fin de 1913 survint une dΘpression qui ne fit qu'accroεtre le sous-emploi. Puis en ao√t 1914, la guerre Θclata, faisant appel α la loyautΘ inΘbranlable des citoyens et au dΘvouement sans borne α la cause. Pareille conjoncture refroidira pendant quelque temps la marmite br√lante du mΘcontentement populaire. Toutefois, le mal est encore lα, et ce n'est qu'un sursis.
  18.  
  19.      La guerre fit bient⌠t apparaεtre une plΘthore d'offres d'emploi et provoqua une hausse du co√t de la vie. Lorsque la rΘcession se dissipa vers la fin de 1915, ces deux facteurs mis ensemble rΘgΘnΘrΦrent le malaise au sein des travailleurs. Les prix de presque tous les articles montaient alors en flΦche, tandis qu'augmentait parallΦlement le nombre de travailleurs insuffisamment rΘtribuΘs. Ces conditions poussΦrent les gens α se syndiquer et incitΦrent les syndicats α se raidir pour passer α l'attaque avec leurs revendications: reconnaissance formelle, salaires plus ΘlevΘs, meilleures conditions de travail partout au Canada. Toutefois, le gouvernement fΘdΘral, ses organismes de rΘgie du temps de guerre et, par voie de consΘquence en quelque sorte, nombre d'employeurs du secteur privΘ ont fait fi des syndicats, d'o∙ l'accentuation du sentiment de frustration. Bien que les mouvements syndicalistes voyaient augmenter leur nombre d'adhΘrents, leur pouvoir et leur influence sur la sociΘtΘ ne croissaient pas au mΩme rythme. Il en rΘsulta une activitΘ syndicale plus fΘbrile, et vers l'ΘtΘ 1918, les grΦves dΘferlΦrent sur tout le pays tel un raz de marΘe, tant dans le secteur privΘ que dans le secteur public.
  20.  
  21.      Deux autres faits, nΘs de la guerre, contribuΦrent α activer les cercles syndicalistes. En 1917, le gouvernement fΘdΘral dΘcrΘtait la conscription α laquelle les syndicats s'opposΦrent vigoureusement. Certains protestaient parce qu'ils refusaient de se voir obligΘs de tirer sur des travailleurs comme eux, mΩme s'ils Θtaient de nationalitΘs diffΘrentes; d'autres, parce qu'ils concevaient pareille action comme le premier pas vers la conscription industrielle. Le gouvernement aurait pu alors les obliger α travailler dans certaines usines, ce qui aurait supprimΘ de fait leur droit de grΦve, seule arme vraiment efficace dont les travailleurs disposaient. Il y avait aussi le fait que le gouvernement eut pris l'habitude de diriger le pays α coups de dΘcrets. Lorsque l'agitation ouvriΦre atteignit son paroxysme en 1918, que plusieurs groupes pacifistes et plusieurs organisations de gauche clamΦrent plus que jamais leur opposition α la conscription, le gouvernement publia un dΘcret, et les dΘclara hors-la-loi. En outre, le gouvernement interdit plusieurs publications et condamna l'utilisation en public, soit de faτon verbale ou Θcrite, de certaines langues ΘtrangΦres, entre autres le finlandais et le russe. La colΦre des chefs syndicalistes se dΘchaεna: α leurs yeux, on supprimait l'esprit et l'exercice de la dΘmocratie et l'on enterrait sommairement et arbitrairement les droits des ouvriers sans oublier ceux des pacifistes et des progressistes.
  22.  
  23.      Les syndiquΘs de l'Ouest et leurs chefs se trouvaient une fois de plus au front de l'agitation industrielle et politique qui s'ensuivit. Ils en Θtaient venus α croire que les ouvriers syndiquΘs de l'Est s'Θtaient habituΘs α la domination et au conservatisme des chefs syndicalistes des ╔tats-Unis et Θtaient incapables d'affronter le gouvernement ou ne le voulaient tout simplement pas. Devant cet Θtat de fait, beaucoup finirent par conclure qu'il leur fallait radicaliser le mouvement ouvrier canadien en s'emparant du CongrΦs des mΘtiers et de la main- d'oeuvre, centre national des syndicats du Canada. Lors de l'assemblΘe que le CongrΦs tint dans la ville de QuΘbec en 1918, leur tentative se solda par un Θchec cuisant dont l'un des rΘsultats directs fut d'entraεner la convocation des reprΘsentants des syndicats de l'Ouest α une rΘunion qui se tiendrait en mars 1919, α Calgary. Le but de cette rΘunion Θtait soi-disant l'Θlaboration d'une nouvelle stratΘgie d'attaque contre la direction du CongrΦs. Cependant, elle ne devait jamais rΘaliser son but premier, car les dΘlΘguΘs devant l'insistance de plusieurs reprΘsentants de la Colombie-Britannique et de Winnipeg, dΘcidΦrent plut⌠t de fonder une nouvelle centrale syndicale, indΘpendante du CongrΦs des mΘtiers, son rival. Cette centrale allait s'appeler le One Big Union.
  24.  
  25.      DΦs sa crΘation, l'O.B.U se voulait une organisation syndicale marxiste. Le syndicalisme, c'Θtait la possession par les travailleurs de tous les moyens de production et de distribution des biens. On atteindrait ce but au moyen de grΦves gΘnΘrales, dΘclenchΘes par des fΘdΘrations trΦs centralisΘes -- sorte de syndicats de syndicats. Les diffΘrents membres de ces fΘdΘrations allaient devoir prΩter allΘgeance au groupe le plus important pour procΘder ensuite α une rΘpartition des compΘtences et des mΘtiers α des fins essentiellement techniques et organiques. Les chefs de la fΘdΘration auraient eu l'autoritΘ absolue en tout. Pour y adhΘrer, les travailleurs durent se sΘparer du CongrΦs des mΘtiers et de la main-d'oeuvre du Canada ou de l'American Federation of Labor et ils furent qualifiΘs de sΘcessionnistes.
  26.  
  27.      Cette nouvelle association sΘcessionniste de l'Ouest du Canada avait beaucoup en commun avec les mouvements nΘs de l'agitation ouvriΦre qui secouait alors le monde entier. En octobre 1917, la rΘvolution russe enflammait les travailleurs qui jetaient des dΘfis aux gouvernements et aux employeurs de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de la Hongrie, de la France, de l'Italie et des ╔tats-Unis. Ces conflits quelquefois d'envergure nationale, se ponctuaient presque toujours d'Θmeutes, de grΦves gΘnΘrales et d'ΘchauffourΘes armΘes entre ouvriers et gouvernements. En fΘvrier 1919, la ville de Seattle (╔tat de Washington) tout entiΦre se voyait paralysΘe par une grΦve gΘnΘrale de quatre jours issue d'un diffΘrend entre les travailleurs des chantiers navals et leurs patrons. Dans ce conflit, les reprΘsentants du gouvernement se rangΦrent du c⌠tΘ de l'employeur et prΘtendirent que la grΦve Θtait en fait un premier pas vers la rΘvolution. Au cours de la mΩme annΘe, les Canadiens durent entendre souvent cette accusation. └ la suite de la rΘunion de mars α Calgary, c'est avec enthousiasme qu'on mena dans l'Ouest canadien une campagne de recrutement au profit du One Big Union. Les travailleurs, dΘlaissant les syndicats de l'Est et les syndicats amΘricains, pourtant bien Θtablis, se ralliaient par milliers α l'O.B.U. Bien que la ville de Winnipeg et la c⌠te occidentale Θtaient les rΘgions de prΘdilection de cette campagne, deux conflits locaux ΘclatΦrent en avril dans la capitale du Manitoba et dΘtournaient ainsi l'attention publique du One Big Union. Ces luttes dΘgΘnΘrΦrent en une grΦve gΘnΘrale, la premiΦre de celles qui allaient balayer le Canada au milieu de l'ΘtΘ.
  28.  
  29.       Depuis 1906, les syndicats des mΘtallurgistes avaient menΘ en vain α Winnipeg trois campagnes acharnΘes pour se faire reconnaεtre. Au cours du printemps 1919, ils lanτaient une nouvelle campagne et rencontraient la mΩme rΘsistance obstinΘe. Certes, les ouvriers de la construction avaient obtenu reconnaissance, mais il leur avait fallu subir un recul pendant la guerre du fait que la hausse du co√t de la vie eut t⌠t fait de dΘpasser leurs salaires. En 1919, ils Θtaient dΘcidΘs de faire compenser ces pertes par des gains apprΘciables. Devant le peu de succΦs des nΘgociations, ils dΘbrayΦrent le 1 mai, et, dΦs le lendemain, les syndicats mΘtallurgistes emboεtaient le pas. Pour ces travailleurs, il y allait de deux questions vitales: la reconnaissance des syndicats et un salaire suffisant pour vivre. Lorsqu'ils firent appel au Conseil local des mΘtiers et de la main-d'oeuvre, les syndiquΘs de Winnipeg votΦrent en majoritΘ Θcrasante pour qu'une grΦve gΘnΘrale de solidaritΘ soit dΘclenchΘe le 15 mai. Les travailleurs qui avaient sacrifiΘ bien des droits pendant la guerre voulaient, co√te que co√te, se dΘdommager des pertes subies maintenant que la paix Θtait revenue. Les chefs de gouvernement et les employeurs du secteur privΘ leur avaient assurΘ que des jours plus heureux succΘderaient α la guerre; les travailleurs Θtaient rΘsolus α faire concrΘtiser ces promesses, mΩme s'il leur fallait recourir α des associations du genre du One Big Union ou α des tactiques comme la grΦve gΘnΘrale.
  30.  
  31.      Vers 11 heures le 15 mai, Winnipeg Θtait paralysΘe. └ l'exception des policiers et des typographes, tous les syndiquΘs de la ville quittaient leur poste; environ vingt mille travailleurs non syndiquΘs en faisaient autant. Les policiers, qui avaient votΘ, eux aussi, en faveur de la grΦve, restaient α leurs postes α la demande du ComitΘ de la grΦve gΘnΘrale, celui-ci craignant de voir l'absence des policiers inciter les autoritΘs α faire appel aux troupes. L'administration, les services publics, et toutes les entreprises privΘes, y compris les cours de chemin de fer et les ateliers de rΘparation, suspendirent alors leurs activitΘs. Par consΘquent, le tramway ne fonctionnait pas, et il n'y avait ni enlΦvement d'ordures mΘnagΦres, ni livraison de lait ou de pain; il n'y avait aucune distribution du courrier ordinaire ou exprΦs, ni des colis, et aucun service tΘlΘgraphique. Les lignes tΘlΘphoniques avaient ΘtΘ coupΘes, les cinΘmas, restaurants et stations-services fermΘs. Les postes de pompiers Θtaient dΘsertΘs. On maintenait la pression hydraulique α un niveau ne permettant d'alimenter que les bΓtiments α un Θtage. Les prΘposΘs α l'entretien des h⌠pitaux et des congΘlateurs, de mΩme que les Θlectriciens, avaient tous quittΘ leur poste. Winnipeg Θtait entiΦrement immobilisΘe.
  32.  
  33.      Bien que les travailleurs dΘbrayΦrent dans le but de faire reconnaεtre les syndicats et obtenir un salaire dΘcent, la grΦve rΘsultait en fait de toute une sΘrie de causes profondes et complexes. Il existait des contrastes frappants entre les riches et les pauvres de la ville, et l'action des chefs syndicalistes n'avait eu aucune influence sur la sociΘtΘ pendant nombre d'annΘes. La division des classes partageait Winnipeg depuis des dΘcennies, et la grΦve ne constituait que le tΘmoignage le plus rΘcent et le plus grave du manque d'unitΘ sociale et politique. Ainsi, gagner cette grΦve et obliger les employeurs de la mΘtallurgie et de la construction α satisfaire α leurs revendications aurait signifiΘ pour les travailleurs la plus grande des victoires, en effaτant les dΘfaites du passΘ. Les employeurs, soutenus par les membres des professions libΘrales qui mirent sur pied un comitΘ des citoyens, un petit groupe d'anciens combattants, l'administration locale et les gouvernements fΘdΘral et provincial, virent toute la portΘe d'une telle grΦve et conclurent qu'ils ne pouvaient se permettre de perdre cette bataille d'importance vitale. Aussi utilisΦrent-ils toutes les armes dont ils disposaient, allΘguant que le conflit Θtait un complot tramΘ par l'O.B.U. avec la connivence d'Θtrangers afin de dΘclencher une rΘvolution au Canada. Lorsque le ComitΘ de la grΦve gΘnΘrale permit la reprise de certains services indispensables et dΘlivra α l'intention du public et des autres grΘvistes des cartes attestant que les travailleurs affectΘs α ces postes l'Θtaient avec la permission du ComitΘ de la grΦve, ses opposants soutinrent que les grΘvistes s'Θtaient emparΘs de l'administration municipale et fomentaient ainsi une rΘvolte.
  34.  
  35.      De par le Canada et en particulier dans l'Ouest, les travailleurs suivaient de prΦs l'Θvolution du conflit. Lα aussi, des griefs longtemps ignorΘs soulevaient la colΦre. Ils avaient eu bon espoir que la fin de la guerre aurait marquΘ le dΘbut des rΘformes sociales et politiques. Lorsqu'ils virent que rien ne changeait, qu'ils se rendirent compte que les travailleurs de Winnipeg livraient une bataille importante pour proclamer les droits ΘlΘmentaires des travailleurs, c'est fermement convaincus qu'ils se joignirent α la lutte. Des grΦves de solidaritΘ ΘclatΦrent α travers le Canada, dans des villes aussi grandes que Vancouver, et aussi petites que Drumheller. Certaines rΘsultaient pour une part des griefs locaux, d'autres du refus des employeurs de reconnaεtre le One Big Union, ou de la sympathie et de l'appui tΘmoignΘs aux travailleurs de Winnipeg. Cependant, toutes avaient des racines communes dans les maux dΘcoulant de l'industrialisation, les industries d'avant-guerre non rΘparΘes et les nouveaux problΦmes engendrΘs par la guerre, comme la hausse rapide du co√t de la vie. La plus grave de ces grΦves eut lieu α Vancouver, o∙ plus de dix mille travailleurs quittΦrent leur poste; les autres, de moindre importance, furent dΘclenchΘes α Edmonton, Calgary, Medicine Hat, Brandon et RΘgina. Dans les villes de l'Est, telles Toronto et MontrΘal, des factions militantes du mouvement ouvrier ont essayΘ de se joindre α la lutte mais leurs tentatives restΦrent infructueuses, car les chefs avaient des tendances plus conservatrices.
  36.  
  37.      NΘanmoins, Winnipeg restait le principal champ de bataille, et c'est lα que les travailleurs rencontraient la rΘsistance la plus acharnΘe. En effet, un groupe d'employeurs et de membres des professions libΘrales crΘΦrent une association, le Citizens Committee of One Thousand, censΘe reprΘsenter les citoyens restΘs neutres, mais en rΘalitΘ farouchement antigrΘviste. Ce comitΘ dirigeait les agissements des briseurs de grΦve, recrutait des volontaires pour remplacer les pompiers et les postiers, prodiguait des conseils aux employeurs en mΘtallurgie et en construction et collaborait avec l'administration locale et les gouvernements fΘdΘral et provincial. C'est en grande partie α l'instigation de cette association, et avec son aide, qu'on renvoya les forces de police permanente afin de constituer un corps spΘcial de deux mille "volontaires". De la sorte, c'Θtaient des policiers hostiles aux grΘvistes qui maintenaient l'ordre dans les rues.
  38.  
  39.      Pour sa part, le gouvernement fΘdΘral prit des mesures antigrΘvistes encore plus rigoureuses. Il renforτa le contingent de la Gendarmerie royale du Nord-Ouest dans la ville et dΘcida de mettre sur pied une milice importante formΘe de volontaires bien armΘs. Comme il ne pouvait obliger les grΘvistes α accepter la solution de son choix, il fallait arrΩter les chefs les plus radicaux; cet ΘvΘnement se produisit dans la nuit du 16 juin. De toute Θvidence, le gouvernement cherchait soit α rΘgler la grΦve au moyen d'un accord dΘsavantageux pour les travailleurs, soit α l'Θtouffer par la force. Sa stratΘgie lui semblait justifiΘe, car α ses yeux, la grΦve Θtait une incitation de l'O.B.U. α la rΘvolte (croyance formulΘe publiquement par le ministre fΘdΘral du travail, M. Gideon Robertson) et aussi parce qu'il craignait, si cette grΦve de Winnipeg rΘussissait, qu'on adopte des tactiques semblables ailleurs, provoquant ainsi l'anarchie.
  40.  
  41.      Les travailleurs Θtaient coincΘs. Ils avaient des intentions pacifiques et n'avaient vraiment pas projetΘ de faire la rΘvolution. Leurs chefs les avaient mis en garde contre le recours α la violence, car ils ne voulaient pas donner d'excuse aux autoritΘs pour intervenir par la force. Ils n'en Θtaient pas moins sur la dΘfensive depuis le dΘbut, et leur tΓche Θtait α peu prΦs impossible. Qu'ils l'eussent voulu ou non, la stratΘgie des grΘvistes, consistant α paralyser une ville tout entiΦre pour ensuite permettre α quelques-uns seulement des services essentiels de reprendre leurs activitΘs aprΦs avoir obtenu l'assentiment des travailleurs donnait l'impression d'une usurpation de pouvoir rΘvolutionnaire. La rΘaction d'Ottawa ne pouvait qu'Ωtre rapide. Une fois le gouvernement fΘdΘral engagΘ dans la bataille et dΘcidΘ de ne pas laisser les grΘvistes gagner, ceux-ci devaient vaincre les troupes gouvernementales, bien plus fortes, ou capituler.
  42.  
  43.      Le samedi 21 juin, un groupe de vΘtΘrans sympathiques aux grΘvistes tentΦrent d'organiser un dΘfilΘ pour braver le maire; par trois fois celui-ci interdit expressΘment de manifester publiquement. Une foule imposante commenτa α s'amasser devant l'h⌠tel de ville, rue Main. Vers 14 heures, elle Θtait devenue une cohue, qui essayait de bloquer les tramways, rΘapparus depuis peu dans les rues; on rΘussit α en immobiliser un et α en incendier l'intΘrieur. Le maire rΘclama alors l'intervention directe du gouvernement fΘdΘral qui envoya la Gendarmerie royale disperser les manifestants et maintenir l'ordre. Dans la bataille, les policiers se servirent de leurs armes α feu; un homme Θtait tuΘ sur-le-champ, beaucoup d'autres atteints par des balles. Puis les forces spΘciales, bΓton α la main, se rangeaient en travers de la rue Main et commenτaient mΘthodiquement α nettoyer le secteur. Partie de ses baraquements dans des voitures et des camions louΘs par le comitΘ des citoyens, armΘe de mitraillettes acheminΘes vers Winnipeg dans des caisses faussement ΘtiquetΘes "bagages rΘgimentaires," la milice finit par occuper presque tout le centre-ville. └ la fin de la journΘe, il y avait des centaines de personnes blessΘes ou arrΩtΘes, un homme Θtait mort et un autre agonisait. Devant cet Θtalage de force brutale, le ComitΘ de la grΦve estima qu'il ne fallait pas prolonger davantage ce conflit. Il demanda aux ouvriers de reprendre leur travail α compter de 11 heures, le jeudi 26 juin, six semaines jour pour jour aprΦs le dΘclenchement de la grΦve.
  44.  
  45.      Certes, les grΦves de 1919 sont des ΘvΘnements traumatisants, mais aucune ne peut se comparer α celle de Winnipeg. Aboutissement d'un long processus de polarisation des classes, cette grΦve contribua α diviser davantage la sociΘtΘ dans les annΘes qui l'ont suivie. Elle est devenue un ΘvΘnement clΘ dans les souvenirs des deux camps qui y ont participΘ. Les rails du Canadien Pacifique sΘparaient gΘographiquement le Nord du Sud, mais la grΦve, elle, les sΘpara historiquement et psychologiquement. Ces divisions chroniques ont fini par se manifester dans diffΘrentes sphΦres de l'activitΘ sociale depuis les rencontres sportives entre Θcoles jusqu'α la politique, et depuis, Winnipeg a toujours ΘtΘ sΘparΘ en deux camps. Cette division est l'une des causes de la lΘthargie qui s'est emparΘe de la communautΘ dans les dΘcennies d'aprΦs-guerre, et qui a poussΘ tant de Winnipegois α aller chercher fortune ailleurs.
  46.  
  47.      La vague de grΦves qui dΘferlait dans le reste du Canada s'estompa suite au dΘnouement de la grΦve de Winnipeg et la dΘfaite des travailleurs. Le One Big Union n'avait jouΘ aucun r⌠le dans le conflit de Winnipeg ni dans la plupart des autres dΘbrayages de solidaritΘ. Il a continuΘ de gagner du terrain jusqu'α ce que le nombre de ses adhΘrents atteigne un maximum d'environ 50 000 α la fin de 1919; aprΦs quoi, son effectif a rapidement baissΘ. Les rΘalisations de 1919 sont l'une des heures de gloire des travailleurs canadiens: α travers tout le pays, ils se sont unis pour demander de meilleures conditions de travail, des salaires plus ΘlevΘs, et le droit de s'organiser pour atteindre ces objectifs; ils ont ΘveillΘ les gens aux implications sociales et matΘrielles d'une Θconomie en pleine expansion. Les succΦs remportΘs auront cependant ΘtΘ de courte durΘe. La dΘfaite des grΘvistes, jointe α la guerre syndicale fratricide issue de la montΘe du One Big Union et α une pΘriode de rΘcession amorcΘe vers la fin de 1920, enleva au syndicalisme beaucoup de sa force et de sa vitalitΘ. Les annΘes 1920 ont marquΘ le rΘgression des syndicats, et ce n'est qu'avec la Seconde Guerre mondiale que les mouvements ouvriers ont commencΘ α reconquΘrir l'importance qu'ils avaient eue dans les annΘes 1917 α 1919.  
  48.  
  49.