home *** CD-ROM | disk | FTP | other *** search
/ Canadas Visual History / Canadas_Visual_History_CD-ROM_1996_WIN31-95.iso / pc / v26 / v26fpre.mac < prev    next >
Text File  |  1996-06-20  |  43KB  |  147 lines

  1. TERRE-NEUVE: LA CHASSE AU PHOQUE ET LA PµCHE ╦ LA MORUE AU LABRADOR 
  2.  
  3. Shannon Ryan 
  4.  
  5.      ╦ ses dÄbuts, le dÄveloppement du Canada Ätait liÄ ê deux ressources fondamentales, le poisson et la fourrure, qui sont bientÖt dÄpassÄes, voire remplacÄes, par d'autres produits, notamment le bois, le blÄ et, plus tard, les minÄraux. ╦ la diffÄrence du reste du Canada, la dixiÅme province, Terre-Neuve, vit exclusivement de la mer jusqu'ê la fin du XIXe siÅcle, et en est encore largement tributaire au XXe siÅcle. L'exploitation de la mer offre cependant beaucoup de variÄtÄ, tant sur le plan Äconomique que social, car elle alimente toute une gamme d'industries et d'activitÄs, notamment la chasse au phoque et la pÉche ê la morue du Labrador, sur la cÖte nord-est de l'öle. Un auteur amÄricain, George Allan England, dÄcrit la premiÅre comme ╟la plus grande chasse au monde╚, tandis que l'Äcrivain canadien Norman Duncan appelle la seconde ╟une grande loterie d'espoir et de chance╚, qui regorge de hauts faits de la mer ╟que rien ne saurait Ägaler╚.
  6.  
  7.      Depuis le dÄbut du XIXe siÅcle jusqu'ê rÄcemment, des milliers de Terre-Neuviens prennent la mer pour chasser les bandes de phoques et pÉcher la morue du Labrador. Toute la cÖte nord-est de l'öle dÄpend fondamentalement de ces deux industries, mais la substantielle pÉche cÖtiÅre ê la morue et la pÉche d'appoint sur les bancs tiennent Ägalement une place importante. (Le reste de l'öle vit presque exclusivement de la pÉche cÖtiÅre et banquiÅre.) Les expÄditions annuelles de chasse au phoque et de pÉche ê la morue du Labrador ont donnÄ naissance ê de grands ports de mer prospÅres, indÄpendants de la capitale, Saint-Jean, et l'effondrement de ces industries a entraönÄ des changements dans leurs structures sociales et Äconomiques et a provoquÄ leur important dÄclin.
  8.  
  9.      La morue, qui pullule au large de Terre-Neuve, attire les pÉcheurs europÄens dÅs le dÄbut du XVIe siÅcle et, au cours des cent ans qui suivent, des navires partent chaque annÄe d'Angleterre, de France, d'Espagne et du Portugal pour venir pÉcher ê Terre-Neuve. ╦ l'aube du XVIIe siÅcle, les pÉcheries espagnoles et portugaises ont pratiquement ÄtÄ ÄliminÄes, cÄdant la place aux deux principaux producteurs et rivaux, l'Angleterre et la France. Les deux pays sont conscients que la pÉche ê la morue est un excellent moyen d'amariner hommes que l'on pourrait enrÖler dans la marine en temps de guerre. Outre la pÉche, le XVIIe siÅcle est une Åre de colonisation pour ces deux nations: en effet, la France occupe la baie de Fundy, au sud de Terre-neuve, et la vallÄe du Saint-Laurent, tandis que les Anglais s'Ätablissent le long du littoral de l'Atlantique et sur la cÖte est de Terre-Neuve. Avec le troc que pratiquent les Franìais en amont du Saint-Laurent et ailleurs, et les Anglais ê Albany (âtat de New York), ê partir de 1666, et dans la baie d'Hudson ê compter de 1670, la fourrure constitue dÄsormais l'une des principales ressources, ê l'Ägal du poisson.
  10.  
  11.      La concurrence que se livrent les deux nations pour ces deux richesses vient aggraver les tensions commerciales et diplomatiques qui les opposent dÄjê et qui ne cessent de croötre en Europe et dans le monde entier. Les premiÅres grandes guerres qui en dÄcoulent (1689-1713) aboutissent ê la perte de Terre-Neuve et de l'Acadie par la France, qui conserve toutefois son droit de capturer et de sÄcher le poisson sur une partie des cÖtes de l'öle, du cap Bonavista ê Pointe Riche au nord, dÅs lors baptisÄe ╟la cÖte franìaise╚. En 1763, la Nouvelle-France devient colonie anglaise et la France acquiert les öles de Saint-Pierre et Miquelon au large des cÖtes sud de Terre-neuve, principalement pour abriter sa flotte de pÉche. En 1783, les limites de la ╟cÖte franìaise╚ sont modifiÄes pour inclure la rÄgion s'Ätendant du cap Saint-Jean au cap Ray au nord; ces limites sont maintenues jusqu'en 1904, quand la France Ächange ses droits ê Terre-Neuve contre d'autres concessions.
  12.  
  13.      Pour les marchÄs - l'Europe mÄridionale, les Antilles, et plus tard le BrÄsil - le poisson est fendu en deux et aplati, puis recouvert de sel et emmagasinÄ, et finalement sÄchÄ au soleil et au vent. Le produit fini se conserve trÅs longtemps, mais varie de la qualitÄ dure et sÅche, lÄgÅrement salÄe, au produit trÅs salÄ, mi-sec. Une plus petite quantitÄ de sel permet de rÄduire l'humiditÄ du poisson, mais ce genre de prise doit Étre sÄchÄe aussitÖt que tout le sel a ÄtÄ absorbÄ. Par contre, le poisson trÅs salÄ peut Étre sÄchÄ ê n'importe quel moment. Les Anglais, peut-Étre parce qu'ils ne disposent pas de suffisamment de sel, produisent surtout un poisson lÄgÅrement salÄ, dur et sec, tandis que les Franìais se spÄcialisent dans le poisson trÅs salÄ qui peut Étre ramenÄ en Europe pour y Étre sÄchÄ - ce qui a fait dire que la colonisation de Terre-Neuve n'Ätait pas aussi importante pour les Franìais que pour les Anglais. Les pÉcheries franìaises se sont dÅs le XIXe siÅcle dÄveloppÄes en trois catÄgories: une pÉche cÖtiÅre sur la ╟cÖte franìaise╚, une pÉche qui se dÄveloppe ê Saint-Pierre et Miquelon et une pÉche banquiÅre dans laquelle le poisson est transportÄ des bancs de pÉche directement en France ou dans des possessions franìaises.
  14.  
  15.      Les premiÅres pÉches ê Terre-Neuve sont exclusivement errantes et les navires et les Äquipages viennent d'Europe. Les flottes arrivent au printemps et s'emparent des lieux de pÉche ou elles arrivent les premiÅres. Chaque bateau est dÄchargÄ, et est soit halÄ ê sec, soit ancrÄ dans le port. Les Äquipages construisent alors des cabanes pour loger les hommes, des chauffauds pour traiter le poisson et l'emmagasiner en mÉme temps que les vivres et le sel, et des vigneaux, ou claies basses, sur lesquels le poisson est mis ê sÄcher. Cette partie du rivage, avec ses constructions est gÄnÄralement dÄsignÄe sous le nom de ╟grave╚. (Toutefois, une grave plus grande est appelÄe un Ätablissement, et le propriÄtaire qui y habite en permanence, un rÄsidant.)
  16.  
  17.      Une fois les bëtisses amÄnagÄes, les pÉcheurs prÄparent leurs bateaux, armÄs de 3 ê 5 hommes. Aussi, tandis que le navire sert au transport, la barque de 20 ê 25 pieds de longueur est utilisÄe pour la pÉche. En automne, les Äquipages rentrent en Europe avec leurs prises. Les capitaines finissent par trouver avantageux de laisser des gardiens sur leurs ╟graves╚, car ces Ätablissements deviennent de plus en plus co₧teux et sont de plus en plus longs ê remplacer du fait du recul des forÉts. Le maintien de ces gardiens et les premiÅres tentatives de colonisation entraönent la constitution d'une population et d'une pÉcherie anglaises sÄdentaires. Le co₧t d'un navire de pÉche dÄpasse les moyens de beaucoup de particuliers qui peuvent cependant se permettre d'acquÄrir une petite grave sur l'öle. Chacun d'eux possÅde un bateau de pÉche ou deux, parfois mÉme plus, et engage environ 5 hommes par bateau (les hommes que l'on engage ainsi sont appelÄs domestiques).
  18.  
  19.      Chaque annÄe, les propriÄtaires, les domestiques, les bateaux, l'attirail, les fournitures et le sel traversent l'Atlantique ê bord des navires de pÉche dont les prises, ê l'automne, sont Ägalement ramenÄes vers les marchÄs par d'autres - moyennant une rÄmunÄration, naturellement. Les navires de pÉche peuvent donc dÅs lors augmenter leurs revenus en transportant ce supplÄment de passagers et de marchandises. Ce secteur de l'industrie a pris le nom de ╟pÉche parallÅle╚. AprÅs 1715, une pÉche banquiÅre anglaise est crÄÄe et ses navires deviennent les principaux transporteurs dans le cadre de cette pÉche parallÅle. Cependant, il n'y a pas de dÄlimitation nette entre les diverses branches de l'industrie, car un propriÄtaire de bëtiments de pÉche peut devenir rÄsidant, ê titre temporaire ou permanent ou, par suite du co₧t ÄlevÄ des assurances ou pour d'autres raisons, s'adonner ê la pÉche parallÅle en temps de guerre ou en pÄriode de crise. Celui qui se livre ê cette activitÄ peut, pour diverses raisons, rester ê Terre-neuve suffisamment longtemps et devenir un rÄsidant, tandis que les rÄsidants prospÅres passent souvent l'hiver en Angleterre et s'y retirent. Les rÄsidants qui subissent lourdes pertes financiÅres partent gÄnÄralement pour la Nouvelle-Angleterre et d'autres les remplaìent.
  20.  
  21.      Le gouvernement britannique ne voit pas d'un bon oeil Terre-Neuve devenir une colonie Ätablie comme la Nouvelle-Angleterre, car il craint que des pÉcheries locales s'installent dans l'öle de faìon permanente et remplacent l'industrie errante anglaise comme cela a ÄtÄ le cas pour la Nouvelle-Angleterre. Cette situation handicaperait certains secteurs de l'industrie et du commerce anglais, et se traduirait Ägalement par la disparition d'un important terrain de manoeuvres pour les recrues de la marine. La guerre, toutefois, nuit grandement ê la pÉche errante; les vaisseaux de guerre ennemis, les pirates et les dÄtachements de rÄquisition de la marine royale Äcument les mers et infligent de grosses pertes en vaisseaux et en hommes. En consÄquence, en temps de guerre, la population et les pÉcheries sÄdentaires augmentent gÄnÄralement, tandis que la pÉche errante diminue. De telles circonstances se sont si souvent rÄpÄtÄes, qu'en 1815 la pÉche sÄdentaire domine presque entiÅrement la pÉche anglaise autour de Terre-Neuve. De plus, ê l'Äpoque, la rÄvolution industrielle estompe l'intÄrÉt de la Grande-Bretagne pour les pÉcheries et, plus tard, l'apparition des bateaux ê vapeur dans la marine rÄduit le besoin en marins expÄrimentÄs. Terre-Neuve devient une colonie de la Couronne en 1824, et acquiert un gouvernement reprÄsentatif en 1832, mais en rÄalitÄ la transformation du poste de pÉche en colonie s'est produite pendant la RÄvolution franìaise et les guerres napolÄoniennes. Dans l'intervalle, les Terre-Neuviens ont dÄveloppÄ la pÉche sÄdentaire ê laquelle ils ont ajoutÄ deux nouvelles industries: la chasse au phoque et la pÉche ê la morue le long du littoral du Labrador.
  22.  
  23.      En 1763, la cÖte du Labrador est placÄe sous la juridiction du gouverneur maritime de Terre-Neuve et, officiellement soutenue, une pÉcherie anglaise se dÄveloppe le long du littoral sud. L'apparition de pÉcheries au Labrador peut Étre attribuÄe ê la diminution du nombre de graves disponibles sur l'öle et ê la dÄcision du gouvernement britannique d'instituer une pÉche purement errante dans la rÄgion du Labrador, afin d'augmenter ses rÄserves de marins. Naturellement, on se rend vite compte que les huttes et les autres constructions ne peuvent rester ouvertes ê tout venant et l'idÄe est inÄvitablement abandonnÄe, quoique des sociÄtÄs anglaises et de Jersey s'Ätablissent en permanence dans la rÄgion. Les pÉcheries terre-neuviennes du Labrador, cependant, ne datent pas de cette Äpoque; elles sont nÄes de l'Ävolution locale qui s'est produite sur l'öle ê la suite de guerres franco-britanniques de 1793-1815.
  24.  
  25.      Pendant les premiÅres annÄes de la RÄvolution et des guerres napolÄoniennes, surtout aprÅs l'entrÄe de l'Espagne dans la coalition franìaise en 1796, le prix du poisson baisse, du fait d'une diminution de la demande par suite de la fermeture du marchÄ espagnol. Avec l'invasion franìaise de l'Espagne et du Portugal en 1807, la situation change, car de violentes rÄvoltes Äclatent et la Grande-Bretagne est invitÄe par les patriotes des deux pays ê intervenir dans la pÄninsule ibÄrique. En 1808, une armÄe britannique dÄbarque au Portugal et, pendant les six annÄes qui suivent, Sir Arthur Wellesley (le futur Duc de Wellington) conduit ses troupes et leurs alliÄs contre les Franìais jusqu'ê ce que la pÄninsule soit libÄrÄe de la domination de NapolÄon. La guerre de la pÄninsule rouvre le marchÄ espagnol (le marchÄ portugais n'avait jamais ÄtÄ fermÄ) aux exportations anglaises et surtout ê la morue sÄchÄe. Il est facile de la transporter ê l'intÄrieur du pays avec des bÉtes de somme ou mÉme ê dos d'homme (ê la diffÄrence du porc, du boeuf et du hareng, salÄs en baril) et elle se conserve sous les tempÄratures les plus chaudes. En outre, le poisson sÄchÄ nourrit non seulement les Espagnols et les Portugais, mais aussi les troupes britanniques. Pour rÄpondre ê cette demande, qui se reflÅte dans la remontÄe des prix, la production de poisson de Terre-Neuve augmente et la colonie connaöt la prospÄritÄ au tournant du siÅcle. Les exportations augmentent dans les proportions suivantes: 
  26.  
  27. *AnnÄe                   QuantitÄ en Quintaux
  28.  
  29.    1797                              318 621
  30.  
  31.    1801                              314 917
  32.  
  33.    1803                              582 849
  34.  
  35.    1813                              912 183
  36.  
  37.    1814                              947 811
  38.  
  39.    1815                           1 180 661
  40.  
  41.  *Les chiffres sont inconnus pour certaines annÄes.
  42.  N.B. un quintal Äquivaut ê 112 livres ou environ 51 kilos
  43.  
  44. La quasi totalitÄ est produite par les rÄsidants. Le prix du poisson, qui oscille entre 14 et 16 shillings le quintal avant la guerre et qui a baissÄ au cours des premiÅres annÄes du conflit, monte en flÅche jusqu'ê atteindre 40 shillings au moins en 1812-1814. Les salaires grimpent de faìon dramatique: les trancheurs, par exemple, qui gagnaient de 30 ê 32 livres par semaine en 1804, sont payÄs jusqu'ê 140 livres pour le mÉme travail en 1814. Le co₧t de le vie s'ÄlÅve aussi; le pain passe de 20 ê 30 shillings le quintal (112 livres) en 1804 ê 70 et 80 shillings en 1813. Mais les prix ne montent pas aussi vite ni autant que les salaires, et il se produit par consÄquent une amÄlioration importante du niveau de vie qui, entre autres choses, encourage l'immigration.
  45.  
  46.      La production de la morue tombe entre les mains des rÄsidants de Terre-Neuve ê cause des guerres franìaises et de la guerre anglo-amÄricaine de 1812-1814. Les pÉcheries franìaises sont ÄliminÄes et le commerce de la morue salÄe de NorvÅge et d'Islande, qui en est ê ses dÄbuts, cesse par suite du blocus imposÄ par la Grande-Bretagne au royaume de Danemark. Les âtats-Unis d'AmÄrique et la Nouvelle-âcosse n'ont jamais ÄtÄ des concurrents sÄrieux pour l'Europe car ils se concentrent sur les marchÄs antillais. Les pÉcheurs errants anglais qui, ê la veille de la guerre, produisent plus de 55% du total de la pÉche anglaise ê Terre-Neuve, cessent leurs activitÄs pour Ächapper aux vaisseaux de guerre ennemis, aux pirates et aux dÄtachements de rÄquisition de la marine britannique. Les mÉmes problÅmes se posent aux pÉcheurs errants de Jersey dans la baie des Chaleurs qui alimentent aussi le marchÄ europÄen. Les pÉcheurs de Terre-neuve ne sont pas exposÄs aux frais et aux dangers de la traversÄe de l'Atlantique dans les deux sens. En consÄquence, alors que certains bateaux de commerce sont abandonnÄs ê l'ennemi, les bÄnÄfices escomptÄs sont tels, aprÅs 1808, que l'expÄdition par mer n'est pas remise en question. En outre, ê l'Äpoque, vingt annÄes de guerres presque ininterrompues ont anÄanti les pÉcheurs errants et les rÄsidants de Terre-Neuve sont les seuls ê pouvoir prendre la direction de la production et, quoique dans des proportions plus modestes, contrÖler le marchÄ.
  47.  
  48.      La hausse des prix, consÄcutive ê l'accroissement de la demande, se traduit par de plus gros bÄnÄfices qui sont rÄinvestis, surtout dans les environs de Saint-Jean et de la baie de la Conception, et l'augmentation des salaires rÄels stimule l'immigration dans ces rÄgions. Les navires anglais et de Jersey qui se rendent ê Terre-Neuve s'arrÉtent toujours dans le sud de l'Irlande pour s'approvisionner en vivres et en hommes, et il est normal que beaucoup d'Irlandais abandonnent leur pays ou la situation se dÄtÄriore rapidement pour Ämigrer. Les bateaux qui font le transport rÄgulier des immigrants conformÄment ê la loi de 1803 (The Passenger Act) sont soumis ê des rÅglements qui augmentent les frais et, par consÄquent, leurs tarifs. Les navires britanniques, classÄs parmi les bateaux de pÉche, ê destination de Terre-Neuve, par contre, Ächappent ê ces contrÖles; aussi le nombre de passagers transportÄs et le service offert ne sont-ils dÄterminÄs que par la crainte et la bienveillance des armateurs. Dans l'ensemble, cela signifie que les navires de pÉche en partance pour Terre-Neuve sont dangereusement bondÄs, qu'ils sont insuffisamment approvisionnÄs en nourriture et en eau et qu'ils sont totalement dÄpourvus du strict minimum sur le plan mÄdical. Souvent, le co₧t de la traversÄe ne dÄpasse pas 10 shillings par personne; les Ämigrants doivent se munir de leur propre nourriture et de leur eau pour la durÄe du voyage qui est des plus incertaines. DÅs 1812, quelque 2,000 Ämigrants arrivent chaque annÄe ê Terre-Neuve et ce chiffre monte ê prÅs de 6,000 en 1815. La population totale de l'öle passe de 20,000 ëmes environ en 1804 ê plus de 30,000 en 1812, et atteint 40,000 en 1815. Ces nouveaux venus, pour la plupart, n'ont pas plus de capitaux que d'expÄrience de la pÉche, et les bonnes graves sont occupÄes depuis longtemps dans les environs de Saint-Jean et de la baie de la Conception. Ils sont forcÄs de bëtir leurs habitations loin de la mer et deviennent les domestiques des grands rÄsidants et des marchands. Les rentrÄes soutenues du commerce du poisson poussent les marchands et les rÄsidants ê construire des navires et ê envoyer leurs Äquipages pendant la saison de la pÉche dans les rÄgions moins peuplÄes de la cÖte, surtout vers cette partie de la cÖte franìaise alors inoccupÄe que l'on dÄsigne du nom de ╟cÖte nord╚. Lê, ils peuvent pÉcher sans Étre dÄrangÄs par des voisins et utiliser les petites baies et les ports pour sÄcher leurs prise. En 1803 (date des premiers chiffres connus), le gouverneur rapporte que 47 navires et 435 hommes sont employÄs ê la pÉche sur la cÖte nord. En 1811, ces chiffres passent respectivement ê 107 et 717. En 1806, le gouverneur Gower prÄcise que les rÄsidants de la baie de la Conception ont Ätabli toute une pÉche ê la morue sur la cÖte nord, ce qui le prÄoccupe car il sait qu'ils seront obligÄs de se retirer au retour des Franìais. Il est indubitable que certains de ces vaisseaux se sont aventurÄs plus au nord jusqu'au Labrador en quÉte de poisson, mais il semble qu'ils n'aient ÄtÄ qu'un tout petit nombre. Avec la signature du traitÄ de paix en 1815, les Franìais rÄintÅgrent leurs anciens ports. DÅs le dÄbut des annÄes 1820, ils ont reconstruit leurs pÉcheries dans cette rÄgion, car celles de Terre-Neuve Ätablies sur la cÖte nord cessent leurs activitÄs peu aprÅs cette date et les pÉcheurs de l'öle sont repoussÄs plus au nord, vers le Labrador. ╦ la fin de cette dÄcennie, la migration annuelle des terre-neuviers vers le Labrador est entrÄe dans les moeurs. (Les autres colonies britanniques d'AmÄrique du Nord participent Ägalement ê cette pÉche dans une certaine mesure, de mÉme que la flotte de pÉche de la Nouvelle-Angleterre.)
  49.  
  50.      La pÉche au Labrador s'avÅre une entreprise relativement couteuse. Les frais de transport sont ÄlevÄs, la saison est plus courte que dans la plupart des rÄgions de l'öle, le poisson nÄcessite plus de sel et le prix du marchÄ pour le poisson traitÄ au Labrador est de 20 ê 25% infÄrieur ê celui obtenu pour le poisson de Terre-Neuve lÄgÅrement salÄ, sec et dur. Cependant, le poisson y est trÅs abondant, et, si l'on utilise plus de sel, le conditionnement est moins fastidieux, car il laisse plus de temps pour la pÉche et donne une plus grande production par tÉte. L'un des principaux avantages de la pÉche au Labrador est que les mÉmes hommes et les mÉmes bateaux peuvent aussi prendre part ê la chasse au phoque - une autre activitÄ qui s'est dÄveloppÄe au cours des guerres napolÄoniennes.
  51.  
  52.      Les phoques ont toujours ÄtÄ capturÄs par les terriens quand les glaces dÄrivent vers la terre (gÄnÄralement au nord de Bonavista) et quelques-uns sont pris dans des filets disposÄs ê cet effet, mais la chasse au phoque est une source de revenus des plus imprÄvisibles. En 1800, on dÄcouvre que les jeunes phoques peuvent Étre capturÄs peu aprÅs leur naissance au dÄbut de mars, si les bateaux s'aventurent au milieu des banquises frÄquentÄes par ces animaux ê l'Äpoque de la reproduction. Les hommes n'ont plus ê attendre que des glaces flottantes, portant quelques phoques, entrent dans leurs ports; ils ne sont plus tributaires de leurs fusils et de leurs filets, du vent et de la marÄe. En mars, des navires partent pour la banquise o¥ les phoques vivent par dizaines de milliers. Impuissants et immobiles, les jeunes sont assommÄs ê coups de gaffes alors qu'ils sont couchÄs sur la glace; les fusils sont encore utilisÄs pour tirer les phoques adultes et, lorsque la saison est plus avancÄe, les jeunes qui commencent ê aller ê l'eau. Les animaux et les poissons fournissent ê cette Äpoque le gros de l'huile de l'industrie et les jeunes phoques contiennent une graisse dÄlicate et recherchÄe pour la fabrication d'huile de qualitÄ. L'huile et les peaux de moindre prix sont expÄdiÄes en Angleterre. Pendant les guerres napolÄoniennes, les exportations annuelles de cette industrie varient entre 20,000 et 60,000 livres sterling. Ce n'est pas trÅs important par rapport au commerce de la morue sÄchÄe, o¥ les exportations dÄpassent habituellement 600,000 livres sterling par an. Mais l'industrie s'Ätablit solidement et, tandis qu'ê l'origine elle ne fonctionnne que sur une petite Ächelle avec des bëtiments jaugeant seulement de 30 a 60 tonneaux montÄs par dix ê quinze hommes chacun, elle va connaötre un prodigieux essor au cours des dÄcennies suivantes. En 1818, une chasse de 165,622 phoques contribue ê sortir Terre-Neuve de la crise consÄcutive ê la guerre, et c'est alors que commence l'expansion de l'industrie du phoque. En 1822, la production atteint 368,336 tÉtes et, en 1831, elle se monte ê 601,742. Les exportations d'huile de phoque passent de 1,397 tonnes en 1815 ê une moyenne supÄrieure ê 7,500 tonnes en 1833. En 1830 et 1831, les exportations de morue sÄchÄe sont ÄvaluÄes ê 453,000 et 360,000 livres respectivement, tandis que les exportations de phoques s'ÄlÅvent ê environ 159,000 et 197,000 livres sterling. La production continue d'augmenter quelque peu au cours des annÄes suivantes pour se stabiliser en 1845. Ce seuil, qui fluctue beaucoup, se maintient jusque dans les annÄes 1860 o¥ un dÄclin s'amorce. Celui-ci d₧ ê une chasse excessive, se prÄcipite aprÅs 1880 et les exportations des produits du phoque de 1890 ê 1900 ne reprÄsentent plus que le tiers du chiffre atteint au cours de la dÄcennie 1850-1860.
  53.  
  54.      Une fois Ätablie, l'industrie du phoque est une source considÄrable de travail pour un grand nombre de navires et d'hommes. En 1827, par exemple, elle emploie 290 navires et 5,418 hommes et respectivement 407 et 8,649 en 1832. En 1833, Saint-Jean, la capitale, envoie 110 phoquiers et 2,538 hommes, la baie de la Conception 205 et 4,526; la baie de la TrinitÄ 25 et 542, et on compte en outre 19 navires et 379 hommes venant d'autres ports, le tout se montant ê 357 bateaux et 7,983 hommes. En 1848, le nombre des bëtiments est ê peu prÅs le mÉme, mais ils sont plus gros et peuvent transporter des Äquipages plus importants. Cette annÄe-lê, Saint-Jean envoie 96 navires et 3,215 hommes; Brigus, dans la baie de la Conception, 66 navires et 2,111 hommes; Carbonear 54 et 1,672 et Harbour Grace 51 et 1,684 tandis que tous les autres ports rÄunis en dÄpÉchent 74 et 2,123, soit au total 341 navires et 10,805 hommes. Le record est atteint en 1857 avec 370 bëtiments et 13,600 chasseurs sur glace. En 1863, deux vapeurs arrivent sur la banquise, marquant la transition de la voile ê la vapeur. Les vapeurs, relativement puissants et maniables, sont plus productifs que les voiliers et, en 1873, la flotte des phoquiers de Saint-Jean en compte dix-sept, tandis que la petit port rival de Harbour Grace n'en a qu'un seul. En 1886, trois vapeurs transportant 576 hommes constituent toute la flotte de Harbour Grace pour la chasse au phoque, alors que Saint-Jean y consacre seize vapeurs et 3,511 hommes. L'augmentation des frais d'immobilisation et d'exploitation entraönÄs par l'emploi de navires a vapeur a forcÄ les autres ports ê se retirer. En 1894, la Munn & Company de Harbour Grace fait faillite et Saint-Jean se retrouve le seul centre de la chasse au phoque, dÄsormais trÅs rÄduite.
  55.  
  56.      Vers la fin des annÄes 1820, les pÉcheries du Labrador Ävoluent en deux branches distinctes. La pÉche flottante se compose de goÄlettes qui sillonnent la cÖte du Labrador en suivant le poisson. Les Äquipages vivent sur le navire d'o¥ ils pÉchent et salent leur poisson dans la cale. Ce poisson est gÄnÄralement rapportÄ sur l'öle pour y Étre traitÄ, encore qu'il est quelquefois prÄparÄ sur la cÖte du Labrador. Les flottants viennent du Petit Nord, gÄnÄralement du nord de la baie de la Conception. L'autre branche de l'industrie du Labrador, la pÉche stationnaire, est pratiquÄe par les propriÄtaires de graves du littoral du Labrador qui pÉchent dans de petits bateaux ê partir de leurs Ätablissements cÖtiers. Les ╟stationnaires╚ viennent pour la plupart de la baie de la Conception et chacun d'eux recrute cinq ou six hommes ê gages ou associÄs en participation et une cuisiniÅre, qui arrivent au Labrador et en repartent comme passagers sur les goÄlettes des flottants ou des cÖtiers. Certains stationnaires ont des exploitations familiales et toute la famille se rend au Labrador, mais ce n'est pas chose courante car la plupart comptent sur leur famille pour s'occuper des rÄcoltes et du bÄtail en ÄtÄ. ╦ l'occasion, un homme peut Étre ê la fois flottant et stationnaire; il transporte des stationnaires sur sa goÄlette (dont il est propriÄtaire ou qu'il affrÅte lui-mÉme ê un marchand) et il exploite une ╟hutte╚ sur la cÖte, d'o¥ il peut aller ê la pÉche et o¥ il peut sÄcher sa prise. Beaucoup de ces navires flottants-cÖtiers-stationnaires viennent de la baie de la Conception o¥ il y a de l'argent ê gagner avec le transport des passagers, des provisions, de l'Äquipement, du sel et du poisson pour la pÉche stationnaire. En 1867, quatre-vingt-dix de ces bëtiments, chargÄs de fret et de passagers, quittent Harbour Grace, le principal port de partance de la pÉche stationnaire ê destination de la cÖte du Labrador.
  57.  
  58.      Le prix de revient ÄlevÄ des pÉcheries du Labrador ne constitue pas un handicap pendant les guerres napolÄoniennes, mais avec la diminution de la demande et des prix qui en rÄsulte, l'industrie perd de sa compÄtivitÄ et de sa prospÄritÄ. Aussi, le sort de la pÉche au Labrador et des ports septentrionaux ê partir desquels elle est pratiquÄe est-il Ätroitement liÄ ê celui de l'industrie phoquiÅre. En 1834, la Chambre de commerce de Saint-Jean dÄclare que la pÉche au Labrador doit surtout sa richesse au travail qu'elle fournit aux phoquiers - hommes et navires - une fois la chasse au phoque terminÄe. ╦ Harbour Grace en 1867, par exemple, sur les cinquante navires de ce port qui participent ê la chasse au phoque, trente-six prennent Ägalement part ensuite ê la pÉche au Labrador, tandis que la plupart des quatorze phoquiers qui ne partent pas pour le Labrador en juin ou en juillet s'y rendent plus tard chargÄs de provisions et de marchandises, et sont utilisÄs pour transporter la morue sÄchÄe directement sur le marchÄ ou pour la ramener au port d'o¥ elle est exportÄe. Aussi, le dÄclin de la chasse au phoque, qui s'amorce dans les annÄes 1860 et se prÄcipite aprÅs 1880, a-t-il de graves consÄquences sur l'Äconomie des pÉcheries du Labrador des ports septentrionaux.
  59.  
  60.      Le dÄsastre se produit pendant le dernier quart du siÅcle. Dans les annÄes 1866-1870, la flotte que Harbour Grace envoie au Labrador compte en moyenne 81 navires jaugeant 80 tonneaux chacun; en 1896-1900, cette flotte s'est rÄduite ê une moyenne de 37 navires de 53 tonneaux. De mÉme, alors que dans les annÄes 1867-1870 une moyenne de 4,000 personnes quittent Harbour Grace pour le Labrador, ce chiffre baisse jusqu'ê 1,100 par annÄe vers 1898-1900. Les pÉcheurs et les phoquiers des ports de mer sont maintenant obligÄs d'aller chercher du travail ê Saint-Jean et cette tendance, que devait accÄlÄrer la construction du chemin de fer ê travers l'öle, renforce la domination de la ville sur la vie politique, Äconomique et commerciale de la colonie. Les petits ports de mer, qui avaient ÄtÄ des âtats-citÄs semi-indÄpendants, entrent dans une pÄriode de marasme. Les stationnaires continuent ê faire la navette entre Terre-Neuve et le Labrador, mais ils sont de plus en plus tributaires des vapeurs qu'envoient les marchands et le gouvernement de Saint-Jean; les voiliers continuent toutefois d'Étre utilisÄs pour commercer avec le Labrador, la cÖte et l'Ätranger pendant de nombreuses dÄcennies. Le dÄclin de la chasse au phoque ê Saint-Jean se traduit par la diminution de l'envoi d'hommes ╟sur la glace╚, et sa centralisation ê Saint-Jean entraöne la perte pour les ports de partance d'un certain nombre d'industries secondaires. La baie de la Conception a ÄtÄ trÅs sÄrieusement atteinte: la population de Harbour Grace tombe de 14,727 habitants en 1884 ê 12,671 en 1901, celle de Carbonear passe de 6,206 ê 5,024 ëmes et Port-de-Grave voit la sienne baisser de 8,698 ê 7,445 au cours de la mÉme pÄriode. Cet effondrement ne se produit pas sans des bouleversements plus ou moins violents; mais, ê la fin du siÅcle, Terre-Neuve inaugure une Åre nouvelle, pour le meilleur ou pour le pire. La fin du XIXe siÅcle a ainsi engendrÄ plusieurs changements dans l'Ävolution Äconomique, sociale et politique des ports septentrionaux.
  61.  
  62.      L'industrie du phoque a quasiment disparu dans ces rÄgions et beaucoup vont chercher du travail ailleurs, mais reviennent pÄriodiquement chez eux. La migration dans la rÄgion de Boston se gÄnÄralise, car les hommes peuvent commencer beaucoup plus tÖt au printemps et pÉcher beaucoup plus tard ê l'automne que sur la cÖte nord-est de l'öle et au Labrador. Le travail sur les docks et les dragues ê Boston est plus attirant et, en comparaison de Terre-Neuve et mÉme du Canada, les salaires sont bons. Pendant cette pÄriode, d'aprÅs un monsieur nÄ en 1883 et qui a vÄcu ê Boston de 1903 ê 1912, ╟Boston Ätait le refuge des Terre-Neuviens╚. D'autres travaillent sur le continent canadien, surtout dans les mines de Sydney, en Nouvelle-âcosse. Terre-Neuve commence ê s'industrialiser. Le chemin de fer qui traverse l'öle est terminÄ en 1896; de nouveaux embranchements sont construits et les anciennes lignes sont prolongÄes. En 1895, des mines de fer s'ouvrent ê l'öle Bell et, au dÄbut du siÅcle, des usines de pëte de bois et de papier sont inaugurÄes ê Corner Brook et ê Grand Falls, alors que des mines de plomb et de zinc sont exploitÄes ê Buchans. Ainsi, un nouvel ordre Äconomique et social s'instaure. Les pÉcheurs du Labrador n'exercent leur activitÄ qu'en saison et, le reste de l'annÄe, s'engagent comme bucherons, mineurs, ouvriers employÄs ê la construction et ê l'entretien du chemin de fer, et mÉme comme travailleurs migrants au Canada et aux âtats-Unis; les pÉcheries du Labrador elles-mÉmes ne survivent qu'en s'adaptant ê ces nouvelles rÄalitÄs. Une fÄdÄration des pÉcheurs et un parti politique sont crÄÄs sur la cÖte nord-est pour faire face ê l'instabilitÄ de la situation. Toutefois, le dÄclin des entrepreneurs dans la baie de la Conception et la construction du chemin de fer ont conduit ê l'intÄgration du systÅme Äconomique de la baie ê celui de Saint-Jean; aussi la force de la fÄdÄration reste-t-elle concentrÄe au nord de cette rÄgion. Ce nouveau mouvement rÄussit ê obtenir certaines concessions de Saint-Jean, mais il ne rÄsiste pas ê la PremiÅre Guerre mondiale et ê la crise consÄcutive; la domination de la capitale se maintient donc en dÄpit de l'effondrement du gouvernement du Dominion dans les annÄes trente.
  63.  
  64.      La chasse au phoque n'est certainement pas complÅtement Äteinte, mais elle est en voie de disparition. De 1830 ê 1860, la moyenne annuelle des exportations de peaux de phoque dÄpasse 400,000. Au tournant du siÅcle, toutefois, elle oscille autour de 250,000 et, pour la dÄcennie des annÄes vingt, elle tombe ê 145,000. Le nombre des travailleurs de cette industrie connaöt une chute encore plus vertigineuse: de 13,000 dans les annÄes 1850, il passe ê moins de 2,000 dans les annÄes vingt. Il devint trÅs difficile d'obtenir du travail comme phoquier ou, comme on dit, de trouver une ╟place sur la glace╚; mais certains y parviennent parfois, grëce ê la bienveillance d'un ecclÄsiastique, d'un marchand ou d'un politicien, qui ont habituellement quelques postes ê leur offrir. La flotte ê vapeur subit aussi des changements. Le vapeur en bois de deux ê cinq cents tonneaux prÄdomine vers la fin du siÅcle; mais, en 1906, les vapeurs en acier plus grands et capables de briser la glace avec leur propre poids, font leur apparition. Le plus grand est le Stephano, qui jauge 2,140 tonneaux, suivi du Florizel (1,980 tonneaux); tous deux appartiennent ê Bowring Brothers Ltd. de Saint-Jean. De 1906 ê 1914, Terre-Neuve possÅde une magnifique flotte de phoquiers et de brise-glaces - environ une vingtaine - aux membrures de bois recouvertes d'acier. Cependant, le co₧t de ces navires est ÄlevÄ et l'industrie phoquiÅre ne reprÄsente qu'un mois ou deux de travail; leur utilisation pendant le reste de l'annÄe ne se rÄvÅle pas profitable (ê la diffÄrence des anciens voiliers qui servaient pour la chasse au phoque et la pÉche au Labrador). Pour cette raison, cette flotte est dÄclassÄe quand la PremiÅre Guerre mondiale Äclate. Le Stephano, le plus grand bëtiment qui ait jamais servi pour la chasse au phoque, est torpillÄ par un sous-marin allemand au large de New York en 1916, et le Florizel s'Ächoue sur la cÖte de Terre-Neuve en 1918 alors qu'il assure le service des passagers entre Saint-Jean et New York. Dans les annÄes vingt, la flotte se limite ê huit ou dix vaisseaux en bois et, au cours des annÄes quarante, les derniers reprÄsentants de cette ancienne flotte sont complÅtement retirÄs de la chasse au phoque. Pendant les annÄes cinquante, on utilise des navires ê moteur plus petits, mais l'abattage annuel reste infÄrieur ê 50,000 tÉtes. Les terriens continuent ê capturer quelques phoques comme ils l'ont toujours fait et, dans les annÄes soixante et soixante-dix, de petits palangriers sont en service en mÉme temps que quelques bateaux automobiles. En 1975, par exemple, des terriens montÄs sur des palangriers et d'autres petites embarcations ont ramenÄ 45,348 peaux de phoques, et des navires ê moteur jaugeant plus de 150 tonneaux, 32,779, soit un total de 78,127.
  65.  
  66.      Les pÉcheries du Labrador se maintiennent jusqu'au XXe siÅcle. Elles survivent ê la crise qui suit la PremiÅre Guerre mondiale et ê la rÄcession mondiale des annÄes trente, car, comme l'indique un informateur, ╟chaque printemps, les hommes ont quelque part o¥ aller╚. Elles ont surmontÄ l'adversitÄ, mais ne peuvent rÄsister ê la prospÄritÄ. Dans les annÄes quarante, les AmÄricains construisent d'importants Ätablissements militaires ê Terre-Neuve et les hommes dÄsertent la pÉche par milliers, abandonnant leur attirail et leur Äquipement sur la cÖte du Labrador, afin de profiter des salaires ÄlevÄs offerts ê Saint-Jean, ê Argentia et ê Stephenville. La guerre est suivie par le rattachement au Canada, et les hauts salaires et les perspectives nouvelles des annÄes cinquante et soixante en achÅvent la destruction. Aujourd'hui, on rencontre encore, de temps en temps, sur des öles isolÄes le long du littoral du Labrador un stationnaire qui emploie toujours ê peu prÅs les mÄthodes en usage depuis cent cinquante ans.
  67.  
  68.      Des tentatives ont ÄtÄ faites rÄcemment par l'Office canadien du poisson salÄ en vue de rÄtablir des pÉcheries de Terre-Neuve au Labrador. En 1975, dix-huit bateaux de pÉche de taille moyenne (de 35 ê 65 pieds de longueur), communÄment appelÄs palangriers, ont pÉchÄ dans la partie nord de Hamilton Inlet o¥ une pÄniche de l'Office Ätait stationnÄe pour l'ÄtÄ. Ce chaland est une usine flottante autonome, qui traite le poisson; les ouvriers habitent ê bord et conditionnent leurs prises. Le poisson est dÄcoupÄ avec un tranchoir automatique et salÄ en arrimes sans Étre sÄchÄ en vue d'Étre exportÄ. La plupart des palangriers semblent avoir bien rÄussi pendant la saison 1975 et l'opÄration sera probablement poursuivie et peut-Étre Ätendue. Il se peut donc que les pÉcheries terre-neuviennes au Labrador survivent sans une autre forme.
  69.  
  70.      Les pÉcheries du Labrador et la chasse au phoque sont deux opÄrations tout ê fait diffÄrentes, mais qui, du moins ê l'origine, sont dÄpendantes l'une de l'autre, et qui prÄsentent certaines caractÄristiques communes. Elles sont toutes deux errantes et crÄent une certaine indÄpendance d'esprit chez ceux qui les pratiquent. Bien qu'on puisse les comparer, dans une certaine mesure, aux grandes chasses au bison des MÄtis et des Indiens du siÅcle dernier, la comparaison demeure superficielle ê cause d'un ÄlÄment qui les classe dÄfinitivement dans une catÄgorie diffÄrente: la mer. La mer semble avoir quelque chose de particulier et exercer un pouvoir spirituel sur les hommes. C'est ce que Herman Melville explique dans Moby Dick:
  71.  
  72.      Pourquoi presque tous les vigoureux garìons possÄdant une ëme saine dans un corps sain sont-ils, une fois ou l'autre, pris de la folie d'aller voir la mer? Pourquoi vous-mÉme, lors de votre premier voyage comme passager, avez-vous ressenti ce frÄmissement mystique, lorsqu'on vous a annoncÄ que votre navire et vous-mÉme aviez atteint la haute mer? Pourquoi les anciens Perses ont-ils tenu la mer pour sacrÄe? Pourquoi les Grecs lui ont-ils donnÄ un dieu distinct, le propre frÅre de Jupiter? Tout cela ne saurait Étre vide de sens. Plus lourde encore de signification l'histoire du Narcisse qui, ne pouvant faire sienne l'image tourmentante et douce que lui renvoyait la fontaine,s'y prÄcipita dans la mort. Cette mÉme image nous la percevons nous-mÉmes sur tous les fleuves et tous les ocÄans. C'est le spectre insaisissable de la vie, la clef de tout.
  73.  
  74. Par consÄquent, si les pÉcheries du Labrador et la chasse au phoque doivent entrer dans une catÄgorie, il faut les ranger au nombre des ÄpopÄes de la mer, ê cotÄ de l'industrie baleiniÅre de la Nouvelle-Angleterre, de la pÉche norvÄgienne dans le Finmark et de celle qui est pratiquÄe sur le Grand-Banc. Elles ont toutes deux engendrÄ, ne serait-ce que par le rude processus d'Älimination, des hommes de constitution robuste. En 1852, Arthur Cochrane, capitaine du H.M.S. Sappho, Äcrit ê propos des pÉcheurs du Labrador: ╟J'ai rarement vu des hommes et des femmes plus forts et plus sains╚. En 1924, George Allan England dÄdiait son livre sur la chasse terre-neuvienne au phoque, publiÄ sous le titre Vikings of the Ice, ╟Aux hommes les plus forts, les plus intrÄpides et les plus courageux que j'aie jamais connus, les phoquiers de Terre-Neuve╚. Ces deux activitÄs sont pleines de dangers et jalonnÄes de morts, comme cela a toujours ÄtÄ le lot des grandes migrations, des voyages par mer et des industries tributaires de l'ocÄan. De nombreuses embarcations disparaissent chaque annÄe dans les pÉcheries du Labrador, entraönant souvent de nombreuses pertes humaines; en octobre 1885, une tempÉte coule quatre-vingts goÄlettes, enlÅve trois cents vies et laisse 2,000 personnes sans aucune ressource - et ceci ê une Äpoque de l'annÄe ou la plupart des pÉcheurs ont dÄjê regagnÄ l'öle. En 1914, la chasse au phoque connaöt deux dÄsastres considÄrables: en revenant des champs de glace, une nuit, le S.S. Southern Cross sombre avec 173 hommes ê bord sans laisser la moindre trace, et le S.S. Newfoundland perd 77 hommes dans une tempÉte de neige. Ces deux industries, avec leurs Äpreuves et leurs victoires, ont crÄÄ ê Terre-Neuve un mode de vie distinct qui a donnÄ naissance ê un folklore et ê une culture qui ont toujours dominÄ sur l'ensemble de l'öle, souvent, malheureusement, au dÄtriment culturel des autres parties de la colonie du Dominion ou de la province. Ces deux entreprises plongent dans une atmosphÅre de drame la vie des petits ports de mer isolÄs qui a faìonnÄ l'ëme de Terre-Neuve.
  75.  
  76.      âtant donnÄ la nature de son Äconomie, Harbour Grace est dÄsertÄ par ses hommes vigoureux au printemps et en ÄtÄ. Les activitÄs sociales se dÄroulent donc en hiver et particuliÅrement pendant la pÄriode des fÉtes de fin d'annÄe. Le chant, la musique et la danse sont des divertissements bien en vogue dans la rÄgion de Harbour Grace, mÉme si les distractions sont plus limitÄes dans certains ports de mer en raison des croyances religieuses de leurs habitants. Il n'est pas Ätonnant que les Äpisodes de la chasse au phoque abondent dans les chansons et les rÄcits de cette Äpoque; parfois tragiques, parfois humoristiques, ils ne manquent jamais de couleur. Les deux chansons qui suivent, recueillies ê Terre-Neuve, sont des exemples typiques du folklore franìais qui a survÄcu dans cette province.
  77.  
  78. GRAND SAINT PIERRE, OUVRE TA PORTE
  79.  
  80.  Ah! le temps de marinier qu'il faudra tout corver, 
  81. Plus de six mois je m'engage, plus de dix voiles pousserons, 
  82. Pl₧t a Dieu, ìa m'est Ägal, elles rest'ront bien tant qu'i' voudront.
  83.  
  84.  Ah! si l'amour vient m'attaquer, malgrÄ moi j' m'y fus tomber, 
  85. Ah! je suis pris de la route pour saint Pierre aller trouver, 
  86. En arrivant ê la porte, trois petits coups j'ai tapÄs.
  87.  
  88.  Ah! saint Pierre m'a rÄpondu: ╟Des marins, j' n'en voulons plus, 
  89. Sur la terre, vous Étes des diables plus mÄchants que des lions, 
  90. L'enfer vous donnait partage avec des restants du dÄmon.╚
  91.  
  92.  Ah! saint Pierre, rÄpÅte-moi donc quoi c' qui a fait ces raisons? 
  93. Sur la terre vous Étes des diables, et si on meurt, vous Étes des rois, 
  94. Pl₧t ê Dieu, ìa m'est Ägal, je rent'rons bien malgrÄ toi.
  95.  
  96.  Ah! saint Pierre tout en tremblant rouvr' la porte du firmament. 
  97. Rent'e, rent'e, mais ne dÄclar', rentrez dans not's paradis, 
  98. Tiens, voilê les clÄs d' la porte, pour moi j' n'ai plus rien iìi.
  99.  
  100.  Ah! saint Pierre, si vous voudrez, en vivant bon marinier, 
  101. On vous mettra derriÅr' la porte du dÄmon de qui qu'est lê, 
  102. Si c'est un marin d'âcosse, la port' tu 'i ouvriras.
  103.  
  104.  Va, va, mon beau saint Pierre, je te rends aux beaux marins.
  105.  
  106.  
  107. RÄfÄrence: Peacock, Kenneth, Songs of the Newfoundland Outports, (Ottawa,MusÄes nationaux du Canada, 1965, Bulletin no 197), Vol. 3,p.878.
  108.  
  109. SI J'âTAIS PETITE ALOUETTE GRISE 
  110.  
  111. Si j'Ätais peut-Étre [petite] alouette grise, 
  112. J' me poserais sur le mët du navire,
  113.  
  114.           Bon, va-t'en bien, 
  115.           Coucher tard, lever matin.
  116.  
  117. J' me poserais sur le mët du navire, 
  118. J'entenderais tous les mariniers dire:
  119.  
  120.           Bon, va-t'en bien, 
  121.           Coucher tard, lever matin.
  122.  
  123. ╟Sire, mon roi, donnez-moi votre fille.╚
  124.  
  125.  
  126. -Beau marinier, vous Étes point z-assez riche.
  127.  
  128.  
  129. Sire, mon roi, je suis bien que trÅs riche.
  130.  
  131. J'ai trois navires sur la mer-e Baltique,
  132.  
  133. I' y a une chargÄe d'or, l'autre de perleries,
  134.  
  135. Et l'autre, c'est pour promener ma mie.
  136.  
  137.  
  138. -Beau marinier, je vous donne ma fille.
  139.  
  140.  
  141. -Sire, mon roi, je vous en remercie.
  142.  
  143. Que votre fille est z-une vraie toupie.
  144.  
  145. RÄfÄrence: Peacock, Kenneth, Songs of the Newfoundland Outports, (Ottawa,MusÄes nationaux du Canada, 1965), Vol 3, p. 889.  
  146.  
  147.