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Text File  |  1996-08-11  |  23KB  |  73 lines

  1. LA GARNISON DE L'├ÄLE ROYALE (1713-1745) 
  2.  
  3. Margaret Fortier 
  4.  
  5.      ├Ç l'issue de la guerre de la Succession d'Espagne (1702-1713), la France vaincue dut c├⌐der Terre-Neuve ├á la Grande-Bretagne; cet abandon mena├ºait de lui faire perdre le contr├┤le du Saint- Laurent, voie d'acc├¿s au Canada, sans compter celui de l'industrie lucrative de la p├¬che sur les grands bancs. Par cons├⌐quent, dans le but de contrebalancer l'h├⌐g├⌐monie britannique ├á Terre-Neuve et en Acadie, la France ├⌐tablit la colonie de l'├«le Royale, qui comprenait l'├«le du Cap-Breton, rebaptis├⌐e ├«le Royale, et l'├«le Saint-Jean, devenue depuis l'├Äle-du-Prince-├ëdouard.  La colonie fut bient├┤t d'une ├⌐norme importance ├⌐conomique et strat├⌐gique pour la France, et pour les rivaux de cette derni├¿re une source d'irritation.
  6.  
  7. Louisbourg, capitale et forteresse de l'├«le Royale 
  8.  
  9.      L'un des premiers probl├¿mes qui se pos├¿rent ├á l'├«le Royale fut le choix d'un site pour la capitale et les principales fortifications. ├ëtant donn├⌐ l'importance de la p├¬che, on devait se pr├⌐occuper avant tout de la qualit├⌐ du port et de sa distance par rapport aux p├¬cheries. Bien qu'on f├╗t unanime ├á dire que Havre-├á-l'Anglais, rebaptis├⌐ Louisbourg en l'honneur du roi de France, poss├⌐dait le meilleur port, cet emplacement fut d'abord rejet├⌐ parce qu'il ├⌐tait trop difficile de fortifier et de d├⌐fendre le terrain avoisinant. Louisbourg offrait en outre peu de possibilit├⌐s pour l'agriculture, avec son paysage de marais domin├⌐ par des collines rocheuses. Le si├¿ge du gouvernement fut donc ├⌐tabli ├á Port Dauphin. Les p├¬cheurs continu├¿rent toutefois d'utiliser le port de Louisbourg, dont la population fut bient├┤t la plus ├⌐lev├⌐e. Les autorit├⌐s fran├ºaises, devant la popularit├⌐ de l'endroit, y transport├¿rent la capitale en d├⌐pit des inconv├⌐nients, et entreprirent en 1719 la construction des ouvrages de d├⌐fense.
  10.  
  11.      On d├⌐finit g├⌐n├⌐ralement une forteresse comme une place forte pourvue d'une garnison et d'une population civile. Louisbourg, ├á l'origine rien d'autre qu'un port r├⌐unissant divers postes de p├¬che, devint en vingt ans une forteresse, ├á mesure que s'├⌐lev├¿rent des murs massifs en ma├ºonnerie entourant une ville de plus en plus importante et prosp├¿re, o├╣ se voyaient maisons, ateliers, auberges, cabarets, entrep├┤ts, h├┤pital et couvent pour l'├⌐ducation des jeunes filles. Cependant, bien avant l'ach├¿vement de ses fortifications, Louisbourg ├⌐tait administr├⌐e comme une place de guerre semblable ├á celles qui gardaient alors les c├┤tes et les fronti├¿res de la France. Comme dans les autres colonies de la Nouvelle-France, l'autorit├⌐ ├⌐tait principalement exerc├⌐e par le gouverneur militaire. Les civils devaient se plier ├á certains r├¿glements militaires restreignant le passage des portes de la ville et, surtout pendant la nuit, la circulation ├á l'int├⌐rieur m├¬me de l'enceinte. Les activit├⌐s habituelles comme la rel├¿ve de la garde ou la punition publique des soldats d├⌐linquants ponctuaient la vie quotidienne. De plus, les officiers et les hommes de la garnison ├⌐taient en contact avec la population civile ├á presque tous les ├⌐chelons de la soci├⌐t├⌐.
  12.  
  13. Composition de la garnison de l'├«le Royale 
  14.  
  15.      Les troupes casern├⌐es ├á l'├«le Royale, comme dans toutes les colonies fran├ºaises de l'├⌐poque, appartenaient principalement aux compagnies franches de la Marine. En d├⌐pit du fait que leurs officiers d├⌐tenaient parfois double statut, ce qui leur permettait de servir en mer comme ├á terre, les soldats des compagnies franches devaient servir ├á terre; on les regardait d'ailleurs comme l'infanterie de la Marine. Plusieurs changements furent apport├⌐s ├á la taille et ├á l'organisation de la garnison de l'├«le Royale au cours des ann├⌐es, mais en 1745 elle comptait huit compagnies des troupes de la Marine; chacune ├⌐tait compos├⌐e de soixante-dix hommes, et command├⌐e par un capitaine assist├⌐ d'un lieutenant et de deux enseignes.
  16.  
  17.      En 1722 vient s'ajouter aux troupes des compagnies franches un d├⌐tachement de cinquante hommes du r├⌐giment de Karrer. Ce corps r├⌐unissait des mercenaires de diverses nationalit├⌐s; au service du roi de France, il ├⌐tait command├⌐ depuis Rochefort (France) par un colonel suisse, Franz Adam Karrer. Des d├⌐tachements additionnels de ce r├⌐giment furent envoy├⌐s ├á l'├«le Royale en 1724 et en 1741; en 1745, il comptait dans la colonie cent cinquante hommes et officiers. Les seuls autres effectifs assurant la d├⌐fense de l'├«le Royale avant 1745 ├⌐taient les trente membres de la compagnie des canonniers, constitu├⌐e en 1743 pour le service de la batterie de Louisbourg. La garnison comprenait donc six cents hommes environ et quatre-vingt-huit officiers, ce qui en faisait l'une des plus fortes qu'aient ├⌐tablies les Anglais ou les Fran├ºais en Am├⌐rique du Nord.
  18.  
  19. Les fortifications de Louisbourg 
  20.  
  21.      Au moment o├╣ l'on dressait les plans des fortifications de Louisbourg, la r├⌐putation de la ville en tant que centre commercial et port de p├¬che ├⌐tait encore ├á faire. Si la France n'avait cherch├⌐ qu'├á prot├⌐ger la population civile, de modestes ouvrages de d├⌐fense auraient sans doute paru suffisants. Cependant, toute l'importance de la place venait de ce qu'elle t├⌐moignait de la puissance de la France, qui n'y investissait autant de temps et d'argent que pour signifier ├á ses rivaux qu'elle entendait bien d├⌐fendre ses int├⌐r├¬ts dans l'Atlantique Nord.
  22.  
  23.      La construction de d├⌐fenses en ma├ºonnerie ├á un emplacement comme celui de Louisbourg posait des probl├¿mes ├⌐normes. Non seulement le terrain convenait mal ├á des fortifications de style europ├⌐en, mais le climat froid et humide ne laissait pas une saison de travail assez longue pour que le mortier durcisse convenablement. Aussi, l'entretien et les r├⌐parations pr├⌐sentaient-ils d├⌐j├á de s├⌐rieuses difficult├⌐s bien avant l'ach├¿vement de la forteresse. Il fallait importer de France une grande partie des mat├⌐riaux de construction, et les entrepreneurs et ing├⌐nieurs ne pouvaient compter sur une main-d'oeuvre locale. Comme solution ├á ce dernier probl├¿me, on d├⌐cida d'avoir recours principalement aux soldats de la garnison.
  24.  
  25.      Les hommes n'avaient pas le choix de participer ou non aux travaux, qui pouvaient s'av├⌐rer difficiles et dangereux: tout soldat fort et en bonne sant├⌐ ├⌐tait automatiquement affect├⌐ ├á la construction. Seuls ceux que l'on estimait trop ├óg├⌐s ou trop faibles ├⌐taient charg├⌐s de monter la garde ou d'ex├⌐cuter d'autres t├óches ordinairement associ├⌐es ├á un poste militaire. Le ministre de la Marine, responsable de l'administration des colonies, ordonna de proc├⌐der au recrutement en tenant compte du besoin d'ouvriers. On recherchait surtout des hommes de m├⌐tier, comme des ma├ºons ou des charpentiers. En cons├⌐quence, la garnison de Louisbourg ├⌐tait partag├⌐e, entre 1720 et 1745, en deux groupes distincts: l'un qui travaillait aux fortifications et l'autre qui montait la garde. Bien que ce dernier f├╗t appel├⌐ ├á s'accro├«tre avec l'expansion des ouvrages de d├⌐fense, qui amenait l'├⌐tablissement de nouveaux corps de garde, les hommes les plus jeunes, les plus forts et les mieux portants travaillaient toujours ├á la construction.
  26.  
  27.      En France, des r├¿glements stricts r├⌐gissaient le salaire auquel avaient droit les soldats tenus de prendre part ├á des travaux de construction, mais tel n'├⌐tait pas le cas ├á l'├«le Royale. Dans le but peut-├¬tre d'encourager les enr├┤lements, on permit aux hommes qui ├⌐taient dispos├⌐s ├á s'embarquer pour Louisbourg de n├⌐gocier leur salaire. N'ayant pas ├á craindre la concurrence, ceux-ci exig├¿rent une r├⌐mun├⌐ration sup├⌐rieure ├á la moyenne. ├Ç une occasion au moins, ils obtinrent de l'entrepreneur une paye quotidienne ├⌐gale ├á leur solde mensuelle. Afin de d├⌐dommager les hommes oblig├⌐s de monter la garde, et par cons├⌐quent emp├¬ch├⌐s de gagner ce suppl├⌐ment, on pr├⌐leva pour le redistribuer parmi eux un certain pourcentage du salaire que recevait chaque soldat travaillant aux fortifications. De cette fa├ºon, la garnison enti├¿re put profiter financi├¿rement de la construction des ouvrages de d├⌐fense, des routes et des ├⌐difices gouvernementaux.
  28.  
  29. Conditions d'enr├┤lement 
  30.  
  31.      Le recrutement pour les compagnies franches casern├⌐es ├á l'├«le Royale fut men├⌐ exclusivement en France. On repoussait en effet les offres de services des habitants de la colonie, dans la crainte de retarder la croissance de la r├⌐gion. Bien que l'enr├┤lement pour les colonies s'effectu├ót le plus souvent ├á Paris, les hommes venaient de diverses parties de la France. Nul ne devait ├¬tre engag├⌐ s'il n'avait 16 ans ou plus et ne mesurait au moins 5 pi 6 po (1,68 m), mais on ignorait souvent ces restrictions lorsque les volontaires ├⌐taient rares. Beaucoup toutefois furent attir├⌐s par l'octroi d'une prime, et la perspective d'obtenir abri, v├¬tements et repas r├⌐guliers amena les pauvres et les ch├┤meurs. Quoique l'on accept├ót, exceptionnellement, des engagements limit├⌐s ├á une p├⌐riode de six ans, la plupart des recrues se retrouv├¿rent inscrites pour la vie.
  32.  
  33.      Il n'est donc pas ├⌐tonnant que beaucoup de soldats aient servi ├á Louisbourg pendant trente ou quarante ans. Certains d'entre eux, selon un gouverneur, ├⌐taient si ├óg├⌐s qu'ils avaient de la peine ├á mettre un pied devant l'autre. Les hommes qui s'├⌐taient engag├⌐s ├á vie ne pouvaient quitter le service qu'une fois admissibles ├á l'une des deux lib├⌐rations pour anciennet├⌐ accord├⌐es annuellement dans chaque compagnie, ou devenus invalides ou trop vieux pour remplir leurs fonctions. La plupart des vieux soldats ne demandaient pas leur renvoi ├á moins d'├¬tre tout ├á fait impotents, parce qu'alors seulement ils pouvaient esp├⌐rer obtenir une pension. Pour beaucoup, le retour ├á la vie civile ne laissait pas d'autre source possible de revenu. Sans doute les autorit├⌐s reconnaissaient-elles que les engagements ├á vie nuisaient au moral des troupes, mais elles n'├⌐taient g├⌐n├⌐ralement gu├¿re dispos├⌐es ├á consacrer temps et argent pour renvoyer chaque ann├⌐e en France un grand nombre d'hommes et pour recommencer toujours l'instruction de nouvelles recrues.
  34.  
  35. La vie de garnison 
  36.  
  37.      La journ├⌐e du soldat, que celui-ci f├╗t charg├⌐ de monter la garde ou de travailler aux fortifications, commen├ºait avec le signal du r├⌐veil, ├á 4 heures en ├⌐t├⌐ et ├á 6 heures en hiver. Dans les ├⌐tablissements fran├ºais qui n'avaient pas ├á r├⌐aliser d'importants programmes de construction, l'entra├«nement de la garnison pouvait se faire au d├⌐but de la matin├⌐e, avant qu'on n'e├╗t ├á ex├⌐cuter d'autres t├óches. ├Ç Louisbourg, cependant, les exercices furent interrompus en 1721, l'ing├⌐nieur s'├⌐tant plaint qu'ils amenaient un ralentissement des travaux. Bien qu'aucun document n'indique une reprise, l'entra├«nement recommen├ºa peut-├¬tre avec la mont├⌐e de la tension entre la Grande-Bretagne et la France. L'arr├¬t de l'entra├«nement r├⌐gulier signifiait toutefois que les fonctions d'un bon nombre de soldats n'auraient plus grand-chose ├á voir avec celles que l'on associe d'ordinaire ├á la vie militaire. De fait, un homme pouvait faire partie de la garnison de Louisbourg depuis vingt ans sans avoir jamais eu ├á tirer du mousquet, ├á moins d'├¬tre all├⌐ ├á la chasse. Il n'est donc pas ├⌐tonnant qu'un nouveau gouverneur soit rest├⌐ atterr├⌐, en 1739, devant l'aspect de la garnison qu'il passait en revue. Les gardes avaient ├⌐t├⌐ choisis pour leur mauvaise condition physique, qui les emp├¬chait de prendre part aux durs travaux de construction, et les soldats employ├⌐s comme ouvriers manquaient totalement d'allure militaire. Cette situation avait certainement de quoi alarmer l'ancien capitaine d'un b├ótiment de guerre hautement disciplin├⌐. On ne chercha gu├¿re ├á am├⌐liorer les choses toutefois, la s├⌐curit├⌐ de la forteresse au cours des quelques ann├⌐es ├á venir exigeant que les fortifications soient achev├⌐es, ou m├¬me r├⌐par├⌐es en certains endroits.
  38.  
  39.      Il y avait cinq corps de garde ├á Louisbourg en 1744: trois aux portes de la ville et deux ├á l'int├⌐rieur de l'enceinte. Chacun de ces postes exigeait la pr├⌐sence de douze ├á vingt hommes, selon le nombre de sentinelles. La garde ├⌐tait relev├⌐e toutes les vingt-quatre heures, ├á 4 heures en ├⌐t├⌐ et ├á 5 heures en hiver. Chaque soldat de service devait rester en faction pendant six ├á huit heures au total. Les sentinelles ├⌐taient normalement relev├⌐es au bout de deux heures, mais lorsque le froid ├⌐tait extr├¬me elles n'├⌐taient post├⌐es que pour une heure ├á la fois. Le service de garde avait une grande importance, et la vigilance des sentinelles ne devait jamais se rel├ócher. En certaines circonstances, le seul fait de s'endormir ou m├¬me de s'asseoir pouvait amener une condamnation ├á mort. On trouvait au corps de garde d'├⌐pais manteaux pour se prot├⌐ger des intemp├⌐ries.
  40.  
  41.      Les d├⌐sertions ├⌐taient rares en d├⌐pit du climat rigoureux et du travail rude, principalement parce que les hommes n'avaient nulle part o├╣ aller. Sans doute pouvait-on se r├⌐fugier quelque temps dans les for├¬ts denses de l'├«le, mais Louisbourg ├⌐tait ├⌐loign├⌐ des autres centres. Lorsque sa tentative ne lui co├╗tait pas la vie, le d├⌐serteur retournait ├á la forteresse de lui-m├¬me, s'il n'y ├⌐tait ramen├⌐ par une patrouille. La d├⌐sertion entra├«nait la peine de mort devant un peloton d'ex├⌐cution, mais le coupable b├⌐n├⌐ficiait parfois de la cl├⌐mence de ses juges s'il pouvait d├⌐montrer qu'il avait eu un motif pressant de d├⌐serter.
  42.  
  43. Avant-postes 
  44.  
  45.      Les d├⌐sertions ├⌐taient plus fr├⌐quentes et avaient de meilleures chances de r├⌐ussir aux avant-postes occup├⌐s par des d├⌐tachements, ├á Port-Toulouse et ├á Port-la-Joie (voir la diapositive n┬░ 1). Comme ces deux postes ├⌐taient plus rapproch├⌐s des ├⌐tablissements britanniques de Canso et d'Annapolis Royal, en Nouvelle-├ëcosse (Acadie), ii arrivait souvent que des soldats d├⌐sertent pour chercher refuge aupr├¿s de l'ennemi. Les conditions de vie sur l'├«le Saint-Jean ├⌐taient particuli├¿rement mauvaises, ce qui rendait plus forte encore la tentation de d├⌐serter. En outre, les hommes envoy├⌐s aux avant-postes perdaient le suppl├⌐ment qu'ils auraient re├ºu s'ils avaient ├⌐t├⌐ employ├⌐s ├á la construction de la forteresse. Dans le but de satisfaire les soldats et de r├⌐duire le nombre de d├⌐sertions, le gouverneur de l'├«le Royale garantit ├á ses hommes que personne ne serait envoy├⌐ ├á un avant-poste pour plus d'un an. Le troisi├¿me et le plus petit de ces ├⌐tablissements ├⌐tait situ├⌐ ├á Port-Dauphin, premi├¿re capitale de la colonie.
  46.  
  47.      La garnison de Louisbourg fournissait aussi des troupes ├á la batterie Royale, situ├⌐e ├á environ 1,5 km de la forteresse, et ├á la batterie de l'Islet, dans le port (voir la diapositive n  2). Ces deux batteries devaient interdire l'acc├¿s du port aux vaisseaux ennemis. Avec les batteries c├┤ti├¿res install├⌐es dans la forteresse m├¬me, elles disposaient d'une partie des pi├¿ces les plus puissantes pour la d├⌐fense de Louisbourg. Le service de la batterie Royale ├⌐tait consid├⌐r├⌐ comme un privil├¿ge par les officiers, et sans doute aussi par les hommes. Un syst├¿me de rotation annuelle donnait ├á chaque compagnie l'occasion d'y s├⌐journer. Chaque printemps, une compagnie enti├¿re, y compris les familles et le b├⌐tail des officiers, d├⌐m├⌐nageait de la ville ├á la batterie. Comme il y avait d'ordinaire du travail ├á la batterie ou sur les routes avoisinantes, les soldats pouvaient continuer ├á grossir leur salaire.
  48.  
  49.      La batterie de l'Islet n'├⌐veillait pas autant d'enthousiasme. Bien qu'elle ne f├╗t qu'├á une petite distance de la rive, les hommes qu'on y affectait devaient y demeurer jusqu'├á la fin de leur tour de service. Comme la navigation ├⌐tait pratiquement au point mort pendant l'hiver, on n'estimait pas n├⌐cessaire d'y laisser un effectif complet. Par cons├⌐quent, il ne restait dans l'├«le qu'un ou deux soldats et un concierge depuis novembre jusqu'├á avril ou mai, o├╣ ils ├⌐taient enfin relev├⌐s par un plus gros d├⌐tachement.
  50.  
  51.      Les soldats du r├⌐giment de Karrer ne demandaient pas d'affectation aux avant-postes ni aux batteries. Pr├⌐occup├⌐s avant tout de s'enrichir, ils ne montaient la garde dans la forteresse que lorsqu'une maladie ou une blessure les emp├¬chait de travailler aux fortifications. Certes, ├⌐tant donn├⌐ l'honneur qu'on attachait ├á ce poste, les officiers du r├⌐giment demand├¿rent d'├¬tre envoy├⌐s pour un an ├á la batterie Royale, mais leur requ├¬te fut repouss├⌐e car ils avaient d├⌐j├á refus├⌐ d'aller ├á leur tour dans les postes moins enviables.
  52.  
  53. La mutinerie et le si├¿ge 
  54.  
  55.      Jusqu'├á pr├⌐sent, notre examen de la garnison de l'├«le Royale a d├⌐peint une existence qui, si loin fut-elle de l'id├⌐al propos├⌐ par les normes modernes, offrait n├⌐anmoins quelque nourriture, un abri ainsi qu'une libert├⌐ et un salaire sup├⌐rieurs ├á la moyenne de l'├⌐poque -- avantages dont beaucoup de soldats n'auraient pas profit├⌐ en France en qualit├⌐ de civils. En 1744, toutefois, la reprise du conflit avec la Grande-Bretagne apporta des changements substantiels dans la vie quotidienne de la garnison.
  56.  
  57.      Toutes les permissions et les lib├⌐rations furent suspendues pour la dur├⌐e de la guerre. En cons├⌐quence, plusieurs hommes du r├⌐giment de Karrer et quelques soldats fran├ºais furent incapables de quitter la colonie apr├¿s leur temps de service. On imagine ais├⌐ment leur d├⌐tresse ├á la perspective de passer encore un autre hiver mis├⌐rable dans les confins d'un Louisbourg glac├⌐, battu par les vents. L'hiver devint encore plus insupportable par suite d'une p├⌐nurie de bois de chauffage, et les hommes trouv├¿rent dans leurs rations des l├⌐gumes pourris. L'agitation monta encore chez certains, le gouverneur ayant manqu├⌐ ├á sa promesse de remettre une part du butin ├á chacun de ceux qui avaient particip├⌐, en mai 1744, ├á la prise du fortin d├⌐fendant le poste de p├¬che des Britanniques ├á Canso.
  58.  
  59.      Il se manifestait en outre un m├⌐contentement g├⌐n├⌐ral devant les mesures prises pour pr├⌐parer la garnison en vue d'une probable offensive britannique. Pour la premi├¿re fois peut-├¬tre depuis la fondation de Louisbourg, presque toute la garnison vivait ├á la caserne dans l'observance des r├¿glements. Les hommes n'avaient pas ├⌐t├⌐ autoris├⌐s ├á passer l'hiver ├á l'ext├⌐rieur de la forteresse pour couper du bois, chasser et se faire un revenu suppl├⌐mentaire, comme beaucoup en avaient l'habitude. De plus, les fortifications ├⌐tant quasi achev├⌐es, on pr├⌐voyait peu de travaux de construction pour 1745. Les soldats ├⌐taient donc bien pr├¿s de perdre leur second salaire, et de devoir se contenter de leur maigre solde. Ainsi, la garnison de l'├«le Royale se voyait retirer d'un coup les privil├¿ges que depuis longtemps elle regardait comme son d├╗. Avec le d├⌐but de la saison froide et les revers essuy├⌐s par la France dans la guerre navale et la guerre de course, la colonie se sentit de plus en plus isol├⌐e, et l'arriv├⌐e des approvisionnements d'outre-mer ralentit consid├⌐rablement. Le m├⌐contentement se r├⌐pandit, et deux jours apr├¿s No├½l il ├⌐clata.
  60.  
  61.      Les soldats du r├⌐giment de Karrer, violant la devise de leur corps, Fidelitate et honore terra et mari, se soulev├¿rent contre les officiers de la garnison. Peu apr├¿s, les troupes fran├ºaises pr├¬t├¿rent leur concours ├á ce crime militaire, le plus grave de tous. Malgr├⌐ le r├⌐tablissement d'une paix inqui├¿te au bout de plusieurs jours, aucune confiance n'existait plus entre les officiers et leurs hommes, et leurs relations allaient ├¬tre d├⌐sormais teint├⌐es de m├⌐fiance.
  62.  
  63.      Le 11 mai, les sentinelles aper├ºurent la flotte d'invasion venue de Nouvelle-Angleterre sous le commandement du colon William Pepperell. ├Ç Pointe Plate, soit ├á 5 km de la forteresse en  descendant vers la c├┤te, l'ennemi ne rencontra qu'une faible r├⌐sistance et, au coucher du soleil, quelque deux mille hommes avaient d├⌐barqu├⌐ dans l'├«le Royale. En France, le ministre de la Marine ├⌐tait d'avis que, la nouvelle du mauvais moral de la garnison et de son soul├¿vement ├⌐tant parvenue en Nouvelle-Angleterre, on avait cru l├á-bas au succ├¿s possible d'une attaque. Bien que les troupes fran├ºaises et les hommes du r├⌐giment de Karrer combattirent vaillamment pendant les sept semaines de si├¿ge qui acquit la forteresse aux Britanniques, les autorit├⌐s militaires de la France n'allaient pas oublier la mutinerie, d'autant plus que deux hommes du r├⌐giment de Karrer, qui avait ├⌐t├⌐ le premier ├á se r├⌐volter, ├⌐taient pass├⌐s ├á l'ennemi avec des d├⌐tails sur les difficult├⌐s que connaissait la ville assi├⌐g├⌐e.
  64.  
  65.      En acceptant les conditions de la reddition, les Britanniques s'engageaient ├á ramener la garnison vaincue en France, o├╣ la justice militaire dans toute sa rigueur attendait les chefs de la mutinerie. Au total, sept hommes moururent pour leur participation; deux autres furent condamn├⌐s ├á ramer leur vie durant sur les gal├¿res fran├ºaises en M├⌐diterran├⌐e, et le dernier ├⌐chappa ├á l'ex├⌐cution en s'├⌐vadant. Dans la crainte de repr├⌐sailles encore plus ├⌐tendues, plus de cent soldats des troupes de la Marine s'enfuirent en 1745-1746 de Rochefort, o├╣ ils ├⌐taient casern├⌐s depuis leur retour en France.
  66.  
  67. La fin de Louisbourg 
  68.  
  69.      Rendue ├á la France aux termes du trait├⌐ d'Aix-la-Chapelle (1748), la forteresse fut reprise par les Britanniques au cours de la guerre de Sept Ans. Dans l'intervalle, l'un des ing├⌐nieurs fran├ºais les plus remarquables avait dirig├⌐ la r├⌐paration et l'am├⌐lioration des ouvrages de d├⌐fense, et le nombre des compagnies franches de la Marine (compos├⌐es chacune de cinquante hommes ├á l'├⌐poque) ├⌐tait pass├⌐ de huit ├á vingt-quatre; il s'y ├⌐tait joint des troupes de l'infanterie r├⌐guli├¿re. Ces mesures s'av├⌐r├¿rent toutefois insuffisantes, car en 1758 un nouveau si├¿ge remit la colonie aux Britanniques. Deux ans plus tard, le Secr├⌐tariat d'├ëtat britannique ordonna le d├⌐mant├¿lement de la forteresse, symbole de l'ambition coloniale de la France.
  70.  
  71.      Cette lutte finale pour la prise de Louisbourg a certainement retard├⌐ l'avance des Britanniques sur le Saint-Laurent, et fait diff├⌐rer d'un an l'assaut contre Qu├⌐bec; toutefois, la grande forteresse avait d├⌐j├á m├⌐rit├⌐ une place pr├⌐dominante dans les premi├¿res pages de l'histoire canadienne: son port ├⌐tait le troisi├¿me en Am├⌐rique du Nord pour le volume d'activit├⌐s, apr├¿s Boston et Philadelphie, et servait d'immense entrep├┤t pour le commerce avec les Antilles; en tant qu'├⌐tablissement de p├¬che, il apportait ├á l'├⌐conomie fran├ºaise une contribution sup├⌐rieure ├á celle du commerce des fourrures au Canada; enfin, la soci├⌐t├⌐ de Louisbourg ├⌐tait l'une des plus raffin├⌐es du Nouveau Monde: c'est elle en effet qui recevait la premi├¿re les nouvelles et les modes les plus r├⌐centes d'Europe. Nous pouvons donc nous f├⌐liciter d'├¬tre en mesure d'admirer aujourd'hui, gr├óce aux travaux de reconstruction, une partie de la forteresse et de la ville qui furent jadis le fier bastion de la France, gardien de l'Atlantique Nord.  
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