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Text File  |  1996-08-11  |  31KB  |  55 lines

  1. ┬½GARDER LA COLOMBIE-BRITANNIQUE POUR LES BLANCS┬╗: SENTIMENT ANTI-ASIATIQUE DANS L'OUEST (1858-1949)
  2.  
  3. Stephen M. Beckow 
  4.  
  5.      Le conflit entre les cultures asiatique et europ├⌐enne en Am├⌐rique de Nord ne d├⌐coule pas d'une s├⌐rie d'incidents locaux, ni ne constitue une simple suite ├á l'histoire mondiale. Au contraire, il est le r├⌐sultat important de nombreux ├⌐v├⌐nements humains significatifs du dix-neuvi├¿me si├¿cle, soit le d├⌐veloppement des communications transoc├⌐aniques rapides, la colonisation de l'ouest de l'Am├⌐rique du Nord, la crise due ├á la surpopulation asiatique et les invasions des puissances europ├⌐ennes en Asie. Par suite de ce concours de circonstances, des centaines d'├⌐migrants asiatiques ont travers├⌐ le Pacifique, certains ├á destination du Canada. Nombre d'entre eux, pleins d'espoirs de succ├¿s n'y ont trouv├⌐ que conflits. Bien qu'en si peu de temps nous ne puissions que dessiner les grandes lignes de ces questions alors si vitales, il nous faut au moins ├⌐voquer les craintes et les frustrations qui caract├⌐risent les mouvements des deux groupes en opposition.
  6.  
  7.      Quand les blancs de la Colombie-Britannique mentionnent l'existence d'un ┬½probl├¿me oriental┬╗, ils r├⌐unissent dans cette expression un m├⌐lange d'├⌐motions et de sentiments abstraits ├á divers degr├⌐s. Le ┬½probl├¿me oriental┬╗ comprend les questions ├⌐conomiques aussi bien que culturelles; c'est un dilemme tant sur le plan personnel que sur le plan des relations humaines. Les blancs de l'├⌐poque sentent une menace ├á leur mode de vie et voient la fin de leur r├¬ve de puret├⌐ et de domination anglo-saxonne dans la partie ouest de l'Am├⌐rique du Nord britannique. Ils d├⌐signent sous le terme d'┬½oriental┬╗ tous ceux qui viennent d'Asie, souvent m├¬me ceux qui sont originaires du Proche-Orient. Ils y incluent aussi les ┬½Hindous┬╗, au troisi├¿me rang des groupes asiatiques importants. Mais ce sentiment de pers├⌐cution dont souffrent les blancs de la Colombie-Britannique s'adresse surtout aux Chinois et aux Japonais, et ceci pour deux raisons. La premi├¿re, c'est que les immigrants de l'Inde orientale, le groupe suivant par ordre d'importance, sont encore peu nombreux par rapport aux deux autres groupes. En 1908, ann├⌐e de la mise en vigueur de nouvelles lois limitant le flot de l'immigration entre l'Inde et le Canada, il n'y a qu'environ 5 000 Indiens de l'Est qui sont entr├⌐s au Canada, beaucoup ne faisant que passer, en route vers les ├ëtats-Unis. En 1911, le nombre d'immigrants de l'Inde orientale tombe ├á 2 342, comparativement ├á 9 021 Japonais et 27 774 Chinois.
  8.  
  9.      L'autre raison, c'est que ces Indiens arrivent d'une colonie de l'Empire britannique; en tant que sujets britanniques, ils risquent de tomber facilement sous le coup de lois qui ne peuvent s'appliquer aux Chinois ou aux Japonais. En outre, comme peuple soumis, ils n'ont pas la m├¬me attitude raciale agressive que plusieurs blancs pr├¬tent aux Japonais. C'est pourquoi, nous nous limitons ├á ne parler que des deux principaux groupes asiatiques qui pr├⌐occupent les habitants de la Colombie-Britannique au cours de la seconde moiti├⌐ du dix-neuvi├¿me si├¿cle et de la premi├¿re moiti├⌐ du vingti├¿me.
  10.  
  11.      Comme le dit Stanford Lyman, la situation malheureuse dans leur pays et l'attrait des possibilit├⌐s offertes ├á l'├⌐tranger durant la deuxi├¿me moiti├⌐ du dix-neuvi├¿me si├¿cle poussent un grand nombre de Chinois ├á quitter leur terre natale. Pour fuir les d├⌐sastres naturels et un soul├¿vement politique dans les provinces de Kouangtong et de Foukien, des masses d'habitants se r├⌐fugient dans les villes c├┤ti├¿res; l├á, ayant vent des d├⌐couvertes d'or en Californie, en 1847, une partie d'entre eux payent 25$ ou 50$ pour la travers├⌐e vers San Francisco. De l├á, comme commer├ºants et prospecteurs ils gagnent les r├⌐gions aurif├¿res. Parmi eux se trouvent, en 1858, les premiers Chinois ├á destination de la Colombie-Britannique, colonie de la Couronne, attir├⌐s eux aussi par de nouvelles d├⌐couvertes d'or du c├┤t├⌐ du fleuve Fraser. Apr├¿s les ru├⌐es vers l'or en Colombie-Britannique, l'immigration chinoise diminue. Quand elle reprend, apr├¿s 1881, les Chinois viennent, non plus comme prospecteurs et marchands libres mais comme journaliers ├á contrat, oblig├⌐s de r├⌐gler la dette r├⌐sultant de la travers├⌐e en travaillant dans des ├⌐quipes de construction du chemin de fer. Les premi├¿res maisons de commerce, comme la compagnie Kwong Lee de Victoria, organisent l'arriv├⌐e de groupes de terrassiers ├á contrat. Le premier convoi important d'ouvriers est l'oeuvre de l'entrepreneur principal de l'Ouest, Andrew Onderdonk, qui fait venir au Canada, entre 1881 et 1884, pr├¿s de 16 000 terrassiers pour construire la section pacifique du Canadien Pacifique. La plupart des ├⌐migrants chinois quittent leur pays avec la ferme intention d'y revenir apr├¿s avoir amass├⌐ un certain capital, et il semble que la moiti├⌐ de ceux qui sont venus en Colombie-Britannique avant la Premi├¿re Guerre mondiale soient effectivement retourn├⌐s en Chine.
  12.  
  13.      ├Ç la m├¬me ├⌐poque, la surpopulation et les bouleversements politiques au Japon dans les districts sud de Honsyu et nord de Kiou Siou poussent les fermiers sans terre et les p├¬cheurs pauvres ├á chercher fortune ├á l'├⌐tranger. Comme en Chine, les invasions des imp├⌐rialistes occidentaux affaiblissent le r├⌐gime central, mais, contrairement aux Mandchous, le shogunat de Tokugawa ne r├⌐siste pas aux premi├¿res agitations. La dynastie imp├⌐riale des Meiji est r├⌐tablie en 1867, un de ses premiers rescrits ├⌐largit la politique d'├⌐migration. Une foule de Japonais s'installent alors dans la colonie d'Hokka├»do, puis en Chine continentale et en Russie asiatique, et enfin dans les ├«les Hawaii. Pendant les ann├⌐es qui pr├⌐c├¿dent 1898, date de l'annexion des Hawaii aux ├ëtats-Unis, les ├«les servent de point de transition pour les ├⌐migrants japonais qui vont aux ├ëtats-Unis et au Canada. C'est pour enrayer cette source d'immigration (ainsi que celle des colonies sino-britanniques), que le Canada adopte, en 1908, un r├¿glement refusant l'admission de tout immigrant qui n'arrive pas directement de son pays d'origine, ce qui interrompt l'immigration en provenance de l'Inde orientale. Bien que les Japonais viennent p├¬cher dans les eaux canadiennes d├¿s 1877, leur nombre s'accro├«t lentement, et n'atteint que 1 000 environ en 1896, mais apr├¿s il se multiplie rapidement. En 1901 et en 1911, cinq et dix fois ce nombre respectivement, ├⌐taient entr├⌐s au Canada.
  14.  
  15.      L'installation du chemin de fer du Pacifique est achev├⌐e en 1885; elle a sans doute ├⌐limin├⌐ la n├⌐cessit├⌐ d'employer des groupes importants de terrassiers chinois, mais elle n'a pas enray├⌐ le besoin de manoeuvres asiatiques dans d'autres secteurs de l'├⌐conomie. Les nouvelles mines ├á l'int├⌐rieur, d├⌐velopp├⌐es regulare ├á cause du r├⌐seau de chemins de fer et de ses embranchements, apr├¿s 1885, ainsi que les industries d├⌐j├á ├⌐tablies comme les mines de charbon et les conserveries de saumon, r├⌐clament ├á cor et ├á cri de la main-d'oeuvre orientale ├á bon march├⌐. ├Ç la m├¬me ├⌐poque, un nombre croissant de manoeuvres blancs de l'Est du Canada, de l'Ouest des ├ëtats-Unis et de l'Europe arrivent en Colombie-Britannique. Les hommes de l'Ouest am├⌐ricain, en particulier les mineurs, avaient d├⌐j├á travaill├⌐ avec des Orientaux, ce qui les porte ├á r├⌐agir avec discrimination et violence. Au cours de la plus violente ├⌐meute dirig├⌐e en 1885, contre les Chinois, vingt-huit d'entre eux sont massacr├⌐s par des gr├⌐vistes ├á Rock Springs (Wyoming), geste qui a pouss├⌐ le gouvernement am├⌐ricain ├á offrir ├á la Chine un d├⌐dommagement de pr├¿s de 277 000$. Cet incident et sa r├⌐plique beaucoup plus faible ├á Vancouver, deux ans plus tard, indiquent bien que les Orientaux ├⌐taient utilis├⌐s comme boucs ├⌐missaires dans la guerre entre ouvriers et patrons.
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  17.      Ceux qui favorisent l'immigration des Orientaux, selon les dires r├⌐p├⌐t├⌐s des porte-paroles des ouvriers, sont ceux qui profitent d'eux en les embauchant, ou ceux qui s'en servent pour semer la division dans le mouvement ouvrier. Parmi ceux qui l'encouragent, on compte les riches et les puissants : premiers ministres, banquiers, armateurs, industriels, entrepreneurs, propri├⌐taires de ranchs et fermiers. La composition de ce groupe ├á chang├⌐ apr├¿s la Premi├¿re Guerre mondiale, mais jusque l├á c'est un groupe de pression puissant contre l'exclusion des Orientaux.
  18.  
  19.      Financiers et industriels surveillent l'expansion du mouvement ouvrier avec des craintes non dissimul├⌐es. Ils se servent des travailleurs non-syndiqu├⌐s en Colombie-Britannique, y inclus les Orientaux, comme arme pour d├⌐sunir les rangs des syndicats ouvriers. En embauchant des non-syndiqu├⌐s pour remplacer les gr├⌐vistes, les employeurs intransigeants peuvent faire face aux p├⌐riodes d'agitation ouvri├¿re. Ces frictions provoqu├⌐es par l'utilisation des travailleurs orientaux ne menacent pas seulement l'unit├⌐ des syndicats, mais elles font aussi glisser la critique des patrons ┬½anti-syndicalistes┬╗ vers les ┬½briseurs de gr├¿ves┬╗ et les ┬½coolies.┬╗ Les ouvriers se r├⌐jouissent des mesures qui privent les Asiatiques d'exercer les droits et les privil├¿ges de la citoyennet├⌐, et les patrons eux n'y trouvent ├á redire. Tous les droits civiques ├⌐tant refus├⌐s aux employ├⌐s asiatiques, les patrons n'ont plus aucun sentiment d'obligation quant aux conditions de travail et aux niveaux de salaires r├⌐serv├⌐s ├á ces ┬½├⌐trangers.┬╗ Faute de jouir de ces droits, les ouvriers orientaux sont mis de plus en plus en plus ├á l'├⌐cart et perdent tout espoir de faire redresser leur situation par les politiciens en qu├¬te de votes.
  20.  
  21.      Mais le monde syndical s'inqui├¿te non seulement de la diminution des niveaux de salaires, il craint aussi les r├⌐percussions g├⌐n├⌐rales de cette utilisation des travailleurs ├á contrat. Ainsi, les travailleurs pr├⌐voyaient une ├¿re ┬½d'esclavage industriel┬╗, si les patrons r├⌐ussissaient ├á conserver le droit de faire venir, ├á contrat, des ├⌐trangers qui sont tenus de travailler dans de mauvaises conditions et ├á des salaires de mis├¿re. Les ouvriers blancs ne se soucient pas du sort des ┬½coolies┬╗ sous un tel r├⌐gime; si les ouvriers ├á contrat s'├⌐taient content├⌐s de postes d├⌐daign├⌐s par les travailleurs blancs, il n'y aurait sans doute pas eu la moindre objection au travail ├á contrat en soi. Autrement dit, les blancs n'ont rien contre le fait que les Chinois mettent du poisson en caisse, transportent du charbon, lavent la vaisselle, soient cuisiniers ou buandiers, taches beaucoup trop ┬½serviles┬╗ ou ┬½d├⌐plaisantes┬╗ pour les blancs. Or, la main-d'oeuvre ├á contrat est import├⌐e pour occuper des postes que les ouvriers blancs convoitent. Rivaliser pour ces emplois dans un march├⌐ de travail libre ├⌐quivaudrait ├á perdre tout ce que les ouvriers avaient r├⌐ussi ├á obtenir au cours des derniers cent ans. Ce serait le retour ├á la ┬½f├⌐odalit├⌐┬╗, la naissance d'un ordre nouveau domin├⌐ par les ┬½barons brigands┬╗ de l'industrie. Les chefs syndicaux et les intellectuels de classe moyenne s'├⌐l├¿vent contre une telle ├⌐volution.
  22.  
  23.      D├¿s 1878, des groupements de travailleurs sont cr├⌐├⌐s pour combattre l'immigration chinoise. La Workingman's Protective Association de Victoria annonce son intention d'obtenir ┬½une protection mutuelle de la classe ouvri├¿re de la Colombie-Britannique contre l'arriv├⌐e en masse de Chinois┬╗ et manifeste son d├⌐sir ┬½d'utiliser tous les moyens l├⌐gitimes pour en supprimer l'immigration.┬╗ Les terribles ├⌐meutes de Vancouver en 1887 et en 1907 et la gr├¿ve de Nanaimo en 1913 prouvent que les travailleurs de la Colombie-Britannique sont pr├¬ts ├á employer la force pour intimider les Orientaux, qui eux ne tiennent pas compte de leurs avertissements.
  24.  
  25.      Dans sa guerre contre l'immigration asiatique, le monde ouvrier est appuy├⌐ par deux autres groupes de Canadiens qui s'opposent ouvertement ├á la pr├⌐sence des Orientaux pour des raisons id├⌐ologiques plut├┤t qu'├⌐conomiques; les deux groupes sont compos├⌐s d'hommes d'affaires qui ne profitent pas du commerce ou de l'emploi des Orientaux, de politiciens, d'officiers de la milice, de fonctionnaires, de journalistes, de membres des professions lib├⌐rales et du clerg├⌐. Le premier groupe craint la domination raciale; la Colombie-Britannique constitue ├á leurs yeux un avant-poste de l'Empire britannique dans le Pacifique, dont la composition anglo-saxonne est mise en danger par cette mar├⌐e asiatique. Le second groupe s'inqui├¿te du bien-├¬tre social, pour eux, la Colombie-Britannique repr├⌐sente un avant-poste de la chr├⌐tient├⌐ occidentale, dont les conditions de vie et les principes chr├⌐tiens sont menac├⌐s par ┬½l'immoralit├⌐ pa├»enne.┬╗ Pendant que les travailleurs scrutent les ├⌐chelles de salaires, les amis de la population anglo-saxonne ├⌐tudient les tableaux d'immigration et les r├⌐formateurs religieux et sociaux d├⌐pouillent les statistiques concernant l'hygi├¿ne et le crime. Jonglant les faits fort savamment, les porte-paroles de ces deux groupes se convainquent bien que, comme l'a dit le jeune R.B. Bennett apr├¿s l'├⌐meute de Vancouver en 1907, ┬½la Colombie-Britannique doit rester un pays r├⌐serv├⌐ aux blancs.┬╗
  26.  
  27.      En pr├⌐parant leur strat├⌐gie, les ennemis des Orientaux font face ├á deux obstacles. D'abord, ils ne parviennent pas ├á ├⌐clairer les Canadiens de l'Est ┬½ignorants┬╗ de la ┬½question orientale┬╗, ni ├á les y int├⌐resser malgr├⌐ leurs efforts ┬½d'├⌐ducation de l'Est.┬╗ Cela vient en partie du fait que juste avant 1920, quand l'immigration a cess├⌐, le pourcentage des Orientaux en Colombie-Britannique, est de sept ├á onze pour cent, alors qu'il n'est que d'une fraction de un pour cent dans les autres provinces. Cela tient aussi du fait que le reste du Canada s'inqui├¿te davantage des r├⌐percussions que peut avoir l'arriv├⌐e des hommes ┬½en peaux de moutons.┬╗ Quoi qu'il en soit, la Colombie-Britannique s'est retrouv├⌐e toute seule dans sa lutte contre les Orientaux.
  28.  
  29.      D'autre part, les blancs anti-asiatiques sont g├¬n├⌐s par la r├⌐partition des pouvoirs entre le f├⌐d├⌐ral et la province. Selon les clauses de l'Acte de l'Am├⌐rique de Nord britannique, l'immigration, les affaires ext├⌐rieures, l'industrie et le commerce rel├¿vent d├⌐sormais du gouvernement f├⌐d├⌐ral. Les tentatives provinciales d'interdire les nationaux chinois ou d'exercer la discrimination ├á leur sujet sont rejet├⌐es par le gouvernement conservateur de Macdonald, car selon lui, ces questions ne rel├¿vent pas de la comp├⌐tence juridique de la Colombie-Britannique. Plus tard, le gouvernement lib├⌐ral de Laurier, surestimant les possibilit├⌐s de commerce avec le Japon, annule les dispositions visant uniquement les nationaux japonais. Cette situation est une source continuelle de frustrations pour les blancs anti-orientaux de cette province de l'Ouest, qui trouvent alors des moyens d├⌐tourn├⌐s de l├⌐gif├⌐rer contre les r├⌐sidents chinois et japonais. Toutes les questions de titres de propri├⌐t├⌐ et de droits civiques, de travaux publics provinciaux et municipaux, de terres de la Couronne et de permis rel├¿vent de la l├⌐gislature provinciale. Il ├⌐tait facile de libeller les lois portant sur ces domaines de fa├ºon ├á ce qu'elles ne s'adressent qu'aux Chinois et aux Japonais. Le gouvernement f├⌐d├⌐ral annule les lois dont l'├⌐nonc├⌐ touche les nationaux japonais, par exemple; par ailleurs, il accepte comme valides les lois provinciales qui concernent les Japonais en g├⌐n├⌐ral. Ce petit tour de passe-passe permet aux l├⌐gislateurs anti-orientaux d'entreprendre une campagne de restriction de l'activit├⌐ ├⌐conomique ├á l'int├⌐rieur de la province.
  30.  
  31.      Ainsi les adversaires de l'├⌐migration et de l'installation des Orientaux ont deux choix : chercher ├á faire cesser l'immigration en provenance des pays d'Asie, ou tenter de d├⌐truire les activit├⌐s ├⌐conomiques des Orientaux dans la province. Avant 1885, les demandes d'exclusion des Asiatiques n'ont gu├¿re de succ├¿s parce que le gouvernement f├⌐d├⌐ral reste convaincu que l'importation de groupes imposants de terrassiers est essentielle ├á l'ach├¿vement du chemin de fer du Canadien Pacifique. Mais en 1884, pr├⌐voyant la fin des travaux, le gouvernement f├⌐d├⌐ral accepte d'abord de faire enqu├¬te, puis d'imposer une capitation pour les immigrants d'Asie, ├á raison de 50$ en 1885, puis de 100$ en 1900 et de 500$ en 1903.
  32.  
  33.      Cette capitation ralentit l'immigration pendant quelque temps, puis ne semble plus du tout la g├¬ner. En 1911, des centaines de Chinois sont de nouveau arriv├⌐s dans la province; les enqu├¬teurs constatent que cet imp├┤t sert ├á augmenter les salaires de ceux qui sont d├⌐j├á sur place et leur permet de subventionner l'├⌐migration d'amis et de parents. La Premi├¿re Guerre mondiale ralentit ├á nouveau l'immigration, n├⌐anmoins, d├¿s sa fin, les ouvriers et les soldats d├⌐mobilis├⌐s s'unissent aux fermiers, aux p├¬cheurs et aux petits commer├ºants (auxquels les Orientaux font de plus en plus concurrence) pour exiger l'exclusion des Chinois. En 1923, le gouvernement f├⌐d├⌐ral r├⌐pond ├á ces demandes par la promulgation d'une loi qui emp├¬che l'entr├⌐e des immigrants chinois; seulement huit sont admis au Canada entre 1925 et 1940.
  34.  
  35.      Il est cependant plus difficile de bloquer l'immigration japonaise au Canada. D'une part, comme membre de l'Empire britannique, le Canada doit remplir certaines obligations en raison du trait├⌐ anglo-japonais de 1902. D'autre part, le gouvernement Laurier esp├¿re encourager le commerce avec le Japon. La Grande-Bretagne s'oppose aux lois adverses aux nationaux japonais, car elles nuisent aux int├⌐r├¬ts canadiens et imp├⌐riaux. ├Ç la suite des ├⌐meutes de Vancouver en 1907, les restrictions se font sous forme d'un ┬½engagement d'honneur┬╗ entre le Canada et le Japon, ce dernier restreignant volontairement l'├⌐migration au Canada ├á 400 personnes par ann├⌐e. Mais au fur et ├á mesure de l'abandon, par les Japonais canadiens, des domaines des ressources naturelles et de la construction, pour rivaliser avec les blancs dans le commerce et l'agriculture, de nouvelles protestations poussent le gouvernement f├⌐d├⌐ral ├á ren├⌐gocier cet engagement d'honneur. En 1928, les pouvoirs discr├⌐tionnaires dans le domaine de l'immigration sont transmis aux autorit├⌐s consulaires canadiennes au Japon et le nombre des immigrants est abaiss├⌐ ├á 150 par ann├⌐e.
  36.  
  37.      Le recensement de 1931, le premier apr├¿s l'adoption de la Loi de 1923, dite Chinese Exclusion Act, d├⌐montre qu'il y a dix fois plus d'hommes dans la communaut├⌐ chinoise que de femmes, ce qui porte plusieurs blancs ├á croire que la communaut├⌐ chinoise au Canada dispara├«tra ├⌐ventuellement. Par ailleurs, par ce m├¬me recensement, le premier depuis la modification de l'engagement d'honneur de 1928, on constate, dans la communaut├⌐ japonaise, une proportion de dix hommes pour sept femmes et un taux des naissances qui semble particuli├¿rement ├⌐lev├⌐. Les blancs apprennent, par ces chiffres, que la communaut├⌐ japonaise r├⌐ussira non seulement ├á survivre, mais aussi ├á se multiplier. L'Empire japonais tient une place de plus en plus mena├ºante sur le plan mondial et nombreux sont les habitants de la Colombie-Britannique qui pr├⌐conisent une politique d'action contre l'enclave japonais dans la province. Par contre, les inqui├⌐tudes au sujet de la communaut├⌐ chinoise disparaissent puisqu'on la croit moribonde, mais aussi en raison d'une soudaine sympathie envers eux ├á cause de l'oppression de la Chine par le Japon.
  38.  
  39.      Alors que l'immigration orientale est presque termin├⌐e, les blancs anti-asiatiques mettent l'accent sur la deuxi├¿me strat├⌐gie : la suppression des libert├⌐s civiques et ├⌐conomiques. Tout en oeuvrant pour restreindre l'immigration, ces blancs proposent de refuser le droit de vote provincial aux r├⌐sidents chinois et japonais. Le refus de ce droit entra├«ne automatiquement certaines incapacit├⌐s l├⌐gales. Les Orientaux n'ont ni le droit de se pr├⌐senter aux ├⌐lections, ni de si├⌐ger aux commissions scolaires, ni de faire partie de jurys. En plus des cons├⌐quences directes de la perte du droit de vote, les blancs hostiles aux Asiatiques inventent d'autres p├⌐nalisations. Cette ├⌐mancipation devient une condition essentielle ├á l'admission ├á certaines professions comme le droit et la pharmacie. Une entente tacite exclut les Orientaux des postes dans l'enseignement, dans la fonction publique et dans un certain nombre d'autres domaines de travail; aucun Chinois ne peut travailler aux travaux publics. L'octroi d'un permis de coupe ├á la main est li├⌐ ├á cette ├⌐mancipation. Une campagne minist├⌐rielle est lanc├⌐e en vue de restreindre l'├⌐mission de permis de p├¬che ┬½├á d'autres que les sujets britanniques blancs et les Indiens du Canada.┬╗ Une mesure purement vexatoire est incorpor├⌐e ├á la Loi de la Colombie-Britannique, de 1924, dite Factories Act.
  40.  
  41.      Sous l'empire de cette loi, les blanchisseries op├⌐rant ├á profit entrent dans la cat├⌐gorie des ┬½usines┬╗ et doivent se plier aux heures de travail maximum impos├⌐es. Cette loi touche directement les blanchisseries chinoises dont les employ├⌐s sont g├⌐n├⌐ralement des membres de la famille et dont la r├⌐ussite d├⌐pend des heures d'ouverture les soirs et les jours de cong├⌐. Ces propositions qui deviennent des r├¿glements ou des lois n'ayant que peu de port├⌐e ├⌐conomique, mais beaucoup de r├⌐percussions sociales laissent bien appara├«tre leur but r├⌐el cach├⌐ : la discrimination contre les Orientaux. Ainsi, la fermeture des ├⌐coles de la province aux enfants chinois en 1907, et l'interdiction d'acc├¿s ├á la maison provinciale aux Chinois ├óg├⌐s et pauvres en 1936, servent ├á exposer la nature essentiellement discriminatoire d'un grand nombre de dispositions ┬½de r├⌐glementation┬╗, en apparence du moins.
  42.  
  43.      Les syndicats ouvriers appuient plusieurs de ces initiatives. De plus, certaines techniques employ├⌐es par des groupements non-syndicaux ont pris leur source dans les m├⌐thodes ├⌐tablies par les syndicats: l'id├⌐e d'interdire l'acc├¿s ├á un m├⌐tier donn├⌐, par exemple, a pour origine l'├⌐tablissement de professions ferm├⌐es. En outre, quand les fermiers en 1921, songent ├á ├⌐tamper les produits orientaux, ils suivent l'exemple de l'├⌐tiquette syndicale utilis├⌐e d├¿s 1871 par les fabricants de cigares de San Francisco pour faire la distinction entre leurs produits et ceux des Orientaux. Les syndicats r├⌐ussissent ├á faire exclure les Asiatiques des chantiers provinciaux et municipaux et des travaux miniers souterrains les mieux pay├⌐s. En 1907, ils r├⌐ussissent aussi ├á interdire l'importation de travailleurs ├á contrat. En 1925, ils font voter une loi sur le salaire minimum, qui r├⌐duit le nombre d'Asiatiques ├á salaires inf├⌐rieurs dans les industries d'extraction. Certaines mesures sugg├⌐r├⌐es par les syndicats ne deviennent pas des lois, entre autres, celles qui visent les hommes qui portent les cheveux serr├⌐s en queue, qui exp├⌐dient les restes des morts dans un autre pays, qui portent des hottes ou qui parlent une langue autre qu'europ├⌐enne. D'autres initiatives du monde ouvrier deviennent lois seulement quand les r├⌐formateurs de classe moyenne ont pris position ├á leur sujet. William Lyon Mackenzie King qui, en tant que sous-ministre du Travail, pr├⌐side l'enqu├¬te sur les ├⌐meutes de Vancouver en 1907, puis celle sur l'entr├⌐e ill├⌐gale d'immigrants asiatiques, revient de Vancouver bien d├⌐cid├⌐ ├á limiter l'immigration orientale et ├á briser le trafic d'opium. Ces deux sujets sont, dans l'esprit de King, ├⌐troitement li├⌐s et dans la lutte qu'il m├¿ne plus tard, avec le juge d'Edmonton Emily Murphy (┬½Janey Canuck┬╗), contre les trafiquants d'opium, il d├⌐peint les Chinois comme destructeurs de la sant├⌐ et du bien-├¬tre des Canadiens. Nous devons les premi├¿res lois canadiennes sur les narcotiques aux efforts de ces deux personnes et c'est presque uniquement la communaut├⌐ chinoise qui en subit les effets. Ceux qui participent au d├⌐bat d├⌐noncent la tendance anti-orientale de ce genre de dispositions et font remarquer le peu de r├⌐percussion du commerce de l'opium sur le Canada occidental, en comparaison de l'impact beaucoup plus profond des sp├⌐cialit├⌐s pharmaceutiques et des m├⌐dicaments. Des milliers de gens, disent-ils, emploient librement et sans danger des m├⌐dicaments ├á base d'opium. Le r├⌐sultat net de la r├⌐glementation des stup├⌐fiants n'├⌐tait pas tant limiter la possibilit├⌐, pour un grand nombre de Chinois, de gagner leur vie (but de tant d'initiatives syndicales), que de d├⌐peindre la communaut├⌐ chinoise comme une d├⌐linquante sociale.
  44.  
  45.      D'apr├¿s le mouvement ouvrier, son succ├¿s ├á r├⌐duire l'efficacit├⌐ de la concurrence g├⌐n├⌐rale des Asiatiques vers 1930 et ├á les exclure totalement de certains m├⌐tiers a modifi├⌐ la situation entre les travailleurs blancs et asiatiques. Les syndicats changent de tactique au cours de cette d├⌐cennie et encouragent l'affranchissement des Orientaux et les inscrivent dans les syndicats ouvriers. En 1931, le Trades and Labour Congress accepte l'affiliation des Japonais ├á la Camp and Mill Workers Union et en 1935, la Co-operative Commonwealth Federation (CCF), voix politique du monde ouvrier, r├⌐clame le droit de vote pour les Asiatiques. pour expliquer aux ouvriers la raison derri├¿re cette nouvelle strat├⌐gie, un candidat de la CCF leur pose la question suivante : ┬½Pr├⌐f├⌐rez-vous un Asiatique ayant droit de vote et qui devra par cons├⌐quent atteindre le m├¬me standard de vie que vous ou un Asiatique sans droit de vote dont on peut se servir pour nuire ├á vos syndicats et ├á vos conditions de travail.┬╗
  46.  
  47.      Les organisations ouvri├¿res modifient leur strat├⌐gie et diminuent l'intensit├⌐ de leur campagne ├⌐conomique; par contre, la campagne sociale des groupements non ouvriers redouble d'ardeur et b├⌐n├⌐ficie de nombreux appuis. Au cours des ann├⌐es vingt, d'autres mouvements se joignent ├á la Asiatic Exclusion League (la force derri├¿re les ├⌐meutes de Vancouver en 1907) et fomentent la r├⌐volte contre les Orientaux. Les Native Sons of British Columbia, la White Canada Association, et le Ku Klux Klan d├⌐fraient souvent la manchette, non seulement dans la province, mais partout au Canada. Les Canadiens de l'Est voient l'agitation de la Colombie-Britannique comme un curieux ph├⌐nom├¿ne, mais les journalistes et les pol├⌐mistes anti-orientaux affirment le s├⌐rieux de leurs opinions. Des politiciens municipaux et provinciaux leur embo├«tent le pas et expriment l'inqui├⌐tude sociale en termes plus familiers et demandent des sanctions contre les Orientaux. Mais la nouvelle situation de la Colombie- Britannique des ann├⌐es vingt et trente pousse les chefs de ces mouvements anti-asiatiques non-ouvriers ├á demander la r├⌐vocation des permis accord├⌐s aux commer├ºants orientaux et la d├⌐portation de tous les r├⌐sidents d'origine asiatique. Le pr├⌐sident d'un comit├⌐ de la l├⌐gislature provinciale refuse de tol├⌐rer ce genre de demande et compare les actions des politiciens locaux ├á celles d'Hitler. Il se dissocie de la lutte contre les Orientaux.
  48.  
  49.      La composition du conseil d'un des organismes anti-asiatiques refl├¿te bien le caract├¿re nouveau de l'opposition aux Orientaux. Au d├⌐but des ann├⌐es trente, le conseil de la White Canada Association comptait un repr├⌐sentant de la Retailers Association, de la Cloverdale Farmers Association et de la Fisherman Protective Association, ainsi qu'un ing├⌐nieur agronome et un courtier en propri├⌐t├⌐s immobili├¿res rurales. Sans l'intervention d'une guerre r├⌐elle, qui a totalement transform├⌐ la bataille livr├⌐e par ces organismes, celle-ci serait probablement rest├⌐e une simple guerre de mots. L'entr├⌐e en guerre du Japon (Seconde Guerre mondiale) annonc├⌐e par le bombardement de Pearl Harbor et confirm├⌐e sur le plan domestique par la capture de la garnison canadienne ├á Hong Kong, rend le sentiment d'hostilit├⌐ envers les Japonais non seulement l├⌐gitime, mais lui conf├¿re une aur├⌐ole de patriotisme. Les racistes blancs, les ennemis ├⌐conomiques et les politiciens raniment le sentiment anti-japonais en prenant pour cible les Canadiens d'origine japonaise. Bien que la communaut├⌐ nipponne compte sur le gouvernement f├⌐d├⌐ral pour maintenir l'ordre et administrer la justice de fa├ºon impartiale, le gouvernement de William Lyon Mackenzie King n├⌐glige le bien-├¬tre de la communaut├⌐ japonaise. L'administration King ordonne le retrait de tous les nationaux japonais et canadiens d'origine japonaise des r├⌐gions c├┤ti├¿res de la Colombie-Britannique. Ces familles perdent, au cours de cette d├⌐portation, tout ce qu'elles ont ├⌐conomis├⌐ ou construit. Le situation des Canadiens d'origine japonaise est diff├⌐rente de celle des Italiens et Allemands d'origine, puisque aucune distinction n'est faite entre les personnes n├⌐es ├á l'├⌐tranger et celles n├⌐es au Canada.
  50.  
  51.      M├¬me si, apr├¿s la guerre, il y a une r├⌐volution totale des attitudes qui ├⌐limine enti├¿rement la discrimination contre les Canadiens d'origine orientale, hommes et femmes, la communaut├⌐ japonaise ne re├ºoit, malgr├⌐ les s├⌐v├¿res malheurs subis, qu'une compensation minime pour ses pertes. Un premier ministre canadien, Lester Pearson, admet l'injustice du traitement qui leur est inflig├⌐, cependant, le probl├¿me n'a jamais ├⌐t├⌐ r├⌐gl├⌐ de fa├ºon satisfaisante. La publicit├⌐ faite aux atrocit├⌐s des Nazis, la cr├⌐ation des Nations Unies et l'adoption d'une charte des Droits de l'homme t├⌐moignent d'un changement d'attitude. La citoyennet├⌐ et les droits de franchise, jusque l├á refus├⌐s, sont accord├⌐s aux Chinois en 1947 et aux Japonais en 1949. L'immigration en provenance de l'Asie reprend selon des crit├¿res de comp├⌐tence plut├┤t que de race. Sur un plan plus vaste cependant, les immigrants europ├⌐ens sont encore privil├⌐gi├⌐s par rapport aux Asiatiques, et les Canadiens d'ascendance orientale constatent toujours une discrimination latente et officieuse.
  52.  
  53.      Aucun ├⌐v├⌐nement n'a probablement eu une importance symbolique plus grande que l'├⌐lection du premier Canadien d'origine orientale ├á la Chambre des communes. Aux ├⌐lections de 1957, Douglas Jung, Canadien d'origine chinoise, d├⌐fait le ministre de la D├⌐fense et conserve son si├¿ge aux ├⌐lections de l'ann├⌐e suivante. Titulaire d'un dipl├┤me de la facult├⌐ de droit de l'Universit├⌐ de Colombie-Britannique, il exerce une profession jusque l├á ferm├⌐e aux hommes et aux femmes de la m├¬me origine ethnique. Douglas Jung est un des nombreux Canadiens d'origine chinoise ou japonaise qui apportent quelque chose ├á la vie professionnelle, commerciale, ouvri├¿re, sportive et r├⌐cr├⌐ative du Canada et qui trouvent des carri├¿res r├⌐mun├⌐ratrices dans des domaines dont les Orientaux ├⌐taient exclus pendant plusieurs g├⌐n├⌐rations.  
  54.  
  55.