âtudier l'histoire se fait de plusieurs faìons; par des approches souvent ÄloignÄes et grëce ê des sources aussi diverses que les documents Äcrits, visuels et figurÄs. Parmi ceux-ci, les objets de culture matÄrielle peuvent Étre considÄrÄs comme les objets-tÄmoins d'une Äpoque et ils ont d'autant plus d'importance qu'ils originent de la masse ╟anonyme╚ des gens qui ont faìonnÄ quotidiennement le pays et dont malheureusement, on ignore la personnalitÄ.
L'examen des objets mobiliers, des outils, des instruments varie selon l'objectif qu'on poursuit: identifier les ressources utilisÄes, dÄcrire la technique de fabrication, prÄciser l'usage, comparer la richesse matÄrielle des milieux sociaux; il est toutefois un aspect de l'Ätude des objets qui n'a pas encore ÄtÄ suffisamment approfondi, celui de leurs relations avec les coutumes particuliÅres suivies par plusieurs gÄnÄrations de nos ancÉtres.
Importance de la coutume
En quelques mots, la coutume peut se dÄcrire ainsi: un ensemble de comportements, d'usages et de croyances qu'un groupe humain attache ê certaines valeurs spirituelles. Souvent d'ailleurs, c'est la coutume qui a donnÄ naissance ê la loi dans une sociÄtÄ. Pour comprendre l'importance de la coutume du mariage au QuÄbec, il faut se rappeler les caractÅres dominants de la sociÄtÄ quÄbÄcoise jusqu'au milieu du XIXe siÅcle: d'origine franìaise, attachÄe aux valeurs terriennes, catholique et fortement hiÄrarchisÄe.
Dans ce contexte, le mariage prend une importance plus que religieuse; il devient le fondement en tant que point de dÄpart de la famille, de la transmission des valeurs, tant spirituelles que matÄrielles. Autrefois, parmi les rites qui entouraient la naissance, la mariage et la mort, l'ÄvÄnement le plus important Ätait le mariage et la communautÄ le considÄrait comme tel.
Ce qui nous intÄresse particuliÅrement n'est pas l'acte lÄgal, ni la cÄrÄmonie religieuse consacrant l'union d'un homme et d'une femme, mais tout le reste des croyances, des usages, des comportements, rarement Äcrits mais transmis oralement et traditionnellement suivis jusqu'ê une Äpoque assez rÄcente.
On peut ainsi relever certains usages entourant les frÄquentations prÄ-maritales, la ╟grande demande╚, les fianìailles, la fin du cÄlibat, la prÄparation du ╟butin╚ et finalement la fÉte des noces elle-mÉme.
D'autres habitudes, moins connues, comportent autant de signification: la conservation du bouquet, la plantation d'une pousse d'arbre (Ärable) prÅs de la maison des jeunes Äpoux, bref, une foule d'agissements signifiant sans dÄtour et simplement, les notions d'amour humain, de bonheur, de descendance nombreuse et d'abondance qu'on souhaitait aux Äpoux ê cette occasion. Peu surprenant donc, de retrouver ces souhaits traduits de faìon figurative sur le mobilier de mariage.
╟Butin╚ et mobilier
Les recherches portant sur ce sujet ne nous permettent pas d'affirmer l'existence dans toutes les rÄgions du QuÄbec, d'une coutume prÄcise entourant l'installation matÄrielle d'un mÄnage, ni ê plus forte raison de tÄmoigner d'une quelconque Ävolution entre le XVIIiÅme siÅcle et la fin du XIXiÅme siÅcle. Cependant, bien que les coutumes varient selon les rÄgions, on retrouve, ê la base, un ÄlÄment d'unitÄ dans le dÄsir d'une vie familiale heureuse et fÄconde. En outre, certaines considÄrations historiques justifient l'approche gÄnÄrale que nous adoptons ici: un certain nombre de mentions en archives, l'analogie frappante des piÅces quÄbÄcoises avec des spÄcimens Ätrangers reconnus comme objets mobiliers du mariage (de France, de Hollande, des âtats-Unis) et enfin la persistance de coutumes locales trÅs apparentÄes entre elles. De plus, les contrats de mariage et les testaments rÄdigÄs devant notaires deviennent une source de documentation prÄcieuse pour les chercheurs.
L'usage de munir la future Äpouse d'un ╟butin╚ propre ê tenir maison est relevÄ dÅs le milieu du XVIIIiÅme siÅcle: il s'agit le plus souvent de ╟hardes et linges╚, ainsi que des draps, ╟couvertes╚, nappes et essuie-mains nÄcessaires dans la maison. La mention d'une dot en argent est aussi frÄquemment mentionnÄe dans les contrats de mariage, mais seul un dÄpouillement gÄnÄral des donations et des actes notariÄs pourrait nous faire dÄcouvrir quels types d'objets mobiliers s'ajoutaient au ╟butin╚, car quelques textes, dont celui-ci, ne laissent aucun doute sur l'existence de ce fait.
Il s'agit d'un riche agriculteur de la vallÄe du Richelieu qui dicte ses volontÄs en prÄvision du mariage de ses filles. (AJSTH, Me L.C. Duvert, 12 mars 1823):
╟(...) d'un lit de plumes d'oies avec couverture de coutil des magasins, Une paillasse, Une couchette, Un traversin, Deux oreillers avec tÉtes d'Indienne neuve, Une courtepointe neuve, Une couverte & Deux Paires de drap de toile, Un buffet peinturÄ bleu, Une vache laitiÅre, Un veau du printemps ê l'automne, Un Rouet, Un cochon de l'annÄe, six mÅres moutonnes, six Poules & un coq, trois mÅres oies & un jarre, Deux mÅres Daindes & un coq Dainde, six assiettes de fayance, six fourchettes & six cuillÅres, Deux plats de fayance, Deux fers ê flasquer, Un chaudron, Une poÉle ê frire, six terrines de fer blanc, Un couloir, Une huche, Une table PeinturÄe rouge, six chaises neuves, Une sceau ferrÄ, Une carafe deux verres, Deux nappes & quatre essuie-mains, Un chandelier & un pot de chambre; qu'eux dits Donataires seront tenus payer Bailler & livrer ê chacune des dites Demoiselles HÄbert aussitÖt qu'elles seront pourvues par mariage...╚
Par contre, le jeune homme en voie de fonder un foyer, bÄnÄficiait lui aussi de la gÄnÄrositÄ paternelle. Pour ╟Ätablir son garìon╚, comme on disait autrefois, le chef de famille lui donnait, ou lui achetait, un bon lopin de terre, du bois pour ╟loger╚ maison et dans ce cas-ci:
╟...,enfin deux juments, une paire de Boeufs, deux vaches, six moutonnes, quatre oies, une douzaine de poules, une charrue garnie, une herse ê dens de fer, une cariole, un harnais, un poÉle de fer et son tuyau, un lit garni tel qu'il sera, un chaudron & une poÉle ê frire...╚
(Contrat de mariage, no. 247 12-1-1875).
Certes il s'agit ici d'un habitant aisÄ et on ne peut pas dire que tous les futurs mariÄs ont reìu autant de leurs parents. La relation donnÄe par les historiens de la colonisation au XIXiÅme siÅcle et qui dÄcrit l'installation misÄrable de plusieurs jeunes colons sur les terres de Bois-Francs, des Cantons, du Saguenay, ne tÄmoigne pas d'autant d'opulence.
On peut raisonnablement supposer que la plupart des parents ont contribuÄ, selon leurs moyens, ê l'installation matÄrielle de leurs enfants au moment important du mariage. Mais les objets mobiliers, fabriquÄs ou achetÄs pour cette occasion, offrent-ils des caractÅres particuliers, et tÄmoignent-ils en eux-mÉmes de l'ÄvÄnement?
Le mobilier de mariage
Si on prend comme exemple un foyer naissant entre la fin du XVIIiÅme siÅcle et le dÄbut du XIXiÅme, car plusieurs maisons au dÄbut des annÄes 1700 ne comportent ni siÅges, ni armoire, ni poÉle, on peut dresser la liste suivante des meubles les plus utilisÄs:
Dans la cuisine: buffet
armoire
table
chaises
huche
coffre
poÉle (ou ëtre +
ustensiles)
Dans la chambre: lit
coffre
armoire
commode
Pour le travail: mÄtier ê tisser
rouets
dÄvidoirs
tournette
ourdissoir
cannellier
AprÅs 1830, s'ajoutent parfois quelques objets de luxe comme une horloge, et enfin la berìante.
Tous ces meubles ou objets ne prÄsentent pas nÄcessairement des caractÅres distinctifs, c'est pourquoi les illustrations qui suivent prÄsentent des spÄcimens communs qui ont pu pÄnÄtrer dans le patrimoine domestique ê un moment ultÄrieur au mariage. Cependant, nous avons choisi volontairement des objets typiquement rÄgionaux dont la frÄquence d'utilisation autant que le tÄmoignage oral constituent une preuve de prÄfÄrence qu'ont du manifester les habitants d'une rÄgion.
Finalement, en Ätablissant des comparaisons avec la grammaire dÄcorative des meubles de mariage reconnus principalement en France, en Hollande et en Pennsylvanie, on arrive ê dÄgager effectivement certains ÄlÄments assez probants; ce qui indique parfois que ces piÅces auraient pu Étre construites pour un jeune couple.
Les caractÅres du mobilier de mariage
Au moins trois particularitÄs permettent aux auteurs europÄens et amÄricains de dÄfinir le mobilier de mariage principalement composÄ d'armoires, de coffre ou huche, de bahut, de coffret et parfois de buffet. Ce sont la prÄsence:
a) de dates ou d'initiales, le plus souvent gravÄes.
b) d'ÄlÄments dÄcoratifs symboliques
c) de couleur vives
L'existence de dates et de millÄsimes, ou d'initiales gravÄes sur certains meubles correspond le plus souvent au besoin d'immortaliser ou de fixer dans le temps le moment mÄmorable des Äpousailles. Dans leurs ouvrages (citÄs dans les lectures suggÄrÄes), Suzanne Tardieu et A.M. Burg font mention de ces dates gravÄes sur les meubles europÄens.
Au QuÄbec, peu de meubles portent des dates ou des initiales, du moins en faìade, exceptÄ quelques belles commodes du milieu du XlXiÅme siÅcle dont les illustrations suivent. On s'explique mal cette timiditÄ populaire, en revanche les ÄlÄments dÄcoratifs parlent abondamment.
L'existence de cette grammaire dÄcorative propre ê l'ÄvÄnement du mariage permet de supposer la destination de l'objet mobilier. L'emploi du coeur, ê cause de sa grande facilitÄ d'exÄcution au compas, domine nettement. Il faut souligner qu'il se confond souvent dans son expression avec le SacrÄ-Coeur; coeur ardent, coeur saignant. Mais l'amour humain n'Ätait-il pas selon la religion, l'image de l'amour divin?
Viennent ensuite les multiples reprÄsentations de la fÄconditÄ, de la fertilitÄ, dont l'origine, chrÄtienne ou non, est presque indÄmontrable : rameau de vigne, arbre de vie, tige florale multifoliÄe, etc. Puis des symboles plus circonstanciels comme le bouquet ou la couronne de la mariÄe, les tourtereaux, les oiseaux. Sans compter les ÄlÄments gÄomÄtriques, de signification plus obscure, mais dont la prÄsence rehausse la qualitÄ d'exÄcution: on peut dire que ╟les coffres les plus jolis et les plus finement ornÄs, ont aussi fait partie du trousseau d'une mariÄe. Mais au lieu de les peindre de couleurs vives, selon la coutume de la plaine, les vignerons les prÄfÄraient en marqueterie ou en bois sculptÄ.╚ (C. Wolff, Alsace).
Ces couleurs vives ont aussi ÄtÄ utilisÄes au QuÄbec, on trouve souvent coffres peints en vert, buffets bleus, tables rouges, armoires bleues-vertes, chaises rouges. L'Äcorce de pruche, le bleu de Prusse ou d'outre-mer, les ocres jaunes et rouges, servaient de bases aux mÄlanges de tÄrÄbenthine et d'oxydes de plomb parfois additionnÄs d'ingrÄdients domestiques. La polychromie fut Ägalement utilisÄe.
Finalement, un dernier caractÅre s'attache, au QuÄbec, aux objets mobiliers de mariage, leur finesse d'exÄcution. Dans les maisons anciennes o¥ les meubles ont ÄtÄ soigneusement conservÄs et mÉme ê travers les collections publiques ou privÄes, on peut noter des spÄcimens qui sortent de l'ordinaire, qui frappent davantage soit par le soin mis ê les fabriquer, soit par le respect jaloux dont on les a entourÄ, soit par un usage particulier auquel on les a rÄservÄ. Le soin presque religieux que nos propres parents et grand parents portaient ê leur propre ╟butin de noces╚ indique peut-Étre qu'ils ne perpÄtuaient lê que la coutume plus ancienne encore de conserver avec fiertÄ et amour les tÄmoins matÄriels des Äpousailles.
On ne pourra jamais conclure de faìon certaine les Ätudes de ce genre. D'une part parce qu'il restera toujours place pour des phÄnomÅnes d'exception, d'autre part parce que la richesse inouòe de la crÄation populaire dÄfie un classement trop rigide. Une foule de questions n'ont pas ÄtÄ soulevÄes qui mÄriteront des recherches approfondies. Il nous semblait plus important de montrer d'abord les liens qui unissent les objets aux hommes. Les ÄvÄnements jugÄs les plus importants dans la vie individuelle autrefois portaient la marque des sentiments humains et les hommes contrÖlaient la matiÅre dite inerte. Peut-on en dire autant de nos jours?
De faìon gÄnÄrale, les meubles ou objets dont les illustrations suivent, n'ont aucun lien entre eux dans le temps ou dans l'espace, si ce n'est que la plupart sont des spÄcimens possibles de meubles de mariage dont l'origine a ÄtÄ confirmÄe soit par la tradition orale, soit dans les sources Äcrites.
Nos critÅres de choix reposent sur l'observation de certaines caractÄristiques locales, sur l'emploi prÄfÄrÄ de teintures vives, sur le symbolisme des motifs et enfin, sur la prÄsence d'inscriptions ou de dates rÄvÄlatrices.
L'Äventail est complÄtÄ par des piÅces d'Äpoque ou de fonctions Äquivalentes.
