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Text File  |  1996-06-20  |  33KB  |  87 lines

  1. L'ART MILITAIRE DU CANADA 
  2.  
  3. H.A. Halliday 
  4.  
  5.      L'art et la guerre sont deux sujets qui peuvent sembler de prime abord incompatibles: on considÅre gÄnÄralement en effet les artistes comme des Étres sensibles et crÄateurs, comme des forces vives de leur collectivitÄ; et, inversement, on perìoit la guerre comme quelque chose d'aveuglÄment destructeur, qui balaie tout sur son passage -- aussi bien les vies, les sociÄtÄs que l'art lui-mÉme. D'ailleurs la destruction partielle du ParthÄnon d'AthÅnes en 1687 par l'explosion de munitions remisÄes ê l'intÄrieur de ce bëtiment n'est-elle pas le meilleur exemple de l'antithÅse apparente qui existe entre ces deux activitÄs de l'humanitÄ?
  6.  
  7.      De fait l'art et la guerre ont ÄtÄ intimement liÄs pendant des siÅcles. Rares sont les artistes qui ont pu Äluder ou Ächapper entiÅrement aux rÄpercussions sociales et autres de la guerre sur leurs vies. Les artistes ont en rÄalitÄ souvent d₧ participer activement aux conflits, armÄs ê la fois en tant que combattants et en tant que peintres ou dessinateurs. La brutalitÄ de la guerre a eu des rÄpercussions particuliÅrement importantes sur la sensibilitÄ de certains d'entre eux.
  8.  
  9. Les diffÄrentes faìons d'envisager l'art militaire 
  10.  
  11.      L'art militaire a de nombreux objets et on peut l'Ätudier d'au moins trois points de vue diffÄrents. On peut tout d'abord considÄrer certaines oeuvres de cet art comme des documents contemporains aux ÄvÄnements qui se sont dÄroulÄs. Ces oeuvres prennent souvent la forme d'esquisses, d'aquarelles et de peintures ê l'huile exÄcutÄes soit pendant, soit immÄdiatement aprÅs un conflit. Le pays se trouve pris dans des circonstances traumatisantes qu'il observe mais qu'il ne comprend pas entiÅrement; l'artiste enregistre les incidents selon son expÄrience et ses facultÄs d'expression et il les expose pour transmettre ses impressions au public. Il parvient parfois ê toucher la conscience collective et ê renforcer l'orgueil national.
  12.  
  13.      En second lieu, l'artiste peut participer aux rÄactions que suscitent les hostilitÄs aprÅs la guerre, dans son pays. Lorsque les Ämotions, qui vont de pair avec la victoire ou avec la dÄfaite, se sont apaisÄes, un esprit de rÄflexion s'instaure, et les deux adversaires de naguÅre mÄditent sur les changements et les co₧ts qu'a entraönÄ leur conflit. On commÄmore les guerriers triomphants puis les victimes en leur Älevant des monuments ou en leur consacrant des oeuvres d'art. On peut alors considÄrer que certaines oeuvres crÄÄes au moment de la lutte armÄe, constituent des mÄmoriaux pertinents lorsqu'elles reflÅtent l'esprit contemplatif de l'aprÅs-guerre.
  14.  
  15.      TroisiÅmement, l'art militaire prend une signification nouvelle au fur et ê mesure que les anciens combattants meurent et que les souvenirs des ÄvÄnements s'estompent. Les oeuvres conservÄes dans des collections publiques -- archives, musÄes des beaux-arts et divers autres musÄes -- fournissent de la matiÅre ê ceux qui s'intÄressent ê l'histoire -- histoire sociale, militaire, ou histoire de l'art de mÉme qu'ê celui de nombreux chercheurs. Ces tableaux, dessins, etc., sont des monuments qui ont une double vocation: ils reprÄsentent non seulement les ÄvÄnements et les personnalitÄs militaires, mais ils Ätayent aussi l'histoire de l'art elle-mÉme. Ceux qui les regardent peuvent Ätudier ê travers eux l'Ävolution des moyens visuels d'expression et la rÄaction des artistes ê de nombreux changements.
  16.  
  17. Survol historique 
  18.  
  19.      La guerre est un sujet qui a ÄtÄ traitÄ par des artistes de maintes civilisations. On a trouvÄ, dans les tombeaux et les temples de l'ancienne âgypte des peintures minutieuses de scÅnes de bataille. Les magnifiques temples creusÄs dans le grÅs en l'honneur de RamsÅs II ê Abou-Simbel furent dÄcorÄs de bas-reliefs exÄcutÄs avec recherche qui reprÄsentent le retour triomphal du monarque avec ses soldats et ses prisonniers aprÅs une campagne effectuÄe dans le sud. Les temples et les Ädifices publics assyriens furent richement dÄcorÄs d'oeuvres d'art, peintes et sculptÄes, illustrant les armes et les tactiques employÄes dans les sociÄtÄs du Moyen-Orient. L'art des Assyriens Ätait plus rÄaliste que celui des âgyptiens; l'iconographie des premiers met l'accent sur les effusions de sang et sur la cruautÄ de la guerre et elle va jusqu'ê montrer les tortures infligÄes aux prisonniers et l'anÄantissement des peuples conquis. Les oeuvres des âgyptiens ont en revanche tendance ê mettre en relief la bravoure des pharaons, ê dÄcrire les avantages plutÖt que les inconvÄnients de leurs victoires.
  20.  
  21.      Les Romains Älevaient des colonnes et des arcs de triomphe ornÄs de scÅnes sur les batailles qu'ils avaient gagnÄes pour honorer leurs gÄnÄraux et leurs empereurs. Ces oeuvres ne tÄmoignaient pas seulement de la supÄrioritÄ militaire des peuples vainqueurs sur leurs ennemis, elles laissaient aussi prÄsumer que les succÅs des premiers dÄcoulaient aussi de leur supÄrioritÄ culturelle. Ces oeuvres monumentales ont inspirÄ des crÄations ultÄrieures comme l'Arc de Triomphe de l'âtoile (1806-1836) ê Paris, et le Wellington Arch (1846) ê Londres. De 106 ê 113 apr. J.-C., des artistes romains ont travaillÄ ê la rÄalisation d'une colonne triomphale de 38 m de haut pour commÄmorer les victoires remportÄes par l'empereur Trajan au cours de ses deux campagnes contre les Daces (anciens habitants de la Roumanie). Plus de 150 Äpisodes distincts de ces campagnes sont reprÄsentÄs sur une spirale continue qui s'enroule sur prÅs de 200 m autour du f₧t de la colonne; on y voit, par exemple, la construction de fortifications, une armÄe en marche, le siÅge de villes, et la traversÄe d'un cours d'eau sur un pont flottant. La colonne Trajane est un modÅle dont se sont inspirÄs les artistes qui ont conìu le monument ÄlevÄ sur la place VendÖme ê Paris pour cÄlÄbrer les victoires de NapolÄon. Les reliefs de la spirale qui entoure la colonne ont ÄtÄ rÄalisÄs avec le bronze de canons autrichiens, prussiens et russes pris ê l'ennemi durant les campagnes napolÄoniennes.
  22.  
  23.      En raison des changements de rÄgimes survenus en France, diverses effigies se sont succÄdÄ au sommet de cette colonne, mais aujourd'hui une copie de la statue initiale de NapolÄon en empereur romain figure en haut du monument.
  24.  
  25.      L'art mÄdiÄval qui subsiste se caractÄrise surtout par ses sujets religieux. L'âglise chrÄtienne Ätait en effet le principal mÄcÅne au Moyen σge. Et l'on Äpargnait souvent les bëtiments ecclÄsiastiques et leur contenu au cours des guerres destructrices qui firent rage pendant cette pÄriode. Les manuscrits enluminÄs -- tant de l'Ancien Testament que d'oeuvres d'auteurs classiques choisis -- Ätaient crÄÄs ê la demande de mÄcÅnes ecclÄsiastiques; ils reprÄsentent souvent des armÄes et des combats. Les artistes ne se soucient guÅre, parfois, de reprÄsenter des vÉtements d'Äpoque: il arrive ainsi qu'un personnage de l'Ancien Testament comme JosuÄ soit habillÄ en gÄnÄral romain. La tapisserie de Bayeux (vers 1073-1083) avec ses quelque 70 m de broderies de laine sur toile illustrant l'invasion de l'Angleterre par Guillaume le ConquÄrant, est indubitablement l'exemple mÉme de l'art militaire mÄdiÄval.
  26.  
  27.      La rÄvolution des arts et des sciences qui s'est produite pendant la Renaissance a entraönÄ des modifications dans les sujets traitÄs et les techniques employÄes: maints artistes se sont mis ê reprÄsenter des thÅmes profanes; de plus, l'Ätude et l'application des principes de la perspective ont permis aux artistes de percevoir et de prÄsenter le monde sous un jour nouveau. La DÄfaite de San Romano (vers 1455) de Paolo Uccello, est une oeuvre de transition qui rÄvÅle la tentative effectuÄe par un peintre florentin formÄ dans la tradition de la peinture gothique pour concrÄtiser ses conceptions nouvelles sur la perspective dans une Ätude colorÄe et pleine d'action reprÄsentant une bataille entre des factions italiennes rivales. Venise, la plus prospÅre des citÄs italiennes belligÄrantes, a demandÄ ê de grands artistes d'Ävoquer ses campagnes militaires et navales dans des oeuvres abritÄes par le palais des Doges. On reprÄsenta dÄsormais les scÅnes de bataille dans des paysages dÄtaillÄs, ê la diffÄrence des combats mÄdiÄvaux, qui avaient gÄnÄralement ÄtÄ peints, sculptÄs ou tissÄs dans l'espace, sans Ägard ou presque ê la topographie des lieux.
  28.  
  29.      AprÅs la Renaissance, les sujets militaires furent trÅs en vogue dans le domaine des arts. Leur popularitÄ accrue ne signifia toutefois pas qu'ils furent traitÄs avec plus de rÄalisme que prÄcÄdemment. En effet, pour plaire ê leurs mÄcÅnes, les artistes s'intÄressÅrent surtout aux chefs militaires qu'ils reprÄsentÅrent souvent en gÄnÄraux romains et non en personnages de leur Äpoque. Des oeuvres comme Mort du gÄnÄral Wolfe de Benjamin West (diapositive no 2) sont une dÄrogation importante ê la tradition qui voulait que l'on reprÄsentët les sujets dans des vÉtements de l'AntiquitÄ. Selon les conventions de l'Äpoque, on faisait au premier plan des officiers de haut rang vÉtus de couleurs vives, sur des chevaux, et l'on relÄguait ê l'arriÅre-plan la bataille qui devenait un simple spectacle pour cavaliers aristocratiques.
  30.  
  31.      Tout l'art militaire des XVIIe et XVIIIe siÅcles n'Ätait toutefois pas aussi dÄtachÄ des rÄalitÄs. Dans la Reddition de Breda, Diego VÄlasquez donne le sentiment que des ÄvÄnements importants se produisent, sans recourir ê l'emphase, mais avec beaucoup de puissance et de conviction. D'autres artistes comme Jacques Callot, Francisco Goya et Vassili Verechtchagine se sont penchÄs d'un oeil critique sur les aspects horribles de la guerre. Callot, graveur franìais de Nancy, a montrÄ les faiblesses de l'humanitÄ dans sa sÄrie d'eaux-fortes sur les MisÅres de la guerre, qui rend en dÄtail et avec force l'oeuvre destructrice accomplie en 1633 par les troupes du cardinal de Richelieu en Lorraine. L'oeuvre de cet artiste franìais a influencÄ Goya lorsque cet artiste espagnol a fait ê son tour Los Desastres de la Guerra, 65 eaux-fortes qui sont une protestation vÄhÄmente contre le pillage honteux auquel ont participÄ les armÄes de NapolÄon. Enfin, la fascination et la rÄpulsion ÄprouvÄes par l'artiste russe Verechtchagine en prÄsence de la guerre dÄcoule des expÄriences qu'il a faites pendant la guerre russo-turque en 1877-1878: il fut alors blessÄ et son frÅre tuÄ.
  32.  
  33.      Il n'y a toutefois pas que de cÄlÅbres artistes qui aient reprÄsentÄ la vie militaire. Aux XVIIIe et XIXe siÅcles en effet, les officiers d'active des armÄes europÄennes Ätaient souvent tenus de suivre des cours de croquis. Cette formation leur permettait de dÄcrire avec prÄcision la topographie des rÄgions o¥ des batailles pourraient ultÄrieurement se dÄrouler; elle exerìait l'oeil ê l'observation et conduisait l'esprit ê juger l'importance des particularitÄs gÄographiques du point de vue militaire. Les oeuvres qui en ont rÄsultÄ avaient gÄnÄralement trait ê des paysages et ê des fortifications, mais elles reprÄsentaient rarement des combats vÄritables.
  34.  
  35.      Thomas Davies constitue ê la fois un exemple et une exception ê cet Ägard. Officier du Royal Regiment of Artillery, il a servi en AmÄrique de 1757 ê 1763, de 1776 ê 1778 et de 1786 ê 1790. Et il a participÄ ê de nombreuses campagnes. Dessinateur et aquarelliste fÄcond, Davies a fait des quantitÄs d'oeuvres qui reprÄsentent des paysages sauvages, des rues et des casernes. Il restitua aussi dans ses oeuvres quelques ÄvÄnements dont il avait ÄtÄ tÄmoin: le siÅge de Louisbourg, l'incendie d'un village acadien, et un petit engagement naval sur le Saint-Laurent. Ces oeuvres ne communiquent cependant aucun sentiment d'action ni aucune Ämotion, minimisant ainsi les faits reprÄsentÄs. Un croquis dÄsinvolte de canots, descendant le Saint-Laurent en 1760 avec les troupes du gÄnÄral Amherst ê leur bord, dÄìoit par son caractÅre paisible. Il a en effet trait ê une expÄdition dangereuse: les hommes durent franchir de longs rapides qui engloutirent 85 d'entre eux.
  36.  
  37.      Le XIXe siÅcle a ÄtÄ marquÄ par l'avÅnement d'un autre genre d'artiste: l'illustrateur. L'augmentation du nombre de personnes qui savaient lire et les progrÅs de l'imprimerie donnÅrent naissance aux journaux illustrÄs. Les guerres Ätaient toujours considÄrÄes comme de ╟bons sujets╚, et il y avait ê l'Äpoque de nombreux conflits qui fournissaient une matiÅre abondante: des guerres europÄennes grandes et petites, des rÄvolutions, et des expÄditions contre de nombreuses tribus africaines et maints potentats asiatiques. Certains illustrateurs envoyÄs par les grands journaux formaient une vÄritable caste au sein de la presse de l'Äpoque, un peu comme les correspondants spÄciaux envoyÄs sur le front lors des guerres ultÄrieures ou comme les opÄrateurs qui filment de nos jours les actualitÄs pour la tÄlÄvision.
  38.  
  39.      Les illustrateurs de journaux voyageaient parfois de faìon trÅs luxueuse, c'est ainsi que Melton Prior couvrit par exemple la guerre des Zoulous en 1879 en ayant un chariot, cinq chevaux, un lit, une tente et une bonne rÄserve de whisky. NÄanmoins, la plupart d'entre eux partageaient les dangers et l'inconfort des soldats qu'ils dessinaient. Jules Pelcoq, qui travaillait pour l'Illustrated London News, par exemple, connut la faim ê Paris lorsque la ville fut assiÄgÄe par les Prussiens en 1870-1871, et il dut avoir recours au ballon pour envoyer par la voie des airs les croquis qu'il destinait ê son journal. Frank Vizetelly couvrit la guerre de SÄcession amÄricaine, la guerre austro-prussienne (1866), et d'autres conflits moins importants, pour finalement se faire tuer par des derviches au Soudan en 1883. Quant ê Theodore Davis, illustrateur amÄricain, il fut blessÄ ê deux reprises durant la guerre de SÄcession et il fut une fois obligÄ de sortir son rÄvolver pour empÉcher des chirurgiens de lui amputer une jambe.
  40.  
  41.      Le Canada n'eut qu'une petite presse illustrÄe dont le Canadian Illustrated News, qui fut publiÄ de 1869 ê 1883, est le meilleur exemple. Les illustrateurs n'eurent que peu d'opÄrations militaires ê couvrir: le raid des fenians, l'expÄdition Wolseley de 1870 ayant ÄtÄ les seules activitÄs guerriÅres qui aient eu lieu dans notre pays durant les dix premiÅres annÄes qui suivirent la crÄation de la ConfÄdÄration. Octave Henri Julien (vers 1852-1908), qui a fait une sÄrie de dessins sur la traversÄe de la Prairie par la Police montÄe du Nord-Ouest, force para-militaire, est l'artiste canadien qui se rapproche le plus des illustrateurs de guerre europÄens et amÄricains. La courte insurrection qui secoua le Nord-Ouest en 1885 donna naissance au Canadian Pictorial and Illustrated War News, journal qui n'eut Ägalement qu'une courte histoire. Le personnel de ce journal rÄalisa un nombre important de dessins qui furent publiÄs; F. W. Curzon (╟dessinateur spÄcial╚, attachÄ aux troupes de campagne du major gÄnÄral Middelton), le caporal E.C. Currie et le lieutenant R.L. Wadmore Ätaient chargÄs de prÄsenter une image du front, tandis que W.D. Blatchly, J.W. Bengough, William Bengough, J. Humme et J.D. Kelly apportaient leur contribution au journal en travaillant en sÄcuritÄ dans leurs bureaux de Toronto.
  42.  
  43. Les artistes officiels et la guerre totale 
  44.  
  45.      Les rapports entre la guerre et l'art se resserrÅrent au XXe siÅcle. La PremiÅre Guerre mondiale rendit dÄrisoires les conflits antÄrieurs et ce fut une illustration de la notion de ╟Guerre totale╚, lutte pour laquelle les belligÄrants font appel ê toutes les ressources dont ils disposent pour s'assurer la victoire. Il fallut tant d'hommes pour la mener que l'engagement volontaire se rÄvÄla insuffisant pour les recruter. La France, l'Allemagne et la Russie eurent dÅs le dÄbut recours ê la circonscription obligatoire; la Grande-Bretagne y vint en 1916, et le Canada au prix d'une bataille politique d'envergure en 1917 finit par leur emboöter le pas. Comme les mÄthodes classiques de financement ne permettaient pas de faire face aux dÄpenses considÄrables qui vont de pair avec ce genre de guerre, les gouvernements se procurÅrent des fonds supplÄmentaires en Ämettant des obligations ê grand renfort de publicitÄ et en se tournant vers de nouveaux modes d'imposition. Le Canada eut, par exemple, recours ê un impÖt sur le revenu en 1916; cet impÖt ne devait Étre que provisoire, mais, aprÅs son adoption, on ne le supprima jamais. ParallÅlement, on organisa l'industrie et l'agriculture, et on les mobilisa comme jamais auparavant. On rÄduisit la production des biens de consommation et l'on rationna les denrÄes rares. On construisit ou transforma des usines pour fabriquer des canons, des obus, des vÄhicules militaires, des navires, des masques ê gaz et tous les autres accessoires de la guerre. Des chercheurs et des ingÄnieurs mirent au point des armes, des mÄdicaments et des moteurs. Et comme les hommes Ätaient ê l'armÄe, on recruta des femmes pour travailler dans les usines.
  46.  
  47.      âtant donnÄ le caractÅre total de la guerre moderne, il n'est pas Ätonnant que l'on ait demandÄ aux artistes et ê leur art d'appuyer l'effort de guerre. Et en fait, ils ont ÄtÄ utilisÄs de faìon trÅs analogue par toutes les parties en cause, aussi bien durant la PremiÅre que durant la Seconde Guerre mondiales. Or le domaine le plus Ävident dans lequel les artistes pouvaient apporter leur contribution ê l'effort de guerre Ätait celui de la propagande. Ils crÄÅrent des affiches pour inciter les gens ê faire bien des choses qui pouvaient faciliter l'effort national ou pour les dissuader d'en faire d'autres qui pouvaient paralyser ce dernier. Certaines de ces affiches Ätaient d'une conception grossiÅre, mais d'autres tÄmoignaient d'un indÄniable savoir-faire et de grandes qualitÄs artistiques. Les plus efficaces furent parfois copiÄes par d'autres pays (diapositive n 29).
  48.  
  49.      L'emploi d'artistes de guerre officiels a aussi revÉtu une importance considÄrable bien que l'on n'ait pas toujours vu immÄdiatement leur utilitÄ. On dissuada les artistes britanniques -- mÉme les ╟envoyÄs spÄciaux╚ qui avaient couvert des guerres antÄrieures -- d'exercer leur activitÄ prÅs des fronts jusqu'en 1916. Ils constatÅrent assez souvent qu'on les accueillait plus volontiers dans les secteurs franìais de la ligne de feu. Muirhead Bone, premier artiste de guerre officiel employÄ par la Grande-Bretagne, a ÄtÄ engagÄ par les services de propagande. On pourrait s'attendre ê ce que ses oeuvres prÄsentent la guerre ê l'avantage de son pays, mais en fait elles rendent compte avec exactitude des ÄvÄnements et des situations dont l'artiste a ÄtÄ tÄmoin. Les dessins de Bone, initialement publiÄs dans un pÄriodique militaire, furent ultÄrieurement rassemblÄs dans un ouvrage dont les exemplaires ont ÄtÄ diffusÄs par la suite en Allemagne et en Autriche o¥ l'on a immÄdiatement reconnu leur valeur artistique. Il s'avÄra ainsi que les qualitÄs esthÄtiques et affectives des oeuvres d'art militaire pouvaient Étre reconnues au-delê des frontiÅres, mÉme quand ces oeuvres Ätaient issues d'un dÄsir de propagande. La popularitÄ d╟Old Bill╚, personnage de bandes dessinÄes britanniques crÄÄ par Bruce Bairnsfeather, qui fut adoptÄ aussi bien par l'ennemi que par les AlliÄs, est un autre exemple de ce phÄnomÅne.
  50.  
  51.      Bone eut la chance qu'on lui consente une assez grande libertÄ dans son travail ê partir de 1916. En effet, des artistes de guerre britanniques ultÄrieurs s'aperìurent que les officiels s'intÄressaient de beaucoup plus prÅs ê leurs activitÄs et qu'ils Ätaient nettement plus restrictifs. Paul Nash a, par exemple, exprimÄ la situation en disant: ╟On ne me permet pas de faire figurer des morts sur mes oeuvres car il n'y en a apparemment pas╚. Le dilemme devant lequel se trouvait l'artiste s'est posÄ pendant toute l'histoire et demeure celui des journalistes de la presse Äcrite, radiophonique et tÄlÄvisÄe: comment accepter un appui ou une aide officielle tout en conservant sa libertÄ d'expression? Le problÅme fut rÄsolu de diffÄrentes faìons. Les artistes britanniques de la Guerre de 1939-1945 et les artistes canadiens des deux guerres mondiales ont bÄnÄficiÄ d'une latitude considÄrable aussi bien dans le choix de leurs sujets que dans leurs moyens d'expression. L'artiste canadien Bruno Bobak a, par exemple, dÄclarÄ que la seule directive qu'il ait reìue en 1944-1945 lui signalait qu'il envoyait trop de croquis de chars allemands incendiÄs. En revanche, les artistes de guerre qui Ätaient en Allemagne et en URSS devaient prÄsenter des oeuvres conformes ê un certain rÄalisme. Les artistes de guerre japonais de la Seconde Guerre mondiale jouissaient d'une certaine latitude dans le choix de leurs techniques et ils eurent recours aussi bien ê la peinture traditionnelle qu'aux mÄthodes occidentales contemporaines. Ils Ävitaient cependant de prÄsenter la guerre ou l'effort de leur pays sous un angle nÄgatif.
  52.  
  53. Les collections d'art de guerre du Canada 
  54.  
  55.      C'est surtout grëce ê sir Max Aitken, ce magnat de la presse et ce politicien qui devint lord Beaverbrook, que le Canada possÅde une collection d'art de guerre importante. Pendant une bonne partie de la PremiÅre Guerre mondiale, il coordonna les efforts militaires canadiens et britanniques. ImpÄrialiste ardent, mais aussi nationaliste canadien, Aitken s'Ätait jurÄ de faire reconnaötre les mÄrites du Corps expÄditionnaire canadien tant au sein du Dominion qu'ê l'extÄrieur. C'est dans ce dessein qu'il participa activement ê la publication de Canada in Flanders (London: Hodder and Stoughton, 1916), Ätude en trois volumes dont deux sont de lui, qui relatent les hauts faits du Corps expÄditionnaire canadien; Aitken a aussi mis en oeuvre un programme de photographie et de cinÄma. En 1917, il fut placÄ ê la tÉte du Bureau des archives militaires canadiennes, et fut chargÄ de conserver les journaux de marche et les autres documents de campagne qui prÄsentaient un intÄrÉt historique. Pendant qu'il dirigeait ce service, un illustrÄ, le Canadian Daily Record, fut rÄalisÄ et diffusÄ auprÅs des troupes, de janvier 1917 ê juillet 1919.
  56.  
  57.      La crÄation du Fonds des souvenirs de guerre canadiens constitue l'une des initiatives les plus ambitieuses d'Aitken. Ce fonds fut constituÄ grëce ê l'argent rapportÄ par la vente de photos et de publications, montant auquel vinrent ultÄrieurement s'ajouter les bÄnÄfices retirÄs d'une sÄrie d'expositions d'oeuvres d'art. Il avait pour vocation initiale de financer la publicitÄ destinÄe ê l'effort de guerre de notre pays. En outre, il devait fournir la somme de base qui servirait ê Älever un monument permanent pour commÄmorer les sacrifices faits par le Canada pendant la guerre.
  58.  
  59.      Au milieu de l'annÄe 1917, le Fonds des souvenirs de guerre canadiens entreprit de lancer un programme d'art de guerre. Divers personnages britanniques, dont Paul Konody, (le critique d'art de l'Observer), les magnats de la presse lord Rothermere et sir Bertram Lima apportÅrent leur concours ê ce programme. Sir Edmund Walker, prÄsident du conseil d'administration de la Galerie nationale du Canada, s'occupa de promouvoir l'initiative du Fonds au Canada. Administrant son programme avec souplesse et flair, Aitken commenìa par faire appel ê plusieurs artistes britanniques jusqu'ê ce que l'on attire son attention sur quelques artistes canadiens. On attribua des grades honorifiques de capitaine ou de major ê la plupart des artistes, et on leur laissa une grande libertÄ durant leurs campagnes. On permit par exemple ê Augustus John, artiste britannique, de conserver sa barbe.
  60.  
  61.      Ce projet ambitieux se concrÄtisa par la collection des Souvenirs de guerre canadiens, ensemble de 850 oeuvres qui vont des croquis au crayon, des lithographies, des pastels et des aquarelles jusqu'ê d'immenses huiles sur toiles. Ces derniÅres sont de dimensions si impressionnantes qu'il n'a pas toujours ÄtÄ facile de les remiser ni de les exposer. AprÅs une sÄrie d'expositions en Grande-Bretagne et ê New York, la collection des Souvenirs de guerre canadiens est arrivÄe au Canada o¥ elle fut officiellement cÄdÄe au gouvernement fÄdÄral en 1921. La Galerie nationale du Canada accepta alors de remiser et de prÄserver les oeuvres de cette collection en attendant la construction de la galerie commÄmorative qu'Aitken avait prÄvue pour les abriter. Il y eut bien un projet sommaire en ce qui a trait ê l'architecture de cette galerie mais elle ne fut jamais ÄdifiÄe. On ne sait au juste pourquoi il en fut ainsi, mais il semble que tous les crÄdits affectÄs ê la construction immÄdiatement aprÅs la guerre aient ÄtÄ ÄpuisÄs par la reconstruction du parlement, dÄtruit en 1916 par un incendie. D'ailleurs, le nouvel Ädifice du parlement prÄvu comportait un monument aux morts, la Tour de la Paix avec sa Chapelle du Souvenir et, ê l'extÄrieur, la sculpture en demi-bosse d'un soldat reposant sur des armes renversÄes.
  62.  
  63.      AprÅs le dÄclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne lanìa un programme artistique officiel. MalgrÄ les demandes pressantes provenant de divers milieux, notamment de la presse, des historiens militaires, de la collectivitÄ artistique en gÄnÄral et surtout de plusieurs anciens artistes militaires officiels, le Canada ne suivit pas immÄdiatement cet exemple. En attendant que quelque chose soit fait, la Galerie nationale du Canada demanda ê quelques artistes de faire des oeuvres qui avaient trait ê l'effort de guerre.
  64.  
  65.      Le gouvernement du Dominion finit par organiser un programme artistique militaire en janvier 1943. Ce programme ressemblait ê celui de la PremiÅre Guerre mondiale, mais il s'en Äcartait ê certains Ägards. Pendant la PremiÅre Guerre mondiale on avait accordÄ des grades honorifiques aux artistes envoyÄs outre-mer avec le Corps expÄditionnaire canadien; toutefois, ceux qui avaient ÄtÄ employÄs au Canada avaient conservÄ leur statut de civils. En revanche, pendant la Seconde Guerre mondiale, les artistes ont ÄtÄ engagÄs dans les trois forces de l'armÄe (ArmÄe canadienne terrestre, Marine royale du Canada et Aviation royale du Canada ) quel que soit l'endroit o¥ ils ont servi. De plus, on fit en sorte de rÄduire le plus possible la distinction entre les artistes de guerre et les autres soldats. On considÄra dÄsormais qu'il Ätait aussi important de peindre des scÅnes de guerre que de conduire un char d'assaut. L'armÄe assura les services des artistes de plusieurs faìons: elle recruta certains d'entre eux, comme Charles Comfort, parmi les civils. Dans d'autres cas, elle muta des artistes qui s'Ätaient engagÄs dans les forces de combat pour leur confier des travaux artistiques; c'est ainsi que Robert Hyndman et Miller Gore Brittain commencÅrent par participer ê des missions opÄrationnelles outre-mer avec des escadrons aÄriens avant de se voir confier le soin d'exÄcuter certaines peintures. La Marine royale du Canada employa souvent des officiers en service comme artistes de guerre officiels; ces hommes faisaient tantÖt des travaux plus courants. Par ailleurs, un concours artistique destinÄ au personnel de l'ArmÄe canadienne permit de dÄcouvrir le talent de Bruno Jacob Bobak, qui fut appelÄ ê quitter le Corps royal du gÄnie canadien pour travailler en tant qu'artiste.
  66.  
  67.      Les fruits du travail artistique ainsi accompli pendant la guerre forme la collection des documents de guerre canadiens, qui a ÄtÄ transfÄrÄe ê la Galerie nationale du Canada en 1947. Cinq mille crÄations environ fournissent des documents sur les opÄrations menÄes outre-mer et au Canada, notamment sur la production de guerre de notre pays. Quelque 70 oeuvres donnÄes par le gouvernement britannique complÅtent cette collection. Pendant la pÄriode de l'aprÅs-guerre, des dons et des achats d'oeuvres pertinentes, dont certains exemples d'art de guerre allemands, ont encore ÄtoffÄ un ensemble qui Ätait dÄjê impressionnant. En 1971, la plus grande partie des collections d'art de guerre a quittÄ la Galerie nationale du Canada pour trouver un cadre plus appropriÄ au MusÄe canadien de la guerre.
  68.  
  69. Le travail des artistes de guerre.
  70.  
  71.      Les conditions de travail des artistes de guerre variaient selon l'armÄe ê laquelle ils Ätaient affectÄs. Les artistes Ätaient exposÄs au danger, mÉme lorsqu'ils Ätaient uniquement censÄs faire des travaux artistiques. Trois artistes britanniques ont d'ailleurs trouvÄ la mort au cours de la Seconde Guerre mondiale. Aucun artiste de guerre officiel du Canada n'a subi un sort analogue, mais plusieurs n'ont ÄchappÄ que de peu ê la mort. La navire de Paul Goranson a ÄtÄ torpillÄ au cours d'une traversÄe qu'il faisait pour se rendre en Angleterre, si bien que l'artiste a d₧ passer plusieurs heures dans une embarcation non pontÄe avant d'Étre secouru. George Pepper fut abandonnÄ en territoire ennemi au mois d'ao₧t 1944, puis portÄ disparu pendant dix jours, avant qu'il ne parvienne ê regagner les lignes des alliÄs. Charles Comfort a frÖlÄ la mort ê quatre reprises: une fois au cours d'un raid aÄrien, deux fois lors d'un tir d'artillerie, et une derniÅre fois quand un V-2 a explosÄ prÅs de l'endroit o¥ il logeait, ê Londres.
  72.  
  73.      Bien qu'il arrivët que l'on demandët ê un artiste de traiter un seul sujet donnÄ (comme de faire le portrait d'un officier, par exemple), on se contentait normalement de l'envoyer ê un endroit pour couvrir une activitÄ en cours comme la construction d'un terrain d'aviation, la rÄparation de chars, la prÄparation d'un assaut, etc. AprÅs qu'on lui eut donnÄ un ou plusieurs thÅmes gÄnÄraux, l'artiste de guerre officiel choisissait un de leurs aspects particuliers, et il se mettait au travail.
  74.  
  75.      Les peintures ê l'huile n'Ätaient pas facile ê utiliser pendant les campagnes: elles Ätaient encombrantes et sÄchaient trop lentement. Le mieux Ätait d'exÄcuter un croquis ê la plume ou au crayon ou de faire une aquarelle. Les artistes crÄaient ordinairement leurs oeuvres de grandes dimensions, leurs toiles et leurs tableaux complexes soit dans un atelier londonien, soit ê leur retour au Canada.
  76.  
  77.      L'accueil rÄservÄ aux artistes de guerre officiels Ätait presque toujours chaleureux et sympathique, et tous -- des officiers supÄrieurs aux hommes de troupe -- s'intÄressaient vivement ê leurs crÄations. La premiÅre exposition des peintures de Charles Comfort fut organisÄe en 1943 dans un centre d'accueil ê Campobasso (Italie). Cette manifestation, au cours de laquelle 44 oeuvres de Comfort et de Will Ogilvie (un de ses collÅgues) furent prÄsentÄes, attira 3 137 visiteurs en deux jours.
  78.  
  79.      Selon Alex Colville, les soldats qui avaient du mal ê exprimer leurs Ämotions ou ê faire part de leurs Äpreuves dans leurs lettres ê leur famille, voyaient dans les artistes de guerre des gens capables de faire comprendre leur situation difficile ê ceux qui n'avaient pas participÄ directement au conflit. Les artistes de guerre officiels n'Ätaient pas ê l'abri des pressions sociales; ils pouvaient Étre chauvins comme d'autres, et faire des oeuvres qui semblaient glorifier la guerre. Mais ils Ätaient, d'autre part, souvent horrifiÄs par ce qu'ils voyaient, et ils souhaitaient parfois transmettre leur sentiment d'horreur ê des personnes ÄloignÄes d'eux tant dans l'espace que dans le temps.
  80.  
  81. L'art de guerre en perspective 
  82.  
  83.      Certains ont remis en cause l'utilitÄ de l'art de guerre car depuis que l'on dispose des techniques et du matÄriel photographiques modernes, les documents iconographiques comme ceux des collections du MusÄe canadien de la guerre ne sont peut-Étre plus nÄcessaires. Toutefois, certaines circonstances, comme le combat rapprochÄ ou le corps ê corps ne se prÉtent pas ê la photographie. Jamais aucun photographe n'a fixÄ pour la postÄritÄ une action qui a valu ê son auteur de la Croix de Victoria. Aussi a-t-il fallu se tourner vers des artistes pour leur demander de recrÄer des impressions imagÄes des ÄvÄnements dramatiques qui se sont dÄroulÄs.
  84.  
  85.      Mais il y a une autre raison trÅs profonde qui conduit ê conserver et ê Ätudier l'art de guerre. En effet, les artistes ne se sont pas contentÄs de reprÄsenter des scÅnes et des ÄvÄnements. Ils ont aussi illustrÄ les valeurs, les espÄrances, les craintes et les problÅmes des sociÄtÄs dans lesquelles ils ont vÄcu et travaillÄ. S'ils sont parvenus, chacun ê leur maniÅre, ê exprimer leur optique sur la pauvretÄ, l'aliÄnation sociale, la maladie, l'oppression ou la prospÄritÄ, c'est qu'ils ont Ägalement pu faire des dÄclarations sur les guerres qui faisaient rage autour d'eux et qui ont transformÄ leur univers.  
  86.  
  87.