L'art et la guerre sont deux sujets qui peuvent sembler de prime abord incompatibles: on considΦre gΘnΘralement en effet les artistes comme des Ωtres sensibles et crΘateurs, comme des forces vives de leur collectivitΘ; et, inversement, on perτoit la guerre comme quelque chose d'aveuglΘment destructeur, qui balaie tout sur son passage -- aussi bien les vies, les sociΘtΘs que l'art lui-mΩme. D'ailleurs la destruction partielle du ParthΘnon d'AthΦnes en 1687 par l'explosion de munitions remisΘes α l'intΘrieur de ce bΓtiment n'est-elle pas le meilleur exemple de l'antithΦse apparente qui existe entre ces deux activitΘs de l'humanitΘ?
De fait l'art et la guerre ont ΘtΘ intimement liΘs pendant des siΦcles. Rares sont les artistes qui ont pu Θluder ou Θchapper entiΦrement aux rΘpercussions sociales et autres de la guerre sur leurs vies. Les artistes ont en rΘalitΘ souvent d√ participer activement aux conflits, armΘs α la fois en tant que combattants et en tant que peintres ou dessinateurs. La brutalitΘ de la guerre a eu des rΘpercussions particuliΦrement importantes sur la sensibilitΘ de certains d'entre eux.
Les diffΘrentes faτons d'envisager l'art militaire
L'art militaire a de nombreux objets et on peut l'Θtudier d'au moins trois points de vue diffΘrents. On peut tout d'abord considΘrer certaines oeuvres de cet art comme des documents contemporains aux ΘvΘnements qui se sont dΘroulΘs. Ces oeuvres prennent souvent la forme d'esquisses, d'aquarelles et de peintures α l'huile exΘcutΘes soit pendant, soit immΘdiatement aprΦs un conflit. Le pays se trouve pris dans des circonstances traumatisantes qu'il observe mais qu'il ne comprend pas entiΦrement; l'artiste enregistre les incidents selon son expΘrience et ses facultΘs d'expression et il les expose pour transmettre ses impressions au public. Il parvient parfois α toucher la conscience collective et α renforcer l'orgueil national.
En second lieu, l'artiste peut participer aux rΘactions que suscitent les hostilitΘs aprΦs la guerre, dans son pays. Lorsque les Θmotions, qui vont de pair avec la victoire ou avec la dΘfaite, se sont apaisΘes, un esprit de rΘflexion s'instaure, et les deux adversaires de naguΦre mΘditent sur les changements et les co√ts qu'a entraεnΘ leur conflit. On commΘmore les guerriers triomphants puis les victimes en leur Θlevant des monuments ou en leur consacrant des oeuvres d'art. On peut alors considΘrer que certaines oeuvres crΘΘes au moment de la lutte armΘe, constituent des mΘmoriaux pertinents lorsqu'elles reflΦtent l'esprit contemplatif de l'aprΦs-guerre.
TroisiΦmement, l'art militaire prend une signification nouvelle au fur et α mesure que les anciens combattants meurent et que les souvenirs des ΘvΘnements s'estompent. Les oeuvres conservΘes dans des collections publiques -- archives, musΘes des beaux-arts et divers autres musΘes -- fournissent de la matiΦre α ceux qui s'intΘressent α l'histoire -- histoire sociale, militaire, ou histoire de l'art de mΩme qu'α celui de nombreux chercheurs. Ces tableaux, dessins, etc., sont des monuments qui ont une double vocation: ils reprΘsentent non seulement les ΘvΘnements et les personnalitΘs militaires, mais ils Θtayent aussi l'histoire de l'art elle-mΩme. Ceux qui les regardent peuvent Θtudier α travers eux l'Θvolution des moyens visuels d'expression et la rΘaction des artistes α de nombreux changements.
Survol historique
La guerre est un sujet qui a ΘtΘ traitΘ par des artistes de maintes civilisations. On a trouvΘ, dans les tombeaux et les temples de l'ancienne ╔gypte des peintures minutieuses de scΦnes de bataille. Les magnifiques temples creusΘs dans le grΦs en l'honneur de RamsΦs II α Abou-Simbel furent dΘcorΘs de bas-reliefs exΘcutΘs avec recherche qui reprΘsentent le retour triomphal du monarque avec ses soldats et ses prisonniers aprΦs une campagne effectuΘe dans le sud. Les temples et les Θdifices publics assyriens furent richement dΘcorΘs d'oeuvres d'art, peintes et sculptΘes, illustrant les armes et les tactiques employΘes dans les sociΘtΘs du Moyen-Orient. L'art des Assyriens Θtait plus rΘaliste que celui des ╔gyptiens; l'iconographie des premiers met l'accent sur les effusions de sang et sur la cruautΘ de la guerre et elle va jusqu'α montrer les tortures infligΘes aux prisonniers et l'anΘantissement des peuples conquis. Les oeuvres des ╔gyptiens ont en revanche tendance α mettre en relief la bravoure des pharaons, α dΘcrire les avantages plut⌠t que les inconvΘnients de leurs victoires.
Les Romains Θlevaient des colonnes et des arcs de triomphe ornΘs de scΦnes sur les batailles qu'ils avaient gagnΘes pour honorer leurs gΘnΘraux et leurs empereurs. Ces oeuvres ne tΘmoignaient pas seulement de la supΘrioritΘ militaire des peuples vainqueurs sur leurs ennemis, elles laissaient aussi prΘsumer que les succΦs des premiers dΘcoulaient aussi de leur supΘrioritΘ culturelle. Ces oeuvres monumentales ont inspirΘ des crΘations ultΘrieures comme l'Arc de Triomphe de l'╔toile (1806-1836) α Paris, et le Wellington Arch (1846) α Londres. De 106 α 113 apr. J.-C., des artistes romains ont travaillΘ α la rΘalisation d'une colonne triomphale de 38 m de haut pour commΘmorer les victoires remportΘes par l'empereur Trajan au cours de ses deux campagnes contre les Daces (anciens habitants de la Roumanie). Plus de 150 Θpisodes distincts de ces campagnes sont reprΘsentΘs sur une spirale continue qui s'enroule sur prΦs de 200 m autour du f√t de la colonne; on y voit, par exemple, la construction de fortifications, une armΘe en marche, le siΦge de villes, et la traversΘe d'un cours d'eau sur un pont flottant. La colonne Trajane est un modΦle dont se sont inspirΘs les artistes qui ont conτu le monument ΘlevΘ sur la place Vend⌠me α Paris pour cΘlΘbrer les victoires de NapolΘon. Les reliefs de la spirale qui entoure la colonne ont ΘtΘ rΘalisΘs avec le bronze de canons autrichiens, prussiens et russes pris α l'ennemi durant les campagnes napolΘoniennes.
En raison des changements de rΘgimes survenus en France, diverses effigies se sont succΘdΘ au sommet de cette colonne, mais aujourd'hui une copie de la statue initiale de NapolΘon en empereur romain figure en haut du monument.
L'art mΘdiΘval qui subsiste se caractΘrise surtout par ses sujets religieux. L'╔glise chrΘtienne Θtait en effet le principal mΘcΦne au Moyen ┬ge. Et l'on Θpargnait souvent les bΓtiments ecclΘsiastiques et leur contenu au cours des guerres destructrices qui firent rage pendant cette pΘriode. Les manuscrits enluminΘs -- tant de l'Ancien Testament que d'oeuvres d'auteurs classiques choisis -- Θtaient crΘΘs α la demande de mΘcΦnes ecclΘsiastiques; ils reprΘsentent souvent des armΘes et des combats. Les artistes ne se soucient guΦre, parfois, de reprΘsenter des vΩtements d'Θpoque: il arrive ainsi qu'un personnage de l'Ancien Testament comme JosuΘ soit habillΘ en gΘnΘral romain. La tapisserie de Bayeux (vers 1073-1083) avec ses quelque 70 m de broderies de laine sur toile illustrant l'invasion de l'Angleterre par Guillaume le ConquΘrant, est indubitablement l'exemple mΩme de l'art militaire mΘdiΘval.
La rΘvolution des arts et des sciences qui s'est produite pendant la Renaissance a entraεnΘ des modifications dans les sujets traitΘs et les techniques employΘes: maints artistes se sont mis α reprΘsenter des thΦmes profanes; de plus, l'Θtude et l'application des principes de la perspective ont permis aux artistes de percevoir et de prΘsenter le monde sous un jour nouveau. La DΘfaite de San Romano (vers 1455) de Paolo Uccello, est une oeuvre de transition qui rΘvΦle la tentative effectuΘe par un peintre florentin formΘ dans la tradition de la peinture gothique pour concrΘtiser ses conceptions nouvelles sur la perspective dans une Θtude colorΘe et pleine d'action reprΘsentant une bataille entre des factions italiennes rivales. Venise, la plus prospΦre des citΘs italiennes belligΘrantes, a demandΘ α de grands artistes d'Θvoquer ses campagnes militaires et navales dans des oeuvres abritΘes par le palais des Doges. On reprΘsenta dΘsormais les scΦnes de bataille dans des paysages dΘtaillΘs, α la diffΘrence des combats mΘdiΘvaux, qui avaient gΘnΘralement ΘtΘ peints, sculptΘs ou tissΘs dans l'espace, sans Θgard ou presque α la topographie des lieux.
AprΦs la Renaissance, les sujets militaires furent trΦs en vogue dans le domaine des arts. Leur popularitΘ accrue ne signifia toutefois pas qu'ils furent traitΘs avec plus de rΘalisme que prΘcΘdemment. En effet, pour plaire α leurs mΘcΦnes, les artistes s'intΘressΦrent surtout aux chefs militaires qu'ils reprΘsentΦrent souvent en gΘnΘraux romains et non en personnages de leur Θpoque. Des oeuvres comme Mort du gΘnΘral Wolfe de Benjamin West (diapositive no 2) sont une dΘrogation importante α la tradition qui voulait que l'on reprΘsentΓt les sujets dans des vΩtements de l'AntiquitΘ. Selon les conventions de l'Θpoque, on faisait au premier plan des officiers de haut rang vΩtus de couleurs vives, sur des chevaux, et l'on relΘguait α l'arriΦre-plan la bataille qui devenait un simple spectacle pour cavaliers aristocratiques.
Tout l'art militaire des XVIIe et XVIIIe siΦcles n'Θtait toutefois pas aussi dΘtachΘ des rΘalitΘs. Dans la Reddition de Breda, Diego VΘlasquez donne le sentiment que des ΘvΘnements importants se produisent, sans recourir α l'emphase, mais avec beaucoup de puissance et de conviction. D'autres artistes comme Jacques Callot, Francisco Goya et Vassili Verechtchagine se sont penchΘs d'un oeil critique sur les aspects horribles de la guerre. Callot, graveur franτais de Nancy, a montrΘ les faiblesses de l'humanitΘ dans sa sΘrie d'eaux-fortes sur les MisΦres de la guerre, qui rend en dΘtail et avec force l'oeuvre destructrice accomplie en 1633 par les troupes du cardinal de Richelieu en Lorraine. L'oeuvre de cet artiste franτais a influencΘ Goya lorsque cet artiste espagnol a fait α son tour Los Desastres de la Guerra, 65 eaux-fortes qui sont une protestation vΘhΘmente contre le pillage honteux auquel ont participΘ les armΘes de NapolΘon. Enfin, la fascination et la rΘpulsion ΘprouvΘes par l'artiste russe Verechtchagine en prΘsence de la guerre dΘcoule des expΘriences qu'il a faites pendant la guerre russo-turque en 1877-1878: il fut alors blessΘ et son frΦre tuΘ.
Il n'y a toutefois pas que de cΘlΦbres artistes qui aient reprΘsentΘ la vie militaire. Aux XVIIIe et XIXe siΦcles en effet, les officiers d'active des armΘes europΘennes Θtaient souvent tenus de suivre des cours de croquis. Cette formation leur permettait de dΘcrire avec prΘcision la topographie des rΘgions o∙ des batailles pourraient ultΘrieurement se dΘrouler; elle exerτait l'oeil α l'observation et conduisait l'esprit α juger l'importance des particularitΘs gΘographiques du point de vue militaire. Les oeuvres qui en ont rΘsultΘ avaient gΘnΘralement trait α des paysages et α des fortifications, mais elles reprΘsentaient rarement des combats vΘritables.
Thomas Davies constitue α la fois un exemple et une exception α cet Θgard. Officier du Royal Regiment of Artillery, il a servi en AmΘrique de 1757 α 1763, de 1776 α 1778 et de 1786 α 1790. Et il a participΘ α de nombreuses campagnes. Dessinateur et aquarelliste fΘcond, Davies a fait des quantitΘs d'oeuvres qui reprΘsentent des paysages sauvages, des rues et des casernes. Il restitua aussi dans ses oeuvres quelques ΘvΘnements dont il avait ΘtΘ tΘmoin: le siΦge de Louisbourg, l'incendie d'un village acadien, et un petit engagement naval sur le Saint-Laurent. Ces oeuvres ne communiquent cependant aucun sentiment d'action ni aucune Θmotion, minimisant ainsi les faits reprΘsentΘs. Un croquis dΘsinvolte de canots, descendant le Saint-Laurent en 1760 avec les troupes du gΘnΘral Amherst α leur bord, dΘτoit par son caractΦre paisible. Il a en effet trait α une expΘdition dangereuse: les hommes durent franchir de longs rapides qui engloutirent 85 d'entre eux.
Le XIXe siΦcle a ΘtΘ marquΘ par l'avΦnement d'un autre genre d'artiste: l'illustrateur. L'augmentation du nombre de personnes qui savaient lire et les progrΦs de l'imprimerie donnΦrent naissance aux journaux illustrΘs. Les guerres Θtaient toujours considΘrΘes comme de ½bons sujets╗, et il y avait α l'Θpoque de nombreux conflits qui fournissaient une matiΦre abondante: des guerres europΘennes grandes et petites, des rΘvolutions, et des expΘditions contre de nombreuses tribus africaines et maints potentats asiatiques. Certains illustrateurs envoyΘs par les grands journaux formaient une vΘritable caste au sein de la presse de l'Θpoque, un peu comme les correspondants spΘciaux envoyΘs sur le front lors des guerres ultΘrieures ou comme les opΘrateurs qui filment de nos jours les actualitΘs pour la tΘlΘvision.
Les illustrateurs de journaux voyageaient parfois de faτon trΦs luxueuse, c'est ainsi que Melton Prior couvrit par exemple la guerre des Zoulous en 1879 en ayant un chariot, cinq chevaux, un lit, une tente et une bonne rΘserve de whisky. NΘanmoins, la plupart d'entre eux partageaient les dangers et l'inconfort des soldats qu'ils dessinaient. Jules Pelcoq, qui travaillait pour l'Illustrated London News, par exemple, connut la faim α Paris lorsque la ville fut assiΘgΘe par les Prussiens en 1870-1871, et il dut avoir recours au ballon pour envoyer par la voie des airs les croquis qu'il destinait α son journal. Frank Vizetelly couvrit la guerre de SΘcession amΘricaine, la guerre austro-prussienne (1866), et d'autres conflits moins importants, pour finalement se faire tuer par des derviches au Soudan en 1883. Quant α Theodore Davis, illustrateur amΘricain, il fut blessΘ α deux reprises durant la guerre de SΘcession et il fut une fois obligΘ de sortir son rΘvolver pour empΩcher des chirurgiens de lui amputer une jambe.
Le Canada n'eut qu'une petite presse illustrΘe dont le Canadian Illustrated News, qui fut publiΘ de 1869 α 1883, est le meilleur exemple. Les illustrateurs n'eurent que peu d'opΘrations militaires α couvrir: le raid des fenians, l'expΘdition Wolseley de 1870 ayant ΘtΘ les seules activitΘs guerriΦres qui aient eu lieu dans notre pays durant les dix premiΦres annΘes qui suivirent la crΘation de la ConfΘdΘration. Octave Henri Julien (vers 1852-1908), qui a fait une sΘrie de dessins sur la traversΘe de la Prairie par la Police montΘe du Nord-Ouest, force para-militaire, est l'artiste canadien qui se rapproche le plus des illustrateurs de guerre europΘens et amΘricains. La courte insurrection qui secoua le Nord-Ouest en 1885 donna naissance au Canadian Pictorial and Illustrated War News, journal qui n'eut Θgalement qu'une courte histoire. Le personnel de ce journal rΘalisa un nombre important de dessins qui furent publiΘs; F. W. Curzon (½dessinateur spΘcial╗, attachΘ aux troupes de campagne du major gΘnΘral Middelton), le caporal E.C. Currie et le lieutenant R.L. Wadmore Θtaient chargΘs de prΘsenter une image du front, tandis que W.D. Blatchly, J.W. Bengough, William Bengough, J. Humme et J.D. Kelly apportaient leur contribution au journal en travaillant en sΘcuritΘ dans leurs bureaux de Toronto.
Les artistes officiels et la guerre totale
Les rapports entre la guerre et l'art se resserrΦrent au XXe siΦcle. La PremiΦre Guerre mondiale rendit dΘrisoires les conflits antΘrieurs et ce fut une illustration de la notion de ½Guerre totale╗, lutte pour laquelle les belligΘrants font appel α toutes les ressources dont ils disposent pour s'assurer la victoire. Il fallut tant d'hommes pour la mener que l'engagement volontaire se rΘvΘla insuffisant pour les recruter. La France, l'Allemagne et la Russie eurent dΦs le dΘbut recours α la circonscription obligatoire; la Grande-Bretagne y vint en 1916, et le Canada au prix d'une bataille politique d'envergure en 1917 finit par leur emboεter le pas. Comme les mΘthodes classiques de financement ne permettaient pas de faire face aux dΘpenses considΘrables qui vont de pair avec ce genre de guerre, les gouvernements se procurΦrent des fonds supplΘmentaires en Θmettant des obligations α grand renfort de publicitΘ et en se tournant vers de nouveaux modes d'imposition. Le Canada eut, par exemple, recours α un imp⌠t sur le revenu en 1916; cet imp⌠t ne devait Ωtre que provisoire, mais, aprΦs son adoption, on ne le supprima jamais. ParallΦlement, on organisa l'industrie et l'agriculture, et on les mobilisa comme jamais auparavant. On rΘduisit la production des biens de consommation et l'on rationna les denrΘes rares. On construisit ou transforma des usines pour fabriquer des canons, des obus, des vΘhicules militaires, des navires, des masques α gaz et tous les autres accessoires de la guerre. Des chercheurs et des ingΘnieurs mirent au point des armes, des mΘdicaments et des moteurs. Et comme les hommes Θtaient α l'armΘe, on recruta des femmes pour travailler dans les usines.
╔tant donnΘ le caractΦre total de la guerre moderne, il n'est pas Θtonnant que l'on ait demandΘ aux artistes et α leur art d'appuyer l'effort de guerre. Et en fait, ils ont ΘtΘ utilisΘs de faτon trΦs analogue par toutes les parties en cause, aussi bien durant la PremiΦre que durant la Seconde Guerre mondiales. Or le domaine le plus Θvident dans lequel les artistes pouvaient apporter leur contribution α l'effort de guerre Θtait celui de la propagande. Ils crΘΦrent des affiches pour inciter les gens α faire bien des choses qui pouvaient faciliter l'effort national ou pour les dissuader d'en faire d'autres qui pouvaient paralyser ce dernier. Certaines de ces affiches Θtaient d'une conception grossiΦre, mais d'autres tΘmoignaient d'un indΘniable savoir-faire et de grandes qualitΘs artistiques. Les plus efficaces furent parfois copiΘes par d'autres pays (diapositive n 29).
L'emploi d'artistes de guerre officiels a aussi revΩtu une importance considΘrable bien que l'on n'ait pas toujours vu immΘdiatement leur utilitΘ. On dissuada les artistes britanniques -- mΩme les ½envoyΘs spΘciaux╗ qui avaient couvert des guerres antΘrieures -- d'exercer leur activitΘ prΦs des fronts jusqu'en 1916. Ils constatΦrent assez souvent qu'on les accueillait plus volontiers dans les secteurs franτais de la ligne de feu. Muirhead Bone, premier artiste de guerre officiel employΘ par la Grande-Bretagne, a ΘtΘ engagΘ par les services de propagande. On pourrait s'attendre α ce que ses oeuvres prΘsentent la guerre α l'avantage de son pays, mais en fait elles rendent compte avec exactitude des ΘvΘnements et des situations dont l'artiste a ΘtΘ tΘmoin. Les dessins de Bone, initialement publiΘs dans un pΘriodique militaire, furent ultΘrieurement rassemblΘs dans un ouvrage dont les exemplaires ont ΘtΘ diffusΘs par la suite en Allemagne et en Autriche o∙ l'on a immΘdiatement reconnu leur valeur artistique. Il s'avΘra ainsi que les qualitΘs esthΘtiques et affectives des oeuvres d'art militaire pouvaient Ωtre reconnues au-delα des frontiΦres, mΩme quand ces oeuvres Θtaient issues d'un dΘsir de propagande. La popularitΘ d½Old Bill╗, personnage de bandes dessinΘes britanniques crΘΘ par Bruce Bairnsfeather, qui fut adoptΘ aussi bien par l'ennemi que par les AlliΘs, est un autre exemple de ce phΘnomΦne.
Bone eut la chance qu'on lui consente une assez grande libertΘ dans son travail α partir de 1916. En effet, des artistes de guerre britanniques ultΘrieurs s'aperτurent que les officiels s'intΘressaient de beaucoup plus prΦs α leurs activitΘs et qu'ils Θtaient nettement plus restrictifs. Paul Nash a, par exemple, exprimΘ la situation en disant: ½On ne me permet pas de faire figurer des morts sur mes oeuvres car il n'y en a apparemment pas╗. Le dilemme devant lequel se trouvait l'artiste s'est posΘ pendant toute l'histoire et demeure celui des journalistes de la presse Θcrite, radiophonique et tΘlΘvisΘe: comment accepter un appui ou une aide officielle tout en conservant sa libertΘ d'expression? Le problΦme fut rΘsolu de diffΘrentes faτons. Les artistes britanniques de la Guerre de 1939-1945 et les artistes canadiens des deux guerres mondiales ont bΘnΘficiΘ d'une latitude considΘrable aussi bien dans le choix de leurs sujets que dans leurs moyens d'expression. L'artiste canadien Bruno Bobak a, par exemple, dΘclarΘ que la seule directive qu'il ait reτue en 1944-1945 lui signalait qu'il envoyait trop de croquis de chars allemands incendiΘs. En revanche, les artistes de guerre qui Θtaient en Allemagne et en URSS devaient prΘsenter des oeuvres conformes α un certain rΘalisme. Les artistes de guerre japonais de la Seconde Guerre mondiale jouissaient d'une certaine latitude dans le choix de leurs techniques et ils eurent recours aussi bien α la peinture traditionnelle qu'aux mΘthodes occidentales contemporaines. Ils Θvitaient cependant de prΘsenter la guerre ou l'effort de leur pays sous un angle nΘgatif.
Les collections d'art de guerre du Canada
C'est surtout grΓce α sir Max Aitken, ce magnat de la presse et ce politicien qui devint lord Beaverbrook, que le Canada possΦde une collection d'art de guerre importante. Pendant une bonne partie de la PremiΦre Guerre mondiale, il coordonna les efforts militaires canadiens et britanniques. ImpΘrialiste ardent, mais aussi nationaliste canadien, Aitken s'Θtait jurΘ de faire reconnaεtre les mΘrites du Corps expΘditionnaire canadien tant au sein du Dominion qu'α l'extΘrieur. C'est dans ce dessein qu'il participa activement α la publication de Canada in Flanders (London: Hodder and Stoughton, 1916), Θtude en trois volumes dont deux sont de lui, qui relatent les hauts faits du Corps expΘditionnaire canadien; Aitken a aussi mis en oeuvre un programme de photographie et de cinΘma. En 1917, il fut placΘ α la tΩte du Bureau des archives militaires canadiennes, et fut chargΘ de conserver les journaux de marche et les autres documents de campagne qui prΘsentaient un intΘrΩt historique. Pendant qu'il dirigeait ce service, un illustrΘ, le Canadian Daily Record, fut rΘalisΘ et diffusΘ auprΦs des troupes, de janvier 1917 α juillet 1919.
La crΘation du Fonds des souvenirs de guerre canadiens constitue l'une des initiatives les plus ambitieuses d'Aitken. Ce fonds fut constituΘ grΓce α l'argent rapportΘ par la vente de photos et de publications, montant auquel vinrent ultΘrieurement s'ajouter les bΘnΘfices retirΘs d'une sΘrie d'expositions d'oeuvres d'art. Il avait pour vocation initiale de financer la publicitΘ destinΘe α l'effort de guerre de notre pays. En outre, il devait fournir la somme de base qui servirait α Θlever un monument permanent pour commΘmorer les sacrifices faits par le Canada pendant la guerre.
Au milieu de l'annΘe 1917, le Fonds des souvenirs de guerre canadiens entreprit de lancer un programme d'art de guerre. Divers personnages britanniques, dont Paul Konody, (le critique d'art de l'Observer), les magnats de la presse lord Rothermere et sir Bertram Lima apportΦrent leur concours α ce programme. Sir Edmund Walker, prΘsident du conseil d'administration de la Galerie nationale du Canada, s'occupa de promouvoir l'initiative du Fonds au Canada. Administrant son programme avec souplesse et flair, Aitken commenτa par faire appel α plusieurs artistes britanniques jusqu'α ce que l'on attire son attention sur quelques artistes canadiens. On attribua des grades honorifiques de capitaine ou de major α la plupart des artistes, et on leur laissa une grande libertΘ durant leurs campagnes. On permit par exemple α Augustus John, artiste britannique, de conserver sa barbe.
Ce projet ambitieux se concrΘtisa par la collection des Souvenirs de guerre canadiens, ensemble de 850 oeuvres qui vont des croquis au crayon, des lithographies, des pastels et des aquarelles jusqu'α d'immenses huiles sur toiles. Ces derniΦres sont de dimensions si impressionnantes qu'il n'a pas toujours ΘtΘ facile de les remiser ni de les exposer. AprΦs une sΘrie d'expositions en Grande-Bretagne et α New York, la collection des Souvenirs de guerre canadiens est arrivΘe au Canada o∙ elle fut officiellement cΘdΘe au gouvernement fΘdΘral en 1921. La Galerie nationale du Canada accepta alors de remiser et de prΘserver les oeuvres de cette collection en attendant la construction de la galerie commΘmorative qu'Aitken avait prΘvue pour les abriter. Il y eut bien un projet sommaire en ce qui a trait α l'architecture de cette galerie mais elle ne fut jamais ΘdifiΘe. On ne sait au juste pourquoi il en fut ainsi, mais il semble que tous les crΘdits affectΘs α la construction immΘdiatement aprΦs la guerre aient ΘtΘ ΘpuisΘs par la reconstruction du parlement, dΘtruit en 1916 par un incendie. D'ailleurs, le nouvel Θdifice du parlement prΘvu comportait un monument aux morts, la Tour de la Paix avec sa Chapelle du Souvenir et, α l'extΘrieur, la sculpture en demi-bosse d'un soldat reposant sur des armes renversΘes.
AprΦs le dΘclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne lanτa un programme artistique officiel. MalgrΘ les demandes pressantes provenant de divers milieux, notamment de la presse, des historiens militaires, de la collectivitΘ artistique en gΘnΘral et surtout de plusieurs anciens artistes militaires officiels, le Canada ne suivit pas immΘdiatement cet exemple. En attendant que quelque chose soit fait, la Galerie nationale du Canada demanda α quelques artistes de faire des oeuvres qui avaient trait α l'effort de guerre.
Le gouvernement du Dominion finit par organiser un programme artistique militaire en janvier 1943. Ce programme ressemblait α celui de la PremiΦre Guerre mondiale, mais il s'en Θcartait α certains Θgards. Pendant la PremiΦre Guerre mondiale on avait accordΘ des grades honorifiques aux artistes envoyΘs outre-mer avec le Corps expΘditionnaire canadien; toutefois, ceux qui avaient ΘtΘ employΘs au Canada avaient conservΘ leur statut de civils. En revanche, pendant la Seconde Guerre mondiale, les artistes ont ΘtΘ engagΘs dans les trois forces de l'armΘe (ArmΘe canadienne terrestre, Marine royale du Canada et Aviation royale du Canada ) quel que soit l'endroit o∙ ils ont servi. De plus, on fit en sorte de rΘduire le plus possible la distinction entre les artistes de guerre et les autres soldats. On considΘra dΘsormais qu'il Θtait aussi important de peindre des scΦnes de guerre que de conduire un char d'assaut. L'armΘe assura les services des artistes de plusieurs faτons: elle recruta certains d'entre eux, comme Charles Comfort, parmi les civils. Dans d'autres cas, elle muta des artistes qui s'Θtaient engagΘs dans les forces de combat pour leur confier des travaux artistiques; c'est ainsi que Robert Hyndman et Miller Gore Brittain commencΦrent par participer α des missions opΘrationnelles outre-mer avec des escadrons aΘriens avant de se voir confier le soin d'exΘcuter certaines peintures. La Marine royale du Canada employa souvent des officiers en service comme artistes de guerre officiels; ces hommes faisaient tant⌠t des travaux plus courants. Par ailleurs, un concours artistique destinΘ au personnel de l'ArmΘe canadienne permit de dΘcouvrir le talent de Bruno Jacob Bobak, qui fut appelΘ α quitter le Corps royal du gΘnie canadien pour travailler en tant qu'artiste.
Les fruits du travail artistique ainsi accompli pendant la guerre forme la collection des documents de guerre canadiens, qui a ΘtΘ transfΘrΘe α la Galerie nationale du Canada en 1947. Cinq mille crΘations environ fournissent des documents sur les opΘrations menΘes outre-mer et au Canada, notamment sur la production de guerre de notre pays. Quelque 70 oeuvres donnΘes par le gouvernement britannique complΦtent cette collection. Pendant la pΘriode de l'aprΦs-guerre, des dons et des achats d'oeuvres pertinentes, dont certains exemples d'art de guerre allemands, ont encore ΘtoffΘ un ensemble qui Θtait dΘjα impressionnant. En 1971, la plus grande partie des collections d'art de guerre a quittΘ la Galerie nationale du Canada pour trouver un cadre plus appropriΘ au MusΘe canadien de la guerre.
Le travail des artistes de guerre.
Les conditions de travail des artistes de guerre variaient selon l'armΘe α laquelle ils Θtaient affectΘs. Les artistes Θtaient exposΘs au danger, mΩme lorsqu'ils Θtaient uniquement censΘs faire des travaux artistiques. Trois artistes britanniques ont d'ailleurs trouvΘ la mort au cours de la Seconde Guerre mondiale. Aucun artiste de guerre officiel du Canada n'a subi un sort analogue, mais plusieurs n'ont ΘchappΘ que de peu α la mort. La navire de Paul Goranson a ΘtΘ torpillΘ au cours d'une traversΘe qu'il faisait pour se rendre en Angleterre, si bien que l'artiste a d√ passer plusieurs heures dans une embarcation non pontΘe avant d'Ωtre secouru. George Pepper fut abandonnΘ en territoire ennemi au mois d'ao√t 1944, puis portΘ disparu pendant dix jours, avant qu'il ne parvienne α regagner les lignes des alliΘs. Charles Comfort a fr⌠lΘ la mort α quatre reprises: une fois au cours d'un raid aΘrien, deux fois lors d'un tir d'artillerie, et une derniΦre fois quand un V-2 a explosΘ prΦs de l'endroit o∙ il logeait, α Londres.
Bien qu'il arrivΓt que l'on demandΓt α un artiste de traiter un seul sujet donnΘ (comme de faire le portrait d'un officier, par exemple), on se contentait normalement de l'envoyer α un endroit pour couvrir une activitΘ en cours comme la construction d'un terrain d'aviation, la rΘparation de chars, la prΘparation d'un assaut, etc. AprΦs qu'on lui eut donnΘ un ou plusieurs thΦmes gΘnΘraux, l'artiste de guerre officiel choisissait un de leurs aspects particuliers, et il se mettait au travail.
Les peintures α l'huile n'Θtaient pas facile α utiliser pendant les campagnes: elles Θtaient encombrantes et sΘchaient trop lentement. Le mieux Θtait d'exΘcuter un croquis α la plume ou au crayon ou de faire une aquarelle. Les artistes crΘaient ordinairement leurs oeuvres de grandes dimensions, leurs toiles et leurs tableaux complexes soit dans un atelier londonien, soit α leur retour au Canada.
L'accueil rΘservΘ aux artistes de guerre officiels Θtait presque toujours chaleureux et sympathique, et tous -- des officiers supΘrieurs aux hommes de troupe -- s'intΘressaient vivement α leurs crΘations. La premiΦre exposition des peintures de Charles Comfort fut organisΘe en 1943 dans un centre d'accueil α Campobasso (Italie). Cette manifestation, au cours de laquelle 44 oeuvres de Comfort et de Will Ogilvie (un de ses collΦgues) furent prΘsentΘes, attira 3 137 visiteurs en deux jours.
Selon Alex Colville, les soldats qui avaient du mal α exprimer leurs Θmotions ou α faire part de leurs Θpreuves dans leurs lettres α leur famille, voyaient dans les artistes de guerre des gens capables de faire comprendre leur situation difficile α ceux qui n'avaient pas participΘ directement au conflit. Les artistes de guerre officiels n'Θtaient pas α l'abri des pressions sociales; ils pouvaient Ωtre chauvins comme d'autres, et faire des oeuvres qui semblaient glorifier la guerre. Mais ils Θtaient, d'autre part, souvent horrifiΘs par ce qu'ils voyaient, et ils souhaitaient parfois transmettre leur sentiment d'horreur α des personnes ΘloignΘes d'eux tant dans l'espace que dans le temps.
L'art de guerre en perspective
Certains ont remis en cause l'utilitΘ de l'art de guerre car depuis que l'on dispose des techniques et du matΘriel photographiques modernes, les documents iconographiques comme ceux des collections du MusΘe canadien de la guerre ne sont peut-Ωtre plus nΘcessaires. Toutefois, certaines circonstances, comme le combat rapprochΘ ou le corps α corps ne se prΩtent pas α la photographie. Jamais aucun photographe n'a fixΘ pour la postΘritΘ une action qui a valu α son auteur de la Croix de Victoria. Aussi a-t-il fallu se tourner vers des artistes pour leur demander de recrΘer des impressions imagΘes des ΘvΘnements dramatiques qui se sont dΘroulΘs.
Mais il y a une autre raison trΦs profonde qui conduit α conserver et α Θtudier l'art de guerre. En effet, les artistes ne se sont pas contentΘs de reprΘsenter des scΦnes et des ΘvΘnements. Ils ont aussi illustrΘ les valeurs, les espΘrances, les craintes et les problΦmes des sociΘtΘs dans lesquelles ils ont vΘcu et travaillΘ. S'ils sont parvenus, chacun α leur maniΦre, α exprimer leur optique sur la pauvretΘ, l'aliΘnation sociale, la maladie, l'oppression ou la prospΘritΘ, c'est qu'ils ont Θgalement pu faire des dΘclarations sur les guerres qui faisaient rage autour d'eux et qui ont transformΘ leur univers.