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/ Canadas Visual History / Canadas_Visual_History_CD-ROM_1996_WIN31-95.iso / mac / V58 / V58FPRE.X < prev   
Text File  |  1994-06-10  |  41KB  |  101 lines

  1. COLONISATION D'UNE R╔GION FRONTALI╚RE DE L'EST: COMT╔ DE COMPTON (QU╔BEC) 
  2.  
  3. J.I. Little 
  4.  
  5. Les caractΘristiques physiques 
  6.  
  7.      Compton est l'un des comtΘs (circonscriptions Θlectorales) de la rΘgion du QuΘbec connue sous le nom des Cantons de l'Est. Cette rΘgion, qui jouit du statut de franc-alleu, est situΘe sur la bordure sud-est de la Province. Les Cantons de l'Est sont dΘlimitΘs au sud par les ╔tats-Unis et sur les autres c⌠tΘs par les anciennes seigneuries des vallΘes de la ChaudiΦre, du St-Laurent et de la Yamaska-Richelieu. Les Cantons de l'Est, ayant une superficie de 23 500 kilometres carrΘs environ, s'Θtalent au pied de la bordure nord de la vieille chaεne des Appalaches, formant une large pΘnΘplaine qui descend en pente douce depuis le comtΘ de Compton jusqu'α la vallΘe du St-Laurent au nord-ouest. Compton est le comtΘ le plus montagneux et le plus isolΘ des Cantons de l'Est, s'Θtendant en amont de riviΦres peu encaissΘes, qui drainent le sud-est de la rΘgion. Son altitude ΘlevΘe Θcourte de beaucoup la saison des cultures et le sol n'est mΩme pas favorable α la culture du blΘ, produit agricole canadien par excellence. Un terrain accidentΘ et des marchΘs pratiquement inaccessibles ont doublement contribuΘ α isoler ce comtΘ qui est restΘ le plus longtemps inhabitΘ. En fait, la majeure partie du comtΘ (dΘfini ici par ses frontiΦres de 1853-1915) se prΩte beaucoup plus α la production du bois de construction qu'α l'agriculture, et parmi les colons qui sont venus s'y Θtablir au XIXe siΦcle un certain nombre ont d√ se tourner α nouveau vers l'exploitation de la forΩt.
  8.  
  9. La colonisation amΘricaine 
  10.  
  11.      Sous le rΘgime franτais puis sous le rΘgime britannique, pendant les premiΦres annΘes qui ont suivi la rΘvolution amΘricaine, les Cantons de l'Est avaient dΘlibΘrΘment ΘtΘ maintenus α l'Θtat sauvage servant de zone tampon entre les seigneuries du St-Laurent et celles de la Nouvelle-Angleterre. En fait, ils Θtaient le terrain de chasse reconnu des AbΘnaquis, α l'embouchure de la riviΦre St-Franτois. En 1793, pour rΘpondre aux pΘtitions des Loyalistes amΘricains et de leurs voisins en quΩte de terres, le gouvernement divisa la rΘgion en cantons d'environ 48 000 acres (19 200 hectares). Des colons amΘricains avaient dΘjα remontΘ en 1792 la riviΦre Connecticut jusqu'au montagneux canton d'Hereford. Quatre ans plus tard, d'autres groupes arrivΦrent en passant par le lac MemphrΘmagog situΘ α l'ouest. Compte tenu de leur arrivΘe tardive, il est bien Θvident que peu de ces familles Θtaient de vΘritables rΘfugiΘs loyalistes.
  12.  
  13.      La colonisation efficace d'une rΘgion isolΘe Θtant impossible sans l'aide d'une organisation communautaire, les autoritΘs britanniques reconnurent tacitement le systΦme appliquΘ en Nouvelle-Angleterre des propriΘtaires constituΘs en corporation et que l'on appelait le rΘgime du chef et des associΘs (the Leader and Associates system). C'est bien α contrecoeur qu'ils le mirent en place. En effet, tandis que la politique officielle n'offrait que 200 acres (80 hectares) α un individu (l'octroi pouvait atteindre 1 200 acres (480 hectares) dans certaines circonstances exceptionnelles), chaque ½chef╗ pouvait s'attendre α recevoir en fidΘicommis 40 000 acres (16 000 hectares) en Θchange des sommes investies par les bailleurs de fonds dans son projet de colonisation. Ses 40 ½associΘs╗ se partageaient les 8 000 acres restants (3 200 hectares). Le gouverneur britannique et ses conseillers ne craignaient pas seulement la dΘcentralisation du pouvoir provoquΘe par l'instauration d'un tel systΦme, mais ils convoitaient pour eux-mΩmes ces fabuleux octrois de terrains. Exploitant la mΘfiance ΘprouvΘe en Angleterre α l'Θgard des sympathies rΘpublicaines des colons amΘricains, ces personnages officiels rΘussirent α prendre, aux dΘpens des demandeurs initiaux, le contr⌠le d'une bonne partie des Cantons de l'Est, s'appropriant de nombreux terrains et en distribuant α des amis commerτants de QuΘbec. NΘanmoins, certains colons du comtΘ de Compton s'arrangΦrent pour obtenir gain de cause pour une partie au moins de leurs cantons respectifs.
  14.  
  15.      Bien que l'immigration amΘricaine f√t interrompue par le guerre de 1812, l'arpenteur gΘnΘral Joseph Bouchette signala en 1815 la prospΘritΘ des Θtablissements des cantons d'Eaton et de Compton. Treize cents colons s'y Θtaient Θtablis, et avaient construit plusieurs scieries et moulins α farine, quelques fabriques de potasse et de perlasse (carbonate de potassium brut) ainsi que des routes et des ponts permettant d'accΘder aux grandes voies de communication qui menaient α QuΘbec ou dans le Vermont. └ part le petit nombre de colons installΘs dans les cantons moins fertiles, Clifton, Hereford, Newport et Westbury, le reste du futur comtΘ de Compton restait encore inhabitΘ.
  16.  
  17.      Au cours des 15 annΘes qui suivirent, on ne nota qu'une trΦs faible Θvolution, explicable en partie par la persistance des gelΘes tardives qui dΘvastΦrent les rΘcoltes entre 1816 et 1820. En 1876, Alden Learned du canton d'Eaton se remΘmorait les aventures de sa famille, 60 ans plus t⌠t, alors qu'il avait 13 ans.
  18.  
  19.      Le printemps de 1816 fut tardif, mais la terre avait sΘchΘ trΦs rapidement aprΦs la fonte des neiges. Nous avons fait la rΘcolte de nos terres en culture et dΘfrichΘ six acres de nouvelles terres que nous avons ensemencΘes de blΘ. Vers le 1 juin, nous finissions α peine de herser qu'il se mit α pleuvoir pendant deux ou trois jours. Le temps pluvieux qui avait persistΘ jusqu'au 6 juin tourna soudain au froid, un vrai froid d'hiver, avec des nuits de gel α pierre fendre et des journΘes de neige continuelle. Ce mauvais temps dura trois jours, br√lant toutes les feuilles des arbres et tuant la plupart des petits oiseaux que nous avons ramassΘs par douzaines aprΦs la fonte des neiges. PΦre et James Θtaient partis pour Drummondville aprΦs avoir terminΘ les travaux de printemps. Puis, ils travaillΦrent α la construction d'une route gouvernementale. Pendant leur absence, Royal et moi-mΩme f√mes chargΘs de sarcler et de      dΘfricher un petit bout de terrain sur lequel nous plantΓmes des navets; nous devions aussi prendre soin de tout jusqu'α la fenaison, date α laquelle ils seraient de retour. Je ne me souviens pas exactement quand le froid est arrivΘ, mais toujours est-il qu'il a complΦtement saccagΘ le blΘ que nous venions de semer. Nous fεmes la moisson et le gerbage. C'Θtait une pesante rΘcolte de paille. Nous battεmes le peu qu'il y avait α battre et obtεnmes un maigre rΘsidu gelΘ absolument inutilisable pour la nourriture humaine. PΦre Θtait dΘcouragΘ; il ne pouvait obtenir un rendement suffisant pour nourrir toute sa famille et le blΘ co√tait entre 2,50 $ et 3 $ le boisseau, la farine entre 15 $ et 18 $ le boisseau; et son troupeau de bΘtail s'amenuisant, il voulait vendre la ferme et Θmigrer en Ohio. Son beau-frΦre, qui y Θtait Θtabli, ne cessait de lui vanter les mΘrites de ce pays prometteur. Il aurait vendu sa ferme le dixiΦme de ce qu'elle vaudrait aujourd'hui, mais il ne trouvait pas d'acheteur, aussi bon marchΘ que f√t son offre. Un certain nombre de fermiers de Newport se sont dΘcouragΘs, ont abandonnΘ leur ferme et sont partis vers l'Ouest. Pratiquement la moitiΘ des colons s'en allΦrent.
  20.  
  21.      Les colons Θtaient Θgalement dΘsavantagΘs par les propriΘtaires absentΘistes qui avaient acquis de vastes terres sous le ½rΘgime du chef et des associΘs╗ et qui ne les exploitaient guΦre. En outre, la majoritΘ canadienne-franτaise qui siΘgeait α l'AssemblΘe lΘgislative rΘpugnait α voter un budget pour la construction de routes qui profiteraient essentiellement α l'oligarchie des propriΘtaires fonciers et qui favoriseraient l'Θtablissement dans la province des anglophones protestants. Enfin, il est α noter que mΩme un dΘveloppement intensif du territoire et un programme de construction d'un rΘseau routier n'auraient pas suffi α compenser l'absence d'une seule riviΦre s'Θcoulant sans obstacles α travers les Cantons de l'Est jusqu'au St-Laurent, ouvrant ainsi cette rΘgion sur le monde extΘrieur. PΘniches et chalands sillonnaient la riviΦre St-Franτois entre Sherbrooke et le St-Laurent, mais deux chutes d'eau barraient le passage et α chaque fois il fallait dΘcharger et recharger les cargaisons. L'ouverture du canal ╔riΘ en 1825 a dΘtournΘ vers leur propre Midwest les AmΘricains en quΩte de terres et ceux dΘjα Θtablis dans les Cantons de l'Est. En 1831, les colons Θtaient encore moins de 3 000 dans le comtΘ de Compton, dont 2 500 dans les cantons de Compton et d'Eaton.
  22.  
  23. La colonisation britannique 
  24.  
  25.      Avec la fin des guerres napolΘoniennes en 1815 commenτa une forte Θmigration britannique -- qui devait durer 35 ans -- vers les colonies nord-amΘricaines. Mais la plupart de ces immigrants qui dΘbarquΦrent α QuΘbec se dirigΦrent vers le Haut-Canada, o∙ les terres Θtaient plus accessibles, nΘgligeant ainsi les Cantons de l'Est. Pour remΘdier α cette situation, les autoritΘs britanniques dΘcidΦrent en 1833 de vendre la majeure partie des terres de la Couronne situΘes dans les Cantons de l'Est α la British American Land Company, Θtablie α Londres. Cette transaction comprenait toutes les rΘserves non habitΘes de la Couronne (plus de 100 000 hectares) ainsi que le territoire de St-Franτois non arpentΘ (238 530 hectares), dont la plus grande partie fut intΘgrΘe par la suite au comtΘ de Compton. En outre, la Compagnie acheta environ 160 000 hectares appartenant au clergΘ et α des particuliers. (Les rΘserves de la Couronne et celles du clergΘ, qui avaient sΘrieusement entravΘ la colonisation, reprΘsentaient deux lots sur sept dans chaque canton.)
  26.  
  27.      Au cours des annΘes 1830, la British American Land Company se lanτa dans de gros investissements, construisant des routes et des manufactures sur son territoire de St-Franτois, mais, vers 1840, les trois Θtablissements principaux, Robinson, Gould et Victoria, Θtaient complΦtement dΘlaissΘs. La rΘvolte de 1837-1838 avait mis fin α l'immigration britannique vers le Bas-Canada, et il fut impossible de remplacer les agriculteurs britanniques qui avaient dΘmΘnagΘ aux ╔tats-unis lorsque la Compagnie leur rΘclama des frais pour leur voyage en bateau, leurs provisions et leurs octrois. Des difficultΘs financiΦres ainsi que l'hostilitΘ du nouveau gouverneur-gΘnΘral contraignirent la Compagnie α abandonner en 1841 une grande partie de sa rΘserve de St-Franτois.
  28.  
  29.      Les annΘes 1840 furent marquΘes par un afflux d'immigrants Θcossais, presbytΘriens et de langue gaΘlique, fuyant la famine qui frappait l'εle Lewis aux HΘbrides. La British American Land Company, criblΘe de dettes, leur refusa non seulement son aide pour leur voyage mais encore ne leur offrit qu'une saison de travail. En ao√t 1841, on entendait dire que ces immigrants mouraient de faim. Dix ans plus tard, les ╔cossais devaient encore faire face α la famine aprΦs que de nombreuses familles eurent dΘsertΘ les lots de la Compagnie pour la situation plus avantageuse qu'on leur offrait dans le canton de Winslow (partie de l'ancien territoire de St-Franτois) α savoir la libre jouissance de 20 hectares situΘs sur les routes de la colonisation, construites par le gouvernement. Toutefois, en l'espace de peu d'annΘes, les ╔cossais se rΘvΘlΦrent d'assez bons fermiers, consolidant leurs tenures et adaptant leurs techniques agricoles α la demande du marchΘ extΘrieur.
  30.  
  31.      Vers 1851, dans le comtΘ de Compton, on dΘnombrait environ 1 000 habitants d'origine Θcossaise. Au cours des deux ou trois dΘcennies qui suivirent, ils contribuΦrent α dΘplacer les limites du territoire colonisΘ vers l'est, en direction du lac MΘgantic. Toutefois, l'exode vers les villes industrielles de Nouvelle-Angleterre et vers le sol trΦs fertile du Midwest amΘricain Θtait une perspective beaucoup plus attirante et trΦs peu d'immigrants vinrent se joindre aux ╔cossais. Autre problΦme, les descendants des premiers colons amΘricains refusaient de quitter la fertile rΘgion du sud-ouest  mΩme pendant les annΘes 1870 lorsque le dΘputΘ de Compton, John Henry Pope, entreprit la construction de l'International Railroad qui traversait le comtΘ et qui menait jusqu'au lac MΘgantic. En consΘquence, deux compagnies de colonisation Θcossaises et une compagnie anglaise se virent attribuer de vastes terres dans l'est de Compton. En Θchange, elles devaient favoriser l'Θtablissement des colons grΓce aux bΘnΘfices tirΘs de la vente du bois de construction, mais elles ne s'acquittΦrent nullement de cette obligation.
  32.  
  33. La colonisation canadienne-franτaise 
  34.  
  35.      DΦs 1851, des Canadiens franτais Θtablis sur les seigneuries de la rive sud du St-Laurent avaient dΘmΘnagΘ vers la pointe nord du comtΘ de Compton o∙ trois nouvelles voies de colonisation aboutissaient dans le canton de Winslow. Bien que 20 hectares de terrain eussent ΘtΘ offerts gratuitement, chaque famille devait malgrΘ tout dΘfricher 4,8 hectares au cours des quatre premiΦres annΘes pour avoir droit aux titres de propriΘtΘ. └ l'opposΘ des ╔cossais qui avaient colonisΘ la partie sud de Winslow, peu de Canadiens franτais achetΦrent le surplus de terres de la Couronne offertes α quatre shillings (un dollar) l'acre. Ce qui signifiait qu'il restait encore suffisamment de terres pour permettre α leurs familles de se multiplier, tandis que la population des ╔cossais demeurait plut⌠t stable, car leurs terres Θtaient rΘparties entre un petit nombre de propriΘtaires. Bien que leur curΘ e√t dΘclarΘ en 1860 que la colonie avec ses 749 colons canadiens-franτais Θtait surpeuplΘe, grΓce au revenu supplΘmentaire de l'industrie du bois de construction, le nombre d'habitants passait α 895 vers 1870.
  36.  
  37.      Au dΘbut des annΘes 1860, il y eut une seconde pΘriode de colonisation canadienne-franτaise dans les cantons Auckland et Hereford, α l'extrΘmitΘ sud du comtΘ, rΘgion montagneuse. Trois ecclΘsiastiques de la rΘgion montrΘalaise s'occupΦrent, pour le compte d'un certain nombre de leurs paroissiens, de l'achat de 12 500 hectares de terres de la Couronne. Ils choisirent ensuite les sites pour l'Θtablissement des villages et firent construire des routes de colonisation gouvernementales α  travers les deux cantons qui, vers 1870, comptaient 868 habitants canadiens-franτais.
  38.  
  39.      L'╔glise demeura un agent de colonisation actif mais, avec l'avΦnement de la confΘdΘration et la dΘlΘgation aux instances provinciales de la gestion des terres de la Couronne, on vit croεtre l'aide gouvernementale en faveur de la colonisation du QuΘbec. En 1869, le pouvoir lΘgislatif provincial vota la Loi sur les sociΘtΘs de colonisation selon laquelle une aide financiΦre (jusqu'α 600 $ par annΘe) et l'octroi de terres (un maximum de 4 800 hectares) seraient offerts α tout groupe qui fonderait de nouveaux Θtablissements. EncouragΘes par le projet de construction de voies ferrΘes α travers le centre et l'est de Compton, la plupart des sociΘtΘs de la Province concentrΦrent leurs efforts sur cette rΘgion. Dix d'entre elles se rΘservΦrent plus de 26 000 hectares de terres et obtinrent du gouvernement prΦs de 10 000$ de subventions. Cependant, cinq ans plus tard, malgrΘ le dΘfrichement et la construction de routes, un seul Θtablissement s'Θtait vraiment implantΘ, Piopolis, sur la rive sud-est du lac MΘgantic.
  40.  
  41.      AprΦs l'abrogation de la Loi sur les sociΘtΘs de colonisation en 1875, le gouvernement provincial dΘcida d'encourager plus directement la colonisation. Il dΘcrΘta les cantons Emberton, Chesham et Ditton, terres de ½rapatriement╗ pour les Canadiens franτais dΘsireux de fuir la rΘcession qui frappait les manufactures de coton en Nouvelle-Angleterre. De fait, prΦs de 800 Franco-AmΘricains profitΦrent de l'occasion et vinrent dΘfricher leurs lots avec l'aide des subventions gouvernementales; toutefois la plupart retournΦrent dans les manufactures en 1879 lorsque la crise Θconomique fut passΘe. Quoi qu'il en soit, environ 800 QuΘbΘcois francophones prirent part Θgalement au projet et, vers 1880, ils Θtaient plus de 2 000 Θtablis dans les trois cantons.
  42.  
  43.      En 1881, l'ancien directeur du projet de rapatriement, JΘr⌠me-Adolphe Chicoyne, suivit l'exemple anglais en lanτant une compagnie de colonisation α capitaux franτais. Comme son homologue britannique, la Compagnie investit plus d'Θnergie et d'argent dans les scieries et l'exploitation des forΩts que dans les Θtablissements des colons; toutefois, elle rΘussit effectivement α stimuler le dΘveloppement de Lac MΘgantic, Θtablissement tout rΘcent, et le canton de Woburn (comtΘ de la Beauce), qui Θtaient ses deux centres d'activitΘs.
  44.  
  45.      En 1890, lorsque les principaux projets de colonisation furent terminΘs, on dΘnombrait prΦs de 11 000 Canadiens franτais dans le comtΘ de Compton, soit une augmentation de 10 α 50 % de la population en 40 ans. Ce regain venait principalement de la colonisation des terres non dΘfrichΘes. Il ne restait plus que 1 800 francophones dans les anciens cantons anglophones, tandis que leur nombre n'atteignait mΩme pas le millier dans les villages d'East Angus (canton de Westbury) et de Lac MΘgantic (du c⌠tΘ du canton de Whitton) basΘs sur l'industrie du bois et fondΘs dans les annΘes 1880 grΓce α la construction du chemin de fer. NΘanmoins, la poussΘe des Canadiens franτais dans le comtΘ allait dΘpendre de l'industrialisation, particuliΦrement en ce qui concernait l'avenir immΘdiat. Presque la moitiΘ de l'augmentation de la population du comtΘ, entre 1890 et 1900, Θtait due au dΘveloppement des cantons de Westbury et de Whitton. En l'espace de peu d'annΘes, la vente des fermes appartenant α des Canadiens anglais qui partaient vers l'Ouest aura Θgalement aiguillonnΘ l'expansion du peuplement canadien-franτais.
  46.  
  47. SociΘtΘ et Θconomie 
  48.  
  49.      Les institutions sociales des colons Θtaient avant tout axΘes sur le dΘfrichement et la construction d'habitations au milieu d'une nature sauvage. Pendant les premiΦres annΘes de la colonisation, les familles devaient absolument compter sur leur propre force physique et elles demeuraient particuliΦrement α la merci des caprices de la nature. Les Θchecs Θtaient courants surtout dans les rΘgions o∙ les efforts Θreintants de dΘfrichage n'arrivaient pas α vaincre l'ariditΘ de la terre. Les premiers colons choisirent pour la plupart de s'installer sur les pentes ΘlevΘes, bien irriguΘes et aux forΩts plus clairsemΘes, bien qu'un terrain dans une vallΘe encaissΘe prΘsentΓt l'avantage de s'Θpuiser moins rapidement qu'un sol de montagne. Par consΘquent, bon nombre des tout premiers Θtablissements dans les Cantons de l'Est furent α la fin abandonnΘs.
  50.  
  51.      L'une des premiΦres tΓches des pionniers Θtait de se construire une cabane en bois rond; ils bouchaient les interstices entre les rondins α l'aide de matiΦres qu'ils trouvaient sur place telles que les copeaux de bois, la boue, la mousse et le sable. Le toit Θtait plat, s'inclinant de deux mΦtres sur la faτade et d'α peine plus d'un mΦtre sur l'arriΦre. Il Θtait construit avec de l'Θcorce d'arbre, des planches brutes, ou des billes ΘvidΘes se chevauchant. Ces cabanes offraient bien peu de protection contre les intempΘries, particuliΦrement en hiver. Aussi, les colons, au bout de quelques mois, s'empressaient-ils de les remplacer par des maisons plus grandes faites de madriers bien Θquarris. Ces madriers Θtaient soigneusement mortaisΘs ou assemblΘs aux tenons, et le toit, souvent couvert de bardeaux, s'inclinait des deux c⌠tΘs α partir d'une pointe centrale. Ces robustes bΓtiments ont ΘtΘ souvent utilisΘs pendant prΦs de 20 ans avant d'Ωtre remplacΘs par des maisons α charpente de bois.
  52.  
  53.      AprΦs avoir bΓti sa cabane, le colon entamait le dΘfrichage de ses terres, gΘnΘralement α raison d'un hectare par annΘe s'il ne pouvait compter sur l'aide de ses fils aεnΘs. La plupart des arbres abattus Θtaient coupΘs et br√lΘs par gros b√chers. Certes, ce procΘdΘ permettait d'accΘlΘrer le dΘfrichement, mais il dΘtruisait une grande partie du sol organique et gaspillait le bois. Cependant les marchΘs de bois de construction Θtaient rarement accessibles dans les premiΦres annΘes de la colonisation des Cantons de l'Est et, mΩme s'ils l'avaient ΘtΘ, les colons du Bas-Canada ne furent pas autorisΘs avant 1861 α vendre le produit de leur dΘfrichage. Cette mesure avait ΘtΘ prise pour Θviter que des marchands de bois ne se fassent passer pour des colons afin d'Θchapper aux paiements du permis. NΘanmoins, les cendres du bois dur reprΘsentΦrent pour les colons leur premiΦre source de revenu. En effet, ces cendres pouvaient Ωtre filtrΘes pour produire de la lessive qui, chauffΘe dans des bouilloires de fer donnait de la potasse (sel noir). Avant d'expΘdier ce produit α l'extΘrieur de la rΘgion, souvent on le cuisait dans de grands fours pour obtenir de la perlasse (carbonate de potassium). └ Trois-RiviΦres, 200 kg de potasse, produit d'un demi-hectare de forΩt vierge, Θtaient vendus environ 70 $. La potasse Θtait exportΘe vers la Grande-Bretagne et servait de matiΦre premiΦre aux industries du textile, du savon et du verre.
  54.  
  55.      AprΦs le br√lage du bois, le colon, α l'aide d'une herse rudimentaire, souvent une grosse branche d'arbre, nivelait le sol et Θparpillait les restes de cendre. Il laissait pourrir sur place les souches pendant plusieurs annΘes; aussi, pour ensemencer, devait-il utiliser une lourde houe pointue ou une herse en forme de A comportant de 9 α 12 grosses dents en fer qui pouvaient sectionner les racines. MalgrΘ leur lenteur, les boeufs, qui sont d'une constitution robuste et d'une docilitΘ remarquable, Θtaient pour les travaux ardus de dΘfrichement prΘfΘrables aux chevaux.
  56.  
  57.      └ cette Θpoque, la culture principale des Cantons de l'Est Θtait la pomme de terre qui, en dΘpit des souches, pouvait Ωtre plantΘe et rΘcoltΘe assez facilement et dont le rendement Θtait excellent. La nourriture des colons Θtait de ce fait aussi monotone que nourrissante. Bien que les Stacey fussent Θtablis sur leur ferme, dans le canton d'Ascot, depuis 15 ans, leur fille Louisa Θcrivait en mai 1853 α ses grands-parents en Angleterre:
  58.  
  59.      Nous n'avons guΦre eu α manger que du pain et du beurre pendant longtemps, sauf peut-Ωtre, α l'occasion, de la perdrix et un peu de poisson ... Mais je ne dois pas me plaindre, notre famille a bien vΘcu cet hiver. Nos pommes de terre, des racines et un peu de ma∩s nous ont bien aidΘs. Mais que votre bonne vieille nourriture anglaise me manque! Je suis fermement dΘcidΘe α acheter bient⌠t de la viande pour nous offrir un petit festin. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien difficiles sont nos conditions de vie, et elles ne sont pas particuliΦres α notre famille.
  60.  
  61.      Tant que les souches n'Θtaient pas arrachΘes et que les champs n'avaient pas ΘtΘ mis en pΓturage, en semant un mΘlange de plantes fourragΦres et d'avoine qui donnait une tourbe mousseuse, les charrues n'Θtaient d'aucune utilitΘ. Avant le milieu du siΦcle, les cΘrΘales Θtaient fauchΘes α l'aide de l'ancienne faucille, puis rassemblΘes et liΘes en gerbes. Cette mΘthode demandait de 30 α 40 heures de labeur pour un demi-hectare qui produisait 725 L de blΘ. Le battage Θtait gΘnΘralement entrepris en hiver: on Θtendait les gerbes sur le plancher de la grange, puis on battait α l'aide du flΘau pour sΘparer le grain de la paille. Les grains Θtaient ensuite dΘversΘs sur un drap et on les secouait en plain air pour que le vent disperse la balle. Il fallait beaucoup moins de temps pour rΘcolter le foin qui, dans les Cantons de l'Est, Θtait l'aliment principal du bΘtail. Il suffisait de le couper α l'aide d'une faux puis de le rΓteler en andains pour qu'il puisse sΘcher avant d'Ωtre mis en bottes et engrangΘ. C'est ainsi que l'on constituait la rΘserve de fourrage d'hiver. NΘanmoins, un colon du canton d'Ascot, George Stacey, dΘcrivait en 1846 la fenaison comme Θtant ½incontestablement le plus pΘnible des travaux de la ferme, car il faut s'atteler α la tΓche trΦs t⌠t le matin et y rester jusqu'au coucher du soleil ... Lorsque je rentre α la maison, je dois changer de chemise et de pantalon, car ils sont aussi trempΘs que si j'Θtais tombΘ dans la riviΦre╗.
  62.  
  63.      Dans les Cantons de l'Est, en raison de l'isolement gΘographique, les habitants ont vΘcu dans une autarcie relative beaucoup plus longtemps que les colons du Haut-Canada, qui bΘnΘficiaient d'un accΦs facile au St-Laurent. Tandis que ces derniers exportaient dΦs 1794 leur blΘ vers la Grande-Bretagne, les colons des Cantons de l'Est, pour obtenir de l'argent liquide, ne pouvaient compter que sur la vente de produits facilement transportables tels que l'eau-de-vie de pommes de terre et la potasse. Les fabriques de potasse et les distilleries de village ont finalement commencΘ α disparaεtre vers la fin des annΘes 1820 alors que le rΘseau de communication s'amΘliorait peu α peu et que la population, devenant plus nombreuse, sut tirer profit de la situation en Θvitant le gaspillage des matiΦres premiΦres. Les scieries produisaient essentiellement du bois de construction pour les besoins locaux tandis que les rΘcoltes de fourrage Θtaient utilisΘes pour l'alimentation du bΘtail qui, lui, Θtait acheminΘ vers les marchΘs extΘrieurs. Les frais de transport, mΩme jusqu'en 1850, reprΘsentaient 50 % d'une livraison de grains entre le canton de Compton ou d'Eaton et MontrΘal. En 1831, le fermier moyen, dans le canton de Compton, possΘdait huit ou neuf tΩtes de bΘtail, onze moutons (les loups et les ours Θtaient encore les principaux ennemis des moutons), cinq ou six porcs et un ou deux chevaux. Sa rΘcolte, qui atteignait environ 9 000 L, Θtait toujours composΘe presque aux trois quarts de pommes de terre (utilisΘes en partie comme fourrage d'hiver), le reste comprenant essentiellement de l'avoine, du ma∩s, du blΘ et du seigle. Le colon ne cultivait pas assez de blΘ pour sa consommation personnelle, aussi les maεtresses de maison devaient-elles souvent mΘlanger la farine avec des pommes de terre bouillies et des citrouilles cuites pour faire du pain.
  64.  
  65.      La concurrence amΘricaine sur le marchΘ montrΘalais a sΘrieusement retardΘ le dΘveloppement Θconomique des Cantons de l'Est jusqu'α la fin des annΘes 1840, Θpoque o∙ la fulgurante expansion Θconomique des ╔tats-Unis a entraεnΘ une forte demande amΘricaine en produits agricoles. Vers 1851, le fermier moyen du canton de Compton s'Θtait quelque peu spΘcialisΘ; il possΘdait ainsi un mouton et quatre porcs de moins, mais trois ou quatre tΩtes de bΘtail de plus que 20 ans auparavant. L'ouverture, en 1852, de la St. Lawrence and Atlantic Railroad accΘlΘra cette tendance α la spΘcialisation en facilitant enfin l'accΦs des Cantons de l'Est aux marchΘs extΘrieurs et en permettant l'importation, en provenance de l'Ouest, de grains et de boeuf bon marchΘ. Les fermiers de la rΘgion durent alors mettre α profit leur situation privilΘgiΘe, α proximitΘ des principales villes de l'Est, pour se tourner de plus en plus vers la fabrication des produits laitiers pΘrissables tels que le beurre et le fromage. Les comtΘs α l'ouest de Compton, mieux situΘs, ont toutefois ΘtΘ les premiers α se spΘcialiser dans la production laitiΦre. Sur les 21 fromageries de la rΘgion, une seule se trouvait α Compton, en 1870. La concurrence de l'Ouest canadien n'a pas ruinΘ les producteurs de boeufs des premiers cantons de Compton, bien au contraire; les plus progressistes d'entre eux possΘdΦrent bient⌠t un Θlevage britannique d'une telle qualitΘ qu'ils vendaient leurs bΩtes aux ranchs de l'Ouest, d'abord aux fermiers des ╔tats-Unis, aprΦs la guerre de SΘcession, puis vers les annΘes 1880 α ceux des contreforts du sud dans les Rocheuses canadiennes.
  66.  
  67.      Les colons qui s'Θtaient Θtablis dans les cantons les plus isolΘs de Compton avaient beaucoup de difficultΘs α participer au commerce international. Dans le canton de Winslow, colonisΘ depuis peu, la famille moyenne canadienne-franτaise possΘdait, en 1851, neuf porcs, un boeuf ou une vache, un mouton; en moyenne, il n'y avait qu'un seul cheval pour deux familles. La rΘcolte moyenne Θtait de 2 900 L dont la moitiΘ en pommes de terre. Les fermiers Θcossais avaient atteint un niveau de vie supΘrieur, chaque famille possΘdant quatre tΩtes de bΘtail et quatre moutons mais seulement un porc et aucun cheval. Ils avaient dΘfrichΘ une moins grande superficie, mais leurs rΘcoltes Θtaient plus abondantes de moitiΘ. NΘanmoins, des conditions climatiques dΘfavorables forcΦrent les deux groupes α demander une aide extΘrieure en 1852.
  68.  
  69.      Entre 1850 et 1870, les pionniers Θcossais du canton de Winslow augmentΦrent leur bΘtail de plus du double jusqu'α acquΘrir neuf tΩtes par famille, mais leur troupeau comptait toujours quatre tΩtes de moins que celui du fermier moyen du canton de Compton. En outre, la qualitΘ semble avoir ΘtΘ largement infΘrieure, car bien que le fermier de Compton possΘdΓt en moyenne une seule vache de plus, il produisait deux fois et demie plus de beurre et de fromage. La diffΘrence avec les Canadiens franτais de Winslow Θtait encore plus saisissante; leurs rΘcoltes Θtaient sensiblement Θgales α celles des ╔cossais, mais leurs fermes Θtant la moitiΘ moins grandes, leur production laitiΦre reprΘsentait la moitiΘ de celle des fermes Θcossaises. La plupart des Canadiens franτais, il est vrai, ne travaillaient pas α plein temps sur leurs fermes, prΘfΘrant se consacrer α l'exploitation de la forΩt. Ils abattaient dix fois plus d'arbres que les ╔cossais et un grand nombre d'entre eux travaillaient vraisemblablement dans les moulins α scier pour le compte des deux entrepreneurs canadiens-franτais qui produisaient la plus grande partie du bois Θquarri du canton. Au cours des annΘes 1870, le prolongement de la voie ferrΘe α travers l'est du comtΘ de Compton suscita un regain de colonisation qui permettait de rΘpondre α la demande extΘrieure en bois de mΩme qu'en produits agricoles. Ce qui aide α expliquer pourquoi les Canadiens franτais auront dΘsormais tendance α dominer cette rΘgion de colonisation.
  70.  
  71.      Les colons Θtablis sur les terres nouvellement colonisΘes devaient α leur tour, pour construire leur ferme, accomplir les mΩmes travaux de base. Les techniques agricoles trΦs primaires qui demandaient un travail intensif subsistΦrent trΦs longtemps mΩme dans les premiers cantons colonisΘs qui Θtaient aussi les plus prospΦres. La mΘcanisation a rΘvolutionnΘ la moisson des cΘrΘales aprΦs le milieu du siΦcle, mais la principale rΘcolte des Cantons de l'Est Θtait le foin, et les faucheuses tirΘes par les chevaux ne sont arrivΘes qu'α partir des annΘes 1880. Il fallait donc une famille nombreuse pour disposer d'une main-d'oeuvre suffisante sur la ferme. Pendant presque tout le XIXe siΦcle, les familles canadiennes tant franτaises qu'anglaises avaient encore α la maison une moyenne de six α sept enfants, alors que les mΦres Θtaient ΓgΘes de 40 α 44 ans. Dans le volume History of Eaton Township publiΘ en 1894, C.S. Lebourveau raconte que:
  72.  
  73.      ... chaque enfant en Γge de ramasser des morceaux de bois devait lui aussi aider α maintenir le loup α l'Θcart de la maison. Tout le monde devait travailler dΦs l'Γge de 10 ans. Les garτons devaient prendre une hache et s'en aller dans le bois aider au dΘfrichement. Ils participaient aussi α la mise en culture des terres et, α l'automne, munis de leur faucille, ils allaient se joindre aux moissonneurs.
  74.  
  75. L'intΘrieur de la maison offrait le tableau suivant:
  76.  
  77.      ... la grand-mΦre ... assise devant un petit rouet filait le lin, les plus jeunes des filles filaient l'Θtoupe et les aεnΘes la laine. Pendant ce temps, α l'Θtage supΘrieur, la mΦre travaillait sur son mΘtier α tisser et confectionnait les vΩtements de toute la famille.
  78.  
  79.      Il est bien Θvident que les petits paysans n'avaient guΦre de temps α consacrer aux Θtudes. En fait, ils ne frΘquentaient l'Θcole que trΦs irrΘguliΦrement et les ΘlΦves de plus de 12 ans Θtaient trΦs rares. Dans ces conditions, l'enseignement offert avait tendance α demeurer extrΩmement primaire. On trouvait peu de livres, et les maεtres recevaient un tel salaire de misΦre que bien peu d'entre eux prenaient leur tΓche au sΘrieux. En 1847, George Stacey Θcrivait au sujet de son fils:
  80.  
  81.      Alfred dΘsire vivement Θtudier, mais il trouve ses copains de l'Θcole dΘsagrΘables et violents. C'est bien dommage, car il aime vraiment beaucoup les livres et il a appris par lui-mΩme tout ce qu'il sait. Je peux mΩme dire qu'il a plus appris α la maison que dans cette Θcole qui, malgrΘ tout, se trouve α plusieurs milles de chez nous et qui, par mauvais temps, est inaccessible.
  82.  
  83.      La famille Θtait pour les paysans la principale institution, car les premiers colons n'avaient tout simplement pas eu le temps ni les moyens de perpΘtuer les institutions communautaires qu'ils avaient autrefois connues. Dans le canton d'Eaton, les pionniers formΦrent une loge maτonnique, mais ils durent l'abandonner en 1820. Elle n'a pu Ωtre reconstituΘe qu'en 1879. Au cours des annΘes 1790, le canton de Newport institua son propre conseil municipal, sur le modΦle du systΦme utilisΘ en Nouvelle-Angleterre, mais il cessa d'exister vers 1812. L'administration locale ne reprit forme que dans le courant des annΘes 1840, lorsque le pouvoir lΘgislatif provincial imposa un systΦme officiel.  Avant 1826, il n'y avait mΩme pas de tribunaux dans les Cantons de l'Est, aussi les colons devaient-ils se rendre α Trois-RiviΦres ou α MontrΘal pour rΘgler leurs problΦmes juridiques. Leurs relations avec le pouvoir officiel se faisaient essentiellement par l'intermΘdiaire du ½chef╗ de canton, qui Θtait chargΘ de l'arpentage, du traτage des routes, de l'enregistrement des titres de propriΘtΘ et de l'ensemble des nΘgociations α traiter avec l'administration gouvernementale qui Θtait trΦs peu sympathique.
  84.  
  85.      L'auto-suffisance qui caractΘrisait les familles pionniΦres leur permit de mettre sur pied des institutions non officielles correspondant α leurs besoins. Les corvΘes pour la coupe du bois et la construction de maisons, en plus d'Ωtre une bonne faτon de s'aider mutuellement, constituaient d'excellentes occasions de rencontres sociales. Lebourveau, historien de la rΘgion, Θcrit α ce sujet:
  86.  
  87.      Lorsqu'un homme dΘsirait construire une maison ou une grange, il lui suffisait de fixer le  jour, d'avertir ses voisins, de prΘvoir un gallon de whisky et tout le monde Θtait au rendez-vous au point du jour. Avant la nuit, le bΓtiment Θtait sur pied, le toit et les pignons tapissΘs d'Θcorce d'Θpinette. Les jeunes attendaient ce jour avec autant d'impatience que nos enfants d'aujourd'hui guettent la venue d'un cirque ou d'une foire. Celui qui avait des billots α faire transporter aprΦs un abattage au printemps, mais qui ne disposait pas d'une paire de chevaux, et qui Θtait de plus pressΘ par le temps, n'avait qu'α prendre les mΩmes dispositions que pour la construction de la maison. On pouvait obtenir les mΩmes rΘsultats en recourant aux services de ceux qui possΘdaient des chevaux.
  88.  
  89.      Les premiers colons amΘricains accordaient suffisamment d'importance α l'Θducation pour ouvrir leurs propres Θcoles sans l'aide du gouvernement. En fait, la population du canton de Compton se rΘvΘla Ωtre en 1838 l'une des plus alphabΘtisΘe de la Province, ce qui ne signifiait pas grand-chose si l'on considΦre l'Θtat lamentable du systΦme scolaire en vigueur dans les seigneuries. Parce qu'en pratique elle n'Θtait pas aussi indispensable, les pionniers relΘguaient la religion organisΘe aux derniers rangs de leurs prioritΘs. La majoritΘ d'entre eux avaient ΘtΘ congrΘgationalistes en Nouvelle-Angleterre, mais pendant de nombreuses annΘes les missionnaires de l'╔glise anglicane, subventionnΘs par l'╔tat, et les prΘdicateurs itinΘrants de l'╔glise mΘthodiste ont ΘtΘ leurs seuls liens avec la religion. Le premier pasteur permanent d'Eaton arriva en 1815. Il desservait tous les groupes religieux dans le canton, faisait l'Θcole, et il Θprouvait malgrΘ tout certaines difficultΘs α recueillir les ú50 (250 $) annuelles qui lui avaient ΘtΘ promises.
  90.  
  91.      En raison des migrations frΘquentes qui se faisaient dans un sens comme dans l'autre de la frontiΦre, il y eut pendant longtemps bien peu de diffΘrences sur le plan culturel entre les premiers cantons et la Nouvelle-Angleterre. MΩme les manuels scolaires Θtaient amΘricains jusque dans les annΘes 1840. Dans le comtΘ de Compton toutefois, les colons britanniques avaient tendance α se dΘplacer vers les cantons les plus ΘloignΘs appartenant α la British American Land Company, aussi ont-ils pu maintenir pendant de nombreuses annΘes une identitΘ culturelle distincte. Les ╔cossais des Highlands, grΓce α une solide tradition orale, conservΦrent leur langue gaΘlique dans la vie de tous les jours jusqu'α la troisiΦme gΘnΘration. FidΦles presbytΘriens de l'╔glise libre (Free Kirk), ils se mariaient rarement avec leurs voisins catholiques, les Canadiens franτais. La disparition de l'identitΘ Θcossaise au sein de Compton fut plut⌠t le rΘsultat de l'Θmigration vers d'autres provinces que de l'assimilation par les Canadiens anglais. 
  92.  
  93.      Comme nous l'avons dΘjα soulignΘ, l'╔glise catholique romaine a participΘ activement α la colonisation franco-canadienne du comtΘ de Compton. La paroisse, en tant qu'institution, a donc conservΘ la structure qu'elle possΘdait dΘjα dans les seigneuries du St-Laurent. MΩme si les dεmes ne pouvaient lΘgalement Ωtre imposΘes que sur la rΘcolte des grains, les Canadiens franτais versaient α leurs curΘs une contribution supplΘmentaire α mΩme leur production de pommes de terre et de foin. La principale cause de discorde Θtait le choix du site pour la construction de la premiΦre Θglise et les rivalitΘs Θclataient souvent quand les paroisses mΦres Θtaient divisΘes en plus petites. Une fois ce problΦme rΘglΘ, le curΘ devait rarement faire face α de graves agitations sociales bien qu'il se plaignit souvent du go√t trop prononcΘ pour la boisson et la danse que manifestaient ses ouailles.
  94.  
  95. Conclusion 
  96.  
  97.      On considΦre en gΘnΘral que la colonisation au Canada est caractΘrisΘe essentiellement par une progression soutenue d'est en ouest au cours du XIXe siΦcle. D'un point de vue global, c'est effectivement ce qui s'est produit, mais il ne faut pas oublier les milliers de colons qui s'arrΩtΦrent dans des endroits perdus de l'Est tandis que la plus grande partie des gens se dirigeaient vers l'Ouest. CommencΘe dΦs le XVIIIe siΦcle, la colonisation du comtΘ de Compton devait se poursuivre jusque dans le courant du XXe siΦcle. La lΘgende populaire de la famille solitaire se frayant un chemin au sein de la nature sauvage et dΘfrichant la terre pour y planter sa maison ne s'applique pas au comtΘ de Compton. En effet, pour attirer les colons dans ce comtΘ dΘfavorisΘ aussi bien par sa situation gΘographique que par la qualitΘ de son sol, il fallait rendre l'entreprise attrayante. Les ½chefs╗ de cantons devaient mettre en place l'infrastructure socio-Θconomique de base pour les premiers colons originaires de Nouvelle-Angleterre. Cette tΓche incombait α la British American Land Company dans le cas des ╔cossais des Highlands, α l'╔glise et au gouvernement pour les Canadiens franτais. Les AmΘricains s'Θtablirent dans les cantons les plus fertiles et les mieux situΘs, toutefois ils eurent α construire de longues routes pour remΘdier α l'absence d'un bon systΦme de transport par voie d'eau. PrΦs d'un demi-siΦcle plus tard, les ╔cossais ont ΘtΘ entraεnΘs dans une rΘgion montagneuse et rocheuse dont on leur avait vantΘ les Θtablissements, les moulins et les routes dΘjα construites, tandis que les Canadiens franτais s'Θtaient vu offrir des terres gratuites ou bon marchΘ et garantir le maintien de leur mode de vie paroissial. 
  98.  
  99.      En fait, quelles que fussent leurs origines culturelles, les raisons qui les ont amenΘes en ce pays et l'Θpoque de leur venue, toutes les familles, sans exception, ont eu α s'atteler α la mΩme tΓche fondamentale: se bΓtir une maison en dΘfrichant α l'aide d'instruments rudimentaires et improvisΘs. Les derniers colons pouvaient vendre du bois et Θlever du bΘtail au lieu de fabriquer de la potasse et de l'eau-de-vie de pommes de terre mais au dΘbut, les constructions, les rΘcoltes, le bΘtail et les tΓches quotidiennes Θtaient sensiblement les mΩmes que ceux des pionniers amΘricains. Cette ressemblance ne signifie pas qu'ils avaient perdu leurs traditions; en rΘalitΘ, leur isolement prΘservait plut⌠t leur identitΘ culturelle. Chaque groupe possΘdait ses institutions religieuses, ses Θcoles et ses conseils municipaux. Par ailleurs, des groupes diffΘrents ont vΘcu une Θvolution Θconomique diffΘrente. Les ╔cossais et les Canadiens franτais ne pouvaient absolument pas espΘrer pouvoir atteindre le niveau de prospΘritΘ dont jouissaient les Canadiens anglais dans les vieux cantons car la spΘcialisation engendrΘe par les progrΦs technologiques ne pouvait qu'amoindrir la rentabilitΘ de leurs terres montagneuses et rocheuses. Cet aspect a eu des rΘpercussions importantes sur la composition ethnique de la rΘgion. Les ╔cossais ont choisi en fin de compte d'abandonner le comtΘ de Compton, tandis que les Canadiens franτais y sont restΘs en augmentant les revenus de la ferme par des travaux saisonniers dans les bois.  
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