COLONISATION D'UNE RâGION FRONTALIΘRE DE L'EST: COMTâ DE COMPTON (QUâBEC)
J.I. Little
Les caractÄristiques physiques
Compton est l'un des comtÄs (circonscriptions Älectorales) de la rÄgion du QuÄbec connue sous le nom des Cantons de l'Est. Cette rÄgion, qui jouit du statut de franc-alleu, est situÄe sur la bordure sud-est de la Province. Les Cantons de l'Est sont dÄlimitÄs au sud par les âtats-Unis et sur les autres cÖtÄs par les anciennes seigneuries des vallÄes de la ChaudiÅre, du St-Laurent et de la Yamaska-Richelieu. Les Cantons de l'Est, ayant une superficie de 23 500 kilometres carrÄs environ, s'Ätalent au pied de la bordure nord de la vieille chaöne des Appalaches, formant une large pÄnÄplaine qui descend en pente douce depuis le comtÄ de Compton jusqu'ê la vallÄe du St-Laurent au nord-ouest. Compton est le comtÄ le plus montagneux et le plus isolÄ des Cantons de l'Est, s'Ätendant en amont de riviÅres peu encaissÄes, qui drainent le sud-est de la rÄgion. Son altitude ÄlevÄe Äcourte de beaucoup la saison des cultures et le sol n'est mÉme pas favorable ê la culture du blÄ, produit agricole canadien par excellence. Un terrain accidentÄ et des marchÄs pratiquement inaccessibles ont doublement contribuÄ ê isoler ce comtÄ qui est restÄ le plus longtemps inhabitÄ. En fait, la majeure partie du comtÄ (dÄfini ici par ses frontiÅres de 1853-1915) se prÉte beaucoup plus ê la production du bois de construction qu'ê l'agriculture, et parmi les colons qui sont venus s'y Ätablir au XIXe siÅcle un certain nombre ont d₧ se tourner ê nouveau vers l'exploitation de la forÉt.
La colonisation amÄricaine
Sous le rÄgime franìais puis sous le rÄgime britannique, pendant les premiÅres annÄes qui ont suivi la rÄvolution amÄricaine, les Cantons de l'Est avaient dÄlibÄrÄment ÄtÄ maintenus ê l'Ätat sauvage servant de zone tampon entre les seigneuries du St-Laurent et celles de la Nouvelle-Angleterre. En fait, ils Ätaient le terrain de chasse reconnu des AbÄnaquis, ê l'embouchure de la riviÅre St-Franìois. En 1793, pour rÄpondre aux pÄtitions des Loyalistes amÄricains et de leurs voisins en quÉte de terres, le gouvernement divisa la rÄgion en cantons d'environ 48 000 acres (19 200 hectares). Des colons amÄricains avaient dÄjê remontÄ en 1792 la riviÅre Connecticut jusqu'au montagneux canton d'Hereford. Quatre ans plus tard, d'autres groupes arrivÅrent en passant par le lac MemphrÄmagog situÄ ê l'ouest. Compte tenu de leur arrivÄe tardive, il est bien Ävident que peu de ces familles Ätaient de vÄritables rÄfugiÄs loyalistes.
La colonisation efficace d'une rÄgion isolÄe Ätant impossible sans l'aide d'une organisation communautaire, les autoritÄs britanniques reconnurent tacitement le systÅme appliquÄ en Nouvelle-Angleterre des propriÄtaires constituÄs en corporation et que l'on appelait le rÄgime du chef et des associÄs (the Leader and Associates system). C'est bien ê contrecoeur qu'ils le mirent en place. En effet, tandis que la politique officielle n'offrait que 200 acres (80 hectares) ê un individu (l'octroi pouvait atteindre 1 200 acres (480 hectares) dans certaines circonstances exceptionnelles), chaque ╟chef╚ pouvait s'attendre ê recevoir en fidÄicommis 40 000 acres (16 000 hectares) en Ächange des sommes investies par les bailleurs de fonds dans son projet de colonisation. Ses 40 ╟associÄs╚ se partageaient les 8 000 acres restants (3 200 hectares). Le gouverneur britannique et ses conseillers ne craignaient pas seulement la dÄcentralisation du pouvoir provoquÄe par l'instauration d'un tel systÅme, mais ils convoitaient pour eux-mÉmes ces fabuleux octrois de terrains. Exploitant la mÄfiance ÄprouvÄe en Angleterre ê l'Ägard des sympathies rÄpublicaines des colons amÄricains, ces personnages officiels rÄussirent ê prendre, aux dÄpens des demandeurs initiaux, le contrÖle d'une bonne partie des Cantons de l'Est, s'appropriant de nombreux terrains et en distribuant ê des amis commerìants de QuÄbec. NÄanmoins, certains colons du comtÄ de Compton s'arrangÅrent pour obtenir gain de cause pour une partie au moins de leurs cantons respectifs.
Bien que l'immigration amÄricaine f₧t interrompue par le guerre de 1812, l'arpenteur gÄnÄral Joseph Bouchette signala en 1815 la prospÄritÄ des Ätablissements des cantons d'Eaton et de Compton. Treize cents colons s'y Ätaient Ätablis, et avaient construit plusieurs scieries et moulins ê farine, quelques fabriques de potasse et de perlasse (carbonate de potassium brut) ainsi que des routes et des ponts permettant d'accÄder aux grandes voies de communication qui menaient ê QuÄbec ou dans le Vermont. ╦ part le petit nombre de colons installÄs dans les cantons moins fertiles, Clifton, Hereford, Newport et Westbury, le reste du futur comtÄ de Compton restait encore inhabitÄ.
Au cours des 15 annÄes qui suivirent, on ne nota qu'une trÅs faible Ävolution, explicable en partie par la persistance des gelÄes tardives qui dÄvastÅrent les rÄcoltes entre 1816 et 1820. En 1876, Alden Learned du canton d'Eaton se remÄmorait les aventures de sa famille, 60 ans plus tÖt, alors qu'il avait 13 ans.
Le printemps de 1816 fut tardif, mais la terre avait sÄchÄ trÅs rapidement aprÅs la fonte des neiges. Nous avons fait la rÄcolte de nos terres en culture et dÄfrichÄ six acres de nouvelles terres que nous avons ensemencÄes de blÄ. Vers le 1 juin, nous finissions ê peine de herser qu'il se mit ê pleuvoir pendant deux ou trois jours. Le temps pluvieux qui avait persistÄ jusqu'au 6 juin tourna soudain au froid, un vrai froid d'hiver, avec des nuits de gel ê pierre fendre et des journÄes de neige continuelle. Ce mauvais temps dura trois jours, br₧lant toutes les feuilles des arbres et tuant la plupart des petits oiseaux que nous avons ramassÄs par douzaines aprÅs la fonte des neiges. PÅre et James Ätaient partis pour Drummondville aprÅs avoir terminÄ les travaux de printemps. Puis, ils travaillÅrent ê la construction d'une route gouvernementale. Pendant leur absence, Royal et moi-mÉme f₧mes chargÄs de sarcler et de dÄfricher un petit bout de terrain sur lequel nous plantëmes des navets; nous devions aussi prendre soin de tout jusqu'ê la fenaison, date ê laquelle ils seraient de retour. Je ne me souviens pas exactement quand le froid est arrivÄ, mais toujours est-il qu'il a complÅtement saccagÄ le blÄ que nous venions de semer. Nous fömes la moisson et le gerbage. C'Ätait une pesante rÄcolte de paille. Nous battömes le peu qu'il y avait ê battre et obtönmes un maigre rÄsidu gelÄ absolument inutilisable pour la nourriture humaine. PÅre Ätait dÄcouragÄ; il ne pouvait obtenir un rendement suffisant pour nourrir toute sa famille et le blÄ co₧tait entre 2,50 $ et 3 $ le boisseau, la farine entre 15 $ et 18 $ le boisseau; et son troupeau de bÄtail s'amenuisant, il voulait vendre la ferme et Ämigrer en Ohio. Son beau-frÅre, qui y Ätait Ätabli, ne cessait de lui vanter les mÄrites de ce pays prometteur. Il aurait vendu sa ferme le dixiÅme de ce qu'elle vaudrait aujourd'hui, mais il ne trouvait pas d'acheteur, aussi bon marchÄ que f₧t son offre. Un certain nombre de fermiers de Newport se sont dÄcouragÄs, ont abandonnÄ leur ferme et sont partis vers l'Ouest. Pratiquement la moitiÄ des colons s'en allÅrent.
Les colons Ätaient Ägalement dÄsavantagÄs par les propriÄtaires absentÄistes qui avaient acquis de vastes terres sous le ╟rÄgime du chef et des associÄs╚ et qui ne les exploitaient guÅre. En outre, la majoritÄ canadienne-franìaise qui siÄgeait ê l'AssemblÄe lÄgislative rÄpugnait ê voter un budget pour la construction de routes qui profiteraient essentiellement ê l'oligarchie des propriÄtaires fonciers et qui favoriseraient l'Ätablissement dans la province des anglophones protestants. Enfin, il est ê noter que mÉme un dÄveloppement intensif du territoire et un programme de construction d'un rÄseau routier n'auraient pas suffi ê compenser l'absence d'une seule riviÅre s'Äcoulant sans obstacles ê travers les Cantons de l'Est jusqu'au St-Laurent, ouvrant ainsi cette rÄgion sur le monde extÄrieur. PÄniches et chalands sillonnaient la riviÅre St-Franìois entre Sherbrooke et le St-Laurent, mais deux chutes d'eau barraient le passage et ê chaque fois il fallait dÄcharger et recharger les cargaisons. L'ouverture du canal âriÄ en 1825 a dÄtournÄ vers leur propre Midwest les AmÄricains en quÉte de terres et ceux dÄjê Ätablis dans les Cantons de l'Est. En 1831, les colons Ätaient encore moins de 3 000 dans le comtÄ de Compton, dont 2 500 dans les cantons de Compton et d'Eaton.
La colonisation britannique
Avec la fin des guerres napolÄoniennes en 1815 commenìa une forte Ämigration britannique -- qui devait durer 35 ans -- vers les colonies nord-amÄricaines. Mais la plupart de ces immigrants qui dÄbarquÅrent ê QuÄbec se dirigÅrent vers le Haut-Canada, o¥ les terres Ätaient plus accessibles, nÄgligeant ainsi les Cantons de l'Est. Pour remÄdier ê cette situation, les autoritÄs britanniques dÄcidÅrent en 1833 de vendre la majeure partie des terres de la Couronne situÄes dans les Cantons de l'Est ê la British American Land Company, Ätablie ê Londres. Cette transaction comprenait toutes les rÄserves non habitÄes de la Couronne (plus de 100 000 hectares) ainsi que le territoire de St-Franìois non arpentÄ (238 530 hectares), dont la plus grande partie fut intÄgrÄe par la suite au comtÄ de Compton. En outre, la Compagnie acheta environ 160 000 hectares appartenant au clergÄ et ê des particuliers. (Les rÄserves de la Couronne et celles du clergÄ, qui avaient sÄrieusement entravÄ la colonisation, reprÄsentaient deux lots sur sept dans chaque canton.)
Au cours des annÄes 1830, la British American Land Company se lanìa dans de gros investissements, construisant des routes et des manufactures sur son territoire de St-Franìois, mais, vers 1840, les trois Ätablissements principaux, Robinson, Gould et Victoria, Ätaient complÅtement dÄlaissÄs. La rÄvolte de 1837-1838 avait mis fin ê l'immigration britannique vers le Bas-Canada, et il fut impossible de remplacer les agriculteurs britanniques qui avaient dÄmÄnagÄ aux âtats-unis lorsque la Compagnie leur rÄclama des frais pour leur voyage en bateau, leurs provisions et leurs octrois. Des difficultÄs financiÅres ainsi que l'hostilitÄ du nouveau gouverneur-gÄnÄral contraignirent la Compagnie ê abandonner en 1841 une grande partie de sa rÄserve de St-Franìois.
Les annÄes 1840 furent marquÄes par un afflux d'immigrants Äcossais, presbytÄriens et de langue gaÄlique, fuyant la famine qui frappait l'öle Lewis aux HÄbrides. La British American Land Company, criblÄe de dettes, leur refusa non seulement son aide pour leur voyage mais encore ne leur offrit qu'une saison de travail. En ao₧t 1841, on entendait dire que ces immigrants mouraient de faim. Dix ans plus tard, les âcossais devaient encore faire face ê la famine aprÅs que de nombreuses familles eurent dÄsertÄ les lots de la Compagnie pour la situation plus avantageuse qu'on leur offrait dans le canton de Winslow (partie de l'ancien territoire de St-Franìois) ê savoir la libre jouissance de 20 hectares situÄs sur les routes de la colonisation, construites par le gouvernement. Toutefois, en l'espace de peu d'annÄes, les âcossais se rÄvÄlÅrent d'assez bons fermiers, consolidant leurs tenures et adaptant leurs techniques agricoles ê la demande du marchÄ extÄrieur.
Vers 1851, dans le comtÄ de Compton, on dÄnombrait environ 1 000 habitants d'origine Äcossaise. Au cours des deux ou trois dÄcennies qui suivirent, ils contribuÅrent ê dÄplacer les limites du territoire colonisÄ vers l'est, en direction du lac MÄgantic. Toutefois, l'exode vers les villes industrielles de Nouvelle-Angleterre et vers le sol trÅs fertile du Midwest amÄricain Ätait une perspective beaucoup plus attirante et trÅs peu d'immigrants vinrent se joindre aux âcossais. Autre problÅme, les descendants des premiers colons amÄricains refusaient de quitter la fertile rÄgion du sud-ouest mÉme pendant les annÄes 1870 lorsque le dÄputÄ de Compton, John Henry Pope, entreprit la construction de l'International Railroad qui traversait le comtÄ et qui menait jusqu'au lac MÄgantic. En consÄquence, deux compagnies de colonisation Äcossaises et une compagnie anglaise se virent attribuer de vastes terres dans l'est de Compton. En Ächange, elles devaient favoriser l'Ätablissement des colons grëce aux bÄnÄfices tirÄs de la vente du bois de construction, mais elles ne s'acquittÅrent nullement de cette obligation.
La colonisation canadienne-franìaise
DÅs 1851, des Canadiens franìais Ätablis sur les seigneuries de la rive sud du St-Laurent avaient dÄmÄnagÄ vers la pointe nord du comtÄ de Compton o¥ trois nouvelles voies de colonisation aboutissaient dans le canton de Winslow. Bien que 20 hectares de terrain eussent ÄtÄ offerts gratuitement, chaque famille devait malgrÄ tout dÄfricher 4,8 hectares au cours des quatre premiÅres annÄes pour avoir droit aux titres de propriÄtÄ. ╦ l'opposÄ des âcossais qui avaient colonisÄ la partie sud de Winslow, peu de Canadiens franìais achetÅrent le surplus de terres de la Couronne offertes ê quatre shillings (un dollar) l'acre. Ce qui signifiait qu'il restait encore suffisamment de terres pour permettre ê leurs familles de se multiplier, tandis que la population des âcossais demeurait plutÖt stable, car leurs terres Ätaient rÄparties entre un petit nombre de propriÄtaires. Bien que leur curÄ e₧t dÄclarÄ en 1860 que la colonie avec ses 749 colons canadiens-franìais Ätait surpeuplÄe, grëce au revenu supplÄmentaire de l'industrie du bois de construction, le nombre d'habitants passait ê 895 vers 1870.
Au dÄbut des annÄes 1860, il y eut une seconde pÄriode de colonisation canadienne-franìaise dans les cantons Auckland et Hereford, ê l'extrÄmitÄ sud du comtÄ, rÄgion montagneuse. Trois ecclÄsiastiques de la rÄgion montrÄalaise s'occupÅrent, pour le compte d'un certain nombre de leurs paroissiens, de l'achat de 12 500 hectares de terres de la Couronne. Ils choisirent ensuite les sites pour l'Ätablissement des villages et firent construire des routes de colonisation gouvernementales ê travers les deux cantons qui, vers 1870, comptaient 868 habitants canadiens-franìais.
L'âglise demeura un agent de colonisation actif mais, avec l'avÅnement de la confÄdÄration et la dÄlÄgation aux instances provinciales de la gestion des terres de la Couronne, on vit croötre l'aide gouvernementale en faveur de la colonisation du QuÄbec. En 1869, le pouvoir lÄgislatif provincial vota la Loi sur les sociÄtÄs de colonisation selon laquelle une aide financiÅre (jusqu'ê 600 $ par annÄe) et l'octroi de terres (un maximum de 4 800 hectares) seraient offerts ê tout groupe qui fonderait de nouveaux Ätablissements. EncouragÄes par le projet de construction de voies ferrÄes ê travers le centre et l'est de Compton, la plupart des sociÄtÄs de la Province concentrÅrent leurs efforts sur cette rÄgion. Dix d'entre elles se rÄservÅrent plus de 26 000 hectares de terres et obtinrent du gouvernement prÅs de 10 000$ de subventions. Cependant, cinq ans plus tard, malgrÄ le dÄfrichement et la construction de routes, un seul Ätablissement s'Ätait vraiment implantÄ, Piopolis, sur la rive sud-est du lac MÄgantic.
AprÅs l'abrogation de la Loi sur les sociÄtÄs de colonisation en 1875, le gouvernement provincial dÄcida d'encourager plus directement la colonisation. Il dÄcrÄta les cantons Emberton, Chesham et Ditton, terres de ╟rapatriement╚ pour les Canadiens franìais dÄsireux de fuir la rÄcession qui frappait les manufactures de coton en Nouvelle-Angleterre. De fait, prÅs de 800 Franco-AmÄricains profitÅrent de l'occasion et vinrent dÄfricher leurs lots avec l'aide des subventions gouvernementales; toutefois la plupart retournÅrent dans les manufactures en 1879 lorsque la crise Äconomique fut passÄe. Quoi qu'il en soit, environ 800 QuÄbÄcois francophones prirent part Ägalement au projet et, vers 1880, ils Ätaient plus de 2 000 Ätablis dans les trois cantons.
En 1881, l'ancien directeur du projet de rapatriement, JÄrÖme-Adolphe Chicoyne, suivit l'exemple anglais en lanìant une compagnie de colonisation ê capitaux franìais. Comme son homologue britannique, la Compagnie investit plus d'Änergie et d'argent dans les scieries et l'exploitation des forÉts que dans les Ätablissements des colons; toutefois, elle rÄussit effectivement ê stimuler le dÄveloppement de Lac MÄgantic, Ätablissement tout rÄcent, et le canton de Woburn (comtÄ de la Beauce), qui Ätaient ses deux centres d'activitÄs.
En 1890, lorsque les principaux projets de colonisation furent terminÄs, on dÄnombrait prÅs de 11 000 Canadiens franìais dans le comtÄ de Compton, soit une augmentation de 10 ê 50 % de la population en 40 ans. Ce regain venait principalement de la colonisation des terres non dÄfrichÄes. Il ne restait plus que 1 800 francophones dans les anciens cantons anglophones, tandis que leur nombre n'atteignait mÉme pas le millier dans les villages d'East Angus (canton de Westbury) et de Lac MÄgantic (du cÖtÄ du canton de Whitton) basÄs sur l'industrie du bois et fondÄs dans les annÄes 1880 grëce ê la construction du chemin de fer. NÄanmoins, la poussÄe des Canadiens franìais dans le comtÄ allait dÄpendre de l'industrialisation, particuliÅrement en ce qui concernait l'avenir immÄdiat. Presque la moitiÄ de l'augmentation de la population du comtÄ, entre 1890 et 1900, Ätait due au dÄveloppement des cantons de Westbury et de Whitton. En l'espace de peu d'annÄes, la vente des fermes appartenant ê des Canadiens anglais qui partaient vers l'Ouest aura Ägalement aiguillonnÄ l'expansion du peuplement canadien-franìais.
SociÄtÄ et Äconomie
Les institutions sociales des colons Ätaient avant tout axÄes sur le dÄfrichement et la construction d'habitations au milieu d'une nature sauvage. Pendant les premiÅres annÄes de la colonisation, les familles devaient absolument compter sur leur propre force physique et elles demeuraient particuliÅrement ê la merci des caprices de la nature. Les Ächecs Ätaient courants surtout dans les rÄgions o¥ les efforts Äreintants de dÄfrichage n'arrivaient pas ê vaincre l'ariditÄ de la terre. Les premiers colons choisirent pour la plupart de s'installer sur les pentes ÄlevÄes, bien irriguÄes et aux forÉts plus clairsemÄes, bien qu'un terrain dans une vallÄe encaissÄe prÄsentët l'avantage de s'Äpuiser moins rapidement qu'un sol de montagne. Par consÄquent, bon nombre des tout premiers Ätablissements dans les Cantons de l'Est furent ê la fin abandonnÄs.
L'une des premiÅres tëches des pionniers Ätait de se construire une cabane en bois rond; ils bouchaient les interstices entre les rondins ê l'aide de matiÅres qu'ils trouvaient sur place telles que les copeaux de bois, la boue, la mousse et le sable. Le toit Ätait plat, s'inclinant de deux mÅtres sur la faìade et d'ê peine plus d'un mÅtre sur l'arriÅre. Il Ätait construit avec de l'Äcorce d'arbre, des planches brutes, ou des billes ÄvidÄes se chevauchant. Ces cabanes offraient bien peu de protection contre les intempÄries, particuliÅrement en hiver. Aussi, les colons, au bout de quelques mois, s'empressaient-ils de les remplacer par des maisons plus grandes faites de madriers bien Äquarris. Ces madriers Ätaient soigneusement mortaisÄs ou assemblÄs aux tenons, et le toit, souvent couvert de bardeaux, s'inclinait des deux cÖtÄs ê partir d'une pointe centrale. Ces robustes bëtiments ont ÄtÄ souvent utilisÄs pendant prÅs de 20 ans avant d'Étre remplacÄs par des maisons ê charpente de bois.
AprÅs avoir bëti sa cabane, le colon entamait le dÄfrichage de ses terres, gÄnÄralement ê raison d'un hectare par annÄe s'il ne pouvait compter sur l'aide de ses fils aönÄs. La plupart des arbres abattus Ätaient coupÄs et br₧lÄs par gros b₧chers. Certes, ce procÄdÄ permettait d'accÄlÄrer le dÄfrichement, mais il dÄtruisait une grande partie du sol organique et gaspillait le bois. Cependant les marchÄs de bois de construction Ätaient rarement accessibles dans les premiÅres annÄes de la colonisation des Cantons de l'Est et, mÉme s'ils l'avaient ÄtÄ, les colons du Bas-Canada ne furent pas autorisÄs avant 1861 ê vendre le produit de leur dÄfrichage. Cette mesure avait ÄtÄ prise pour Äviter que des marchands de bois ne se fassent passer pour des colons afin d'Ächapper aux paiements du permis. NÄanmoins, les cendres du bois dur reprÄsentÅrent pour les colons leur premiÅre source de revenu. En effet, ces cendres pouvaient Étre filtrÄes pour produire de la lessive qui, chauffÄe dans des bouilloires de fer donnait de la potasse (sel noir). Avant d'expÄdier ce produit ê l'extÄrieur de la rÄgion, souvent on le cuisait dans de grands fours pour obtenir de la perlasse (carbonate de potassium). ╦ Trois-RiviÅres, 200 kg de potasse, produit d'un demi-hectare de forÉt vierge, Ätaient vendus environ 70 $. La potasse Ätait exportÄe vers la Grande-Bretagne et servait de matiÅre premiÅre aux industries du textile, du savon et du verre.
AprÅs le br₧lage du bois, le colon, ê l'aide d'une herse rudimentaire, souvent une grosse branche d'arbre, nivelait le sol et Äparpillait les restes de cendre. Il laissait pourrir sur place les souches pendant plusieurs annÄes; aussi, pour ensemencer, devait-il utiliser une lourde houe pointue ou une herse en forme de A comportant de 9 ê 12 grosses dents en fer qui pouvaient sectionner les racines. MalgrÄ leur lenteur, les boeufs, qui sont d'une constitution robuste et d'une docilitÄ remarquable, Ätaient pour les travaux ardus de dÄfrichement prÄfÄrables aux chevaux.
╦ cette Äpoque, la culture principale des Cantons de l'Est Ätait la pomme de terre qui, en dÄpit des souches, pouvait Étre plantÄe et rÄcoltÄe assez facilement et dont le rendement Ätait excellent. La nourriture des colons Ätait de ce fait aussi monotone que nourrissante. Bien que les Stacey fussent Ätablis sur leur ferme, dans le canton d'Ascot, depuis 15 ans, leur fille Louisa Äcrivait en mai 1853 ê ses grands-parents en Angleterre:
Nous n'avons guÅre eu ê manger que du pain et du beurre pendant longtemps, sauf peut-Étre, ê l'occasion, de la perdrix et un peu de poisson ... Mais je ne dois pas me plaindre, notre famille a bien vÄcu cet hiver. Nos pommes de terre, des racines et un peu de maòs nous ont bien aidÄs. Mais que votre bonne vieille nourriture anglaise me manque! Je suis fermement dÄcidÄe ê acheter bientÖt de la viande pour nous offrir un petit festin. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien difficiles sont nos conditions de vie, et elles ne sont pas particuliÅres ê notre famille.
Tant que les souches n'Ätaient pas arrachÄes et que les champs n'avaient pas ÄtÄ mis en pëturage, en semant un mÄlange de plantes fourragÅres et d'avoine qui donnait une tourbe mousseuse, les charrues n'Ätaient d'aucune utilitÄ. Avant le milieu du siÅcle, les cÄrÄales Ätaient fauchÄes ê l'aide de l'ancienne faucille, puis rassemblÄes et liÄes en gerbes. Cette mÄthode demandait de 30 ê 40 heures de labeur pour un demi-hectare qui produisait 725 L de blÄ. Le battage Ätait gÄnÄralement entrepris en hiver: on Ätendait les gerbes sur le plancher de la grange, puis on battait ê l'aide du flÄau pour sÄparer le grain de la paille. Les grains Ätaient ensuite dÄversÄs sur un drap et on les secouait en plain air pour que le vent disperse la balle. Il fallait beaucoup moins de temps pour rÄcolter le foin qui, dans les Cantons de l'Est, Ätait l'aliment principal du bÄtail. Il suffisait de le couper ê l'aide d'une faux puis de le rëteler en andains pour qu'il puisse sÄcher avant d'Étre mis en bottes et engrangÄ. C'est ainsi que l'on constituait la rÄserve de fourrage d'hiver. NÄanmoins, un colon du canton d'Ascot, George Stacey, dÄcrivait en 1846 la fenaison comme Ätant ╟incontestablement le plus pÄnible des travaux de la ferme, car il faut s'atteler ê la tëche trÅs tÖt le matin et y rester jusqu'au coucher du soleil ... Lorsque je rentre ê la maison, je dois changer de chemise et de pantalon, car ils sont aussi trempÄs que si j'Ätais tombÄ dans la riviÅre╚.
Dans les Cantons de l'Est, en raison de l'isolement gÄographique, les habitants ont vÄcu dans une autarcie relative beaucoup plus longtemps que les colons du Haut-Canada, qui bÄnÄficiaient d'un accÅs facile au St-Laurent. Tandis que ces derniers exportaient dÅs 1794 leur blÄ vers la Grande-Bretagne, les colons des Cantons de l'Est, pour obtenir de l'argent liquide, ne pouvaient compter que sur la vente de produits facilement transportables tels que l'eau-de-vie de pommes de terre et la potasse. Les fabriques de potasse et les distilleries de village ont finalement commencÄ ê disparaötre vers la fin des annÄes 1820 alors que le rÄseau de communication s'amÄliorait peu ê peu et que la population, devenant plus nombreuse, sut tirer profit de la situation en Ävitant le gaspillage des matiÅres premiÅres. Les scieries produisaient essentiellement du bois de construction pour les besoins locaux tandis que les rÄcoltes de fourrage Ätaient utilisÄes pour l'alimentation du bÄtail qui, lui, Ätait acheminÄ vers les marchÄs extÄrieurs. Les frais de transport, mÉme jusqu'en 1850, reprÄsentaient 50 % d'une livraison de grains entre le canton de Compton ou d'Eaton et MontrÄal. En 1831, le fermier moyen, dans le canton de Compton, possÄdait huit ou neuf tÉtes de bÄtail, onze moutons (les loups et les ours Ätaient encore les principaux ennemis des moutons), cinq ou six porcs et un ou deux chevaux. Sa rÄcolte, qui atteignait environ 9 000 L, Ätait toujours composÄe presque aux trois quarts de pommes de terre (utilisÄes en partie comme fourrage d'hiver), le reste comprenant essentiellement de l'avoine, du maòs, du blÄ et du seigle. Le colon ne cultivait pas assez de blÄ pour sa consommation personnelle, aussi les maötresses de maison devaient-elles souvent mÄlanger la farine avec des pommes de terre bouillies et des citrouilles cuites pour faire du pain.
La concurrence amÄricaine sur le marchÄ montrÄalais a sÄrieusement retardÄ le dÄveloppement Äconomique des Cantons de l'Est jusqu'ê la fin des annÄes 1840, Äpoque o¥ la fulgurante expansion Äconomique des âtats-Unis a entraönÄ une forte demande amÄricaine en produits agricoles. Vers 1851, le fermier moyen du canton de Compton s'Ätait quelque peu spÄcialisÄ; il possÄdait ainsi un mouton et quatre porcs de moins, mais trois ou quatre tÉtes de bÄtail de plus que 20 ans auparavant. L'ouverture, en 1852, de la St. Lawrence and Atlantic Railroad accÄlÄra cette tendance ê la spÄcialisation en facilitant enfin l'accÅs des Cantons de l'Est aux marchÄs extÄrieurs et en permettant l'importation, en provenance de l'Ouest, de grains et de boeuf bon marchÄ. Les fermiers de la rÄgion durent alors mettre ê profit leur situation privilÄgiÄe, ê proximitÄ des principales villes de l'Est, pour se tourner de plus en plus vers la fabrication des produits laitiers pÄrissables tels que le beurre et le fromage. Les comtÄs ê l'ouest de Compton, mieux situÄs, ont toutefois ÄtÄ les premiers ê se spÄcialiser dans la production laitiÅre. Sur les 21 fromageries de la rÄgion, une seule se trouvait ê Compton, en 1870. La concurrence de l'Ouest canadien n'a pas ruinÄ les producteurs de boeufs des premiers cantons de Compton, bien au contraire; les plus progressistes d'entre eux possÄdÅrent bientÖt un Älevage britannique d'une telle qualitÄ qu'ils vendaient leurs bÉtes aux ranchs de l'Ouest, d'abord aux fermiers des âtats-Unis, aprÅs la guerre de SÄcession, puis vers les annÄes 1880 ê ceux des contreforts du sud dans les Rocheuses canadiennes.
Les colons qui s'Ätaient Ätablis dans les cantons les plus isolÄs de Compton avaient beaucoup de difficultÄs ê participer au commerce international. Dans le canton de Winslow, colonisÄ depuis peu, la famille moyenne canadienne-franìaise possÄdait, en 1851, neuf porcs, un boeuf ou une vache, un mouton; en moyenne, il n'y avait qu'un seul cheval pour deux familles. La rÄcolte moyenne Ätait de 2 900 L dont la moitiÄ en pommes de terre. Les fermiers Äcossais avaient atteint un niveau de vie supÄrieur, chaque famille possÄdant quatre tÉtes de bÄtail et quatre moutons mais seulement un porc et aucun cheval. Ils avaient dÄfrichÄ une moins grande superficie, mais leurs rÄcoltes Ätaient plus abondantes de moitiÄ. NÄanmoins, des conditions climatiques dÄfavorables forcÅrent les deux groupes ê demander une aide extÄrieure en 1852.
Entre 1850 et 1870, les pionniers Äcossais du canton de Winslow augmentÅrent leur bÄtail de plus du double jusqu'ê acquÄrir neuf tÉtes par famille, mais leur troupeau comptait toujours quatre tÉtes de moins que celui du fermier moyen du canton de Compton. En outre, la qualitÄ semble avoir ÄtÄ largement infÄrieure, car bien que le fermier de Compton possÄdët en moyenne une seule vache de plus, il produisait deux fois et demie plus de beurre et de fromage. La diffÄrence avec les Canadiens franìais de Winslow Ätait encore plus saisissante; leurs rÄcoltes Ätaient sensiblement Ägales ê celles des âcossais, mais leurs fermes Ätant la moitiÄ moins grandes, leur production laitiÅre reprÄsentait la moitiÄ de celle des fermes Äcossaises. La plupart des Canadiens franìais, il est vrai, ne travaillaient pas ê plein temps sur leurs fermes, prÄfÄrant se consacrer ê l'exploitation de la forÉt. Ils abattaient dix fois plus d'arbres que les âcossais et un grand nombre d'entre eux travaillaient vraisemblablement dans les moulins ê scier pour le compte des deux entrepreneurs canadiens-franìais qui produisaient la plus grande partie du bois Äquarri du canton. Au cours des annÄes 1870, le prolongement de la voie ferrÄe ê travers l'est du comtÄ de Compton suscita un regain de colonisation qui permettait de rÄpondre ê la demande extÄrieure en bois de mÉme qu'en produits agricoles. Ce qui aide ê expliquer pourquoi les Canadiens franìais auront dÄsormais tendance ê dominer cette rÄgion de colonisation.
Les colons Ätablis sur les terres nouvellement colonisÄes devaient ê leur tour, pour construire leur ferme, accomplir les mÉmes travaux de base. Les techniques agricoles trÅs primaires qui demandaient un travail intensif subsistÅrent trÅs longtemps mÉme dans les premiers cantons colonisÄs qui Ätaient aussi les plus prospÅres. La mÄcanisation a rÄvolutionnÄ la moisson des cÄrÄales aprÅs le milieu du siÅcle, mais la principale rÄcolte des Cantons de l'Est Ätait le foin, et les faucheuses tirÄes par les chevaux ne sont arrivÄes qu'ê partir des annÄes 1880. Il fallait donc une famille nombreuse pour disposer d'une main-d'oeuvre suffisante sur la ferme. Pendant presque tout le XIXe siÅcle, les familles canadiennes tant franìaises qu'anglaises avaient encore ê la maison une moyenne de six ê sept enfants, alors que les mÅres Ätaient ëgÄes de 40 ê 44 ans. Dans le volume History of Eaton Township publiÄ en 1894, C.S. Lebourveau raconte que:
... chaque enfant en ëge de ramasser des morceaux de bois devait lui aussi aider ê maintenir le loup ê l'Äcart de la maison. Tout le monde devait travailler dÅs l'ëge de 10 ans. Les garìons devaient prendre une hache et s'en aller dans le bois aider au dÄfrichement. Ils participaient aussi ê la mise en culture des terres et, ê l'automne, munis de leur faucille, ils allaient se joindre aux moissonneurs.
L'intÄrieur de la maison offrait le tableau suivant:
... la grand-mÅre ... assise devant un petit rouet filait le lin, les plus jeunes des filles filaient l'Ätoupe et les aönÄes la laine. Pendant ce temps, ê l'Ätage supÄrieur, la mÅre travaillait sur son mÄtier ê tisser et confectionnait les vÉtements de toute la famille.
Il est bien Ävident que les petits paysans n'avaient guÅre de temps ê consacrer aux Ätudes. En fait, ils ne frÄquentaient l'Äcole que trÅs irrÄguliÅrement et les ÄlÅves de plus de 12 ans Ätaient trÅs rares. Dans ces conditions, l'enseignement offert avait tendance ê demeurer extrÉmement primaire. On trouvait peu de livres, et les maötres recevaient un tel salaire de misÅre que bien peu d'entre eux prenaient leur tëche au sÄrieux. En 1847, George Stacey Äcrivait au sujet de son fils:
Alfred dÄsire vivement Ätudier, mais il trouve ses copains de l'Äcole dÄsagrÄables et violents. C'est bien dommage, car il aime vraiment beaucoup les livres et il a appris par lui-mÉme tout ce qu'il sait. Je peux mÉme dire qu'il a plus appris ê la maison que dans cette Äcole qui, malgrÄ tout, se trouve ê plusieurs milles de chez nous et qui, par mauvais temps, est inaccessible.
La famille Ätait pour les paysans la principale institution, car les premiers colons n'avaient tout simplement pas eu le temps ni les moyens de perpÄtuer les institutions communautaires qu'ils avaient autrefois connues. Dans le canton d'Eaton, les pionniers formÅrent une loge maìonnique, mais ils durent l'abandonner en 1820. Elle n'a pu Étre reconstituÄe qu'en 1879. Au cours des annÄes 1790, le canton de Newport institua son propre conseil municipal, sur le modÅle du systÅme utilisÄ en Nouvelle-Angleterre, mais il cessa d'exister vers 1812. L'administration locale ne reprit forme que dans le courant des annÄes 1840, lorsque le pouvoir lÄgislatif provincial imposa un systÅme officiel. Avant 1826, il n'y avait mÉme pas de tribunaux dans les Cantons de l'Est, aussi les colons devaient-ils se rendre ê Trois-RiviÅres ou ê MontrÄal pour rÄgler leurs problÅmes juridiques. Leurs relations avec le pouvoir officiel se faisaient essentiellement par l'intermÄdiaire du ╟chef╚ de canton, qui Ätait chargÄ de l'arpentage, du traìage des routes, de l'enregistrement des titres de propriÄtÄ et de l'ensemble des nÄgociations ê traiter avec l'administration gouvernementale qui Ätait trÅs peu sympathique.
L'auto-suffisance qui caractÄrisait les familles pionniÅres leur permit de mettre sur pied des institutions non officielles correspondant ê leurs besoins. Les corvÄes pour la coupe du bois et la construction de maisons, en plus d'Étre une bonne faìon de s'aider mutuellement, constituaient d'excellentes occasions de rencontres sociales. Lebourveau, historien de la rÄgion, Äcrit ê ce sujet:
Lorsqu'un homme dÄsirait construire une maison ou une grange, il lui suffisait de fixer le jour, d'avertir ses voisins, de prÄvoir un gallon de whisky et tout le monde Ätait au rendez-vous au point du jour. Avant la nuit, le bëtiment Ätait sur pied, le toit et les pignons tapissÄs d'Äcorce d'Äpinette. Les jeunes attendaient ce jour avec autant d'impatience que nos enfants d'aujourd'hui guettent la venue d'un cirque ou d'une foire. Celui qui avait des billots ê faire transporter aprÅs un abattage au printemps, mais qui ne disposait pas d'une paire de chevaux, et qui Ätait de plus pressÄ par le temps, n'avait qu'ê prendre les mÉmes dispositions que pour la construction de la maison. On pouvait obtenir les mÉmes rÄsultats en recourant aux services de ceux qui possÄdaient des chevaux.
Les premiers colons amÄricains accordaient suffisamment d'importance ê l'Äducation pour ouvrir leurs propres Äcoles sans l'aide du gouvernement. En fait, la population du canton de Compton se rÄvÄla Étre en 1838 l'une des plus alphabÄtisÄe de la Province, ce qui ne signifiait pas grand-chose si l'on considÅre l'Ätat lamentable du systÅme scolaire en vigueur dans les seigneuries. Parce qu'en pratique elle n'Ätait pas aussi indispensable, les pionniers relÄguaient la religion organisÄe aux derniers rangs de leurs prioritÄs. La majoritÄ d'entre eux avaient ÄtÄ congrÄgationalistes en Nouvelle-Angleterre, mais pendant de nombreuses annÄes les missionnaires de l'âglise anglicane, subventionnÄs par l'âtat, et les prÄdicateurs itinÄrants de l'âglise mÄthodiste ont ÄtÄ leurs seuls liens avec la religion. Le premier pasteur permanent d'Eaton arriva en 1815. Il desservait tous les groupes religieux dans le canton, faisait l'Äcole, et il Äprouvait malgrÄ tout certaines difficultÄs ê recueillir les ú50 (250 $) annuelles qui lui avaient ÄtÄ promises.
En raison des migrations frÄquentes qui se faisaient dans un sens comme dans l'autre de la frontiÅre, il y eut pendant longtemps bien peu de diffÄrences sur le plan culturel entre les premiers cantons et la Nouvelle-Angleterre. MÉme les manuels scolaires Ätaient amÄricains jusque dans les annÄes 1840. Dans le comtÄ de Compton toutefois, les colons britanniques avaient tendance ê se dÄplacer vers les cantons les plus ÄloignÄs appartenant ê la British American Land Company, aussi ont-ils pu maintenir pendant de nombreuses annÄes une identitÄ culturelle distincte. Les âcossais des Highlands, grëce ê une solide tradition orale, conservÅrent leur langue gaÄlique dans la vie de tous les jours jusqu'ê la troisiÅme gÄnÄration. FidÅles presbytÄriens de l'âglise libre (Free Kirk), ils se mariaient rarement avec leurs voisins catholiques, les Canadiens franìais. La disparition de l'identitÄ Äcossaise au sein de Compton fut plutÖt le rÄsultat de l'Ämigration vers d'autres provinces que de l'assimilation par les Canadiens anglais.
Comme nous l'avons dÄjê soulignÄ, l'âglise catholique romaine a participÄ activement ê la colonisation franco-canadienne du comtÄ de Compton. La paroisse, en tant qu'institution, a donc conservÄ la structure qu'elle possÄdait dÄjê dans les seigneuries du St-Laurent. MÉme si les dömes ne pouvaient lÄgalement Étre imposÄes que sur la rÄcolte des grains, les Canadiens franìais versaient ê leurs curÄs une contribution supplÄmentaire ê mÉme leur production de pommes de terre et de foin. La principale cause de discorde Ätait le choix du site pour la construction de la premiÅre Äglise et les rivalitÄs Äclataient souvent quand les paroisses mÅres Ätaient divisÄes en plus petites. Une fois ce problÅme rÄglÄ, le curÄ devait rarement faire face ê de graves agitations sociales bien qu'il se plaignit souvent du go₧t trop prononcÄ pour la boisson et la danse que manifestaient ses ouailles.
Conclusion
On considÅre en gÄnÄral que la colonisation au Canada est caractÄrisÄe essentiellement par une progression soutenue d'est en ouest au cours du XIXe siÅcle. D'un point de vue global, c'est effectivement ce qui s'est produit, mais il ne faut pas oublier les milliers de colons qui s'arrÉtÅrent dans des endroits perdus de l'Est tandis que la plus grande partie des gens se dirigeaient vers l'Ouest. CommencÄe dÅs le XVIIIe siÅcle, la colonisation du comtÄ de Compton devait se poursuivre jusque dans le courant du XXe siÅcle. La lÄgende populaire de la famille solitaire se frayant un chemin au sein de la nature sauvage et dÄfrichant la terre pour y planter sa maison ne s'applique pas au comtÄ de Compton. En effet, pour attirer les colons dans ce comtÄ dÄfavorisÄ aussi bien par sa situation gÄographique que par la qualitÄ de son sol, il fallait rendre l'entreprise attrayante. Les ╟chefs╚ de cantons devaient mettre en place l'infrastructure socio-Äconomique de base pour les premiers colons originaires de Nouvelle-Angleterre. Cette tëche incombait ê la British American Land Company dans le cas des âcossais des Highlands, ê l'âglise et au gouvernement pour les Canadiens franìais. Les AmÄricains s'Ätablirent dans les cantons les plus fertiles et les mieux situÄs, toutefois ils eurent ê construire de longues routes pour remÄdier ê l'absence d'un bon systÅme de transport par voie d'eau. PrÅs d'un demi-siÅcle plus tard, les âcossais ont ÄtÄ entraönÄs dans une rÄgion montagneuse et rocheuse dont on leur avait vantÄ les Ätablissements, les moulins et les routes dÄjê construites, tandis que les Canadiens franìais s'Ätaient vu offrir des terres gratuites ou bon marchÄ et garantir le maintien de leur mode de vie paroissial.
En fait, quelles que fussent leurs origines culturelles, les raisons qui les ont amenÄes en ce pays et l'Äpoque de leur venue, toutes les familles, sans exception, ont eu ê s'atteler ê la mÉme tëche fondamentale: se bëtir une maison en dÄfrichant ê l'aide d'instruments rudimentaires et improvisÄs. Les derniers colons pouvaient vendre du bois et Älever du bÄtail au lieu de fabriquer de la potasse et de l'eau-de-vie de pommes de terre mais au dÄbut, les constructions, les rÄcoltes, le bÄtail et les tëches quotidiennes Ätaient sensiblement les mÉmes que ceux des pionniers amÄricains. Cette ressemblance ne signifie pas qu'ils avaient perdu leurs traditions; en rÄalitÄ, leur isolement prÄservait plutÖt leur identitÄ culturelle. Chaque groupe possÄdait ses institutions religieuses, ses Äcoles et ses conseils municipaux. Par ailleurs, des groupes diffÄrents ont vÄcu une Ävolution Äconomique diffÄrente. Les âcossais et les Canadiens franìais ne pouvaient absolument pas espÄrer pouvoir atteindre le niveau de prospÄritÄ dont jouissaient les Canadiens anglais dans les vieux cantons car la spÄcialisation engendrÄe par les progrÅs technologiques ne pouvait qu'amoindrir la rentabilitÄ de leurs terres montagneuses et rocheuses. Cet aspect a eu des rÄpercussions importantes sur la composition ethnique de la rÄgion. Les âcossais ont choisi en fin de compte d'abandonner le comtÄ de Compton, tandis que les Canadiens franìais y sont restÄs en augmentant les revenus de la ferme par des travaux saisonniers dans les bois.