Le télégraphe électrique et le câble sous-marin constituent deux importantes applications de l'une des principales découvertes au XIXe siècle, l'utilisation possible de l'électricité dans le domaine des communications. Auparavant, les communications étaient nécessairement liées aux techniques du transport, mais au milieu du XIXe siècle l'utilisation de la puissance de la vapeur pour faire avancer les bateaux et les trains d'un réseau ferroviaire qui s'étendait rapidement a provoqué des changements considérables au Canada, dans le domaine des transports autant que dans celui des communications. Le télégraphe électrique sert à coordonner les transports et donne naissance à l'industrie entièrement nouvelle des télécommunications. On peut dire que le télégraphe, lors de son avènement, touche ou même modifie chaque aspect de la vie desCanadiens: il accélère la diffusion des nouvelles par les journaux, permet aux gouvernements et aux entreprises privées de mieux centraliser leurs activités et marque le début d'une nouvelle époque, celle des communications personnelles offertes à bon marché, à toutes les classes de la société. On n'insiste jamais trop sur l'importance de ces changements pour le Canada puisque, comme C.P. Stacey l'a jadis fait remarquer, l'histoire de la construction de notre pays est, beaucoup plus qu'ailleurs, reliée à l'histoire des communications.
Évolution du télégraphe
Au début des années 1800, un certain nombre de systèmes de communications par télégraphe font leur apparition à la suite des expériences sur l'électricité qu'on effectua dans plusieurs pays. Mise en service en 1846 et reliant Toronto à Niagara Falls, la première ligne télégraphique canadienne emploie le matériel et le code de points et de traits conçus par Samuel B. Morse (1791-1872) aux États-Unis. La Toronto, Hamilton, Niagara and St. Catharines Electro Magnetic Telegraph Company, entreprise canadienne, n'exploite qu'une seule ligne reliée à une ancienne ligne américaine, à Lewiston (New York). Ce lien remplace les lents bateaux à vapeur pour les communications entre les centres du lac Ontario et permet la diffusion des nouvelles américaines et européennes qui circulent dans la ville de New York.
C'est à la Montreal Telegraph Company qu'il revient, néanmoins, de dominer l'industrie canadienne du télégraphe. Fondée en 1847 avec un capital de soixante mille dollars, cette entreprise canadienne vise à relier les principaux centres commerciaux de la Province du Canada. Son symbole, une main gantée empoignant des éclairs, devient très connu au cours des décennies suivantes. Pendant les premières années, au moment de l'installation de lignes entre Montréal et Toronto, cette entreprise repose surtout, en matière de direction et de construction, sur la compétence de spécialistes américains tels qu'O.S. Wood, premier élève télégraphiste de Samuel Morse. Le matériel qu'on utilise pour la construction des lignes de cette compagnie (poteaux en cèdre, supports en chêne blanc, isolateurs en verre et fil n° 9 anglais en fer galvanisé ou recouvert de zinc, premier du genre à être utilisé sur ce continent) devint le matériel standard en Amérique du Nord pour l'ensemble de cette industrie. Grâce à son matériel de construction de qualité supérieure et à une gestion très adroite -- surtout après la nomination, en 1851, au poste de président, du riche homme d'affaires montréalais Hugh Allan qui détenait déjà d'importantes actions dans les compagnies maritimes et de chemins de fer -- cette entreprise réussit à acheter toutes les lignes concurrentes, au cours des deux décennies suivantes, y compris la ligne Toronto-Niagara Falls. Les télégraphistes formés par la Montreal Telegraph Company jouent par la suite un rôle de premier plan dans le développement et l'expansion du télégraphe en Amérique du Nord britannique et aux États-Unis.
Frederick N. Gisborne (1824-1892), télégraphiste à la Montreal Telegraph Company, est engagé par la British North American Telegraph Association afin de réunir, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, les fonds nécessaires à la construction de la ligne télégraphique projetée entre Halifax et Ouébec. Mais étant donné l'esprit d'indépendance caractéristique de ces régions, et les offres alléchantes provenant des États-Unis, aucune de ces colonies ne coopère et il n'en résulte à court terme que la construction d'une ligne se terminant, à l'est, à Rivière-du-Loup. Négligeant les possibilités qu'offre la British North American Telegraph Association, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse préfère construire, en 1849, une ligne reliant Halifax et Amherst. Un groupe d'hommes d'affaires du Nouveau-Brunswick finance la construction, à la frontière des États-unis, d'une ligne entre Amherst et St. Stephen passant par Saint-Jean (N.-B.). Cette initiative est fortement encouragée par l'American Associated Press qui désire réaliser une transmission rapide à New York des nouvelles européennes parvenues en Amérique du Nord grâce aux bateaux à vapeur Cunard qui mouillent à Halifax. En 1851, Samuel Cunard lui-même profite de son influence pour fonder la Nova Scotia Electric Telegraph Company et acheter les lignes télégraphiques gouvernementales: on constate, une fois de plus, la convergence des intérêts engagés dans les transports et dans les communications.
En 1851, une ligne télégraphique relie les colonies du Québec et des Maritimes: peu rentable, elle est achetée, à un certain moment, par la Montreal Telegraph Company. En 1852, la Province du Canada vote une loi générale sur le télégraphe qui provoque la construction de nombreuses lignes, assez courtes, mais qui forment avec d'autres lignes plus anciennes un réseau complémentaire vers Troy, dans l'État de New York, vers le Vermont et vers Detroit en passant par Windsor. Les petits centres canadiens tels que Bytown et Peterborough ont maintenant accès, pour la première fois, aux nouvelles européennes et américaines. Cette liaison télégraphique a des effets très directs: elle accroît le nombre et l'importance des journaux, dont plusieurs porteront même le nom de «télégraphe» afin de préciser l'origine de l'information présentée. Par ailleurs, les entreprises commerciales et les banques canadiennes utilisent de plus en plus le télégraphe dans la conduite de leurs affaires et font naître cette tendance à la centralisation de la prise de décisions, de plus en plus marquée avec les années. Au milieu des années 1850, les transports ferroviaires sont entièrement coordonnés par le télégraphe, et le télégraphiste occupe une place importante dans toutes les petites communautés où passe un chemin de fer. Enfin, les avantages de la communication instantanée ne sont pas négligés par les politiciens qui se servent de ces nouvelles techniques pour organiser leur parti respectif.
Le câble transatlantique
Une expansion similaire du réseau télégraphique a lieu en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick; des lignes sont établies à l'île du Cap-Breton et le long de la côte sud de la Nouvelle-Écosse, jusqu'à Yarmouth et Annapolis Royal. Aucune liaison télégraphique n'est possible, toutefois, avec les colonies de l'Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve avant la mise au point, en Grande-Bretagne, de nouvelles techniques d'isolement des câbles contre les dommages causés par l'eau, les rochers et la marée, ainsi que contre les dommages biologiques. Le premier câble sous-marin posé avec succès est installé de part en part de la Manche en 1850, et cet exploit en permettra d'autres semblables dans les Maritimes.
En Amérique du Nord britannique, Frederick Gisborne dirige le premier essai réussi et, en 1852, un câble sous-marin relie donc l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick. Pour Gisborne, ce n'est là toutefois que la première des nombreuses étapes qu'il avait tracées, en 1851, lors de sa demande d'aide financière soumise au gouvernement de Terre-Neuve afin d'étudier la possibilité d'installer une ligne télégraphique d'un bout à l'autre de l'île. La réalisation de ce projet, encore une fois motivée par les gains financiers que promet la transmission encore plus rapide à New York des nouvelles européennes, exige la construction d'une ligne traversant Terre-Neuve, la pose d'un câble rejoignant l'île du Cap-Breton et l'établissement de liaisons avec l'Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick et les lignes touchant déjà New York. Pour mieux mettre son plan à exécution, Gisborne fonde la New York, Newfoundland and London Telegraph Company qui déclare cependant faillite en 1853. À ce moment-là, les travaux sont encore loin d'être terminés.
Gisborne trouve des fonds a New York pour la réalisation de son projet mais, comme ils sont insuffisants, il remet au financier américain Cyrus Field la direction du projet. Field obtient du gouvernement de Terre-Neuve une nouvelle concession qui donne à l'entreprise le monopole des télégraphes et des câbles pour cinquante ans, à condition que la liaison par câble sous-marin prévue entre la Grande-Bretagne et l'Amérique passe à Terre-Neuve. Aucun câble sous-marin d'une longueur supérieure à 140 milles (225,4 km) n'a jamais été posé jusqu'ici, mais cela n'arrête pas Field qui s'empresse de compléter la liaison télégraphique entre Saint-Jean (Terre-Neuve) et New York, en 1856. L'année suivante, on tente sans succès de poser un câble transatlantique. En 1858, on fait un nouvel essai, cette fois réussi, à partir de deux bateaux stationnés au milieu de l'Atlantique. Massé des deux côtés de l'océan, le public célèbre l'événement mais ces réjouissances font bientôt place à des réactions très pessimistes. Au bout d'un seul mois de service, le câble ne transmet plus. Il a été endommagé par le matériel d'installation et par d'autres facteurs qui ont causé sa détérioration rapide. Les investisseurs, qui prévoyaient faire d'énormes bénéfices en fixant un tarif de 100 dollars le mot, subissent des pertes financières considérables.
Cyrus Field ne parvient pas à ranimer l'intérêt des investisseurs qu'en 1862. Des améliorations sont apportées aux techniques de fabrication des câbles ainsi qu'au matériel d'installation, si bien qu'en 1865 le Great Eastern le plus gros navire à flot, transporte les 2 000 milles (3,200 km) de câble télégraphique et les installe en une ligne unifilaire d'un seul tenant. Malgré tous ces progrès, le câble se rompt au cours d'une tempête et on abandonne tout effort de ce côté jusqu'à la fin de l'année. En 1866, une autre entreprise née depuis peu, l'Anglo-American Telegraph Company, fait un nouvel essai. Le matériel d'installation est perfectionné; un nouveau câble est fabriqué et posé avec succès entre Valentia (Irlande) et Trinity Bay (Terre-Neuve) en quatorze jours, pendant le mois de juillet. En septembre, on retrouve l'ancien câble rompu; il est immédiatement relié à Terre-Neuve. Cet exploit devait être le premier de plusieurs dizaines de projets d'envergure réalisés dans diverses parties du monde. Grâce à la coopération d'ingénieurs électriciens et mécaniciens, d'ingénieurs des constructions navales, d'hydrographes et de plusieurs autres spécialistes, cette liaison transatlantique marque un événement important dans l'histoire de la technologie moderne.
L'Ouest
Le succès de la liaison transatlantique hâte l'achèvement d'un autre projet assez extravagant, celui de la Collins Overland Telegraph Company à qui l'on doit le premier télégraphe électrique jusqu'en Colombie-Britannique. Tout aussi audacieux que les autres de cette même époque, ce plan prescrit la construction d'une ligne télégraphique reliant l'Amérique du Nord à l'Europe par le détroit de Béring. Cette proposition de Perry McDonough Collins semble difficile à réaliser, mais logique puisqu'elle prévoit l'organisation en réseau de lignes déjà posées sur les deux continents.
En 1859, une concession canadienne permet à Collins de fonder la Transmundane Telegraph Company; le plan original vise la construction d'une ligne partant de Montréal et traversant la Province du Canada, le territoire de la Compagnie de la Baie d'Hudson, la Colombie Britannique et le Yukon, avant de toucher l'Asie en passant par l'Alaska qui appartient à la Russie. La liaison avec la Californie, effectuée en 1860 par la Western Union, et la réaction d'opposition au plan de Collins exprimée par le British Colonial Office, nuisent à la réalisation du projet. Une filiale de la Western Union, la California State Telegraph Company, étend son réseau vers le nord jusqu'à Westminster (Colombie-Britannique), en 1864. On obtient une concession du gouvernement de la Colombie-Britannique et, la Western Union, qui dirige maintenant le projet, procède à une émission spéciale d'actions pour la construction «du prolongement des lignes russes». À l'exemple de Gisborne, Collins se retire au moment où les investisseurs prennent la direction des travaux. En 1865, des études sont effectuées en Colombie-Britannique, en grande partie par des militaires autrefois membres du personnel de la Western Union. On rassemble les matériaux de construction nécessaires. Les difficultés et les obstacles physiques auxquels font face les équipes d'étude et de construction sont impressionnants, et l'hiver exige d'interrompre temporairement les travaux. La nouvelle de la rupture du câble transatlantique, en 1865, stimule l'activité qui se poursuit sans interruption jusqu'au milieu de l'été 1866. Mais la liaison transatlantique est établie peu après et le projet amorcé en Colombie-Britannique, maintenant inutile, est abandonné. Il reste une ligne complète posée au nord de Hazelton, ainsi que des hommes et des provisions en divers points plus au nord, sur la route longeant la ligne télégraphique.
Le principal objectif n'a pas pu être atteint, mais la Western Union Russian Extension Telegraph conserve sa valeur pour la Colombie-Britannique: grâce à cette compagnie, on communique avec le reste du monde par l'intermédiaire des installations californiennes. Les villes de Victoria et de New Westminster ne dépendent plus uniquement des navires en matière de communications, l'exploration des territoires intérieurs va bon train et une ligne dessert les mines d'or du centre. Au nord de Quesnel, les lignes sont abandonnées, mais elles serviront au moment de la ruée vers l'or du Yukon. Peu intéressée à exploiter des liaisons non rentables, la Western Union les loue à la colonie de la Colombie-Britannique, en 1871. Ces lignes sont plus tard prises en charge par le gouvernement fédéral au moment de l'entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération; elles sont finalement vendues en bloc, en 1881.
Les années 1860 amènent de nouveaux développements qui donnent lieu à des tentatives d'amélioration des communications en Amérique du Nord britannique, entre l'Est et l'Ouest. Les Canadiens, partisans de l'expansionnisme, considèrent les possibilités du vaste territoire de l'Ouest alors sous l'emprise de la Compagnie de la Baie d'Hudson, et les fonctionnaires du Colonial Office jettent un regard intéressé aux plans de télégraphes et de câbles dont l'exploitation pourrait servir les intérêts de l'Empire. En 1863, des investisseurs britanniques, désireux d'exploiter les ressources de cette région, négligées au profit du commerce des fourrures, font l'acquisition de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Le docteur John Rae effectue alors, pour leur compte, une étude du territoire situé entre Fort Garry et Jasper House afin de déterminer, entre autres, s'il est possible d'y faire passer une ligne télégraphique. Son rapport étant favorable, tout le matériel nécessaire à la construction de la ligne est réuni à Fort Garry. Toutefois, le projet est sans cesse remis au cours de négociations qui aboutissent finalement à l'acquisition, par un Canada réorganisé, des terres de l'Ouest et du matériel appartenant aux investisseurs britanniques. Au même moment, le financier canadien Edward Watkin met à profit ses investissements dans le chemin de fer Grand Tronc et le soutien que lui procure le gouvernement canadien afin d'obtenir une concession pour créer l'Atlantic and Pacific Transit and Telegraph Company. Cette entreprise doit permettre la liaison, d'abord par télégraphe et ensuite par route, du Canada d'alors avec la côte du Pacifique. Mais, en 1870, lorsque le gouvernement fédéral se porte acquéreur du territoire de Rupert et des Territoires du Nord-Ouest, il n'existe encore aucune liaison télégraphique, malgré tous les efforts déployés.
La révolte de Riel à Red River, la menace permanente que constitue le mouvement Fenian et le désir d'avoir une autorité réelle sur les terres de l'Ouest mènent à l'établissement rapide par le gouvernement canadien d'une liaison télégraphique avec l'Est. La Northwestern Telegraph Company termine une ligne entre le Minnesota et le Manitoba, en novembre 1871, à l'aide du matériel préalablement rassemblé par la Compagnie de la Baie d'Hudson. Jusqu'à l'achèvement du réseau du Canadien Pacifique, les seules lignes télégraphiques reliant la Colombie-Britannique, le Manitoba, les Territoires du Nord-Ouest et l'Est canadien relèvent descompagnies américaines de télégraphe.
De 1874 à 1879, le gouvernement canadien établit dans les Territoires du Nord-Ouest, par l'intermédiaire d'entrepreneurs privés, une ligne unique reliant Edmonton à Fort William, le long de la route que doit suivre le chemin de fer tant attendu du Canadien Pacifique. L'étude du tracé des lignes télégraphiques commandées par le gouvernement fédéral est dirigée par Sandford Fleming, partisan farouche d'un développement vraiment organisé des communications vers les régions isolées, grâce à la construction successive de lignes télégraphiques, de routes et de chemins de fer. La liaison télégraphique fédérale qui doit, selon les plans originaux, relier également Kamloops à Edmonton, mais qui n'est jamais achevée, rompt cependant l'isolement total que connaissent certaines communautés de l'Ouest telles que Battleford et Edmonton.
On ne peut malheureusement pas compter sur cette ligne car les distances énormes, les conditions climatiques difficiles et la mauvaise qualité des matériaux de construction compromettent son utilisation. Dans l'Ouest, il faut donc attendre les années 1880 pour disposer d'une communication télégraphique réelle.
Fusionnement
En 1881 s'amorce le fusionnement des liaisons télégraphiques détenues et exploitées par le gouvernement canadien, avec la création du Government Telegraph and Signal Service, organisme énergiquement dirigé par Gisborne. On procède à l'achat de l'avoir de la Western Union en Colombie-Britannique. De longues sections de lignes non rentables situées dans les Territoires du Nord-Ouest sont soit abandonnées, soit remises au Canadien Pacifique récemment constitué. Le gouvernement s'engage dans un programme important de reconstruction et d'expansion du réseau télégraphique dans les régions que les entreprises privées de télégraphe ne considèrent pas rentables. Grâce à cette initiative gouvernementale, le télégraphe atteint de nouveaux établissements et des réserves amérindiennes du Nord-Ouest, il dessert certaines industries d'exploitation des ressources et les lies de la Colombie-Britannique. Des câbles et des lignes terrestres relient les communautés longeant la rive nord du Saint-Laurent; enfin des câbles rejoignant les Îles et les phares permettent d'aider les bateaux à se diriger, et de leur transmettre les nouvelles météorologiques. Ces services, de même que les services télégraphiques établis dans les postes des organisations gouvernementales, les postes de la Police montée du Nord-Ouest et les stations d'immigration et de mise en quarantaine, fonctionnent pour le seul bénéfice de la population et ne sont à aucun moment commercialement rentables.
La première liaison télégraphique transcanadienne allant d'un océan à l'autre est l'oeuvre du Canadien Pacifique: le public peut l'utiliser dès janvier 1887. Ce réseau comprend les lignes achetées au gouvernement en vertu d'une entente de nature générale, les lignes construites par l'entreprise et les lignes louées à celle-ci par d'autres entreprises. Il existe ainsi pour la première fois un service entièrement commercial desservant le Canada d'un bout à l'autre, et on peut même communiquer avec la Grande-Bretagne et l'Europe suite à un accord du Canadien Pacifique avec la Commercial Cable Company. Au moment de la mise en service de ce réseau, le Canadien Pacifique ne compte qu'une rivale importante: la Great Northwestern Telegraph Company. Cette importante entreprise télégraphique est née des efforts d'Erastus Wiman (1834-1904) qui, dans les années 1860, n'avait pas réussi à établir une liaison entre le Canada d'alors et la cote du Pacifique. Wiman dirige ses affaires à partir de New York. Il devient, en 1881 président de la Great Northwestern établie au Manitoba; cette compagnie a obtenu en 1880 une concession lui permettant d'exploiter des lignes dans les Territoires du Nord-Ouest et lui conférant du même coup des pouvoirs extraordinairement vastes d'expansion par fusionnement, location ou achat.
Profitant d'une alliance amicale avec l'imposante Western Union Telegraph Company, Wiman réussit à lui acheter la Dominion Telegraph Company créée en 1871 et détentrice d'avoirs importants dans l'Est canadien. Mais il ne parvient pas à acquérir les droits sur les lignes télégraphiques du Canadien Pacifique, lorsqu'il décide de mettre sur pied une société commerciale distincte. Il arrive toutefois, en exerçant des pressions, à louer la Montreal Telegraph Company. Toutes les possessions de ces entreprises sont rassemblées pour former un réseau télégraphique qui compte, en 1884, 1 992 bureaux, 3 027 employés et 22 507 milles (36,236 km) de lignes télégraphiques. La Great Northwestern Telegraph Company exploite alors des lignes touchant plus de trente-cinq compagnies différentes de chemins de fer.
Vers le milieu des années 1880, le Canada est desservi par un réseau télégraphique très important qui relie les principaux centres provinciaux à Ottawa, en plus de permettre une liaison avec le Nord-Ouest et avec les principales îles situées au large des cotes de l'Atlantique et du Pacifique. C'est seulement après la création de la Confédération que l'on parvient à vaincre l'indifférence régionale et les obstacles matériels. Cette victoire permet de mettre un terme à la dépendance auparavant complète du pays qui devait compter sur les installations télégraphiques américaines pour les communications intercoloniales. En effet, malgré les quelques efforts déployés dans le passé, le principal motif du développement du télégraphe électrique au sein des Provinces maritimes et de la Colombie-Britannique résidait dans la volonté d'établir une liaison télégraphique entre l'Europe et les États-Unis.
Cette tendance au fusionnement des entreprises existantes, encouragée ultérieurement par des dispositions plus libérales des concessions faites aux compagnies, engendre la mise sur pied d'un réseau télégraphique canadien reposant sur deux entreprises concurrentes d'envergure, quelques petites entreprises régionales et le réseau télégraphique installé par le gouvernement dans les régions isolées. Au Canada, les lignes commercialement rentables appartiennent au secteur privé et font partie du réseau des entreprises américaines de transmission par câble et télégraphe. À ce chapitre, le Canada est le seul pays de l'Empire britannique qui ait adopté ce genre d'organisation: dans tous les autres pays, les réseaux télégraphiques intérieurs appartiennent presque entièrement à l'État et relèvent habituellement du bureau de poste. La création du réseau télégraphique canadien contribue beaucoup à l'unité de la nation vers la fin du XIXe siècle, à un moment où, dans les régions, se manifeste souvent un fort esprit de dissension.
Les répercussions des communications télégraphiques
Au Canada, la presse est le premier élément important, dans l'ensemble du réseau des moyens de communications, que l'avènement du télégraphe électrique modifie considérablement. Les manchettes des journaux qui jadis annonçaient de petits événements locaux en les amplifiant, ou présentaient sous la rubrique de l'actualité internationale des nouvelles vieilles de plusieurs semaines ou même de quelques mois, sont maintenant nourries de toute une variété de renseignements de dernière heure, provenant de tous les coins du monde. La population canadienne est ainsi mise au courant de ces événements presque le jour même où ils se produisent. Un service aussi rapide crée un besoin exprimé très directement par la population lorsque, par exemple, les communications sont interrompues pour un certain temps. Dans les premières années du télégraphe, les télégraphistes deviennent une source officieuse d'information: on leur doit souvent la première annonce d'un événement local important, aussi bien que celle des grands faits survenus dans le monde. En temps de crise politique, d'élections, de guerre ou de désastre naturel, les foules canadiennes ont l'habitude, au milieu du XIXe siècle, de s'amasser devant les bureaux du télégraphe pour obtenir les dernières nouvelles. Ce moyen de communication entraîne certaines répercussions sur la langue, le style littéraire et même sur la nature des sujets discutés.
La publicité devient une autre forme d'actualité. L'existence d'un réseau télégraphique national permet la création d'importantes entreprises de vente par la poste telles que la Compagnie de la Baie d'Hudson à Winnipeg, T. Eaton à Toronto et Woodward à Vancouver. Ces entreprises suivent l'exemple de la maison américaine R.W. Sears et se servent du télégraphe pour coordonner efficacement le mouvement important des marchandises, à partir des zones de production jusqu'aux centres de distribution.
Le domaine de la production est également touché par l'implantation du télégraphe: les commandes faites aux centres régionaux parviennent rapidement aux installations de production, ce qui permet une meilleure planification et le respect d'un calendrier plus précis dans toute une gamme d'industries, depuis les minoteries et les brasseries jusqu'aux entreprises de fabrication de matériel agricole. Situées dans des régions isolées, les industries d'exploitation des ressources naturelles, mines, camps de coupe de bois et conserveries, sont toujours les premières à demander le prolongement du réseau télégraphique permettant ainsi une plus grande centralisation de la direction et une exploitation plus efficace. Les institutions financières qui soutiennent les transactions commerciales sont également touchées. Il devient courant d'effectuer des opérations bancaires par télégraphe. Le crédit est accepté ou refusé après une simple vérification, sur-le-champ, de la solvabilité du client. Pour assurer le secret des communications, les banques canadiennes adoptent des codes complexes qui leur permettent d'effectuer leurs opérations financières par télégraphe, en toute quiétude. Les marchés des denrées et des valeurs prennent de l'expansion et augmentent leur roulement grâce à la liaison directe des centres régionaux par des lignes privées utilisées essentiellement pour le règlement de ces affaires.
Vers le milieu des années 1850, la coordination par télégraphe des activités ferroviaires est courante au Canada, en dépit du scepticisme qui régnait auparavant à cause de la qualité médiocre des lignes et du matériel d'installation. La coordination du mouvement des trains et l'établissement de leur horaire comptent maintenant parmi les services importants assurés par le télégraphe, grâce auquel le train devient un moyen de transport plus sur et plus ponctuel. Par ailleurs, on parvient à accélérer le mouvement des trains ce qui provoque de nombreuses demandes d'uniformisation des différents systèmes d'enregistrement du temps. Avant l'adoption de l'heure normale, la coordination du mouvement des trains était une tache beaucoup plus difficile qu'aujourd'hui. En somme, l'adoption de l'heure normale rendue nécessaire à l'exploitation des systèmes ferroviaires, est définitivement réalisée grâce au télégraphe.
Nombreux sont les développements et les innovations moins évidents que le télégraphe électrique permet au milieu du XIXe siècle. Le télégraphe sert, entre autres, à l'arpentage et à la cartographie en transmettant des signaux horaires très précis qui aident à déterminer la position exacte des premiers méridiens et des frontières internationales et provinciales. Les données météorologiques sont souvent recueillies, sur un vaste territoire, grâce aux observations des télégraphistes, assurant ainsi pour la première fois l'établissement de modèles et la formulation de prévisions. Reliées très tôt par télégraphe, les stations de sauvetage des cartes de l'Atlantique et du Pacifique peuvent au XIXe siècle venir rapidement en aide aux nombreux naufragés. Le Saint-Laurent et les Grands Lacs sont également desservis par un système semblable. Le gouvernement fédéral se charge habituellement de fournir ces services.
Depuis l'utilisation du télégraphe pour la mise en vigueur des lois, les criminels ne peuvent plus courir plus vite que la nouvelle de leurs crimes. On réussit, en effet, à appréhender les les fuyards aux postes frontaliers et à empêcher l'entrée au pays de criminels réputés. Au Canada, l'utilité du télégraphe dans le domaine militaire est clairement démontrée au cours des invasions dirigées par le mouvement Fenian, dans les années 1860, et plus tard lors de la révolte de Riel, en 1885. En effet, c'est l'utilisation du réseau télégraphique qui permet alors de centraliser la coordination des forces militaires.
Il est pratiquement impossible de déterminer avec précision l'influence du télégraphe sur les communications personnelles. Dans ce domaine, les tarifs étant élevés et le réseau peu étendu à l'origine, on limite l'usage du télégraphe à l'envoi de messages très importants, mais dans les années 1880 les tarifs baissent au point de mettre le télégraphe à la portée de tous les citoyens. Si l'on examine les statistiques émises à cette époque au sujet des.messages, on constate une augmentation effarante de l'utilisation du télégraphe par la population. Jusqu'au moment où le téléphone devient l'instrument des communications personnelles, d'abord locales puis régionales, dans les années 1880, le télégraphe demeure le moyen couramment utilisé pour l'échange des souhaits d'anniversaire, l'annonce des naissances et des décès, les demandes d'argent, les plaintes au gouvernement et même les voeux de Noël. Tous ces messages et bien d'autres, les plus divers, contribuent à vaincre, au Canada, les distances et les obstacles géographiques qui jusqu'ici préservaient l'isolement régional.
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