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Text File  |  1994-06-10  |  44KB  |  141 lines

  1. LA VIE AUX D╔BUTS DE LA CLASSE OUVRI╚RE DANS LES PRAIRIES 
  2.  
  3. Joe Cherwinski 
  4.  
  5.      MΩme si on n'y voit qu'une seule rΘgion homogΦne, les trois provinces des Prairies -- le Manitoba, la Saskatchewan et l'Alberta -- montrent une trΦs grande diversitΘ gΘographique. Elles prΘsentent des contrastes naturels, qu'il s'agisse des plaines, des montagnes, des forΩts ou des dΘserts, et leur Θvolution historique a laissΘ d'immenses rΘgions sauvages α peine peuplΘes en mΩme temps qu'elle donnait naissance α des centres commerciaux pleins d'animation. Avant la PremiΦre Guerre mondiale, le caractΦre de la main-d'oeuvre diffΘrait aussi d'une province α l'autre. En 1911, par exemple, l'agriculture employait 64 pour cent des travailleurs en Saskatchewan et seulement 39 pour cent au Manitoba; en outre, tandis que la population de la Saskatchewan prenait un caractΦre de plus en plus rural, l'urbanisation du Manitoba s'accroissait. Les industries de fabrication employaient 8,4 pour cent des ouvriers au Manitoba, mais seulement 3,2 pour cent en Saskatchewan. Le rapport entre population rurale et population urbaine Θtait stable en Alberta, province o∙ l'exploitation forestiΦre jouait par ailleurs un r⌠le important dans l'Θconomie.
  6.  
  7.      Si l'on constate des diffΘrences importantes, il reste qu'on peut avancer certaines idΘes gΘnΘrales sur les Prairies et les ouvriers qui y vivaient. Lorsque le chemin de fer unissant le Canada central α l'Ouest fut parachevΘ, le blΘ Θtait le principal produit agricole, celui qui rendit possible la colonisation et le dΘveloppement continus de la rΘgion. Bien que le type d'expΘrience vΘcu par cette sociΘtΘ de nouveaux arrivants dΘpendεt dans une large mesure des saisons et des vicissitudes d'une Θconomie fondΘe sur la monoculture, les Prairies offraient des perspectives virtuellement illimitΘes durant la pΘriode d'expansion Θconomique qui dura, grosso modo, du milieu des annΘes 1880 jusqu'α la PremiΦre Guerre mondiale.
  8.  
  9.      Durant l'ΘtΘ, lorsque les ouvriers accomplissaient de longues heures d'un travail fΘbrile, le manque de main-d'oeuvre devenait chronique dans tous les secteurs de l'Θconomie des Prairies. On fit bien des efforts pour accroεtre la productivitΘ grΓce aux perfectionnements technologiques, mais l'immigration fut le moyen choisi en fin de compte pour satisfaire α la demande immΘdiate de travailleurs. Les gouvernements fΘdΘral et provinciaux et les administrations locales recrutΦrent des immigrants en prΘsentant les Prairies comme un pays d'abondance. On axa la publicitΘ sur la facilitΘ d'obtenir des terres, des ressources et des emplois; les ouvriers et les ouvriΦres furent ainsi appΓtΘs par ce qu'ils percevaient comme la chance d'amΘliorer leur sort. Ils vinrent de l'Θtranger avec la conviction que l'imagination, les sacrifices et un travail acharnΘ les soustrairaient α la vie morne et α l'exploitation qu'ils avaient connues dans leur milieu d'origine. La mystique des Prairies canadiennes venait de sa nouveautΘ et de sa promesse de prospΘritΘ et de prestige.
  10.  
  11.      Ces immigrants introduisirent, dans la sociΘtΘ qui commenτait α naεtre dans les Prairies, les idΘes, les coutumes et la pratique acquises dans leur patrie. Si ces ΘlΘments avaient de nombreuses applications, ils n'en constituaient pas moins une source de confusion, de division, d'hostilitΘ et de conflit. Lorsqu'il devint Θvident que seul un trΦs petit nombre pouvait faire fortune rapidement, les autres cherchΦrent consolation et appui dans leur propre communautΘ ethnique, tout en adaptant peu α peu leur bagage culturel aux circonstances nouvelles.
  12.  
  13.      L'une des rΘalitΘs de la vie dans les Prairies Θtait que l'Θconomie fondΘe sur le blΘ imposait aux ouvriers un rythme saisonnier de sorte que, durant les hivers rigoureux, il y avait peu d'occasions de gagner de l'argent. Peu α peu, un nombre important de travailleurs en vinrent α se considΘrer comme formant une classe distincte de leurs employeurs. Ils s'aperτurent que d'autres se trouvaient dans la mΩme situation, et cette prise de conscience eut une importance dΘcisive dans l'Θmergence d'une classe ouvriΦre tout α fait particuliΦre α l'Ouest canadien et qui, surtout aprΦs la PremiΦre Guerre mondiale, s'est manifestΘe comme une force α la fois sociale et politique.
  14.  
  15. Les premiers ouvriers dans les Prairies 
  16.  
  17.      L'exploitation commerciale des ressources naturelles et humaines commenτa dans les Prairies avec les activitΘs de la Compagnie de la baie d'Hudson, dont le seul objectif Θtait de faire avec profit le commerce des fourrures. Monopole d'origine britannique, elle domina ses concurrents dΦs le dΘbut du XIXe siΦcle; premier employeur de la rΘgion, elle embauchait tant les gens du pays que les immigrants. Dans ses postes dissΘminΘs sur tout le territoire de la terre de Rupert, des employΘs pour la plupart britanniques exΘcutaient toutes sortes de tΓches liΘes au rassemblement, α l'emballage et au transport des fourrures. Plus nombreux encore, les simples ouvriers, dont certains venaient d'Europe et beaucoup des populations amΘrindiennes et mΘtisses de la rΘgion, accomplissaient pour la compagnie des travaux ennuyeux et difficiles dans des conditions de vie spartiates. Ces hommes, faute de mieux, continuaient gΘnΘralement de travailler pour la Compagnie de la baie d'Hudson jusqu'α la retraite. Cette sociΘtΘ n'assumait aucune responsabilitΘ concernant leur bien-Ωtre lorsqu'ils ne travaillaient plus pour elle.
  18.  
  19. Les travailleurs du rail 
  20.  
  21.      La crΘation de la ConfΘdΘration fut suivie d'une exploitation plus systΘmatique des ressources des Prairies, grΓce aux efforts considΘrables faits pour amΘliorer les communications entre le Centre et l'Ouest du Canada. La Politique nationale, avec l'importance qu'elle accordait α la colonisation de l'Ouest et aux transports, devint un des instruments de l'intΘgration de cette rΘgion. Entre 1880 et la PremiΦre Guerre mondiale, les chemins de fer employΦrent un pourcentage assez considΘrable des travailleurs immigrΘs pour la construction de trois lignes transcontinentales et d'innombrables lignes secondaires. Pour l'immigrant, le travail pour les chemins de fer constituait souvent un premier emploi servant α recueillir des fonds pour une autre entreprise, le plus souvent l'Θtablissement sur une concession.
  22.  
  23.      La construction des chemins de fer comportait des travaux divers allant des tΓches les plus simples aux travaux de spΘcialistes tels que les arpenteurs et les ingΘnieurs. Les terrassiers immigrΘs fournissaient la force physique nΘcessaire pour les travaux pΘnibles, tandis que ceux qui parlaient anglais obtenaient gΘnΘralement les meilleurs postes. Tous devaient travailler de longues heures et devaient supporter les variations climatiques extrΩmes des Prairies. Les accidents Θtaient frΘquents, surtout dans les montagnes o∙ des hommes furent tuΘs et blessΘs par les Θboulements ou par le mauvais usage des explosifs.
  24.  
  25.      Les campements de travailleurs consistaient en tentes, en baraquements provisoires pourvus de couchettes ou en wagons couverts transformΘs en logement. On ne prΩtait aucune attention aux plaintes concernant l'encombrement des locaux, la nourriture mΘdiocre et les mauvaises conditions d'hygiΦne. Selon Thomas Shaughnessy, prΘsident de la Compagnie de chemin de fer du Pacifique canadien, ½les hommes qui cherchent α travailler α la construction des chemins de fer sont, en rΦgle gΘnΘrale, de ceux qui sont habituΘs α vivre α la dure. Ils savent, lorsqu'ils viennent travailler, qu'ils doivent s'accommoder des conditions de logement les plus primitives╗. Il Θtait facile, dans les campements isolΘs des travailleurs, de mettre fin aux arrΩts de travail par lesquels les hommes manifestaient leur mΘcontentement. Au besoin, la police intervenait pour que le programme de travail Θtabli par les entreprises se poursuive comme prΘvu.
  26.  
  27.      Les conditions de vie pouvaient Ωtre mauvaises, le travail dur et dangereux, mais il n'en reste pas moins que les salaires versΘs aux travailleurs pour la construction du chemin de fer semblaient intΘressants. Pourtant, dΘduction faite par les entreprises des frais de pension, de location de couvertures, de transport α destination et α partir du lieu de travail ainsi que des frais mΘdicaux, il restait peu de chose aux travailleurs α la fin de la saison. Lorsque celle-ci se terminait au dΘbut de l'hiver, les hommes, licenciΘs, devaient chercher du travail ailleurs.
  28.  
  29.      L'entretien des chemins de fer Θtait, par comparaison avec leur construction, une tΓche moins dangereuse, mais on y employait aussi moins de gens. Lα encore, les travailleurs devaient se dΘbattre avec les traverses et les rails et dΘplacer α la pelle des tonnes et des tonnes de mΦtres cubes de ballast mais, d'habitude, ils Θtaient directement engagΘs par une compagnie de chemin de fer, plut⌠t que par un entrepreneur. Les conditions de vie Θtaient en gΘnΘral meilleures, car la plupart des ouvriers chargΘs de l'entretien pouvaient rentrer chez eux chaque soir.
  30.  
  31.      Pour des centaines d'employΘs des services et des ateliers, la gare ou la rotonde devint le centre de l'existence active. Les prΘposΘs aux billets, bagagistes, employΘs des messageries et commis, qui vivaient habituellement prΦs des voies ferrΘes, travaillaient soit dans de petites localitΘs dotΘes d'une seule gare, soit dans d'importantes localitΘs de limite divisionnaire, telles que Winnipeg ou Calgary. Dans les grands centres, les ouvriers des ateliers de rΘparation: chaudronniers, machinistes et charpentiers, faisaient partie des milliers d'ouvriers employΘs par les chemins de fer.
  32.  
  33.      Les membres du personnel roulant, et notamment les chauffeurs, les serre-freins et les chefs de train, amΘliorΦrent leur situation grΓce α la crΘation de syndicats puissants, mais ce furent les mΘcaniciens qui, non sans suffisance, se considΘrΦrent comme l'Θlite des travailleurs du rail. En raison des compΘtences requises et des responsabilitΘs qu'entraεnait leur travail, ils rΘussirent α obtenir de bons salaires et une certaine sΘcuritΘ grΓce α leur haut niveau d'organisation.
  34.  
  35. Les ouvriers agricoles 
  36.  
  37.      En dΘpit de leur importance pour l'Θconomie, les ouvriers agricoles saisonniers Θtaient tenus, tout comme les terrassiers, pour un mal nΘcessaire. L'agriculture Θtait la principale industrie de la rΘgion, mais pour les agriculteurs, la main-d'oeuvre agricole n'Θtait qu'un autre facteur contribuant aux frais de production du blΘ. ╔tant donnΘ que l'agriculture ne requΘrait une forte concentration de main-d'oeuvre qu'au printemps et α l'automne, les ouvriers agricoles embauchΘs α plein temps Θtaient relativement peu nombreux. Le recensement de 1911 ne comptait en moyenne qu'un seul journalier pour quatre propriΘtaires ou rΘgisseurs d'exploitations agricoles dans les Prairies, et l'on ne sait du reste pas combien de ces ouvriers travaillaient α plein temps. Comme les immigrΘs concessionnaires d'exploitations agricoles (lots de terre de 160 acres, les ½homesteads╗) comptaient sur leurs proches pour minimiser les frais, les agriculteurs anglophones bien Θtablis qui possΘdaient de plus grandes Θtendues de terrain Θtaient α peu prΦs les seuls α embaucher des ouvriers permanents. (Pour connaεtre le r⌠le des enfants dans le travail agricole, on consultera le volume 32 de l'Histoire du Canada en images, La migration d'enfants britanniques.)
  38.  
  39.      Le salaire touchΘ par l'ouvrier agricole Θtait rarement proportionnΘ α sa compΘtence. Le travail du journalier, qui exigeait une connaissance des soins α donner au bΘtail et de la conduite non seulement des instruments attelΘs, mais aussi des nouveaux appareils fonctionnant α l'essence, l'obligeait α passer de longues heures dans un milieu isolΘ. L'ouvrier employΘ α plein temps dans une ferme n'endurait souvent son travail que le temps voulu pour perfectionner les techniques agricoles ou pour trouver un emploi plus satisfaisant.
  40.  
  41.      Les femmes des agriculteurs contribuΦrent largement α l'exploitation agricole des Prairies sans obtenir de rΘmunΘration financiΦre. En 1911, les femmes Θtaient encore moins nombreuses du tiers par rapport aux hommes et elle Θtaient donc trΦs recherchΘes pour servir de compagnes et faire des enfants. Les jeunes agriculteurs reconnaissaient Θgalement qu'en laissant les femmes s'occuper du bΘtail et de la basse-cour, il devenait possible d'Θtendre le champ des activitΘs agricoles. Les colons concessionnaires provenant du continent europΘen Θtaient reconnus pour leur opinion que les femmes pouvaient trimer aussi longtemps et aussi Θnergiquement que les hommes tout en assumant les travaux mΘnagers et en s'occupant des enfants. Les agriculteurs anglophones suffisamment bien Θtablis embauchaient des domestiques ou des aides familiales pour libΘrer leurs femmes; mais la demande de ces employΘes Θtait toujours supΘrieure α l'offre.
  42.  
  43.      C'est ainsi qu'au Manitoba, il y avait au moins deux postes vacants pour chacun des cinq mille domestiques recensΘs dans cette province en 1908. De concert avec divers groupes religieux, les gouvernements fΘdΘral et provincial rΘagirent α cette demande par de vigoureuses campagnes de recrutement. Ces efforts concertΘs eurent pour effet d'attirer de nombreuses femmes dans les Prairies, mais tout comme les journaliers, elles Θtaient souvent rebutΘes par les maigres salaires (en 1914, les gages Θtaient de 15$ α 21$ par mois, pension comprise), par la solitude et l'ennui de la ferme. Comme la plupart venaient de villes britanniques, elles Θtaient attirΘes par les villes des Prairies qui leur offraient des heures de travail plus courtes, de meilleurs salaires, des logements plus confortables et une vie sociale plus intΘressante.
  44.  
  45.      La trΦs grande majoritΘ des ouvriers agricoles Θtaient employΘs comme saisonniers ou α temps partiel. Certains travaux α court terme tels que le dΘbroussaillement, le ramassage des pierres et l'installation des cl⌠tures Θtaient mal payΘs, tandis que les travaux associΘs α la rΘcolte Θtaient bien rΘmunΘrΘs. De nombreux travailleurs urbains en ch⌠mage saisonnier comptaient sur l'argent que procuraient les travaux de rΘcolte pour passer l'hiver. MΩme la construction ferroviaire venait parfois prΦs de s'interrompre lorsque les ouvriers laissaient leur travail en plan pour faire la moisson.
  46.  
  47.      L'embauche et la rΘpartition de milliers de moissonneurs Θtaient d'une importance capitale pour le bien-Ωtre Θconomique de la rΘgion tout entiΦre. On parcourait les villes pour rΘunir la main-d'oeuvre disponible et les compagnies de chemin de fer organisaient des excursions spΘciales α partir de l'Ontario, du QuΘbec et des Maritimes pour rΘpondre α la demande crΘΘe par les moissons. Le point culminant fut atteint en 1911, lorsque le ½train de la moisson╗ emmena trente-trois mille ouvriers dans les Prairies. On allait chercher les moissonneurs jusqu'aux ╔tats-Unis et en Grande-Bretagne et en 1906, plus de quinze mille Britanniques vinrent offrir leurs services. L'argent exerτait un puissant attrait.
  48.  
  49.      Comme il fallait faire vite pour moissonner dans les Prairies, les agriculteurs offraient plusieurs fois le tarif usuel pour attirer des travailleurs robustes. Les qualitΘs exigΘes Θtaient la force, l'endurance et suffisamment de bon sens pour Θviter les ennuis. Les moissonneurs effectuaient un travail Θreintant du lever au coucher du soleil, six jours par semaine, et se dΘplaτaient d'une ferme α l'autre suivant les besoins. Une fois que les gerbes Θtaient mises en meulettes et que le temps commenτait α se gΓter, de nombreux moissonneurs rentraient chez eux. Ceux qui restaient Θtaient attirΘs par les salaires encore plus ΘlevΘs qu'on payait pour le travail plus spΘcialisΘ du battage qui devait Ωtre effectuΘ sous la menace constante des premiers gels. Si le mauvais temps n'avait pas entraεnΘ de longues pΘriodes sans travail et si le battage n'avait pas ΘtΘ remis au printemps par suite d'un hiver prΘcoce, la plupart des travailleurs rentraient chez eux au terme de la moisson, en octobre ou en novembre, satisfaits des revenus amassΘs.
  50.  
  51. Les ouvriers de l'industrie du bois de construction 
  52.  
  53.      Les hommes qui ne retournaient pas dans l'Est pour l'hiver ou qui n'allaient pas peupler les villes des Prairies se rendaient souvent travailler dans les chantiers d'abattage du nord. En 1908, α l'Θpoque o∙ une industrie de la construction vigoureuse Θdifiait des villes champignons, trois mille hommes produisirent, dans la seule rΘgion de Prince Albert en Saskatchewan, 177 000 mΦtres cubes (75 000 000 pieds-planche) de bois de construction. ╔tant donnΘ le climat rigoureux du nord caractΘrisΘ par des tempΘratures oscillant des semaines durant entre -30 C et -40 C, l'exploitation forestiΦre Θtait une entreprise difficile et dangereuse. GΩnΘs dans leurs mouvements pas des vΩtements lourds, les b√cherons devaient abattre les arbres dans la neige profonde. MΩme si les journΘes de travail Θtaient plus courtes en hiver, la plupart des travailleurs attendaient avec impatience le retour du printemps et la fin de leur isolement.
  54.  
  55.      Certains saisonniers Θtaient sans doute familiarisΘs avec la vie des chantiers de travail, mais pour le novice, les baraquements construits par les sociΘtΘs d'exploitation forestiΦre Θtaient d'un confort bien maigre. Non seulement ils offraient une mauvaise protection contre le froid, mais l'air de l'intΘrieur Θtait chargΘ de relents de saletΘ, de fumΘe et de vΩtements sales.
  56.  
  57. Les mineurs 
  58.  
  59.      Beaucoup d'ouvriers des Prairies cherchaient α travailler dans les mines en hiver, si bien que chaque printemps, les travailleurs quittaient en masse les villes miniΦres dans un exode semblable mais moins considΘrable que celui des chantiers d'abattage. Des travailleurs migrants Θtaient employΘs dans les mines, mais la majoritΘ des mineurs saisonniers semblent avoir ΘtΘ des concessionnaires d'exploitation rurale qui vivaient dans le voisinage de la mine.
  60.  
  61.      Trois mineurs de charbon sur quatre travaillaient sous terre dans un espace rΘduit sujet aux affaissements et aux explosions. Des garτons de dix α dix-sept ans Θtaient employΘs comme perriers, comme graisseurs, comme aiguilleurs de chariots α charbon et comme porteurs de pics. Compte tenu du fait que l'industrie connaissait des fermetures rΘpΘtΘes et que les mineurs couraient un risque ΘlevΘ de contracter une anthracose, leur rΘmunΘration Θtait modeste. Les salaires les plus ΘlevΘs allaient aux mineurs contractuels qui Θtaient payΘs au prorata du charbon qu'ils extrayaient. Ces ouvriers Θtaient l'Θlite professionnelle des mines.
  62.  
  63.      Les trois quarts des mineurs des Prairies travaillaient en Alberta, notamment α Lethbridge, Drumheller, Edmonton et dans le Pas du Nid-de-Corbeau. En 1914, plus de huit mille mineurs produisirent dans cette province prΦs de quatre millions de tonnes mΘtriques de charbon destinΘes α alimenter les trains et α chauffer les habitations des Prairies. Bien que les mines fussent souvent situΘes dans les plus beaux endroits, le milieu dans lequel vivaient le mineur et sa famille Θtait souvent aussi morne que son lieu de travail souterrain.
  64.  
  65.      Les villes miniΦres offraient invariablement aux hommes mariΘs des maisons identiques, de petites dimensions, qui appartenaient α la compagnie, et des baraquements aux cΘlibataires. De laides bΓtisses utilitaires se pressaient autour du carreau dans un dΘcor de dΘchets minΘraux. Les mineurs Θtaient captifs du magasin de l'entreprise, cet Θtablissement profiteur dont tous dΘpendaient vu qu'il n'y avait pas d'autre endroit o∙ faire ses emplettes.
  66.  
  67.      Chose Θtonnante si l'on songe aux conditions de travail dangereuses et au dΘcor repoussant, les collectivitΘs miniΦres des Prairies jouissaient d'une stabilitΘ relative avant 1914. En regard des grΦves nombreuses et prolongΘes qui frappΦrent le secteur des mines de charbon en Colombie-Britannique et dans les Maritimes avant la PremiΦre Guerre mondiale, les manifestations publiques de mΘcontentement Θtaient rares dans les Prairies.
  68.  
  69. L'expΘrience urbaine 
  70.  
  71.      Les cΘlibataires en particulier Θtaient attirΘs par les villes. Un agriculteur mΘcontent qui avait ΘtΘ incapable de retenir sa main-d'oeuvre se plaignait en ces termes :
  72.  
  73.      Les villes Θtaient illuminΘes; il y avait des gens, des spectacles de cinΘma, des tavernes, des music-halls, des Θglises, de la vie et de la lumiΦre Θlectrique. La ville offrait du travail bien rΘmunΘrΘ; et l'horaire Θtait rΘgulier, c'est-α-dire tant d'heures de travail par jour, ni plus ni moins. Les soirs de la semaine et les dimanches Θtaient consacrΘs aux plaisirs et α la satisfaction Θgo∩ste des appΘtits.
  74.  
  75.      DΦs 1911, 36 pour cent de la population des Prairies vivaient dans les villes qui fournissaient les biens et les services α la campagne environnante. Le principal centre urbain, Winnipeg, desservait la rΘgion toute entiΦre, tandis que Saskatoon, Regina, Moose Jaw, Edmonton et Calgary rΘpondaient aux besoins locaux.
  76.  
  77.      Pour les travailleurs migrants, la ville Θtait un centre de recrutement pour le travail sur les chemins de fer, dans la forΩt et sur la ferme, ainsi qu'un refuge social contre l'isolement rural. Mais si l'hiver sur la ferme pouvait Ωtre une pΘriode de repos pour le journalier cΘlibataire, en ville, l'hiver pouvait Ωtre une pΘriode de ch⌠mage. Une existence aisΘe n'Θtait pas garantie, et de nombreux citadins se retrouvaient Θgalement sans travail α cette Θpoque de l'annΘe. La concurrence Θtait acharnΘe et les Θtrangers α l'endroit Θtaient accueillis par une vive hostilitΘ. Si un travailleur migrant avait le malheur de ne pas trouver un emploi α court terme, il devait faire durer le plus longtemps possible les Θconomies amassΘes au cours de l'ΘtΘ. Autrement, il ne lui restait que les options humiliantes de la soupe et de la priΦre dans un foyer de l'ArmΘe du Salut ou de l'assistance municipale jusqu'au printemps.
  78.  
  79.      La langue et la compΘtence dΘterminaient non seulement la rΘmunΘration et la situation de l'ouvrier des Prairies, mais Θgalement s'il serait ou non rΘembauchΘ α la reprise des travaux au printemps. Alors que la plupart des ½Θtrangers╗ venaient pour exploiter la terre, bon nombre d'entre eux Θtaient d'abord obligΘs de gagner leur vie dans les chantiers d'abattage, dans la construction ferroviaire ou dans l'industrie. Lorsqu'ils allaient en ville pour chercher du travail, les non-anglophones avaient tendance α se regrouper, d'o∙ vient que se formΦrent dans la plupart des villes des Prairies des ghettos d'immigrants d'Europe orientale et centrale, dont le plus cΘlΦbre se trouvait dans la partie nord de Winnipeg.
  80.  
  81.      Ignorants des coutumes canadiennes, ces immigrants Θtaient α la merci des exploiteurs et des xΘnophobes. C'est pourquoi aprΦs 1913, lorsque l'Θconomie commenτa α se dΘtΘriorer, bon nombre furent chassΘs de leurs emplois. On en voulait aux Anglais nouvellement arrivΘs, reconnaissables α leur accent et α leurs vΩtements, parce qu'ils Θtaient mieux reτus et qu'ils Θtaient gΘnΘralement dans une meilleure position. Cependant, les immigrants non-anglophones devaient se rendre compte que la confiance qu'ils plaτaient dans leur propre communautΘ ethnique ne les mettait pas α l'abri des tribulations liΘes α l'Θtablissement dans un nouveau pays. Les nouveaux venus Θtaient facilement exploitΘs par les gens de mΩme langue. Les embaucheurs sans scrupule et les escrocs les considΘraient comme des proies faciles et de nombreux immigrants payaient des loyers exorbitants pour vivre dans des ghettos. Dans ces quartiers, le surpleuplement et les insuffisances des installations sanitaires favorisaient les maladies, les ΘpidΘmies de variole survenues α Edmonton et α Winnipeg en 1904 en constituant les exemples les plus frappants.
  82.  
  83.      L'expansion urbaine qui prΘcΘda la PremiΦre Guerre mondiale permit la crΘation de quarante cinq mille emplois en 1911. EmployΘs comme briqueteurs, maτons, menuisiers, peintres, tapissiers, plombiers et chaudronniers, les ouvriers de la construction Θtaient gΘnΘralement bien rΘmunΘrΘs vu la forte demande qui existait pour leurs services. Leur capacitΘ salariale Θtait cependant limitΘe par la nature saisonniΦre du travail. PhΘnomΦne symptomatique du boom, un grand nombre d'entreprises s'employΦrent α rΘpondre α une demande apparemment insatiable de matΘriaux de construction. C'est ainsi que les fabriques de chΓssis et de portes et les briqueteries occupaient toutes une demi-douzaine d'hommes ou davantage dans les services de la production et des ventes.
  84.  
  85.      Les usines de fabrication employaient trente mille hommes (c'est-α-dire, 5,4 pour cent de la main-d'oeuvre des Prairies) en 1911, mais comparΘe α celle du centre du Canada, la capacitΘ de production des Prairies ne fut jamais trΦs considΘrable. Winnipeg Θtait la seule ville qui produisait des centaines d'articles -- allant des moteurs et des instruments de musique aux harnais et aux combinaisons de travail -- pour le marchΘ des Prairies. D'autres centres des Prairies se spΘcialisaient dans le traitement des produits agricoles. Les tanneries, les abattoirs, les crΘmeries et les minoteries employaient des centaines de personnes lorsque leurs produits Θtaient en demande et que les agriculteurs pouvaient fournir les matiΦres premiΦres.
  86.  
  87.      Les femmes qui travaillaient dans les villes occupaient des postes semi-spΘcialisΘs et non spΘcialisΘs tels que commis de magasin, couturiΦres, marchandes de modes, serveuses, caissiΦres, blanchisseuses et aides de cuisine. Certaines Θtaient employΘes dans de petites fabriques produisant des denrΘes telles que vΩtements, cigares et chocolats. En 1914, une femme d'Γge m√r touchait entre 6,50$ et 12$ par semaine pour cinquante α soixante heures de travail. Les jeunes femmes de moins de vingt et un ans gagnaient moins d'argent du fait qu'elles Θtaient censΘes vivre chez leurs parents et les employΘes de restaurant touchaient un salaire amputΘ de la valeur des repas ½gratuits╗ qu'elles prenaient au travail. MΩme les femmes qui exerτaient les professions les mieux rΘmunΘrΘes, par exemple dans l'enseignement, gagnaient beaucoup moins que l'ouvrier masculin moyen et seulement le tiers environ du salaire d'un ouvrier qualifiΘ dans le secteur de la construction. Relativement peu nombreuses Θtaient celles qui avaient la chance de recevoir une formation d'infirmiΦre et d'enseignante, et le nombre des emplois ½propres╗, par exemple au service d'une compagnie de tΘlΘphone, Θtait limitΘ.
  88.  
  89.      Le salaire de la plupart des travailleurs Θtait juste suffisant pour payer le logement, la nourriture de base et des vΩtements modestes. Beaucoup de familles comptaient sur le produit de leur jardin potager ou sur la viande et les lΘgumes fournis par des parents agriculteurs pour complΘter ce qu'ils pouvaient acheter. Avec l'aide de la famille, des voisins, des amis, des associations religieuses et, au besoin, de l'assistance municipale, les travailleurs et leur famille s'arrangeaient de leur mieux.
  90.  
  91.      Toute personne valide de plus de quatorze ans Θtait censΘe travailler; le ch⌠mage Θtait considΘrΘ comme une honte. Sur le chantier, les ouvriers Θtaient tenus de travailler rapidement et sans trΦve, et les pauses Θtaient peu nombreuses. La journΘe de travail s'Θtendait de huit heures du matin α six heures du soir, α raison de cinq jours et demi ou six jours par semaine. Les pΘriodes de repos Θtaient laissΘes α la discrΘtion de l'employeur, pour qui la paresse Θtait un vice aussi grave que l'impiΘtΘ. Pour Θviter les accidents en milieu de travail, les employΘs devaient Ωtre habiles et alertes, car l'hygiΦne et la sΘcuritΘ industrielles Θtaient mal rΘglementΘes. Le principe de l'indemnisation ne fut introduit qu'aprΦs la PremiΦre Guerre mondiale et les malheurs personnels tels que les blessures ou les maladies prolongΘes pouvaient avoir des effets dΘsastreux du point de vue financier. Dans une telle situation, les enfants les plus ΓgΘs pouvaient Ωtre obligΘs d'abandonner l'Θcole de bonne heure pour gagner leur vie.
  92.  
  93.      Au moins les Prairies Θtaient-elles exemptΘes des fumΘes et de la saletΘ des rΘgions industrielles plus anciennes, ainsi que des maladies et des problΦmes sociaux qui s'y rattachent. Les trois gouvernements provinciaux avaient beau rΘclamer α grands cris le dΘveloppement de leur secteur industriel pour affranchir leur population de la sujΘtion saisonniΦre α l'agriculture, la rΘgion des Prairies n'accueillit qu'un petit nombre d'usines.
  94.  
  95.      Dans l'espoir d'amΘliorer son sort, le travailleur typique des Prairies faisait la navette entre la ferme et l'usine de la ville. Il Θtait facile de prendre la route plus prometteuse de la ferme pour Θchapper aux frustrations de la vie urbaine lorsque le front pionnier et la ferme se trouvaient α deux pas de votre porte. AprΦs plusieurs annΘes de grande mobilitΘ, la plupart se rendirent compte qu'ils ne pourraient jamais rΘaliser une amΘlioration apprΘciable de leur condition sociale et Θconomique et finirent par s'Θtablir α la campagne ou α la ville.
  96.  
  97. Le dΘveloppement d'une conscience de classe chez les ouvriers 
  98.  
  99.      └ l'exception de Winnipeg, les agglomΘrations des Prairies Θtaient petites et le peu d'importance des villes et le faible peuplement des campagnes constituaient un double obstacle pour les travailleurs dΘsireux de se dΘfinir des objectifs communs. Ce n'Θtait lα qu'un des obstacles au dΘveloppement d'un esprit de cohΘsion chez la classe ouvriΦre. Le caractΦre du milieu naturel des Prairies et la nature du peuplement crΘΦrent presque autant de tensions parmi les travailleurs eux-mΩmes qu'entre les classes sociales.
  100.  
  101.      Les nouveaux venus avaient de la difficultΘ α communiquer entre eux en raison du nombre de langues diffΘrentes qu'ils parlaient, et dans certains secteurs il fut donc presque impossible d'unir les ouvriers et d'en faire une force grandissante grΓce α la syndicalisation. De plus, les immigrants originaires de l'Europe continentale Θtaient tellement dΘsireux d'avoir un emploi qu'ils Θtaient prΩts α accepter un niveau de vie infΘrieur α celui des travailleurs qui vivaient depuis plus longtemps dans les Prairies. Les ouvriers agricoles saisonniers ne s'intΘressaient que mΘdiocrement α leur travail, sinon mΩme α la rΘgion o∙ ils s'installaient, et certains travailleurs, notamment les immigrants de fraεche date, se raccrochaient α la croyance qu'un brillant avenir s'offrait α eux dans les Prairies. Par consΘquent, il Θtait difficile de les regrouper.
  102.  
  103.      De plus, le r⌠le jouΘ par chacun dans la sociΘtΘ Θtait plus interchangeable qu'en Europe, car il arrivait que mΩme des propriΘtaires soient obligΘs de travailler pΘriodiquement pour le compte d'autres personnes afin d'amasser les fonds qui leur Θtaient nΘcessaires. De plus, les distinctions respectΘes ailleurs s'estompaient avec l'arrivΘe de nombreux immigrants appartenant au mΩme niveau socio-Θconomique; de plus, on jugeait les gens davantage sur leur mΘrite que sur leur provenance familiale, tendance qui dΘroutait ceux qui Θtaient habituΘs α un systΦme de classes plus structurΘ.
  104.  
  105.      MalgrΘ ce facteur d'homogΘnΘisation, le contraste entre le niveau de la vie des ouvriers et celui de leurs employeurs devint plus manifeste au fur et α mesure que les villes des Prairies perdaient leur allure pionniΦre et prirent un air de stabilitΘ et de permanence. Les commerτants aisΘs se firent construire des rΘsidences confortables dans des rues ΘcartΘes, bordΘes d'arbres et jouissant des belles vues de la localitΘ. Ils faisaient partie des clubs de golf, de loisirs, de polo et d'hommes d'affaires, o∙ ils organisaient les affaires de tous en fonction de leurs propres intΘrΩts. Ils appartenaient surtout aux ╔glises anglicane, mΘthodiste et presbytΘrienne, voyaient leurs noms apparaεtre dans la rubrique mondaine des journaux et accumulaient des objets matΘriels, automobiles et maisons d'ΘtΘ, qui correspondaient α leur statut social.
  106.  
  107.      Par contre, les maisons des ouvriers Θtaient entassΘes sur des terrains Θtroits de 7,6 mΦtres (25 pieds) de large mesurΘs avec minutie par des promoteurs immobiliers rapaces. Ne pouvant se permettre l'achat d'une voiture, la majoritΘ des travailleurs vivaient prΦs de leur lieu de travail, dans la partie industrielle de la ville, o∙ les terrains Θtaient moins chers et o∙ on entendait nuit et jour le sifflement des trains et les manoeuvres d'aiguillage des wagons de marchandises. Dans ces quartiers ouvriers aux rues de gravier et aux trottoirs de bois, on se rΘunissait surtout dans les salles de billard, les tavernes des h⌠tels, les Θcoles, les Θglises, les magasins et les terrains de jeux.
  108.  
  109.      Sans doute le milieu et le style de vie traduisaient-ils le gouffre socio-Θconomique qui sΘparait l'employeur de l'employΘ, mais la dΘmarcation se faisait aussi sentir au travail o∙ l'employeur Θtablissait des contacts paternalistes avec ses subalternes plut⌠t que de leur offrir des augmentations de salaires ou d'autres avantages. Les patrons offraient des pique-niques aux employΘs et α leurs familles, finanτaient des Θquipes sportives ou de petites fΩtes pour Noδl et versaient des primes α la fin de l'annΘe, mesures courantes visant α acheter la loyautΘ des travailleurs envers l'entreprise.
  110.  
  111.      Sans que leur situation ait connu de vΘritables progrΦs, les travailleurs des Prairies prirent graduellement conscience de leur appartenance α une classe distincte, grΓce notamment α certains organismes Θtrangers, surtout britanniques, qui se consacraient traditionnellement α la classe ouvriΦre et qui s'Θtaient implantΘs t⌠t dans l'Ouest. Des sports populaires peu co√teux, comme le football association (soccer) et plus tard le base-ball, permettaient aux travailleurs d'avoir une activitΘ commune. De mΩme, des associations comme la Loge d'Orange et The Sons of England accueillirent des ouvriers, qui finirent par les dΘserter en faveur de sociΘtΘs comme les Oddfellows, les Moose et les Elks, qui, elles, Θtaient d'origine amΘricaine.
  112.  
  113. L'activitΘ syndicale 
  114.  
  115.      Une vΘritable solidaritΘ naissait parfois chez les travailleurs lorsque des patrons inhumains s'attaquaient α leur dignitΘ. DΘsireux de se protΘger contre les bas salaires, les longues heures et les mauvaises conditions de travail ainsi que d'autres abus, les travailleurs du rail furent l'un des premiers groupes d'employΘs α s'organiser. Toutefois, le militantisme des travailleurs engagΘs dans les annΘes 1880 pour construire la principale voie ferrΘe transcontinentale qui traversait les Prairies flΘchit et disparut souvent lorsqu'on fit appel α des briseurs de grΦve et α la gendarmerie α cheval pour que les travaux se poursuivent.
  116.  
  117.      Les efforts dΘployΘs par les mineurs en vue de s'organiser et de rΘclamer de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail furent relativement plus fructueux. Ils avaient l'avantage d'avoir un emploi plus stable et de plus grandes compΘtences techniques, et d'avoir aussi une conscience de classe qui s'Θtait dΘjα dΘveloppΘe en Europe et aux ╔tats-Unis. La Western Federation of Miners, qui fit ses premiΦres armes au sud de la frontiΦre, et plus tard la United Mine Workers of America (UMWA), qui rΘussit α s'implanter dans les charbonnages de Lethbridge et du Pas du Nid-de-Corbeau, gagna des points pour ses adhΘrents, mais seulement en ayant recours α la grΦve et α la violence. Par contre, la trΦs longue campagne menΘe par l'UMWA en vue d'organiser les mineurs des mines de charbon de moindre valeur du sud-est de la Saskatchewan mena α une confrontation frustrante avec les employeurs et les hommes politiques; le syndicat fut finalement dΘboutΘ devant les tribunaux en 1907-1908.
  118.  
  119.      Les syndicats Θtaient actifs surtout dans les villes des Prairies, mais l'envergure des conflits qui y eurent lieu fut toujours loin d'atteindre celle des grΦves trΦs longues qui se produisirent dans les mines et les camps de travail de la Colombie-Britannique avant la PremiΦre Guerre mondiale. Les grandes industries vouΘes α l'exploitation des ressources naturelles jouΦrent un r⌠le moins important dans l'Θconomie des Prairies; les compΘtences particuliΦres des travailleurs faisaient donc la force des syndicats de cheminots et des sections locales des syndicats d'ouvriers spΘcialisΘs regroupΘs au sein d'un organisme central, le CongrΦs des mΘtiers et du travail du Canada, qui disposait des ressources humaines et financiΦres nΘcessaires pour faire dΘmarrer le mouvement syndical.
  120.  
  121.      Les syndicats des Prairies Θtaient, en gΘnΘral, plus conservateurs au niveau de leurs revendications que ceux des mineurs plus α l'ouest. Les sections locales se prΘoccupaient surtout d'amΘliorer le bien-Ωtre matΘriel de leurs membres. M√s surtout par leur propre intΘrΩt, les syndicats des villes Θtaient parfois entraεnΘs dans des conflits d'attribution avec d'autres syndicats sur les lieux de travail. Toutefois, quelle que f√t leur affiliation, les sections locales faisaient office de compagnie d'assurance mutuelle et de sociΘtΘ chargΘe de verser les prestations de dΘcΦs, ainsi que d'amicale et de lieu de rencontre d'Γmes soeurs.
  122.  
  123.      DΦs 1910, la plupart des syndiquΘs canadiens Θtaient au courant des activitΘs de tout le mouvement syndical nord-amΘricain grΓce α des pΘriodiques internationaux ou α des publications locales comme The Voice de Winnipeg, le Labor's Realm de Regina et le Bond of Brotherhood de Calgary. Ces publications empruntaient des articles α d'autres pΘriodiques syndicaux et on y traitait en abondance des questions intΘressant ceux qui croyaient en la lutte des classes et au socialisme. Manifestement, certains syndicalistes considΘraient qu'il fallait aller au delα des prΘoccupations matΘrielles immΘdiates si l'on voulait amΘliorer le lot des travailleurs. Les syndicats Θtablirent dans les villes des sections du parti socialiste du Canada; de son c⌠tΘ, le parti social-dΘmocrate fut appuyΘ par les mineurs du Pas du Nid-de-Corbeau, notamment ceux d'origine ukrainienne.
  124.  
  125.      Afin de tenter de ravir le pouvoir politique aux hommes d'affaires et aux promoteurs, des syndicalistes se prΘsentΦrent aux Θlections municipales et provinciales. Le monde ouvrier, qui rΘpugnait de plus en plus α compter uniquement sur les pressions qu'il pouvait exercer pour faire adopter des mesures lΘgislatives favorables aux travailleurs, rΘussit α faire Θlire des conseillers ou des dΘputΘs syndicalistes ou socialistes dans les conseils municipaux et aux parlements de l'Alberta et du Manitoba. Toutefois, les rΘsultats qui en dΘcoulΦrent sur le plan politique ne furent jamais α la hauteur des efforts dΘployΘs.
  126.  
  127.      Les chefs syndicaux dΘployΦrent tous les efforts possibles pour montrer au reste de la population que les syndicats reprΘsentaient une force importante et croissante au sein de la sociΘtΘ des Prairies. Les festivitΘs qui marquaient tous les ans la fΩte du Travail comportaient un dΘfilΘ, des manifestations sportives et un grand bal et permettaient aux ouvriers syndiquΘs de chaque ville de montrer le c⌠tΘ exemplaire de leur organisation.
  128.  
  129.      DΦs la fin de la premiΦre dΘcennie du vingtiΦme siΦcle, la croissance des syndicats indiquait que les travailleurs des Prairies avaient dΘveloppΘ une vΘritable conscience de classe. Lorsqu'on fit appel α la milice en 1906 pour rΘprimer la grΦve des employΘs des tramways de Winnipeg, de nombreux travailleurs prirent conscience du r⌠le de dΘfenseur du capital que jouait l'╔tat. Au cours des annΘes qui s'ΘcoulΦrent entre la colonisation des Prairies grΓce au chemin de fer et le dΘbut de la PremiΦre Guerre mondiale, les mesures rigoureuses prises par des employeurs anti-syndicalistes firent aussi comprendre aux travailleurs que, par dΘfinition, ils constituaient une classe distincte et moins privilΘgiΘe de la sociΘtΘ des Prairies. La croissance des syndicats au cours de la pΘriode de prospΘritΘ Θconomique qui caractΘrisa le dΘbut du siΦcle tΘmoignait d'une plus grande confiance en eux-mΩmes chez les travailleurs organisΘs.
  130.  
  131. Les ouvriers, force sociale 
  132.  
  133.      La sociΘtΘ des Prairies Θtait un amalgame de l'ancien et du moderne. Les immigrants qui s'y installΦrent, avides de libertΘ, amenΦrent fatalement dans leur nouveau pays bon nombre de leurs vieilles coutumes; toutefois, l'atmosphΦre grisante d'avant 1913 fit constamment considΘrer les Prairies comme une sociΘtΘ o∙ on pouvait s'enrichir tout en essayant de rΘsoudre les problΦmes au moyen de solutions nouvelles et parfois radicales sans se soucier des conventions. └ la longue, il devint manifeste que le destin de la rΘgion et de ses travailleurs Θtait intimement liΘ aux fluctuations du marchΘ du blΘ. Des forces industrielles, financiΦres et politiques de l'extΘrieur dΘterminaient l'Θtat de prospΘritΘ de la rΘgion alors que le labeur des agriculteurs et des ouvriers contribuait au bon fonctionnement de l'industrie du Canada central.
  134.  
  135.      Lorsque la crise de 1913 fit perdre aux travailleurs syndiquΘs beaucoup des avantages qu'ils avaient gagnΘs auparavant, de nombreuses sections locales disparurent et les syndicats perdirent des membres. Certains travailleurs constatΦrent que leur situation n'Θtait pas meilleure qu'au moment de leur arrivΘe dans les Prairies: ils devaient toujours se mettre α la recherche d'emplois saisionniers, lα o∙ il y en avait, ou rester longtemps sans travailler. Toutefois, la majoritΘ des ouvriers avaient vu au moins une certaine amΘlioration de la qualitΘ de leur vie au cours du quart de siΦcle pendant lequel la rude existence qui Θtait le lot des pionniers avait peu α peu fait place α une vie plus civilisΘe. Ils avaient un plus grand nombre des commoditΘs que possΘdaient dΘjα les ouvriers des autres rΘgions du pays, mais aussi bon nombre des mΩmes problΦmes.
  136.  
  137.      Sans doute leurs intentions et leurs aspirations se rapprochaient-elles de celles des ouvriers des autres rΘgions, mais ils se rendaient aussi bien compte α quel point leur milieu influenτait leurs vies et leurs attitudes. DΦs le dΘbut, la situation Θconomique, sociale et gΘographique ne favorisait pas la formation d'une classe ouvriΦre forte, indΘpendante et Θtroitement unie. En fait, le syndicalisme se renforτa dans quelques secteurs lorsque les circonstances le permirent. C'Θtait le cas lorsque les conditions de vie et de travail Θtaient particuliΦrement mΘdiocres depuis longtemps, que le rassemblement de travailleurs ayant des antΘcΘdents et des idΘes similaires permettait α une base idΘologique de se constituer ou que de nombreux employΘs Θtaient menacΘs par des changements touchant le contr⌠le qu'ils exerτaient sur leurs mΘtiers ou sur leurs lieux de travail. Toutefois, les intΘrΩts particuliers empΩchaient la plupart du temps la comprΘhension mutuelle et la coopΘration. La classe ouvriΦre des Prairies qui manquait de cohΘsion, de vigueur et mΩme parfois de dΘtermination, Θtait rarement en mesure de rΘaliser ses ambitions. Elle ne dΘploya que des efforts sporadiques et non soutenus pour amΘliorer sa situation gΘnΘrale et pour rΘagir aux nouvelles situations qui la menaτait.
  138.  
  139.      Seule la PremiΦre Guerre mondiale avec son r⌠le de catalyseur permit au sentiment de classe des ouvriers, qui Θtait en germe, de s'Θpanouir complΦtement et d'amener les travailleurs α prendre des mesures Θnergiques pour favoriser des changements irrΘversibles. Les bouleversements et l'inflation qui accompagnΦrent la guerre permirent α tous les ouvriers des Prairies de rΘexaminer leur situation, ce qui les amena α manifester leur mΘcontentement de faτon radicale aprΦs la guerre. La crΘation de la ½One Big Union╗ (front commun) et le dΘclenchement de la longue grΦve gΘnΘrale de Winnipeg en sont deux exemples parmi tant d'autres. Presque tous ces efforts furent contrecarrΘs par l'Etat ou minΘs par la situation socio-Θconomique qui prΘvalait dans les Prairies avant et aprΦs la guerre. Sans doute la classe ouvriΦre avait-elle rencontrΘ beaucoup d'obstacles importants avant la guerre, mais elle avait rΘussi α imposer sa prΘsence; aprΦs la guerre, il fallait compter avec elle.  
  140.  
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