Les Canadiennes apportÅrent une contribution importante et diversifiÄe ê l'effort de guerre de leur pays au cours du deuxiÅme conflit mondial. Elles servirent en effet comme militaires, comme ouvriÅres d'usines et comme bÄnÄvoles. Pour la premiÅre fois dans l'histoire canadienne, les trois branches des forces armÄes s'ouvrirent aux femmes qui n'Ätaient pas infirmiÅres. Un nombre sans prÄcÄdent de femmes abandonna les tëches domestiques pour occuper un emploi rÄmunÄrÄ dans les secteurs publics et privÄs, et l'organisation du travail bÄnÄvole prit une ampleur encore jamais vue. Au cours de la guerre, quelques femmes accÄdÅrent mÉme ê des postes confÄrant des responsabilitÄs et une influence considÄrables.
Ces faits s'inscrivent dans le cadre de la guerre, qui fut une tragÄdie pour les femmes dont un frÅre, un pÅre, un fils, un Äpoux, un futur Äpoux -- au total 40 000 Canadiens -- fut tuÄ au combat. Beaucoup de femmes perdirent aussi des parents demeurÄs en Europe, victimes des tueries systÄmatiques perpÄtrÄes par les Nazis au nom de leur credo racial et politique. Laissons cependant ê la plume habile de l'autobiographe ou du romancier le soin d'exprimer les horreurs indicibles de la guerre et les moments de joie ou de dÄsespoir.
Nous nous proposons ici, en Ätudiant la participation des femmes ê l'effort de guerre du Canada, de nous faire une idÄe d'ensemble de l'Ävolution que subirent la situation et l'image des femmes au sein de la sociÄtÄ canadienne. La sociÄtÄ modifia-t-elle ses attentes ê l'Ägard des femmes? Les prÄjugÄs concernant le rÖle et les capacitÄs des femmes se trouvÅrent-ils ÄbranlÄs? Au nom de quelle cause ou de quel principe apporta-t-on des changements? Pouvons-nous dire que la guerre Ämancipa les femmes ou leur donna un statut plus ÄlevÄ, ou faut-il conclure plutÖt que les conditions extrÉmes de cette Äpoque mirent en lumiÅre et renforcÅrent l'attachement de la sociÄtÄ ê une division traditionnelle du travail et ê une hiÄrarchie de l'autoritÄ fondÄe sur le sexe?
La situation d'avant-guerre
Au dÄbut de la guerre, en septembre 1939, l'Äconomie canadienne n'Ätait pas encore sortie de la crise Äconomique. Sur une population de onze millions, le chÖmage frappait toujours environ 900 000 travailleurs, dont 20 pour 100 de femmes selon les estimations. Bien s₧r, cette grave rÄcession n'avait pas eu les mÉmes effets pour tous. Les femmes des classes moyenne et supÄrieure qui pouvaient s'appuyer, directement ou par l'intermÄdiaire de leur pÅre ou de leur mari, sur de bons investissements ou sur une profession stable, trouvaient lê l'occasion de se procurer ê prix rÄduits une diversitÄ de produits et de services. De fait, beaucoup de mÄnagÅres, pour la premiÅre fois depuis leur mariage, pouvaient s'offrir une domestique, un aspirateur ou une nouvelle machine ê laver Älectrique.
Celles qui jusque-lê avaient ÄtÄ habituÄes au confort, mais dont le pÅre ou le mari se retrouvait sans le sou aprÅs le krach de 1929, tombÅrent par contre dans la gÉne. Il serait difficile de dire qui eut le plus ê souffrir de la crise, des fermiÅres vivant dans les Prairies dÄvastÄes par la sÄcheresse et les sauterelles, des femmes dont le pÅre ou le mari, ayant perdu son emploi, Ätait forcÄ de recourir ê l'assistance publique, des veuves, des femmes chefs de familles monoparentales ou des femmes qui, devant subvenir ê leurs propres besoins, ne pouvaient trouver d'emploi. L'accÅs ê la Fonction publique et ê de nombreux secteurs de l'industrie Ätait implicitement fermÄ aux femmes mariÄes. Les enseignantes, les employÄes de bureau, les tÄlÄphonistes, les vendeuses, les infirmiÅres et les ouvriÅres du textile et des conserveries avaient du mal ê trouver du travail. Tous les domaines ouverts aux femmes Ätaient frappÄs d'un fort taux de chÖmage, sauf le service de maison. Les femmes qui avaient besoin d'argent allaient faire du mÄnage dans les maisons des plus fortunÄes, et les jeunes filles dont le pÅre Ätait chÖmeur se faisaient bonnes chez les familles aisÄes. La demande semblait inÄpuisable, mais dans le service de maison, comme dans les autres types d'emplois, c'Ätaient les employeurs, non les employÄs, qui fixaient les salaires et les conditions de travail. Sans doute valait-il mieux, en gÄnÄral, avoir un emploi que de n'en pas avoir, mais diverses commissions d'enquÉte rÄvÄlÅrent que les femmes employÄes dans l'industrie du textile et les ateliers de couture Ätaient souvent l'objet d'une exploitation honteuse, se traduisant par des salaires trÅs bas et de longues heures de travail ê une cadence infernale. La guerre vint enfin offrir de nouvelles possibilitÄs ê celles qui avaient connu le dÄsespoir du chÖmage ou l'Äpuisement nerveux d'un labeur mal rÄmunÄrÄ.
Entre septembre 1939 et le milieu de 1941, l'industrie de guerre et le recrutement pour l'armÄe ranimÅrent le marchÄ du travail, qui se ressentait toujours de la crise Äconomique. En juin 1941, le nombre des travailleurs s'Ätait accru d'environ 100 000 par rapport au chiffre du recensement fÄdÄral de 1931, mais cette augmentation ╟correspondait uniquement ê l'amÄlioration gÄnÄrale de la situation de l'emploi╚. Ce n'est qu'a partir de ce moment que commenìa de se manifester une demande inhabituelle de main-d'oeuvre fÄminine ê l'extÄrieur du foyer.
Les femmes dans les forces armÄes
Les forces armÄes furent les premiÅres ê percevoir la menace d'une pÄnurie de main-d'oeuvre. DÅs le mois de juin 1940, le quartier gÄnÄral de la DÄfense nationale commenìa d'examiner la possibilitÄ d'enrÖler des femmes et de leur faire jouer un rÖle de soutien afin de libÄrer le plus grand nombre d'hommes possible pour le service en campagne. Cette solution qu'envisageaient dÄjê les forces armÄes coòncidait avec le vif dÄsir, chez des milliers de Canadiennes, de servir leur pays dans l'uniforme militaire.
Ce sont les femmes de la Colombie-Britannique qui les premiÅres tÄmoignÅrent cet empressement. Un service fÄminin de volontaires fut formÄ dans cette province en octobre 1938, sur le modÅle du Women's Auxiliary Territorial Service de l'armÄe britannique. Les groupes paramilitaires fÄminins sans caractÅre officiel se multipliÅrent aprÅs le dÄclenchement de la guerre; on estime qu'environ 6 700 femmes faisaient partie de ces organisations en 1941. Il s'agissait du Women's Transport Service Corps; des Women's Service Corps de la Colombie-Britannique, de l'Alberta et de la Nouvelle-âcosse; des Saskatchewan Auxiliary Territorials; du Women's Volunteer Reserve Corps of Montreal (dont les membres Ätaient surnommÄs les Canadian Beavers); du Corps de rÄserve national fÄminin; de la RÄserve canadienne fÄminine, et enfin du Canadian Auxiliary Territorial Service of Ontario. Ces groupes prÄsentÅrent aux ministÅres de la DÄfense nationale et des Services nationaux de guerre demandes sur demandes de reconnaissance officielle. Finalement, le ministÅre de la DÄfense nationale dÄcida de constituer son propre service fÄminin, et de n'utiliser les groupes paramilitaires que pour le recrutement.
L'aviation fut la premiÅre force armÄe ê ouvrir ses portes ê d'autres femmes qu'aux infirmiÅres. Le Service auxiliaire fÄminin de l'aviation canadienne (Canadian Women's Auxiliary Air Force) fut crÄÄ par un arrÉtÄ en conseil du 2 juillet 1941, et intÄgrÄ ê l'aviation dÅs le dÄpart. Il prit en fÄvrier 1942 le nom de Corps d'Aviation Royal Canadien (Section fÄminine). Cet exemple fut d'abord suivi par l'armÄe de terre; un arrÉtÄ en conseil du 13 ao₧t 1941 autorisait en effet la formation de la Division fÄminine de l'ArmÄe Canadienne (Canadian Women's Army Corps, ou CWAC). qui ne fut toutefois intÄgrÄ ê l'armÄe active qu'en mars 1942. Enfin, le 31 juillet de la mÉme annÄe, fut constituÄ Le Corps fÄminin de la Marine Royale Canadienne (Women's Royal Canadian Naval Service, ou WRCNS).
L'aviation et l'armÄe commencÅrent ê recruter des femmes ê la fin de l'ÄtÄ et au dÄbut de l'automne de 1941. Pour la constitution des corps d'officiers de ces nouveaux services fÄminins, on donna la prÄfÄrence ê celles qui Ätaient dÄjê officiers des groupes paramilitaires non officiels. Ces organisations fournirent aussi beaucoup de recrues, attirÄes par la vie militaire et ses symboles. Une Ätude effectuÄe par l'armÄe en 1943 rÄvÄla que les femmes s'engageaient surtout par patriotisme. D'autres motifs jouaient Ägalement un rÖle, comme le dÄsir d'Étre prÅs d'une amie ou de l'homme de sa vie, celui aussi d'Ächapper ê l'isolement de la campagne ou ê la vie de petite ville et de voir le monde. Il ne faut pas sous-estimer non plus les raisons d'ordre Äconomique, pour celles qui cherchaient l'occasion d'apprendre un nouveau mÄtier.
L'aviation, l'armÄe et la marine employaient les femmes dans les Äquipes au sol, derriÅre les bureaux et sur la cÖte, afin de libÄrer les hommes pour le combat. On le voit d'ailleurs aux devises des services fÄminins: ╟Nous servons pour que les hommes puissent voler╚; ╟Nous servons pour que les hommes puissent combattre╚; ╟Nous sommes les femmes qui servent les hommes qui servent les canons╚. Les fonctions offertes aux femmes qui s'engageaient dans l'armÄe Ätaient toutes auxiliaires. Leur nombre augmenta toutefois avec le temps. La Section fÄminine du CARC, qui comptait au dÄbut onze mÄtiers de base, en rÄunissait cinquante en fÄvrier 1943. Dans l'armÄe de terre, on finit par affecter quelques femmes au service en campagne avec des unitÄs de la dÄfense cÖtiÅre, aprÅs les avoir entraönÄes, ê compter de 1943, ê servir auprÅs des rÄgiments de dÄfense antiaÄrienne, en qualitÄ d'opÄratrices de cinÄthÄodolite (chargÄes de vÄrifier la prÄcision des altitÄlÄmÅtres et des canons antiaÄriens), ainsi que de radiophonistes et de traceuses-tÄlÄphonistes dans les salles de contrÖle de tir. La propagande de recrutement pouvait toutefois continuer d'assurer aux jeunes Canadiennes qu'elles ne seraient pas appelÄes ê servir ╟sur la ligne de feu. Il n'est pas question que vous tiriez du fusil ou que vous lanciez des grenades╚.
En mars 1945, les femmes engagÄes dans l'armÄe se trouvaient reprÄsentÄes dans cinquante-cinq groupes de mÄtiers, en plus des affectations de service gÄnÄral ne donnant pas droit ê la solde de spÄcialitÄ; on comptait dans cette derniÅre catÄgorie les conductrices sans formation technique, les blanchisseuses, les aides-infirmiÅres, les ordonnances, les aides de cantine, les serveuses et les commis d'administration. MÉme chez les femmes de mÄtier, la grande majoritÄ Ätait affectÄe aux bureaux ou aux cuisines. En mars 1945, 70 pour 100 des femmes de mÄtier de l'armÄe en poste en AmÄrique du Nord remplissaient des taches de commis (62,4 pour 100) ou de cuisiniÅres (8 pour 100); nous atteignons prÅs de 90 pour 100 (88,6) si nous ajoutons aux chiffres prÄcÄdents les 6,9 pour 100 qui Ätaient magasiniers; 4,5 pour 100, standardistes; 2,7 pour 100, trieuses de lettres; 2,2 pour 100, aides-dentistes; et 1,9 pour 100, conductrices avec formation technique. Le reste des femmes de mÄtier, soit 11,4 pour 100, se rÄpartissait entre les quarante-six autres spÄcialitÄs. La secrÄtaire en uniforme Ätait le type mÉme de la CWAC.
Les deux autres forces armÄes prÄsentaient dans l'ensemble la mÉme situation. Du dÄbut ê la fin de la guerre, on eut besoin surtout de commis de bureau et de cuisiniÅres. La grande majoritÄ des femmes engagÄes dans l'armÄe, l'aviation ou la marine se virent affectÄes ê des fonctions qui leur Ätaient dÄjê traditionnellement rÄservÄes dans la vie civile, ou qui Ätaient un prolongement des soins maternels ou des travaux domestiques.
Les femmes en uniforme ne recevaient pas la mÉme solde que leurs homologues masculins. Lors de la formation des services fÄminins, la solde de base pour les femmes de tous grades fut fixÄe aux deux tiers de celle des hommes de mÉme rang. La solde de spÄcialitÄ suivait aussi une Ächelle sensiblement infÄrieure ê celle qui s'appliquait aux hommes de mÉme niveau dans un mÉme groupe de mÄtiers. Plus encore, les femmes ne recevaient pas d'allocations familiales. Ces inÄgalitÄs suscitÅrent ê l'Äpoque les protestations des femmes des forces armÄes, officiers et autres, et soulevÅrent l'indignation du public. Ces inÄgalitÄs Ätaient d'autant plus flagrantes que beaucoup de femmes exÄcutant un travail auparavant effectuÄ par un homme s'Ätaient laissÄ dire que leur rende- ment Ätait aussi bon, sinon meilleur, que celui de leur prÄdÄcesseur. En outre, mÉme si les femmes acceptÄs dans l'armÄe, la marine et l'aviation n'Ätaient pas censÄes avoir d'enfants ê charge, l'absence totale d'allocations familiales mÄcontentait ╟beaucoup de jeunes filles╚ qui jusque-lê avaient ╟contribuÄ au revenu familial╚.
Le ministÅre de la DÄfense nationale, conscient que ces inÄgalitÄs freinaient le recrutement chez les femmes, fut sensible ê la critique. En juillet 1943, on rajusta la solde et les indemnitÄs versÄes aux femmes. La solde de base atteignit 80 pour 100 de celle que recevaient les hommes de mÉme grade, et la solde de spÄcialitÄ fut portÄe ê ÄgalitÄ. En outre, les femmes auraient droit dÄsormais ê des allocations pour les parents, les frÅres et les soeurs (mais non les maris) ê charge. Ces nouvelles mesures ne supprimaient pas toutes les inÄgalitÄs, mais elles allaient plus loin en ce sens que les rÄgimes en vigueur dans l'industrie privÄe o¥ l'Äcart des salaires et des avantages marginaux payÄs aux hommes et aux femmes Ätait encore plus grand. NÄanmoins, une enquÉte menÄe en 1944, rÄvÄla que les femmes des forces armÄes Ätaient toujours mÄcontentes que leur solde soit infÄrieure ê celle des hommes qu'elles remplaìaient.
Les officiers recruteurs se heurtaient toutefois ê des obstacles plus sÄrieux. Il Ätait manifeste, en effet, que des rumeurs mettant en doute la moralitÄ des membres des services fÄminins dÄcourageaient l'enrÖlement. La Commission d'information en temps de guerre mena une Ätude sur cette ╟insidieuse campagne de diffamation╚ et en arriva ê conclure que ╟la frÄquence, la persistance et la grande diffusion╚ de ces rumeurs indiquaient l'existence d'un prÄjugÄ bien ancrÄ ê l'endroit des services fÄminins. La Commission donnait ê l'imputation d'╟immoralitÄ╚ explication historique, faisant observer que le ╟point vulnÄrable de la femme╚ Ätait la respectabilitÄ de sa vie sexuelle, ╟cible que visent toujours ceux qui s'offusquent de toute Ätendue de ses prÄrogatives╚. Il appartenait traditionnellement aux hommes de porter l'uniforme, de marcher au pas, de se tenir au garde-ê-vous et de faire le salut militaire. La femme qui adoptait un tel comportement semblait dÄfier les conventions et ╟manquer de fÄminitÄ╚, et dÅs lors il Ätait aisÄ d'imaginer qu'elle aurait pu tout aussi bien rompre avec les prÄceptes de la morale. Les officiers responsables du recrutement et des relations publiques s'efforìaient de dÄsamorcer les rumeurs en faisant valoir les aspects positifs de la vie des femmes dans les forces armÄes et en signalant que les jeunes recrues avaient l'approbation de leurs parents.
Bravant l'opposition, qui se fit sentir jusqu'en 1945, prÅs de 50 000 femmes habitant le Canada s'Ätaient engagÄes dans les services fÄminins avant leur dissolution, en 1946: 20 497 dans l'armÄe de terre, 16 221 dans le CARC, et 6 665 dans la Marine royale. Les services infirmiers des trois forces armÄes en rÄunissaient encore 4 439. L'ensemble de ces femmes reprÄsentait environ 2 pour 100 de la population fÄminine du Canada ëgÄe de quinze ê quarante-cinq ans. Certaines d'entre elles avaient ÄtÄ en poste ê l'extÄrieur du Canada, ê Terre-Neuve et aux âtats-Unis. L'occasion de servir outre-mer Ätait rÄservÄe ê celles qui se distinguaient par leur anciennetÄ et leurs Ätats de service. ╟Le premier contingent du CARC (Section fÄminine) partit pour le Royaume-Uni en ao₧t 1942╚; celui du CWAC, en novembre de la mÉme annÄe, et celui du WRCNS, ê la fin de 1943 seulement. ╦ compter de mai 1944, des groupes d'Älite du CWAC furent envoyÄs en campagne sur le continent europÄen pour servir ê l'arriÅre des forces canadiennes qui prenaient part ê l'invasion de l'Italie, puis de la France et de l'Allemagne.
Les femmes dans la main-d'oeuvre civile
Les responsables de la production civile de guerre, en retard sur les militaires, ne s'intÄressÅrent ê la possibilitÄ d'employer une main-d'oeuvre fÄminine qu'ê l'ÄtÄ de 1941. Le ComitÄ d'enquÉte sur le recrutement de la main-d'oeuvre, crÄÄ alors par le gouvernement fÄdÄral, estima que, ╟la plus grande partie de la rÄserve de main-d'oeuvre masculine╚ Ätant ╟ÄpuisÄe╚, ╟l'entiÅre mobilisation╚ des ╟importantes rÄserves de main-d'oeuvre fÄminine du pays╚ Ätait ╟indispensable ê la poursuite de l'effort de guerre╚. On tint compte de cette recommandation, et le gouvernement du Canada Ätablit en mars 1942 le Service national sÄlectif (SNS), chargÄ de la mobilisation et de la rÄpartition de la main-d'oeuvre canadienne. Le Premier ministre Mackenzie King, dans un discours qu'il prononìa alors devant le Parlement, dÄclara que l'embauche des femmes Ätait la ╟caractÄristique la plus importante du programme╚. Le SNS fut dotÄ deux mois plus tard d'une Division fÄminine, et l'on procÄda en septembre ê une inscription spÄciale des femmes ëgÄes de vingt ê vingt-quatre ans.
Ainsi fut lancÄe la premiÅre Ätape du recrutement actif de main-d'oeuvre fÄminine, qui visait les jeunes femmes cÄlibataires ou mariÄes sans enfants. Le SNS organisa une campagne nationale de publicitÄ afin de faire valoir le travail dans l'industrie de guerre auprÅs des jeunes femmes, et de vaincre ╟la rÄticence gÄnÄrale, chez les employeurs, ê confier aux femmes les travaux ordinairement exÄcutÄs par les hommes╚. Le SNS obtint des directeurs de journaux et de revues des espaces gratuits pour des textes et des illustrations sur les femmes qui occupaient un emploi dans la production de guerre. Le rÄseau national de Radio-Canada diffusa en outre ╟une sÄrie de piÅces Äcrites expressÄment pour le Service national sÄlectif╚ sur le mÉme thÅme. Enfin, le SNS assura le transport et l'installation de travailleuses des rÄgions rurales dans les centres de l'industrie de guerre, principalement en Ontario et au QuÄbec.
La campagne de recrutement porta ses fruits. On estime qu'au plus fort de la prÄsence des femmes sur le marchÄ du travail, ê l'automne de 1944, la main-d'oeuvre rÄmunÄrÄe ê plein temps au Canada comprenait de 1 080 000 ê 1 200 000 femmes. Ces chiffres ne tiennent pas compte des employÄes ê temps partiel ni des 800 000 femmes travaillant ê la ferme, qui ╟faisaient pleinement leur part, avec ou sans rÄmunÄration personnelle, afin de maintenir un rythme normal de production╚. ╦ l'automne de 1943, abstraction faite de l'agriculture, les femmes continuaient d'Étre employÄes surtout dans le secteur des services, o¥ leur nombre atteignait environ 439 000; 373 000 travaillaient dans les industries de fabrication; 180 000, dans le commerce et la finance; 31 000, dans le transport et les communications, et 4 000 dans la construction. La prÄsence des femmes dans l'industrie de guerre atteignit un sommet en octobre 1943: on estima alors que 261 000 femmes prenaient part ê la production de guerre, soit directement soit indirectement. Dans le premier cas, les femmes travaillaient dans les usines o¥ l'on fabriquait des fusils, des munitions et des chars, dans la construction navale ou dans la construction aÄronautique. On leur confiait de prÄfÄrence les tëches d'inspection (par exemple, la plupart des obus produits par l'industrie de guerre canadienne Ätaient examinÄs par des femmes) et les ╟travaux dÄlicats╚. La sagesse populaire de l'Äpoque tenait en effet que, lorsqu'il s'agissait d'assembler des valves ou de minuscules ÄlÄments de dÄtonateurs, les femmes Ätaient ╟supÄrieures aux hommes, ê cause de leurs doigts plus petits et plus sensibles, ê cause Ägalement de leur capacitÄ de s'astreindre ê de longues heures d'un travail monotone, fatigant pour les yeux╚. Beaucoup de femmes quittaient l'emploi qu'elles avaient occupÄ jusque-lê pour l'industrie de guerre, qui offrait de meilleurs salaires; on put ainsi assister, entre 1941 et 1944, ê l'exode de quelque 50 000 femmes auparavant employÄes comme domestiques. Les industries du textile et du vÉtement se plaignirent aussi au gouvernement de la fuite de travailleuses. La Commission des prix et du commerce en temps de guerre (Wartime Prices and Trade Board) rÄagit en dÄclarant que la production de certaines fabriques Ätait essentielle ê l'effort de guerre, et le SNS, en tenant en 1943 des campagnes de recrutement fÄminin pour les industries du textile et du vÉtement, dans les centres qui Ätaient le plus affectÄs par la pÄnurie de main-d'oeuvre. Ces mesures redressÅrent quelque peu la situation, mais le ministÅre du Travail savait fort bien que les longues heures et les mauvaises conditions de travail, associÄes ê un salaire peu ÄlevÄ, Ätaient cause des problÅmes. Sans doute le gouvernement et certains syndicats dÄfendaient-ils, pour la forme, le principe d'un salaire Ägal pour un travail Ägal, mais le salaire horaire moyen des femmes employÄes dans l'industrie en 1944 n'atteignait en gÄnÄral que les deux tiers de celui des hommes (47,9 cents, par comparaison ê 71,2 cents).
Au milieu de 1943, on constatait des pÄnuries de main-d'oeuvre dans bien des sphÅres du secteur des services qui avaient longtemps comptÄ sur le travail des femmes. Ces domaines Ätaient dÄlaissÄs non seulement pour les meilleurs salaires des industries de guerre, mais aussi pour l'enrÖlement dans les forces armÄes. Les hÖpitaux, les restaurants, les hÖtels, les blanchisseries et les teintureries avaient beau appeler ê l'aide, la ╟rÄserve de main-d'oeuvre fÄminine immÄdiatement disponible╚ s'Ätait ÄvaporÄe. ╦ l'ÄtÄ de 1943, le SNS commenìa ê offrir des emplois ê temps partiel aux femmes mÅres de famille ou chargÄes de diverses responsabilitÄs domestiques. Une campagne lancÄe alors par le gouvernement fÄdÄral encourageait les femmes qui avaient travaillÄ ê la Fonction publique avant leur mariage ê reprendre un emploi temporaire, ê temps partiel ou ê temps plein, pour combler le manque de main-d'oeuvre dans les ministÅres responsables de la conduite de la guerre.
Les jeunes femmes cÄlibataires avaient ÄtÄ les premiÅres visÄes par le SNS; cependant, les femmes mariÄes sans enfants et les mÅres de famille en quÉte d'un emploi, y compris les mÅres de jeunes enfants, profitÅrent aussi dÅs le dÄpart des nouvelles possibilitÄs offertes par la guerre. On dÄcouvrit en septembre 1942 que beaucoup de mÅres de famille travaillant dans les usines de guerre de MontrÄal avaient dÄclarÄ ê leur employeur qu'elles Ätaient cÄlibataires parce qu'elles craignaient de ne pas obtenir d'emploi autrement. ╦ l'aube de la troisiÅme annÄe de guerre, le public ontarien, en particulier dans la rÄgion de Toronto, rÄclama du gouvernement, avec une insistance croissante, des services de garderie et de surveillance aprÅs l'Äcole. On parlait de bÄbÄs enfermÄs dans des voitures en stationnement pendant que la mÅre ou les deux parents Ätaient au travail, et on s'inquiÄtait des enfants laissÄs seuls ê la maison; certains voyaient mÉme un lien entre le travail des mÅres et la dÄlinquance juvÄnile.
Garderies financÄes par l'âtat
Conscient du fait que le pays avait de plus en plus besoin du travail rÄmunÄrÄ des femmes mÅres de jeunes enfants, le gouvernement du Canada prit des mesures afin de leur offrir un service de garderie pour la durÄe de la guerre. Un arrÉtÄ en conseil du 20 juillet 1942 autorisait le gouvernement fÄdÄral ê contribuer de moitiÄ ê l'Ätablissement, dans les provinces intÄressÄes, d'un service de garderie destinÄ ê recevoir les enfants dont la mÅre travaillait dans l'industrie de guerre. Seules les deux provinces les plus industrialisÄes profitÅrent des avantages que prÄsentait l'Entente fÄdÄrale provinciale sur les garderies de guerre; l'Ontario donna officiellement son accord le 29 juillet 1942, et le QuÄbec, le 3 du mois suivant. L'Alberta signa ê son tour cette entente le 31 ao₧t 1943, sans toutefois y donner suite.
Lê o¥ il fut appliquÄ, le programme mit du temps ê prendre son essor et n'eut jamais qu'une faible Ätendue. Les garderies crÄes en vertu de cette entente commencÅrent d'ouvrir en Ontario en janvier 1943, au QuÄbec deux mois plus tard. L'accord prÄvoyait aussi la protection, pendant la journÄe, des enfants d'ëge scolaire: surveillance au cours des vacances, repas chaud le midi et surveillance en dehors des heures de classe pendant l'annÄe scolaire. On allait en outre confier les bÄbÄs et les enfants de moins de deux ans ê des particuliers. En septembre 1945, l'Ontario comptait en vertu de ce programme 28 garderies recevant environ 900 enfants, et 44 organisations scolaires s'occupant de quelque 2 500 jeunes ÄlÅves. ╦ la mÉme Äpoque, le QuÄbec ne comptait que 5 garderies crÄÄes spÄcialement pour la guerre, toutes ê MontrÄal; on n'y recevait en moyenne que de 115 ê 120 enfants.
Comme le programme voulait rÄpondre ê un besoin suscitÄ par la guerre, les motifs qui avaient donnÄ lieu ê sa crÄation s'Ävanouirent au retour de la paix. Le gouvernement du QuÄbec mit brusquement fin ê l'entente le 15 octobre 1945, malgrÄ les protestations des organismes d'aide sociale, des sociÄtÄs catholiques de bienfaisance, des associations d'enseignantes protestantes et des mÅres au travail. Les garderies continuÅrent ê vivoter quelques mois encore en Ontario, tandis que les gouvernements fÄdÄral et provincial et les administrations municipales cherchaient ê s'en renvoyer la responsabilitÄ. Le gouvernement fÄdÄral retira finalement sa contribution le 30 juin 1946.
BÄnÄvolat et travail non rÄmunÄrÄ des femmes
La contribution des Canadiennes ê l'effort de guerre prit surtout la forme du travail non rÄmunÄrÄ ê la maison et de ce qu'on appelle le bÄnÄvolat. Le travail non rÄmunÄrÄ des femmes au foyer Ätait aussi essentiel ê l'entretien de la plupart des familles pendant la guerre que pendant la paix, sinon davantage. La mobilisation quasi totale de la sociÄtÄ canadienne pour la poursuite de la guerre exigeait la coopÄration des femmes en tant que consommatrices, cuisiniÅres, couturiÅres et administratrices du budget familial. En qualitÄ de mÄnagÅres, les femmes contribuÅrent ê l'effort de guerre en respectant les restrictions imposÄes par le rationnement, en Ävitant le gaspillage et en recueillant, pour la production de guerre, les objets et les restes que normalement elles auraient jetÄs. AprÅs 1942, les mÄnagÅres des villes en particulier durent apprendre ê cuisiner avec des quantitÄs limitÄes de presque toutes les denrÄes, depuis le lait jusqu'ê la mÄlasse. Afin d'accroötre la production alimentaire du Canada, elles cultivÅrent des jardins potagers et firent des conserves. Beaucoup sans doute avaient d₧ s'exercer ê Äconomiser pendant la crise Äconomique, mais celles qui avaient vÄcu plus ê l'aise apprirent pour la premiÅre fois ê reprendre de vieux vÉtements afin d'en faire de nouveaux pour toute la famille, et ê rÄduire leurs dÄpenses devant les limites de production qui frappaient ê peu prÅs tous les articles d'usage courant, depuis les balais jusqu'aux voitures d'enfant. Les mÄnagÅres recueillirent la vieille huile et les restes de graisse pour l'industrie des munitions, et ÄconomisÅrent sou par sou pour acheter des timbres de guerre. Une affiche les incitait par exemple ê rÄcupÄrer bouts de mÄtal, vieux chiffons, papier, os, verre et caoutchouc.
Il fallait quelqu'un pour rÄunir les objets rÄcupÄrables et les contributions aux bons de la Victoire, pour distribuer les cartes de rationnement et diffuser les renseignements sur la faìon de rÄaliser les Äconomies domestiques indispensables ê l'effort de guerre. Presque tout ce travail Ätait accompli bÄnÄvolement, au niveau local, par des femmes qui visitaient le voisinage. De fait, ces bÄnÄvoles qui travaillaient Ägalement ê la maison ou ê l'extÄrieur supportaient un vaste rÄseau de services et d'activitÄs de guerre. Le ministÅre des Services nationaux de guerre crÄa une Division des services bÄnÄvoles fÄminins (SBF; en anglais, Women's Voluntary Services Division), ê l'automne de 1941, pour coordonner ces efforts. Alors que le bureau d'Ottawa donnait directives, conseils et information, la marche du programme Ätait assurÄe principalement par les centres de SBF Ätablis dans quarante-quatre villes canadiennes, de Sydney (Nouvelle-âcosse) ê Victoria, et par les organismes fÄminins des rÄgions rurales.
Les femmes n'avaient cependant pas attendu, pour apporter leur contribution ê l'effort de guerre, que le gouvernement fÄdÄral adopte des mesures en ce sens. Elles-mÉmes en avaient pris l'initiative. Au lendemain de la dÄclaration de guerre, les associations fÄminines de toutes sortes cherchÅrent des moyens de se rendre utiles ê leur pays, et de nouveaux organismes virent le jour ê cette fin prÄcise.
L'essentiel du travail bÄnÄvole de guerre fut ainsi accompli par des millions de Canadiennes oeuvrant au sein de milliers de sociÄtÄs et de clubs dont l'action Ätait concertÄe par les centres locaux de SBF et par les organismes fÄminins, lesquels recevaient leurs directives du bureau d'Ottawa. Quinze des centres de SBF situÄs dans les villes formÅrent des Äquipes de quartier pour les campagnes et les collectes de porte ê porte, la hiÄrarchie des responsabilitÄs allant des chefs de quartier aux chefs de section et aux chefs de zone, puis ê la directrice des Äquipes de quartier, au bureau d'Ottawa. Par ailleurs, la prÄsidente de la Commission des services de guerre des Instituts fÄminins du Canada parlait en ces termes du travail accompli en temps de guerre par les Canadiennes des rÄgions rurales:
╦ la ferme, elles ont travaillÄ plus fort que jamais. Elles ont conduit les tracteurs, fait les foins, fait les rÄcoltes, cultivÄ de magnifiques jardins et augmentÄ la production d'oeufs et de volaille de tout le Canada. Elles n'en ont pas moins trouvÄ le temps de produire des tonnes de confitures ê expÄdier outre-mer, ainsi que des vÉtements pour les rÄfugiÄs et des milliers d'articles pour la Croix-Rouge.
De 1943 ê 1945, les Instituts fÄminins du Canada rassemblÅrent ╟plus d'un demi-million de dollars en espÅces╚ et confectionnÅrent ╟ê peu prÅs le mÉme nombre de vÉtements...pour la Croix-Rouge et divers autres organismes╚. AprÅs la guerre, les organismes fÄminins et les centres de SBF formÅrent des comitÄs chargÄs d'accueillir les soldats qui revenaient au foyer, et d'aider les Äpouses qu'ils ramenaient parfois de l'Ätranger ê s'acclimater ê leur nouveau pays.
Les femmes apportÅrent Ägalement leur contribution bÄnÄvole ê l'effort de guerre en aidant ê contrÖler l'inflation. AprÅs que la Commission des prix et du commerce en temps de guerre eut fixÄ des plafonds pour les prix et la production de nombreux articles de consommation, en 1941-1942, les clubs fÄminins de toutes les rÄgions du pays formÅrent des comitÄs chargÄs de surveiller le mouvement des prix et de s'assurer qu'on pouvait se procurer les biens essentiels ê l'entretien de la maison et de la famille. Les femmes apportÅrent calepin et crayon dans les quincailleries, dans les magasins d'alimentation et de vÉtements; elles notÅrent les infractions au rÅglement sur les prix, signalÅrent les marchandises qui se faisaient rares. Cette nouvelle entreprise suscita encore une fois la crÄation d'un organisme fÄdÄral chargÄ d'en coordonner l'activitÄ: la Commission des prix et du commerce en temps de guerre se dota d'une Direction des consommateurs. Le Canada fut divisÄ en quatorze rÄgions administratives, chacune pourvue d'un ComitÄ consultatif rÄgional fÄminin, lequel Ätait en relation avec des sous-comitÄs pour les localitÄs d'au moins 5 000 habitants, et avec des membres correspondants pour les agglomÄrations de moindre importance. En outre, dans les villes o¥ l'on comptait plus d'un organisme fÄminin, chacun Ätait priÄ de nommer un agent de liaison qui resterait en contact avec le sous-comitÄ local. Grëce ê ce rÄseau, le tiers des trois millions de Canadiennes d'ëge adulte furent mobilisÄes afin de surveiller Ätroitement le mouvement des prix et de la production dans toutes les rÄgions du pays et de communiquer leurs observations au bureau d'Ottawa.
Certaines femmes accÅdent ê des postes en vue
Un certain nombre de femmes accÄdÅrent pendant la guerre ê des postes en vue qui leur confÄraient d'importantes responsabilitÄs. Le sommet du pouvoir, pour les femmes engagÄes dans les forces armÄes canadiennes, Ätait la direction de l'un des services fÄminins. En 1944, ces commandements Ätaient assumÄs par l'officier d'escadre Willa Walker, officier supÄrieur du CARC, Section fÄminine; par le colonel Margaret Eaton, directrice du CWAC, et par le commandant Adelaide Sinclair, directrice du WRCNS. Dans l'Administration civile, des femmes accÄdÅrent ê des postes de commande dans les services fÄminins relevant des ministÅres fÄdÄraux liÄs ê la conduite de la guerre. Ainsi, Fraudena (Mme Rex) Eaton fut placÄe ê la tÉte de la Division fÄminine du Service national sÄlectif, au ministÅre du Travail, et Nell (Mme W.E.) West fut directrice des Services bÄnÄvoles fÄminins, au ministÅre des Services nationaux de guerre. Certains postes attribuÄs aux femmes dans l'Administration publique correspondaient ê des activitÄs que l'on considÄrait comme l'apanage de leur sexe. La femme se chargeait souvent des achats pour la maison et la famille; voilê sans doute pourquoi, au ministÅre de l'Agriculture comme ê la Commission des prix et du commerce en temps de guerre, on nomma une femme ê la tÉte de la division des consommateurs (Laura Pepper, chef de la Section des consommateurs au ministÅre de l'Agriculture, et Byrne Hope Sanders, directrice de la Consommation ê la Commission des prix et du commerce en temps de guerre). Ces dirigeantes Ätaient le plus souvent issues de l'Älite de la sociÄtÄ canadienne; elles-mÉmes ou leur Äpoux avaient gÄnÄralement fait leur marque dans une profession libÄrale ou dans le monde des affaires; dans bien des cas, elles avaient dÄjê travaillÄ dans la Fonction publique. La guerre amena aussi les mÄdias ê exploiter davantage les talents des femmes: certaines d'entre elles, Äcrivains, journalistes de la radio ou photographes, s'acquittÅrent de tëches spÄciales en vue de mobiliser leurs soeurs pour l'industrie de guerre, les forces armÄes et les services bÄnÄvoles.
âmancipation temporaire
Certains, voyant qu'un petit nombre de femmes s'Ätaient ÄlevÄes ê des postes de direction, que d'autres remplissaient des fonctions traditionnellement rÄservÄes aux hommes et que les femmes en gÄnÄral apportaient une contribution d'envergure ê l'effort de guerre, crurent que le conflit mondial avait enfin ╟ÄmancipÄ╚ les femmes. En 1943, le lancement solennel d'un navire que des travailleuses avaient aidÄ ê construire ╟depuis les premiers boulons et les premiÅres tÖles jusqu'au dernier coup de pinceau et ê la derniÅre piÅce de cuivre poli╚ amena sous la plume de la journaliste Lotta Dempsey ces lignes enthousiastes:
╦ l'occasion de ce lancement historique, les femmes donnaient aussi le dÄpart de la derniÅre Ätape...du grand mouvement qui les propulse dans l'industrie, sur un pied de parfaite ÄgalitÄ avec les hommes.
En 1943, le Service national sÄlectif dÄclarait que la guerre avait ╟fini par entraöner la complÅte Ämancipation des femmes╚. En effet, on assistait apparemment ê l'Ägalisation des rÖles de l'homme et de la femme dans la sociÄtÄ. Ce phÄnomÅne se traduisait cependant bien plus par une ╟masculinisation╚ des rÖles de la femme que par une ╟fÄminisation╚ des rÖles de l'homme. L'effort de guerre poussa certaines femmes dans des domaines jusque-lê accaparÄs par les hommes, mais non l'inverse. Les femmes se mirent au volant des camions; les hommes n'allÅrent pas travailler dans les garderies. La mode suivit le mÉme cours: la femme put dÄsormais porter le pantalon, mais l'homme n'adopta aucun article de vÉtement traditionnellement fÄminin. Beaucoup de Canadiens s'inquiÄtaient de voir les femmes ressembler de plus en plus aux hommes. Un sondage d'opinion effectuÄ en 1943 rÄvÄla que l'opposition ê l'entrÄe des femmes dans les forces armÄes venait largement de ce qu'on craignait qu'elles n'y perdent leur fÄminitÄ et leur sens moral.
De retour au foyer et ê la famille
On s'efforìait d'apaiser ces craintes en assurant aux femmes qui postulaient un emploi dans l'industrie de guerre que le travail qui leur serait confiÄ n'affecterait en rien leur fÄminitÄ, mais accÄlÄrerait certainement le retour des soldats canadiens. De mÉme, les agents des relations publiques des forces armÄes garantissaient aux recrues qu'on ne leur demanderait rien qui soit contraire ê leur fÄminitÄ, et que le fait d'Étre engagÄes dans l'armÄe ne les empÉcherait pas de frÄquenter des jeunes gens. La publicitÄ patriotique des grandes entreprises Ätablies au pays fÄlicitait les Canadiennes de se lancer dans des domaines non traditionnels, tout en leur promettant que l'on reviendrait ê la normale au retour de la paix. Les planificateurs de l'aprÅs-guerre prÄvoyaient eux aussi que la plupart des femmes, le conflit terminÄ, retourneraient au foyer ou dans les secteurs d'emploi qu'elles occupaient traditionnellement. La demande d'aide domestique en provenance des milieux relativement aisÄs survint justement comme l'on prÄdisait un fort taux de chÖmage chez les militaires et les travailleuses de guerre licenciÄes; en 1944-1945, on multiplia les propositions visant ê Älever le statut des employÄes de maison.
Tout compte fait, c'est la situation dans les forces armÄes qui dÄmontre de la maniÅre la plus frappante le peu d'importance que l'on attribuait, aprÅs la Seconde Guerre mondiale, ê la prÄsence des femmes dans le secteur public. On assista au cours de 1946 ê la dissolution des trois services fÄminins, l'aviation retenant seule un petit noyau d'officiers d'ordonnance sous l'Ägide de son service mÄdical. Il fallut la guerre de CorÄe, dans les annÄes 1950, pour que l'on dÄcide ê nouveau d'enrÖler des femmes dans les troupes rÄguliÅres; l'aviation eut recours ê cette mesure en 1951, l'armÄe de terre en 1954, et finalement la marine en 1955. L'expÄrience de la Seconde Guerre mondiale illustre clairement la rÅgle du dernier engagÄ, premier licenciÄ, appliquÄe non seulement ê certaines femmes, mais ê presque tout un groupe de femmes. Il apparut alors que les femmes pouvaient servir de main-d'oeuvre de rÄserve tout aussi bien pour les forces armÄes que pour le marchÄ civil.
Les femmes qui avaient servi dans l'armÄe canadienne ne furent pas dÄmobilisÄes sans indemnitÄ. Elles Ätaient admissibles, au mÉme titre que les hommes, ê presque tous les ÄlÄments du gÄnÄreux programme de rÄadaptation des anciens combattants. La principale diffÄrence venait de ce qu'elles n'avaient constituÄ qu'une petite partie des forces armÄes, et qu'elles se trouvaient donc bien moins nombreuses que les hommes ê pouvoir profiter des avantages offerts.
Beaucoup de facteurs contribuÅrent, dans la sociÄtÄ d'aprÅs-guerre, ê rÄduire les possibilitÄs d'emploi pour les femmes et ê ramener ces derniÅres ê des postes o¥ elles seraient subordonnÄes aux hommes, et non en concurrence avec eux. Il faut compter d'abord le rÄtablissement de la primautÄ Äconomique de l'homme, et du rÖle de l'Äpoux comme soutien de famille. On n'assista pas seulement ê la disparition des garderies financÄes par l'âtat; bien des secteurs se fermÅrent de nouveau ê la femme mariÄe. Ainsi, une circulaire de la Fonction publique datÄe du 17 novembre 1945 appelait la remise en vigueur de la politique discriminatoire d'avant-guerre ê l'endroit des femmes mariÄes, selon laquelle toute employÄe de la Fonction publique devait remettre sa dÄmission au moment de son mariage. De mÉme, les quelques femmes qui avaient appris des mÄtiers non traditionnels furent invitÄes ê laisser la place aux hommes revenant d'outre-mer.
AprÅs des annÄes de lutte et d'incertitude, beaucoup de Canadiens, hommes et femmes, attendaient avec le retour de la paix, la reprise d'une vie ╟normale╚. Cette vision ne retenait rien de l'aviditÄ et du dÄsespoir qu'avait engendrÄs la crise Äconomique. Faite plutÖt d'agrÄables souvenirs, imaginant un avenir confortable, centrÄ sur le foyer, elle tendait au romanesque et au conventionnel. La propagande massive de la presse et du clergÄ, des annonceurs d'appareils mÄnagers et des conseillers de placement jouait sur le besoin humain de sÄcuritÄ et d'affection pour faìonner ce rÉve suscitÄ par la guerre; partout l'on proclamait que la femme se devait d'abord au foyer et ê la famille.
âtant donnÄ les pressions et les obstacles renouvelÄs qui marquÅrent les annÄes suivant le conflit, il est difficile de dÄterminer prÄcisÄment dans quelle proportion les femmes qui avaient obtenu un emploi rÄmunÄrÄ pendant la guerre choisirent de le quitter d'elles-mÉmes la paix revenue. Les Ätudes de l'Äpoque arrivÅrent ê des conclusions contradictoires. Sur la base de questionnaires remplis par des travailleuses de guerre et d'entrevues avec des employeurs et des spÄcialistes du monde des affaires, le Sous-comitÄ chargÄ d'Ätudier les problÅmes que connaötraient les femmes aprÅs la guerre, crÄÄ par le gouvernement fÄdÄral en 1943, estima que de 45 ê 55 pour 100 des 600 000 femmes qui Ätaient entrÄes sur le marchÄ du travail depuis 1939 rÄpondraient ╟tout naturellement ê l'appel du mariage, du foyer et de la vie familiale╚, et laisseraient donc leur emploi la guerre terminÄe. Par contraste, une enquÉte menÄe par le ministÅre du Travail en 1944, auprÅs des civils, sur les projets de 19 710 hommes et de 10 135 femmes, rÄvÄla que 28 pour 100 des femmes comptaient abandonner leur emploi aprÅs la guerre en vue de se consacrer ê leur foyer, mais que 72 pour 100 d'entre elles voulaient demeurer sur le marchÄ du travail. Les revues fÄminines de l'Äpoque reproduisirent les propos de certaines femmes qui se montraient peu enthousiastes ê la perspective de renoncer ê la formation professionnelle et aux possibilitÄs d'emploi que la guerre leur avait offertes. Une femme de Winnipeg qui avait servi dans les forces armÄes Äcrivit dans le Canadian Home Journal, en avril 1945, qu'on ne pouvait pas plus renvoyer les femmes au foyer que ╟remettre un poussin dans sa coquille╚; cela, expliquait-elle, ╟ne peut se faire sans dÄtruire l'ëme, le coeur ou l'esprit╚. Toutefois, la femme dont la lettre remporta les honneurs du concours organisÄ par le National Home Monthly, en 1945, sur le sujet ╟S'il y a un emploi pour vous dans l'industrie ê la fin de la guerre, le voulez-vous?╚ exprimait une prÄfÄrence trÅs nette pour la vie au foyer. ╟J'aimerais que l'on sache bien une chose,╚ Äcrivait-elle, ╟c'est que je n'ai pas l'impression de me sacrifier pour tenir la maison. J'ai toujours voulu par-dessus tout un mari et un foyer ê moi.╚
Les restrictions imposÄes aprÅs la guerre ê l'emploi rÄmunÄrÄ des femmes et les efforts dÄployÄs pour les convaincre de retourner au foyer produisirent l'effet escomptÄ. La proportion des femmes sur le marchÄ du travail, qui Ätait passÄe de 24,4 pour 100 en 1939 ê un sommet de 33,5 pour 100 en 1944, commenìa ê descendre en 1945 et dÄgringola l'annÄe suivante pour n'atteindre plus alors que 25,3 pour 100. Elle fut ê son point le plus bas en 1954: 23,6 pour 100 (il fallut attendre 1966 pour qu'elle revienne ê son niveau de 1945).
Pouvons-nous dire que la guerre ╟Ämancipa╚ les femmes ou Äleva leur statut? Cela paraöt douteux, si par ces termes nous entendons une rÄorganisation de la sociÄtÄ qui instaure un partage vraiment Ägal des pouvoirs et des responsabilitÄs entre hommes et femmes, dans les sphÅres publique et privÄe. L'accroissement des possibilitÄs d'emploi offertes aux femmes, pendant la guerre, n'avait pas pour cause la reconnaissance de leur droit au travail; seulement, en cette pÄriode critique o¥ se faisait sentir une sÄrieuse pÄnurie de main-d'oeuvre, les femmes constituaient une rÄserve pratique, tant pour l'industrie que pour la Fonction publique. MÉme lorsqu'elles avaient l'occasion de gravir les Ächelons de l'entreprise privÄe ou des forces armÄes, les femmes ne se voyaient confier dans l'ensemble que des tëches appartenant ê des domaines qui leur Ätaient dÄjê rÄservÄs, o¥ elles ne risquaient pas d'entrer en concurrence avec les hommes.
La rÅgle quasi sacro-sainte voulant que les femmes soient exclues ou exemptÄes du combat fut respectÄe par-dessus tout, et nul ne contesta aux hommes le monopole du port des armes. Sans doute les femmes furent-elles admises dans l'armÄe; elles purent exercer dans le monde civil des fonctions traditionnellement remplies par des hommes, comme la conduite de machines lourdes, ou faire leur entrÄe dans des secteurs qui auparavant leur Ätaient fermÄs, comme la construction navale; cependant, on imposait toujours ê leur activitÄ un cadre soigneusement dÄlimitÄ.
De fait, c'est par le travail bÄnÄvole, domaine traditionnellement fÄminin, que la plupart des femmes apportÅrent leur contribution ê l'effort de guerre. Elles trouvÅrent amplement, dans ce vaste champ d'activitÄ, l'occasion de mettre ê profit leurs remarquables aptitudes pour l'organisation et l'administration. Dans la Fonction publique, toutefois, si ÄlevÄ que f₧t le poste occupÄ par une femme, il se trouvait toujours au-dessus d'elle un homme, sinon toute une hiÄrarchie de supÄrieurs. La prÄsence des femmes dans les secteurs du soutien et des services Ätait certes indispensable, mais la conduite de la guerre n'en demeurait pas moins entres les mains d'une Älite masculine.
La mobilisation des femmes pour l'effort de guerre constitue dans une large mesure un exemple de manipulation par l'âtat. La propagande patriotique joua un rÖle dans le recrutement, tout comme les adoucissements fiscaux accordÄs aux travailleuses mariÄes et le financement, par l'âtat, de garderies destinÄes aux enfants dont la mÅre travaillait dans l'industrie de guerre. On reconnaissait bien s₧r l'utilitÄ d'une main-d'oeuvre fÄminine bon marchÄ dans le secteur public, mais l'âtat comme la sociÄtÄ demeuraient convaincus que la femme avait pour premiÅre fonction de mettre au monde et d'Älever la prochaine gÄnÄration, de tenir la maison et de crÄer un foyer pour l'homme au travail. Ce n'est qu'en vue de l'effort de guerre et pour la durÄe du conflit que l'âtat disposÄ ê financer des programmes allÄgeant les responsabilitÄs domestiques des femmes qui avaient besoin d'un salaire ou qui souhaitaient simplement travailler ê l'extÄrieur. La paix revenue, le gouvernement et l'industrie mirent fin ê ces programmes ou en rÄduisirent considÄrablement le budget. Les obstacles ê l'entrÄe des femmes mariÄes dans le monde du travail, levÄs pendant la guerre, rÄapparurent dans de nombreux secteurs.
La grave pÄnurie de main-d'oeuvre que la guerre avait entraönÄe se rÄgla d'elle-mÉme avec la dÄmobilisation. Les ex-militaires avaient la prioritÄ dans l'emploi. Le retour d'un surplus de main-d'oeuvre et la coòncidence de l'explosion dÄmographique avec la fermeture des garderies financÄes par l'âtat incitÅrent la femme mariÄe dont l'Äpoux avait un emploi ê se consacrer ê son rÖle de mÅre et de maötresse de maison. La publicitÄ ê grande Ächelle invitait ê la consommation de produits domestiques et peignait sous un Äclairage romanesque le rÖle de la femme comme gardienne naturelle du foyer. On amÄliora le rÄgime d'allocations familiales de faìon que la mÅre de famille pauvre n'ait pas ê travailler ê l'extÄrieur. Cet ensemble de circonstances contribua Ägalement ê persuader les jeunes femmes cÄlibataires de se chercher un mari plutÖt que de se prÄparer ê exercer une profession ou un mÄtier ê plein temps.
Devant les bouleversements provoquÄs par la guerre, beaucoup de Canadiens, hommes et femmes, dÄsiraient avec ardeur le retour ê la stabilitÄ, au sanctuaire du foyer. On estimait qu'il revenait ê la femme de faire du foyer un havre de paix; cet objectif, cependant, ne convenait pas ê chacune. Tout d'abord, la guerre avait enlevÄ ê beaucoup de femmes l'homme qui Ätait ou allait Étre leur mari, et prÅs de 50 000 militaires canadiens avaient ÄpousÄ des ÄtrangÅres. Ensuite, lorsque reprit la production de biens de consommation, beaucoup de femmes mariÄes eurent besoin d'un revenu additionnel pour se procurer meubles et appareils mÄnagers.
La mobilisation massive des femmes pendant les annÄes du conflit n'avait pas fait grand-chose pour leur assurer dans l'ensemble une place plus Äquitable dans la sociÄtÄ d'aprÅs-guerre, ou pour adapter l'Äconomie canadienne aux besoins de la cÄlibataire d'un certain ëge, ê ceux de l'Äpouse ou de la mÅre abandonnÄes, ou encore de la femme dont le mari gagnait trop peu. L'assurance-chÖmage, instituÄe au Canada en 1940, allait protÄger un certain nombre de femmes entrÄes sur le marchÄ du travail, et quelques anciennes militaires, comme Judy LaMarsh, qui avait servi dans le CWAC, tireraient profit des allocations d'Ätudes accordÄes aux anciens combattants pour se lancer dans une carriÅre prometteuse; cependant, la grande majoritÄ des femmes au travail continueraient d'Étre drainÄes vers les ghettos des emplois auxiliaires et mal rÄmunÄrÄs. Les changements de cap survenus pendant la guerre avaient laissÄ intacte, ou mÉme avaient renforcÄ, l'image de l'homme comme chef et principal soutien de famille; le sentiment d'une dette contractÄe par la sociÄtÄ envers le combattant, qui chassa les femmes des secteurs non traditionnels, consolida encore la primautÄ Äconomique du mële. La guerre n'avait pas entamÄ le principe d'une division du travail fondÄe sur le sexe, ni celui de l'autoritÄ de l'homme sur la femme. Le fÄminisme avait visÄ notamment ê l'ÄgalitÄ: ÄgalitÄ des droits et des devoirs, des possibilitÄs et des pouvoirs; les quelques fÄministes qui s'Ätaient fait entendre au Canada pendant la guerre avaient saluÄ avec espoir le mouvement qui semblait alors se dessiner. Sans doute pouvait-on se fÄliciter que les femmes du QuÄbec aient enfin obtenu en 1940 le droit de vote aux Älections provinciales. Pour ce qui regarde la plupart des autres aspects de la vie publique, toutefois, la sociÄtÄ d'aprÅs-guerre trompa les attentes des fÄministes. Certaines femmes avaient acquis par leur travail de guerre une nouvelle assurance et une nouvelle vision d'elles-mÉmes; beaucoup cependant devraient confiner leurs aspirations au rÖle plus traditionnel qui leur Ätait dÄvolu dans le monde du plastique et de la pÄnicilline, des livres de poche et des aliments congelÄs. Par ailleurs, la contribution des femmes ê l'effort de guerre, dont on avait fait grand cas lorsqu'on manquait de main-d'oeuvre, glissa tranquillement dans l'oubli, o¥ elle demeura de longues annÄes.