└ l'issue de la guerre de la Succession d'Espagne (1702-1713), la France vaincue dut cΘder Terre-Neuve α la Grande-Bretagne; cet abandon menaτait de lui faire perdre le contr⌠le du Saint- Laurent, voie d'accΦs au Canada, sans compter celui de l'industrie lucrative de la pΩche sur les grands bancs. Par consΘquent, dans le but de contrebalancer l'hΘgΘmonie britannique α Terre-Neuve et en Acadie, la France Θtablit la colonie de l'εle Royale, qui comprenait l'εle du Cap-Breton, rebaptisΘe εle Royale, et l'εle Saint-Jean, devenue depuis l'╬le-du-Prince-╔douard. La colonie fut bient⌠t d'une Θnorme importance Θconomique et stratΘgique pour la France, et pour les rivaux de cette derniΦre une source d'irritation.
Louisbourg, capitale et forteresse de l'εle Royale
L'un des premiers problΦmes qui se posΦrent α l'εle Royale fut le choix d'un site pour la capitale et les principales fortifications. ╔tant donnΘ l'importance de la pΩche, on devait se prΘoccuper avant tout de la qualitΘ du port et de sa distance par rapport aux pΩcheries. Bien qu'on f√t unanime α dire que Havre-α-l'Anglais, rebaptisΘ Louisbourg en l'honneur du roi de France, possΘdait le meilleur port, cet emplacement fut d'abord rejetΘ parce qu'il Θtait trop difficile de fortifier et de dΘfendre le terrain avoisinant. Louisbourg offrait en outre peu de possibilitΘs pour l'agriculture, avec son paysage de marais dominΘ par des collines rocheuses. Le siΦge du gouvernement fut donc Θtabli α Port Dauphin. Les pΩcheurs continuΦrent toutefois d'utiliser le port de Louisbourg, dont la population fut bient⌠t la plus ΘlevΘe. Les autoritΘs franτaises, devant la popularitΘ de l'endroit, y transportΦrent la capitale en dΘpit des inconvΘnients, et entreprirent en 1719 la construction des ouvrages de dΘfense.
On dΘfinit gΘnΘralement une forteresse comme une place forte pourvue d'une garnison et d'une population civile. Louisbourg, α l'origine rien d'autre qu'un port rΘunissant divers postes de pΩche, devint en vingt ans une forteresse, α mesure que s'ΘlevΦrent des murs massifs en maτonnerie entourant une ville de plus en plus importante et prospΦre, o∙ se voyaient maisons, ateliers, auberges, cabarets, entrep⌠ts, h⌠pital et couvent pour l'Θducation des jeunes filles. Cependant, bien avant l'achΦvement de ses fortifications, Louisbourg Θtait administrΘe comme une place de guerre semblable α celles qui gardaient alors les c⌠tes et les frontiΦres de la France. Comme dans les autres colonies de la Nouvelle-France, l'autoritΘ Θtait principalement exercΘe par le gouverneur militaire. Les civils devaient se plier α certains rΦglements militaires restreignant le passage des portes de la ville et, surtout pendant la nuit, la circulation α l'intΘrieur mΩme de l'enceinte. Les activitΘs habituelles comme la relΦve de la garde ou la punition publique des soldats dΘlinquants ponctuaient la vie quotidienne. De plus, les officiers et les hommes de la garnison Θtaient en contact avec la population civile α presque tous les Θchelons de la sociΘtΘ.
Composition de la garnison de l'εle Royale
Les troupes casernΘes α l'εle Royale, comme dans toutes les colonies franτaises de l'Θpoque, appartenaient principalement aux compagnies franches de la Marine. En dΘpit du fait que leurs officiers dΘtenaient parfois double statut, ce qui leur permettait de servir en mer comme α terre, les soldats des compagnies franches devaient servir α terre; on les regardait d'ailleurs comme l'infanterie de la Marine. Plusieurs changements furent apportΘs α la taille et α l'organisation de la garnison de l'εle Royale au cours des annΘes, mais en 1745 elle comptait huit compagnies des troupes de la Marine; chacune Θtait composΘe de soixante-dix hommes, et commandΘe par un capitaine assistΘ d'un lieutenant et de deux enseignes.
En 1722 vient s'ajouter aux troupes des compagnies franches un dΘtachement de cinquante hommes du rΘgiment de Karrer. Ce corps rΘunissait des mercenaires de diverses nationalitΘs; au service du roi de France, il Θtait commandΘ depuis Rochefort (France) par un colonel suisse, Franz Adam Karrer. Des dΘtachements additionnels de ce rΘgiment furent envoyΘs α l'εle Royale en 1724 et en 1741; en 1745, il comptait dans la colonie cent cinquante hommes et officiers. Les seuls autres effectifs assurant la dΘfense de l'εle Royale avant 1745 Θtaient les trente membres de la compagnie des canonniers, constituΘe en 1743 pour le service de la batterie de Louisbourg. La garnison comprenait donc six cents hommes environ et quatre-vingt-huit officiers, ce qui en faisait l'une des plus fortes qu'aient Θtablies les Anglais ou les Franτais en AmΘrique du Nord.
Les fortifications de Louisbourg
Au moment o∙ l'on dressait les plans des fortifications de Louisbourg, la rΘputation de la ville en tant que centre commercial et port de pΩche Θtait encore α faire. Si la France n'avait cherchΘ qu'α protΘger la population civile, de modestes ouvrages de dΘfense auraient sans doute paru suffisants. Cependant, toute l'importance de la place venait de ce qu'elle tΘmoignait de la puissance de la France, qui n'y investissait autant de temps et d'argent que pour signifier α ses rivaux qu'elle entendait bien dΘfendre ses intΘrΩts dans l'Atlantique Nord.
La construction de dΘfenses en maτonnerie α un emplacement comme celui de Louisbourg posait des problΦmes Θnormes. Non seulement le terrain convenait mal α des fortifications de style europΘen, mais le climat froid et humide ne laissait pas une saison de travail assez longue pour que le mortier durcisse convenablement. Aussi, l'entretien et les rΘparations prΘsentaient-ils dΘjα de sΘrieuses difficultΘs bien avant l'achΦvement de la forteresse. Il fallait importer de France une grande partie des matΘriaux de construction, et les entrepreneurs et ingΘnieurs ne pouvaient compter sur une main-d'oeuvre locale. Comme solution α ce dernier problΦme, on dΘcida d'avoir recours principalement aux soldats de la garnison.
Les hommes n'avaient pas le choix de participer ou non aux travaux, qui pouvaient s'avΘrer difficiles et dangereux: tout soldat fort et en bonne santΘ Θtait automatiquement affectΘ α la construction. Seuls ceux que l'on estimait trop ΓgΘs ou trop faibles Θtaient chargΘs de monter la garde ou d'exΘcuter d'autres tΓches ordinairement associΘes α un poste militaire. Le ministre de la Marine, responsable de l'administration des colonies, ordonna de procΘder au recrutement en tenant compte du besoin d'ouvriers. On recherchait surtout des hommes de mΘtier, comme des maτons ou des charpentiers. En consΘquence, la garnison de Louisbourg Θtait partagΘe, entre 1720 et 1745, en deux groupes distincts: l'un qui travaillait aux fortifications et l'autre qui montait la garde. Bien que ce dernier f√t appelΘ α s'accroεtre avec l'expansion des ouvrages de dΘfense, qui amenait l'Θtablissement de nouveaux corps de garde, les hommes les plus jeunes, les plus forts et les mieux portants travaillaient toujours α la construction.
En France, des rΦglements stricts rΘgissaient le salaire auquel avaient droit les soldats tenus de prendre part α des travaux de construction, mais tel n'Θtait pas le cas α l'εle Royale. Dans le but peut-Ωtre d'encourager les enr⌠lements, on permit aux hommes qui Θtaient disposΘs α s'embarquer pour Louisbourg de nΘgocier leur salaire. N'ayant pas α craindre la concurrence, ceux-ci exigΦrent une rΘmunΘration supΘrieure α la moyenne. └ une occasion au moins, ils obtinrent de l'entrepreneur une paye quotidienne Θgale α leur solde mensuelle. Afin de dΘdommager les hommes obligΘs de monter la garde, et par consΘquent empΩchΘs de gagner ce supplΘment, on prΘleva pour le redistribuer parmi eux un certain pourcentage du salaire que recevait chaque soldat travaillant aux fortifications. De cette faτon, la garnison entiΦre put profiter financiΦrement de la construction des ouvrages de dΘfense, des routes et des Θdifices gouvernementaux.
Conditions d'enr⌠lement
Le recrutement pour les compagnies franches casernΘes α l'εle Royale fut menΘ exclusivement en France. On repoussait en effet les offres de services des habitants de la colonie, dans la crainte de retarder la croissance de la rΘgion. Bien que l'enr⌠lement pour les colonies s'effectuΓt le plus souvent α Paris, les hommes venaient de diverses parties de la France. Nul ne devait Ωtre engagΘ s'il n'avait 16 ans ou plus et ne mesurait au moins 5 pi 6 po (1,68 m), mais on ignorait souvent ces restrictions lorsque les volontaires Θtaient rares. Beaucoup toutefois furent attirΘs par l'octroi d'une prime, et la perspective d'obtenir abri, vΩtements et repas rΘguliers amena les pauvres et les ch⌠meurs. Quoique l'on acceptΓt, exceptionnellement, des engagements limitΘs α une pΘriode de six ans, la plupart des recrues se retrouvΦrent inscrites pour la vie.
Il n'est donc pas Θtonnant que beaucoup de soldats aient servi α Louisbourg pendant trente ou quarante ans. Certains d'entre eux, selon un gouverneur, Θtaient si ΓgΘs qu'ils avaient de la peine α mettre un pied devant l'autre. Les hommes qui s'Θtaient engagΘs α vie ne pouvaient quitter le service qu'une fois admissibles α l'une des deux libΘrations pour anciennetΘ accordΘes annuellement dans chaque compagnie, ou devenus invalides ou trop vieux pour remplir leurs fonctions. La plupart des vieux soldats ne demandaient pas leur renvoi α moins d'Ωtre tout α fait impotents, parce qu'alors seulement ils pouvaient espΘrer obtenir une pension. Pour beaucoup, le retour α la vie civile ne laissait pas d'autre source possible de revenu. Sans doute les autoritΘs reconnaissaient-elles que les engagements α vie nuisaient au moral des troupes, mais elles n'Θtaient gΘnΘralement guΦre disposΘes α consacrer temps et argent pour renvoyer chaque annΘe en France un grand nombre d'hommes et pour recommencer toujours l'instruction de nouvelles recrues.
La vie de garnison
La journΘe du soldat, que celui-ci f√t chargΘ de monter la garde ou de travailler aux fortifications, commenτait avec le signal du rΘveil, α 4 heures en ΘtΘ et α 6 heures en hiver. Dans les Θtablissements franτais qui n'avaient pas α rΘaliser d'importants programmes de construction, l'entraεnement de la garnison pouvait se faire au dΘbut de la matinΘe, avant qu'on n'e√t α exΘcuter d'autres tΓches. └ Louisbourg, cependant, les exercices furent interrompus en 1721, l'ingΘnieur s'Θtant plaint qu'ils amenaient un ralentissement des travaux. Bien qu'aucun document n'indique une reprise, l'entraεnement recommenτa peut-Ωtre avec la montΘe de la tension entre la Grande-Bretagne et la France. L'arrΩt de l'entraεnement rΘgulier signifiait toutefois que les fonctions d'un bon nombre de soldats n'auraient plus grand-chose α voir avec celles que l'on associe d'ordinaire α la vie militaire. De fait, un homme pouvait faire partie de la garnison de Louisbourg depuis vingt ans sans avoir jamais eu α tirer du mousquet, α moins d'Ωtre allΘ α la chasse. Il n'est donc pas Θtonnant qu'un nouveau gouverneur soit restΘ atterrΘ, en 1739, devant l'aspect de la garnison qu'il passait en revue. Les gardes avaient ΘtΘ choisis pour leur mauvaise condition physique, qui les empΩchait de prendre part aux durs travaux de construction, et les soldats employΘs comme ouvriers manquaient totalement d'allure militaire. Cette situation avait certainement de quoi alarmer l'ancien capitaine d'un bΓtiment de guerre hautement disciplinΘ. On ne chercha guΦre α amΘliorer les choses toutefois, la sΘcuritΘ de la forteresse au cours des quelques annΘes α venir exigeant que les fortifications soient achevΘes, ou mΩme rΘparΘes en certains endroits.
Il y avait cinq corps de garde α Louisbourg en 1744: trois aux portes de la ville et deux α l'intΘrieur de l'enceinte. Chacun de ces postes exigeait la prΘsence de douze α vingt hommes, selon le nombre de sentinelles. La garde Θtait relevΘe toutes les vingt-quatre heures, α 4 heures en ΘtΘ et α 5 heures en hiver. Chaque soldat de service devait rester en faction pendant six α huit heures au total. Les sentinelles Θtaient normalement relevΘes au bout de deux heures, mais lorsque le froid Θtait extrΩme elles n'Θtaient postΘes que pour une heure α la fois. Le service de garde avait une grande importance, et la vigilance des sentinelles ne devait jamais se relΓcher. En certaines circonstances, le seul fait de s'endormir ou mΩme de s'asseoir pouvait amener une condamnation α mort. On trouvait au corps de garde d'Θpais manteaux pour se protΘger des intempΘries.
Les dΘsertions Θtaient rares en dΘpit du climat rigoureux et du travail rude, principalement parce que les hommes n'avaient nulle part o∙ aller. Sans doute pouvait-on se rΘfugier quelque temps dans les forΩts denses de l'εle, mais Louisbourg Θtait ΘloignΘ des autres centres. Lorsque sa tentative ne lui co√tait pas la vie, le dΘserteur retournait α la forteresse de lui-mΩme, s'il n'y Θtait ramenΘ par une patrouille. La dΘsertion entraεnait la peine de mort devant un peloton d'exΘcution, mais le coupable bΘnΘficiait parfois de la clΘmence de ses juges s'il pouvait dΘmontrer qu'il avait eu un motif pressant de dΘserter.
Avant-postes
Les dΘsertions Θtaient plus frΘquentes et avaient de meilleures chances de rΘussir aux avant-postes occupΘs par des dΘtachements, α Port-Toulouse et α Port-la-Joie (voir la diapositive n░ 1). Comme ces deux postes Θtaient plus rapprochΘs des Θtablissements britanniques de Canso et d'Annapolis Royal, en Nouvelle-╔cosse (Acadie), ii arrivait souvent que des soldats dΘsertent pour chercher refuge auprΦs de l'ennemi. Les conditions de vie sur l'εle Saint-Jean Θtaient particuliΦrement mauvaises, ce qui rendait plus forte encore la tentation de dΘserter. En outre, les hommes envoyΘs aux avant-postes perdaient le supplΘment qu'ils auraient reτu s'ils avaient ΘtΘ employΘs α la construction de la forteresse. Dans le but de satisfaire les soldats et de rΘduire le nombre de dΘsertions, le gouverneur de l'εle Royale garantit α ses hommes que personne ne serait envoyΘ α un avant-poste pour plus d'un an. Le troisiΦme et le plus petit de ces Θtablissements Θtait situΘ α Port-Dauphin, premiΦre capitale de la colonie.
La garnison de Louisbourg fournissait aussi des troupes α la batterie Royale, situΘe α environ 1,5 km de la forteresse, et α la batterie de l'Islet, dans le port (voir la diapositive n 2). Ces deux batteries devaient interdire l'accΦs du port aux vaisseaux ennemis. Avec les batteries c⌠tiΦres installΘes dans la forteresse mΩme, elles disposaient d'une partie des piΦces les plus puissantes pour la dΘfense de Louisbourg. Le service de la batterie Royale Θtait considΘrΘ comme un privilΦge par les officiers, et sans doute aussi par les hommes. Un systΦme de rotation annuelle donnait α chaque compagnie l'occasion d'y sΘjourner. Chaque printemps, une compagnie entiΦre, y compris les familles et le bΘtail des officiers, dΘmΘnageait de la ville α la batterie. Comme il y avait d'ordinaire du travail α la batterie ou sur les routes avoisinantes, les soldats pouvaient continuer α grossir leur salaire.
La batterie de l'Islet n'Θveillait pas autant d'enthousiasme. Bien qu'elle ne f√t qu'α une petite distance de la rive, les hommes qu'on y affectait devaient y demeurer jusqu'α la fin de leur tour de service. Comme la navigation Θtait pratiquement au point mort pendant l'hiver, on n'estimait pas nΘcessaire d'y laisser un effectif complet. Par consΘquent, il ne restait dans l'εle qu'un ou deux soldats et un concierge depuis novembre jusqu'α avril ou mai, o∙ ils Θtaient enfin relevΘs par un plus gros dΘtachement.
Les soldats du rΘgiment de Karrer ne demandaient pas d'affectation aux avant-postes ni aux batteries. PrΘoccupΘs avant tout de s'enrichir, ils ne montaient la garde dans la forteresse que lorsqu'une maladie ou une blessure les empΩchait de travailler aux fortifications. Certes, Θtant donnΘ l'honneur qu'on attachait α ce poste, les officiers du rΘgiment demandΦrent d'Ωtre envoyΘs pour un an α la batterie Royale, mais leur requΩte fut repoussΘe car ils avaient dΘjα refusΘ d'aller α leur tour dans les postes moins enviables.
La mutinerie et le siΦge
Jusqu'α prΘsent, notre examen de la garnison de l'εle Royale a dΘpeint une existence qui, si loin fut-elle de l'idΘal proposΘ par les normes modernes, offrait nΘanmoins quelque nourriture, un abri ainsi qu'une libertΘ et un salaire supΘrieurs α la moyenne de l'Θpoque -- avantages dont beaucoup de soldats n'auraient pas profitΘ en France en qualitΘ de civils. En 1744, toutefois, la reprise du conflit avec la Grande-Bretagne apporta des changements substantiels dans la vie quotidienne de la garnison.
Toutes les permissions et les libΘrations furent suspendues pour la durΘe de la guerre. En consΘquence, plusieurs hommes du rΘgiment de Karrer et quelques soldats franτais furent incapables de quitter la colonie aprΦs leur temps de service. On imagine aisΘment leur dΘtresse α la perspective de passer encore un autre hiver misΘrable dans les confins d'un Louisbourg glacΘ, battu par les vents. L'hiver devint encore plus insupportable par suite d'une pΘnurie de bois de chauffage, et les hommes trouvΦrent dans leurs rations des lΘgumes pourris. L'agitation monta encore chez certains, le gouverneur ayant manquΘ α sa promesse de remettre une part du butin α chacun de ceux qui avaient participΘ, en mai 1744, α la prise du fortin dΘfendant le poste de pΩche des Britanniques α Canso.
Il se manifestait en outre un mΘcontentement gΘnΘral devant les mesures prises pour prΘparer la garnison en vue d'une probable offensive britannique. Pour la premiΦre fois peut-Ωtre depuis la fondation de Louisbourg, presque toute la garnison vivait α la caserne dans l'observance des rΦglements. Les hommes n'avaient pas ΘtΘ autorisΘs α passer l'hiver α l'extΘrieur de la forteresse pour couper du bois, chasser et se faire un revenu supplΘmentaire, comme beaucoup en avaient l'habitude. De plus, les fortifications Θtant quasi achevΘes, on prΘvoyait peu de travaux de construction pour 1745. Les soldats Θtaient donc bien prΦs de perdre leur second salaire, et de devoir se contenter de leur maigre solde. Ainsi, la garnison de l'εle Royale se voyait retirer d'un coup les privilΦges que depuis longtemps elle regardait comme son d√. Avec le dΘbut de la saison froide et les revers essuyΘs par la France dans la guerre navale et la guerre de course, la colonie se sentit de plus en plus isolΘe, et l'arrivΘe des approvisionnements d'outre-mer ralentit considΘrablement. Le mΘcontentement se rΘpandit, et deux jours aprΦs Noδl il Θclata.
Les soldats du rΘgiment de Karrer, violant la devise de leur corps, Fidelitate et honore terra et mari, se soulevΦrent contre les officiers de la garnison. Peu aprΦs, les troupes franτaises prΩtΦrent leur concours α ce crime militaire, le plus grave de tous. MalgrΘ le rΘtablissement d'une paix inquiΦte au bout de plusieurs jours, aucune confiance n'existait plus entre les officiers et leurs hommes, et leurs relations allaient Ωtre dΘsormais teintΘes de mΘfiance.
Le 11 mai, les sentinelles aperτurent la flotte d'invasion venue de Nouvelle-Angleterre sous le commandement du colon William Pepperell. └ Pointe Plate, soit α 5 km de la forteresse en descendant vers la c⌠te, l'ennemi ne rencontra qu'une faible rΘsistance et, au coucher du soleil, quelque deux mille hommes avaient dΘbarquΘ dans l'εle Royale. En France, le ministre de la Marine Θtait d'avis que, la nouvelle du mauvais moral de la garnison et de son soulΦvement Θtant parvenue en Nouvelle-Angleterre, on avait cru lα-bas au succΦs possible d'une attaque. Bien que les troupes franτaises et les hommes du rΘgiment de Karrer combattirent vaillamment pendant les sept semaines de siΦge qui acquit la forteresse aux Britanniques, les autoritΘs militaires de la France n'allaient pas oublier la mutinerie, d'autant plus que deux hommes du rΘgiment de Karrer, qui avait ΘtΘ le premier α se rΘvolter, Θtaient passΘs α l'ennemi avec des dΘtails sur les difficultΘs que connaissait la ville assiΘgΘe.
En acceptant les conditions de la reddition, les Britanniques s'engageaient α ramener la garnison vaincue en France, o∙ la justice militaire dans toute sa rigueur attendait les chefs de la mutinerie. Au total, sept hommes moururent pour leur participation; deux autres furent condamnΘs α ramer leur vie durant sur les galΦres franτaises en MΘditerranΘe, et le dernier Θchappa α l'exΘcution en s'Θvadant. Dans la crainte de reprΘsailles encore plus Θtendues, plus de cent soldats des troupes de la Marine s'enfuirent en 1745-1746 de Rochefort, o∙ ils Θtaient casernΘs depuis leur retour en France.
La fin de Louisbourg
Rendue α la France aux termes du traitΘ d'Aix-la-Chapelle (1748), la forteresse fut reprise par les Britanniques au cours de la guerre de Sept Ans. Dans l'intervalle, l'un des ingΘnieurs franτais les plus remarquables avait dirigΘ la rΘparation et l'amΘlioration des ouvrages de dΘfense, et le nombre des compagnies franches de la Marine (composΘes chacune de cinquante hommes α l'Θpoque) Θtait passΘ de huit α vingt-quatre; il s'y Θtait joint des troupes de l'infanterie rΘguliΦre. Ces mesures s'avΘrΦrent toutefois insuffisantes, car en 1758 un nouveau siΦge remit la colonie aux Britanniques. Deux ans plus tard, le SecrΘtariat d'╔tat britannique ordonna le dΘmantΦlement de la forteresse, symbole de l'ambition coloniale de la France.
Cette lutte finale pour la prise de Louisbourg a certainement retardΘ l'avance des Britanniques sur le Saint-Laurent, et fait diffΘrer d'un an l'assaut contre QuΘbec; toutefois, la grande forteresse avait dΘjα mΘritΘ une place prΘdominante dans les premiΦres pages de l'histoire canadienne: son port Θtait le troisiΦme en AmΘrique du Nord pour le volume d'activitΘs, aprΦs Boston et Philadelphie, et servait d'immense entrep⌠t pour le commerce avec les Antilles; en tant qu'Θtablissement de pΩche, il apportait α l'Θconomie franτaise une contribution supΘrieure α celle du commerce des fourrures au Canada; enfin, la sociΘtΘ de Louisbourg Θtait l'une des plus raffinΘes du Nouveau Monde: c'est elle en effet qui recevait la premiΦre les nouvelles et les modes les plus rΘcentes d'Europe. Nous pouvons donc nous fΘliciter d'Ωtre en mesure d'admirer aujourd'hui, grΓce aux travaux de reconstruction, une partie de la forteresse et de la ville qui furent jadis le fier bastion de la France, gardien de l'Atlantique Nord.