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Text File  |  1996-07-31  |  31KB  |  81 lines

  1. LES DâBUTS DE L'INDUSTRIE PâTROLIΘRE 
  2.  
  3. Marlynn Jolliffe, Charles 0. Fairbank fils et Brian Arnott 
  4.  
  5.      Au milieu du XIXe siÅcle, la vague d'industrialisation rapide qui dÄferlait sur l'ouest de l'Europe et sur l'AmÄrique du Nord crÄait une demande sans prÄcÄdent de lubrifiants pour les machines et de combustibles pour l'Äclairage. Le produit qui rÄpondait ê ces deux grands besoins Ätait le pÄtrole, et les structures de base de tous les futurs progrÅs de l'industrie pÄtroliÅre mondiale existaient dans le Canada d'avant la ConfÄdÄration.
  6.  
  7.      Avant 1858, plusieurs hommes s'Ätaient intÄressÄs aux ╟gisements de goudron╚ du canton d'Enniskillen, ê 30 kilomÅtres environ au sud-est de la ville actuelle de Sarnia, mais c'est James Miller Williams (1818-1890) qui entreprit de raffiner la substance bitumineuse qui s'y trouvait et de vendre le produit de l'opÄration comme huile d'Äclairage. En ao₧t 1858, cet ancien carrossier de Hamilton avait mis en exploitation le premier puits de pÄtrole commercial du monde, rÄussi ê raffiner la matiÅre brute, mis en marchÄ le produit et, ce faisant, fondÄ l'une des plus importantes industries extractives du monde moderne.
  8.  
  9. Explorateurs et arpenteurs 
  10.  
  11.      Les EuropÄens qui ouvrirent l'AmÄrique du Nord ê la colonisation et au commerce notÅrent la prÄsence de pÄtrole ê plusieurs endroits. DÅs 1726, un missionnaire franìais avait constatÄ l'utilisation du pÄtrole chez les AmÄrindiens vivant au sud du lac âriÄ. Dans les annÄes 1790, l'explorateur Alexander MacKenzie mentionnait que les Cris du nord de l'Alberta se servaient de bitume tirÄ des sables de l'Athabasca pour calfater leurs canots. Au cours d'un voyage le long de la rive nord du lac âriÄ en 1793, le colonel John Graves Simcoe remarqua la prÄsence sur la riviÅre Thames d'une nappe de pÄtrole dont Mme Simcoe trouva l'odeur dÄsagrÄable.
  12.  
  13.      Dans le cadre d'une Ätude topographique de l'Ouest canadien dans les annÄes 1840, le gÄologue provincial, sir William Logan, demanda au chimiste qui faisait partie de son personnel, Thomas Sterry Hunt, de prÄlever des Ächantillons du sol en divers endroits pour les analyser. De l'Ächantillon tirÄ du marÄcage d'Enniskillen, Hunt disait que sa consistance ╟ressemble plus ou moins ê la variÄtÄ connue sous le nom de caoutchouc minÄral. L'utilisation qu'on fait de cette matiÅre en Angleterre et sur le continent pour la construction de routes, le calfatage de la coque des navires, la production de gaz d'Äclairage, ce ê quoi elle se prÉte ê merveille, suffit pour qu'on attache une importance considÄrable aux dÄpÖts qu'on en trouve dans ce pays...╚ Le rapport de Hunt incita Logan ê envoyer son adjoint, Alexander Murray, Ätudier la situation. Ce dernier disait dans son rapport: ╟Selon les observations, la partie supÄrieure de l'argile Ätait plus ou moins imprÄgnÄe de pÄtrole et de petites gouttelettes noires de la mÉme substance Ätaient dissÄminÄes dans la masse jusqu'ê une profondeur de quatre ou cinq pieds... On pouvait voir l'huile bitumeuse qui montait ê la surface de l'eau dans le ruisseau Black...╚
  14.  
  15.      La plupart des observateurs de l'Äpoque portÅrent peu d'intÄrÉt aux dÄcouvertes des hommes de science. Les ╟sources de pÄtrole╚ que Hunt et Murray trouvÅrent dans le sud-est de l'Ontario se trouvaient dans une rÄgion tout ê fait inhabitable pour l'homme. Le canton d'Enniskillen, qui s'Ätendait sur 34 800 hectares, Ätait complÅtement recouvert d'une Äpaisse forÉt de chÉnes, de noyers, d'ormes et de frÉnes noirs. Il Ätait traversÄ par deux ruisseaux appelÄs Bear et Black. Dans le sol, une couche impermÄable d'argile bleue retenait l'eau, d'o¥ le nom de ╟Black Swamp╚ donnÄ ê cette rÄgion. Au printemps et en ÄtÄ, ce marÄcage produisait des multitudes de moustiques qui propageaient le ╟paludisme╚ parmi les quelques colons qui l'habitaient. Les zones les plus malsaines de ce marÄcage Ätaient constituÄes de deux gisements de goudron, couvrant plusieurs hectares, o¥ une substance bitumeuse recouvrait le sol ê une profondeur variant de quelques centimÅtres ê plus d'un mÅtre. Une route qui traversait cette rÄgion fut dÄcrite comme ╟un banc de boue de 12 milles de long dans lequel les chevaux risquaient ê tout moment de disparaötre╚. Ceux qui s'y aventuraient devaient avoir de trÅs bonnes raisons de le faire. C'Ätait le cas de Charles Tripp.
  16.  
  17. Production d'asphalte 
  18.  
  19.      Tripp avait peut-Étre appris d'Alexander Murray l'existence du marÄcage d'Enniskillen, car tous deux habitaient Woodstock, qui se trouvait ê proximitÄ. Vers 1850, Tripp eut l'idÄe de produire de l'asphalte ê partir des gisements de goudron d'Enniskillen et, deux ans plus tard, avec son frÅre Henry et d'autres investisseurs, il demanda au Conseil lÄgislatif du Haut-Canada la charte de la premiÅre compagnie pÄtroliÅre du monde. En 1854, cette charte fut finalement accordÄe ê l'International Mining and Manufacturing Company pour ╟l'exploration de gisements d'asphalte, de sources de pÄtrole et de sel et la transformation de ces substances en vue des divers usages auxquels elles peuvent Étre adaptÄes et mises en marchÄ╚. La sociÄtÄ produisit effectivement, avec la matiÅre bitumeuse qu'elle extrayait du sol, une certaine quantitÄ de pÄtrole lampant, mais elle s'intÄressa principalement ê l'asphalte, pour laquelle elle reìut une mention honorable ê l'Exposition universelle de Paris en 1855.
  20.  
  21.      MalgrÄ ses premiers succÅs, l'International Mining and Manufacturing Company fut un Ächec. Les problÅmes de transport se rÄvÄlÅrent insolubles; les chemins terrestres Ätaient presque impraticables et aucune voie ferrÄe ne reliait les gisements aux marchÄs Äventuels de la rÄgion populeuse de Toronto-Hamilton. En outre, la sociÄtÄ manquait sans doute de capitaux pour acheter de l'Äquipement de distillation. La distillation du bitume, en transformant celui-ci en pÄtrole utilisable, aurait diversifiÄ la production et ouvert de nouveaux dÄbouchÄs.
  22.  
  23. Production de pÄtrole 
  24.  
  25.      L'oeuvre de pionnier de Tripp fut reprise par James Miller Williams, un des actionnaires de la sociÄtÄ. L'acquisition des installations de Tripp par Williams marqua le dÄbut d'une entreprise mieux organisÄe et intÄgrÄe en vue de transformer la matiÅre bitumeuse brute en produits de commerce. Williams avait un sens aigu des affaires, et les circonstances lui Ätaient de plus en plus favorables. Le chemin de fer atteignit le sud-ouest de l'Ontario en 1855, au moment o¥, l'huile de baleine se faisant rare, le besoin d'une nouvelle source d'huile d'Äclairage se faisait particuliÅrement sentir. Williams entrevoyait l'avenir du pÄtrole et apportait ê l'entreprise qu'il venait d'acquÄrir ê la fois son sens pratique et ses connaissances techniques. Tandis que Tripp s'Ätait contentÄ de faire bouillir le bitume pour produire de l'asphalte, Williams en fit la distillation pour obtenir de l'huile d'Äclairage. Tripp avait prÄlevÄ ê la pelle et ê la hache le bitume prÄsent ê la surface, mais Williams creusa le sol afin d'atteindre la profondeur o¥ la matiÅre liquide, plus facile ê raffiner, Ätait aussi plus abondante. Un rÄcit de l'Äpoque dÄcrit son premier puits: ╟Le puits de Williams and Company est profond de 49 pieds (17,7 mÅtres), a une forme carrÄe de 7 pieds sur 9 (2 mÅtres sur 2,27) et est boisÄ de petits rondins; il n'atteint pas le roc, le pÄtrole s'ÄlÅve jusqu'ê 10 pieds (3 mÅtres) dans le puits, qui contient 13 724 gallons (51 930 litres) ou 343 barils de pÄtrole et qui est en exploitation depuis deux ans. La plus grande quantitÄ extraite jusqu'ê prÄsent a ÄtÄ de 1 500 gallons (5 675 litres) ou 37 barils (ê la pompe ê main) en 10 heures, ce qui a fait baisser de 3 pieds le niveau du pÄtrole dans le puits╚.
  26.  
  27.      En 1859, Williams avait aussi forÄ un puits productif ê travers la roche de fond et, en septembre de la mÉme annÄe, son huile d'Äclairage raffinÄe Ätait dÄjê bien Ätablie sur le marchÄ. La sociÄtÄ mit sur pied une deuxiÅme raffinerie ê Hamilton en 1860. En cinq ans seulement, Williams avait crÄÄ le premier complexe intÄgrÄ -- forage, extraction, raffinage et mise en marchÄ -- de l'industrie du pÄtrole et jouissait d'un monopole absolu. Il n'avait pu, toutefois, arriver ê son but que grëce aux dÄcouvertes technologiques antÄrieures. Il avait empruntÄ ses techniques de raffinage ê l'industrie de l'huile de houille et ses mÄthodes de forage ê celle des puits artÄsiens. Il Ätait spÄcialement redevable ê un mÄdecin de la Nouvelle-âcosse du nom d'Abraham Gesner (1797-1864), qui avait mis au point un procÄdÄ de transformation, par raffinage, du charbon en pÄtrole lampant et en lubrifiants. En 1848, Gesner avait dÄmontrÄ que, en chauffant la matiÅre bitumeuse extraite dans le comtÄ d'Albert (Nouveau-Brunswick) ê une tempÄrature ÄlevÄe dans une cornue fermÄe, on obtenait une huile ê br₧ler satisfaisante. Il fut ainsi le premier ê distiller un hydrocarbure pour obtenir du pÄtrole lampant ou, comme il l'appelait, du kÄrosÅne.
  28.  
  29.      Il n'est pas s₧r que Gesner ait contribuÄ directement au succÅs de Williams. Certes, Gesner connaissait le pÄtrole d'Enniskillen, car il en mentionne les caractÄristiques particuliÅres dans son Practical Treatise on Coal and Petroleum and Other Distilled Oils (1860). Il se peut fort bien que Williams, avec son sens aigu des affaires, ait consultÄ un expert de la trempe de Gesner et il semble que ce dernier ait pu avoir part ê la mise sur pied de la plus ancienne raffinerie du monde sur les bords du ruisseau Black en 1857. Bien que l'industrie de l'huile de houille que Gesner a contribuÄ ê fonder ait ÄtÄ bientÖt supplantÄe par celle du pÄtrole, c'est grëce ê ses innovations technologiques que Williams put Äviter de suivre la voie de l'asphalte et de la faillite comme son prÄdÄcesseur, Tripp.
  30.  
  31.      Avant l'apparition des conserves et de la rÄfrigÄration domestique moderne, le sel constituait le principal moyen de conserver les aliments et, au fur et ê mesure que la demande croissait, on en produisait de plus en plus dans les puits d'extraction de saumure. Dans les annÄes 1820, un puits creusÄ dans le sud des âtats-Unis produisit, au lieu de saumure, plus de 1 000 barils de pÄtrole par jour. Un autre puits d'extraction de saumure fut mis hors d'usage par une poche de gaz naturel dont le souffle projeta les outils de forage hors du puits. Au Canada, en 1855, un puits d'eau minÄrale avait ÄtÄ forÄ avec succÅs jusqu'ê 150 mÅtres ê St. Catharines. Les techniques de forage Ätaient donc trÅs avancÄes et dÄjê adaptÄes ê l'extraction du pÄtrole ê l'Äpoque o¥ Williams entra en scÅne ê Enniskillen. Au cours des 20 annÄes qui suivirent, la technologie du forage Ävolua afin de rÄpondre aux besoins particuliers de la recherche du pÄtrole brut.
  32.  
  33.      Pendant que Tripp et Williams Ätaient ê l'oeuvre ê Enniskillen, des ÄvÄnements de mÉme nature se dÄroulaient en Pennsylvanie, o¥ le ╟colonel╚ Edwin L. Drake mettait en exploitation, en ao₧t 1859, le premier puits de pÄtrole des âtats-Unis. Contrairement ê l'entreprise de Williams, la dÄcouverte de Drake marqua le dÄbut d'une fiÅvre analogue ê la ruÄe vers l'or de la Californie: d'innombrables puits furent forÄs et 74 puits productifs furent mis en exploitation en 15 mois. En moins d'un an, la production de l'industrie du pÄtrole des âtats-Unis dÄpassa celle du Canada et son avance s'accrut constamment par la suite.
  34.  
  35. Expansion du forage ê Oil Springs 
  36.  
  37.      En 1862, James Miller Williams reìut deux mÄdailles ê l'Exposition internationale de Londres, l'une pour avoir ÄtÄ le premier ê produire du pÄtrole brut, et l'autre pour avoir ÄtÄ le premier ê le raffiner. Mais, plus que les honneurs rendus ê Williams, l'annÄe fut marquÄe par les ÄvÄnements dramatiques qui se produisirent ê Enniskillen mÉme, agglomÄration en pleine croissance de plus de 1 600 habitants, maintenant appelÄe Oil Springs.
  38.  
  39.      Par exemple, le nombre de puits augmentait d'une faìon spectaculaire. La mÄthode classique employÄe pour foncer un puits ê cette Äpoque consistait ê creuser et ê boiser jusqu'ê environ 15 mÅtres, profondeur ê laquelle certains puits commenìaient ê produire du pÄtrole. Lorsqu'on n'en trouvait pas ê ce niveau, il ne restait qu'ê abandonner le puits ou ê creuser le roc. Une des mÄthodes utilisÄes ê cette Äpoque Ätait celle du forage ê sonde consistant ê faire monter et descendre, sous le poids des foreurs, une perche Älastique appuyÄe sur un pivot.
  40.  
  41.      Aucun des ÄvÄnements qui transformÅrent le marÄcage d'Enniskillen en chantier pÄtrolier ne fut aussi spectaculaire que le forage d'un certain puits par Hugh Nixon Shaw (1811-1864) en 1862. Shaw avait commencÄ ê travailler ê son puits ê l'ÄtÄ 1861, avec 50 $ en poche et des droits sur un emplacement d'un acre (0,5 hectare). Travaillant seul, il creusa ê travers 15 mÅtres d'argile, puis fora ê travers 71 mÅtres de roc. DÄcouragÄ et ayant ÄpuisÄ ses possibilitÄs de crÄdit, l'indomptable quinquagÄnaire poursuivit ses efforts jusqu'au dÄbut de la nouvelle annÄe. Finalement, le 16 janvier 1862, jaillit du puits de Shaw un jet spectaculaire de pÄtrole brut. L'Åre des grands puits ê Äcoulement naturel commenìait ê Enniskillen avec le puits Äruptif irrÄsistible de Shaw, qui dÄversait 2 000 barils par jour. En forant le roc plus profondÄment que personne ne l'avait fait, il avait atteint une formation de gravier poreux, imprÄgnÄ d'huile et de gaz sous pression. La pression Ätait si forte que le jet de pÄtrole montait ê la hauteur de la cime des arbres.
  42.  
  43.      Les puits creusÄs prÄcÄdemment ê Oil Springs n'avaient captÄ que le pÄtrole suintant ê la surface. Celui de Shaw, avec son flot de pÄtrole que rien ne pouvait arrÉter, prÄsentait un problÅme nouveau. Recourant ê une technique conìue par les foreurs de puits artÄsiens, Shaw tenta de contenir le flot de pÄtrole sortant de son puits au moyen d'une garniture d'ÄtanchÄitÄ, sorte de manchon de cuir d'un demi-mÅtre de longueur environ, rempli de graines de lin et fermement attachÄ aux extrÄmitÄs supÄrieure et infÄrieure d'un tube. Lorsque la garniture Ätait introduite dans le puits, les graines de lin se dilataient au contact du pÄtrole liquide et lui bloquaient le passage, le forìant ainsi ê s'Äcouler par le tube. Shaw contrÖla son puits en faisant descendre de force par le trou de 76 millimÅtres de diamÅtre un gros tube entourÄ d'une garniture remplie de graines de lin; il enveloppa d'un autre manchon un tube plus petit, qu'il introduisit dans le premier. ╦ ce moment lê, le pÄtrole continuait de jaillir du puits de Shaw au rythme de 500 barils par jour, soit environ un baril (132,5 litres) toutes les trois minutes. L'Äruption Ätait maintenant contenue, mais de grandes quantitÄs de pÄtrole avaient ÄtÄ gaspillÄes. Un reporter du London Free Press Äcrivait trois semaines plus tard: ╟En tout, quelque 100 000 barils de pÄtrole ont ÄtÄ perdus avant que le puits ne puisse Étre contrÖlÄ. J'ai mesurÄ la couche d'huile dans le ruisseau et constatÄ qu'elle atteignait en moyenne de 3 ê 4 pouces╚. Le puits Äruptif de Shaw n'Ätait qu'un prÄlude ê ce qui allait suivre -- d'autres puits ê Äcoulement naturel et encore plus de gaspillage. Plus de 30 puits ê Äcoulement naturel furent dÄcouverts l'annÄe suivante ê Oil Springs, tous situÄs dans une zone d'environ 1,5 kilomÅtre carrÄ s'Ätendant de chaque cÖtÄ de Black Creek. Dans la mÉme pÄriode, le nombre de puits de tous types passa d'environ 300 ê plus de 1 000. Au plus fort de cette pÄriode d'effervescence, les charretiers transportaient 500 chargements de pÄtrole par jour ê travers le marÄcage d'Enniskillen, sur une distance de 19 kilomÅtres jusqu'au chemin de fer de Wyoming. Le village connut une explosion dÄmographique, sa population passant ê 3 000 habitants, et les affaires connurent une vague de prospÄritÄ. Les hÖtels louaient leurs chambres ê l'heure aux pÄtroliers ÄpuisÄs. La grande rue d'Oil Springs fut revÉtue sur une longueur de 2,5 kilomÅtres de planches de chÉne blanc et brillamment illuminÄe avec des lampes ê pÄtrole. Des coches faisaient quatre fois par jour le voyage jusqu'ê Sarnia sur un chemin de 32 kilomÅtres couvert de planches. Le prix des terres monta en flÅche (jusqu'ê 80 000 $ le lot). Dans un tel contexte, les fortunes se constituaient et s'effondraient en l'espace d'une journÄe.
  44.  
  45.      ╦ la fin de 1862, la production des puits d'Oil Springs atteignait 12 000 barils par jour. Les fuites provenant de puits non contrÖlÄs inondaient parfois le bassin de Black Creek, le recouvrant d'une nappe d'un mÅtre de profondeur. ╦ cette Äpoque, chaque producteur raffinait gÄnÄralement lui-mÉme son pÄtrole sur place et il lui fallait faire des pieds et des mains pour ne pas Étre dÄbordÄ par la production de son puits. Lorsque le temps Ätait mauvais, le transport vers le chemin de fer devenait impossible et l'on manquait invariablement de barils. La vague de prospÄritÄ se poursuivit pendant toute une annÄe, puis, en janvier 1863, elle se termina aussi soudainement et mystÄrieusement qu'elle avait commencÄ. L'un aprÅs l'autre, les grands puits ê Äcoulement naturel se tarirent. SimultanÄment, le marchÄ commenìait ê ressentir les effets d'une annÄe de production incontrÖlÄe. La surabondance de pÄtrole fit tomber les prix de 10 $ ê 10 cents le baril. Oil Springs fut ÄbranlÄe par le choc.
  46.  
  47.      En 1865, toutefois, le prix du pÄtrole Ätait remontÄ ê 11 $ le baril, et le village, florissant, comptait 4 000 habitants. La production de pÄtrole avait aussi dÄbutÄ ê Bothwell, ê 32 kilomÅtres environ au sud-est, et ê Petrolia, ê quelque 11 kilomÅtres au nord. ╦ Oil Springs, on espÄrait toujours une nouvelle vague de prospÄritÄ, mais le rÉve fut brisÄ ê jamais par un concours de circonstances peu commun en 1866. La guerre de SÄcession amÄricaine Ätant terminÄe, les champs de Pennsylvanie, remis en exploitation, rÄpondaient ê la demande sur le marchÄ amÄricain. Fuyant les raids des Fenians et la menace d'une guerre entre la Grande-Bretagne et les âtats-Unis, les pÄtroliers amÄricains regagnÅrent leur pays. Enfin, un certain nombre de trÅs bons puits ayant ÄtÄ dÄcouverts ê Petrolia, l'attention des foreurs se porta rapidement sur les nouveaux champs. La population d'Oil Springs tomba ê 300 habitants presque du jour au lendemain.
  48.  
  49.      La fin d'Oil Springs fut peut-Étre prÄmaturÄe, mais son heure de gloire eut des consÄquences durables. Shaw et les autres foreurs, producteurs et raffineurs de l'Äpoque accrurent considÄrablement la productivitÄ d'une industrie qui en Ätait ê ses premiers pas. Le kÄrosÅne Ätait devenu un produit domestique courant en Ontario en 1863. L'avenir de l'industrie du pÄtrole Ätait manifestement assurÄ.
  50.  
  51. Fondation et croissance de Petrolia 
  52.  
  53.      L'Ätape suivante de l'Ävolution eut lieu ê 11 kilomÅtres au nord d'Oil Springs, dans le bassin de Bear Creek, o¥ il y avait environ 20 puits en 1865. ╦ l'est des puits se trouvaient quelques maisons en rondins, mais, moins d'un an plus tard, ce hameau Ätait devenu officiellement le village de Petrolia, avec neuf hÖtels et une population de plus de 2 300 habitants. L'intÄrÉt pour le champ de Petrolia s'accrut rapidement en 1866, aprÅs que le capitaine Bernard King, de St. Catharines, directeur de la North Eastern Oil Company, eut dÄcouvert un puits ê Äcoulement naturel sur la butte situÄe ê l'ouest de l'ancien chantier de forage. Le puits King, qui donnait au dÄbut 2 000 barils par jour, produisit en moyenne 265 barils par jour pendant plus de 40 ans. Les puits de la rÄgion de Petrolia Ätaient plus profonds que ceux d'Oil Springs, certains atteignant jusqu'ê 150 mÅtres. Leur forage co₧tait cher et il fallait des moyens financiers plus importants aux foreurs de Petrolia qu'ê ceux d'Oil Springs. Il ne semble pas cependant que le risque de creuser un puits sec ait ÄtÄ aussi ÄlevÄ ê Petrolia. Le puits de King indiquait la prÄsence d'un nouveau champ lucratif que d'autres foreurs ne tardÅrent pas ê confirmer. Les champs dÄcouverts ê Petrolia offraient beaucoup plus de garanties que ceux d'Oil Springs, Ätaient dix fois plus vastes (environ 50 kilomÅtres carrÄs) et, en tout, 6 000 puits y furent forÄs. Tandis qu'Oil Springs avait ÄtÄ le berceau de l'industrie, Petrolia allait Étre le lieu o¥ les diffÄrents systÅmes de forage, d'extraction, de transport, de raffinage et de mise en marchÄ seraient finalement mis au point pour former la base d'une industrie efficace.
  54.  
  55.      L'un des hommes qui jouÅrent un grand rÖle dans cette pÄriode de consolidation fut John Henry Faibank (1831-1914). Ce pionnier, qui Ätait allÄ ê Oil Springs en 1861, fut ê l'origine de l'adoption du ╟systÅme de cëble ê secousses╚ pour pomper l'huile des puits lorsque la pression Ätait insuffisante pour la faire monter ê la surface. Ce systÅme permettait d'exploiter 100 puits ou plus avec une seule machine ê vapeur et faisait du pompage une technique efficace et Äconomique qui prolongeait sensiblement l'existence productive d'un champ pÄtrolier.
  56.  
  57.      La production de pÄtrole augmenta si rapidement ê Petrolia en 1866 qu'un groupe de producteurs, sous la conduite de Fairbank, avait recueilli une somme de 50 000 $ pour construire un embranchement de huit kilomÅtres de long reliÄ ê la ligne principale du Great Western Railway, plus au nord. Il existait dÅs lors un lien s₧r avec les grands marchÄs urbains. L'embranchement ferroviaire n'Ätait toutefois que la derniÅre piÅce d'un systÅme intÄgrÄ de transport du pÄtrole, du puits au marchÄ. Les barils que Hugh Nixon Shaw avait remplis directement ê son puits en 1862 avaient ÄtÄ remplacÄs par de grands rÄservoirs en bois ê la tÉte du puits. Ces rÄservoirs Ätaient reliÄs par des tubes ê la pompe placÄe dans le puits. Cette derniÅre aspirait le pÄtrole dans le sol et le refoulait directement dans le rÄservoir. Lorsque le rÄservoir Ätait plein, un camion-citerne ê chevaux emportait le pÄtrole brut jusqu'ê la station de recette de la raffinerie. En 1865, il Ätait devenu possible, grëce ê l'arrivÄe des wagons-citernes, de transporter par chemin de fer le pÄtrole brut et raffinÄ vers les marchÄs extÄrieurs.
  58.  
  59.      En outre, au milieu des annÄes 1800, une modification proprement canadienne fut apportÄe aux mÄthodes de forage. On dÄcouvrit qu'un trÄpan reliÄ ê la perche ê ressort par une sÄrie de tiges en frÉne noir permettait de creuser le roc avec plus d'efficacitÄ qu'un trÄpan suspendu ê un cëble, car ces tiges rigides permettaient de mieux suivre le progrÅs du trÄpan ê travers le roc. AprÅs 1874, les foreurs canadiens employÄs pour ouvrir des champs pÄtroliers dans le monde entier firent connaötre ce systÅme modifiÄ sous le nom de ╟derrick canadien╚.
  60.  
  61.      Outre la technique de forage classique, les sociÄtÄs adoptÅrent une technique amÄricaine consistant ê faire Äclater le roc avec une charge de nitroglycÄrine. Celle-ci Ätait descendue dans le puits, puis on la faisait exploser, dÄsagrÄgeant ainsi le roc autour du puits et amenant l'huile qui s'y trouvait ê s'amasser dans la cavitÄ. ╦ un moment donnÄ, il y eut de si grandes quantitÄs de cet explosif ê Petrolia que le conseil municipal adopta un rÅglement pour interdire son transport dans la ville. Plusieurs fabriques de nitroglycÄrine Ätaient situÄes ê l'extrÄmitÄ nord de la ville et, comme il fallait s'y attendre, toutes finirent par exploser.
  62.  
  63.      La concentration d'installations de production et de raffinage du pÄtrole Ätait ê l'origine d'autres risques et inconvÄnients ê Petrolia. Au fur et ê mesure que la ville grandissait, la population devait faire face ê d'autres problÅmes: la pollution industrielle Ätait trÅs forte, l'environnement marÄcageux se traduisait par un approvisionnement en eau insuffisant et un problÅme d'Ävacuation des eaux usÄes, et on souffrait d'une pÄnurie de services culturels et sociaux. Mais le plus grand danger Ätait l'incendie. Au cours de l'ÄtÄ 1867, un incendie Äclata ê l'une des installations de forage dans le champ de Petrolia et s'Ätendit rapidement ê un rÄservoir en bois. En peu de temps, le rÄservoir en flammes s'effondra, projetant ê travers le champ de l'huile enflammÄe qui mit le feu ê d'autres rÄservoirs. Le sinistre fit rage pendant plus de deux semaines sur une superficie de huit hectares, carbonisant le sol jusqu'ê une profondeur de 0,6 mÅtre. ╦ la suite de cette expÄrience, un systÅme de grands rÄservoirs souterrains (d'une capacitÄ de 8 000 barils) fut mis au point et les citoyens de Petrolia se dotÅrent de deux services d'incendie.
  64.  
  65.      La croissance du champ pÄtrolier de Petrolia se traduisit aussi par des changements dans l'organisation des opÄrations de raffinage. ╦ Oil Springs, presque tous les producteurs avaient leur propre ╟alambic╚ (still), mais ê Petrolia le raffinage devint un secteur spÄcialisÄ de l'industrie. L'adoption des tÖles d'acier ê chaudiÅre permit de construire des contenants beaucoup plus gros que les prÄcÄdents, fabriquÄs en fonte. En 1868, on utilisait des fours ê distillation en forme de cylindres horizontaux d'une capacitÄ de 250 barils. faits de tÖle ê chaudiÅre. Le ╟Big Still╚ de la Carbon Oil Company contenait 2 500 barils, soit la moitiÄ de la capacitÄ de toutes les autres raffineries du Canada rÄunies. Il produisit de vastes quantitÄs de kÄrosÅne pendant un an avant d'exploser ê la fin des annÄes 1860. Un rÄcit de l'Äpoque dÄcrit le four ê distillation d'un producteur :
  66.  
  67.      Son four ê distillation ressemblait ê deux chaudiÅres ê sucre placÄes l'une sur l'autre et formant ensemble un globe en fer au sommet duquel Ätait ajustÄ un serpentin. Les vapeurs montaient dans ce tuyau par un fin dispositif en fer puis passaient par un treillis mÄtallique en laiton qui Ätait censÄ, selon son inventeur, retenir une grande partie des impuretÄs. Partant de ce tuyau en fer qui reliait le four ê distillation au serpentin, un autre petit tuyau en fer traversait le toit et Ävacuait les benzols ê l'air libre. Le reste de la vapeur se condensait dans le serpentin, d'o¥ elle Ätait amenÄe dans un rÄservoir collecteur. Par cette mÄthode, on extrayait 50% de l'huile pour l'Äclairage, et le reste Ätait perdu.
  68.  
  69.      L'inefficacitÄ de ce systÅme de raffinage fut un trait caractÄristique de l'industrie pendant toute la pÄriode de 1855 ê 1875, o¥ de vastes quantitÄs de pÄtrole brut furent gaspillÄes. Au fur et ê mesure que cette pÄriode initiale de dÄveloppement arrivait ê sa fin, on s'efforìa d'en arriver ê une certaine stabilisation et les efforts de l'industrie, orientÄs jusque-lê vers la production et le raffinage, se tournÅrent vers la mise en marchÄ. Un des ÄlÄments de cette Ävolution fut la fondation de la premiÅre banque de Petrolia. La circulation des capitaux ê la banque Vaughn and Fairbank atteignit en 1869, sa premiÅre annÄe d'exercice, 1 500 000 $. En 1871, dans une tentative pour mettre un frein aux fluctuations de la production et des prix, les producteurs de Petrolia ouvrirent leur premiÅre bourse des pÄtroles dans le parc Victoria et, en 1884, la transfÄrÅrent ê la ╟petite banque rouge╚ Vaughn and Fairbank, o¥ elle servit de comptoir central pour l'achat et la vente de pÄtrole.
  70.  
  71.      ╦ certains Ägards, l'importance de Petrolia se manifesta davantage par les hommes qu'elle produisit que par son pÄtrole. A partir de 1874 et jusqu'aprÅs la PremiÅre Guerre mondiale, des foreurs canadiens partirent de Petrolia pour exploiter des champs pÄtroliers dans 40 pays, y compris dans ces pays du Proche-Orient dont le rÖle est si important sur la scÅne internationale aujourd'hui. Peu de ces ╟foreurs Ätrangers╚ parvinrent eux-mÉmes ê la richesse et ê la cÄlÄbritÄ, ê l'exception de William H. McGarvey (1844-1914), qui fonda et dirigea la plus importante sociÄtÄ pÄtroliÅre d'Europe jusqu'ê son effondrement au dÄbut de la Grande Guerre.
  72.  
  73.      Le dernier chapitre de l'histoire des dÄbuts de l'industrie pÄtroliÅre au Canada commence avec la crÄation en 1880 de la Compagnie ImpÄriale ê London (Ontario). En 1883, la sociÄtÄ avait transportÄ sa tonnellerie ê Petrolia, o¥ elle produisait plus de 30 000 barils par annÄe. Lorsque, la mÉme annÄe, la raffinerie ImpÄriale de London fut touchÄe par la foudre et incendiÄe, la sociÄtÄ dÄcida d'agrandir et de concentrer ses raffineries ê Petrolia sous la direction de l'un des hommes d'affaires les plus avisÄs de l'ImpÄriale (et de Petrolia), Jacob Lew Englehart (1847-1921). Englehart avait construit avec succÅs sa propre raffinerie sur l'emplacement du ╟Big Still╚ de la Carbon Oil Company au dÄbut des annÄes 1870. ╦ la suite de la fusion de son entreprise avec l'ImpÄriale, cette sociÄtÄ domina l'industrie du raffinage ê Petrolia, o¥ dÄsormais se trouvaient concentrÄes toutes les installations de raffinage de l'ImpÄriale, qui couvraient 20 hectares. D'une capacitÄ de raffinage de 2 000 barils, elles pouvaient contenir 100 000 barils de pÄtrole brut. Avant longtemps, l'ImpÄriale avait mis sur pied un rÄseau national de distribution et de vente, et ses perspectives d'avenir Ätaient excellentes.
  74.  
  75. PropriÄtÄ ÄtrangÅre 
  76.  
  77.      Depuis la dÄcouverte de Drake en Pennsylvanie en 1859, les progrÅs de l'industrie pÄtroliÅre amÄricaine avaient devancÄ de beaucoup ceux de l'industrie canadienne. En 1889, la Standard Oil Company de John D. Rockfeller s'intÄressait de prÅs au marchÄ canadien. Les Canadiens, toutefois, rejetÅrent les offres d'achat de l'ImpÄriale par Rockfeller. DÄterminÄe ê prendre pied au Canada, la Standard Oil commenìa ê acheter de petites sociÄtÄs canadiennes et ê les dÄvelopper grëce ê des capitaux apparemment illimitÄs. En 1895, l'ImpÄriale avait besoin d'argent pour se rÄorganiser et se doter d'un outillage neuf afin de faire face ê la concurrence de plus en plus vive des sociÄtÄs financÄes par les AmÄricains. Elle fut incapable de rÄunir les fonds nÄcessaires et, le 1er juillet 1898, ╟il fut convenu que la Standard Oil Company fournirait les capitaux nÄcessaires ê l'expansion des installations au Canada en Ächange d'une participation majoritaire dans la Compagnie ImpÄriale╚. Peu de temps aprÅs, toutes les filiales de la Standard Oil au Canada fusionnaient avec l'ImpÄriale. Comme le mentionnait avec ê propos le Sarnia Observer: ╟Cela englobe pratiquement toutes les installations pÄtroliÅres et donne ê la Standard la mainmise complÅte sur l'industrie pÄtroliÅre canadienne╚.
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  79.      Au moment de cette acquisition, les chefs de file de l'industrie ne prÄvoyaient pas l'expansion qui Ätait sur le point de se produire dans le secteur pÄtrolier. Ils croyaient qu'une raffinerie d'une capacitÄ de 1 000 barils par jour rÄpondrait ê la demande prÄvue. Mais, cette mÉme annÄe 1898, se produisit un ÄvÄnement qui marqua le dÄbut d'une transformation radicale de l'industrie pÄtroliÅre et, en mÉme temps, de la physionomie de tout le pays: l'arrivÄe au Canada de la premiÅre automobile. L'industrie du pÄtrole, aprÅs des dÄbuts modestes, allait devenir un secteur essentiel de l'Äconomie canadienne.  
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