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Text File  |  1996-06-20  |  27KB  |  97 lines

  1. LES PIEDS-NOIRS 
  2.  
  3. T. J. C. Brasser 
  4.  
  5.      Sur les plateaux du sud albertain et du Montana voisin vivent les Pieds-Noirs. Au nombre d'environ dix-neuf mille ê l'heure actuelle, ces AmÄrindiens vivent dans trois rÄserves canadiennes, une rÄserve amÄricaine et dans les villages de la rÄgion. Depuis le dÄbut de leur histoire et de leur tradition, les Pieds-Noirs forment une nation ou un groupe ethnique composÄ de trois bandes ou tribus: les Siksikas ou Pieds-Noirs du Nord, les Kainais ou Gens-du-Sang et les Pikunis ou PiÄgans. Collectivement, ils appellent les membres de leur groupe Soyitapis, c'est-ê-dire les gens de la Prairie.
  6.  
  7.      Leur langue est un rameau de la famille linguistique algonquienne, rÄpandue un peu partout dans le nord-est de l'AmÄrique du Nord. Leur affiliation linguistique et leur tradition orale dÄmontrent qu'avant 1740 ils vivaient plus au nord-est, dans la forÉt clairsemÄe qui couvrait le centre de la Saskatchewan actuelle.
  8.  
  9. L'histoire 
  10.  
  11.      Autrefois, les Pieds-Noirs ne se dÄplaìaient pas trÅs loin, la marche Ätant le seul mode de locomotion. La tradition reste muette quant ê l'utilisation de canots et de raquettes ê cette Äpoque. C'Ätait surtout le chien qui servait d'animal de trait pour le transport de l'Äquipement rudimentaire de campement. EmballÄs en paquets, on attachait ces effets au dos du chien ou sur un travois, (plate-forme entre deux perches attachÄes au harnais et jointes par le bout). En raison de ces moyens de transport limitÄs, les tipis de cette Äpoque Ätaient simples et de petite taille. Couvertures de tipi en peau, rÄcipients de peau et de terre cuite, bols en bois, louches en corne et outils en os, tout cela appartenait aux femmes, qui les fabriquaient. Elles confectionnaient aussi, pour leurs familles et pour elles-mÉmes, des vÉtements de peau, souvent ornÄs de motifs peints ou brodÄs en piquants de porc-Äpic.
  12.  
  13.      RÄpartie en petites bandes sur un grand territoire, la population passait l'hiver dans les bois et l'ÄtÄ sur les plateaux au sud de la riviÅre Saskatchewan, ê la poursuite des grandes hardes de bisons. ╦ la fin de l'ÄtÄ et ê l'automne, les Pieds-Noirs organisaient des chasses au bison communautaires: il s'agissait de diriger la harde, grëce ê un passage en forme d'entonnoir terminÄ par un enclos circulaire ou un prÄcipice. La communautÄ Ätait alors assurÄe d'une Änorme rÄserve de viande pour l'hiver. Le reste de l'annÄe, les hommes devaient traquer le gibier durant des expÄditions de chasse longues et pÄnibles. Ils n'avaient comme arme que des arcs faits en bois ou en andouiller, que des flÅches et des lances ê pointe de pierre ainsi que des couteaux de pierre. Sans doute Ätaient-ils passÄs maötres dans l'art de tendre des piÅges de toutes sortes. Comme ils avaient un territoire parsemÄ de lacs et sillonnÄ de riviÅres, les Pieds-Noirs prÄhistoriques ne partageaient probablement pas la rÄpulsion qu'avaient leurs descendants de manger du poisson.
  14.  
  15.      Au dÄbut du XVIIIe siÅcle, des rumeurs Ätranges et les premiers objets de fabrication europÄenne rejoignirent ces peuplades de l'ëge de pierre. Les Pieds-Noirs purent se procurer des couteaux, des bouilloires et d'autres articles de cuisine en mÄtal par l'intermÄdiaire des Cris et des Assiniboines qui les obtenaient de postes de traite anglais sur la baie d'Hudson et les revendaient aux peuplades de l'intÄrieur ê prix trÅs ÄlevÄs. Si Henry Kelsey fut le premier Blanc ê fouler le sol de la vallÄe de la Saskatchewan en 1691, il fallut attendre plus d'un demi-siÅcle pour y voir des visiteurs europÄens de faìon plus rÄguliÅre.
  16.  
  17.      Au milieu du XVIIIe siÅcle, d'importants changements se manifestÅrent dans la sociÄtÄ des Pieds-Noirs. Le cheval, rÄpandu de proche en proche ê partir des colonies espagnoles du Texas et du Nouveau-Mexique actuels, avait gagnÄ les Plaines septentrionales au dÄbut du XVIIIe siÅcle. ArmÄs de fusils obtenus des Cris et montÄs sur des chevaux pris ê leurs voisins du sud-ouest, les Pieds-Noirs et leurs alliÄs, les Atsinas, devinrent aprÅs 1730, de redoutables guerriers. Au cours des dÄcennies de guerre qui suivirent, ils contraignirent les Kootenays et les TÉtes-plates ê se retirer au-delê des Rocheuses et les Corbeaux et les Shoshones ê s'Äloigner vers le sud-ouest. Ces guerres s'expliquent tant par la pression dÄmographique exercÄe sur les Pieds-Noirs par les Cris et les Assiniboines poussant vers l'ouest, que par l'envie qu'Äprouvaient les Pieds-Noirs de se rapprocher des rÄserves de chevaux et de se livrer ainsi ê la chasse au bison ê longueur d'annÄe. C'est alors que les Pieds-Noirs s'ÄloignÅrent progressivement des forÉts septentrionales pour s'assurer d'un nouveau territoire dans le sud albertain au cours du XVIIIe siÅcle.
  18.  
  19.      ParallÅlement, et poussÄe par des motifs semblables, une bande amÄrindienne, les Castors de l'Athabasca, s'aventura vers le sud le long des contreforts des Rocheuses. HarcelÄe par les Cris, elle dut s'allier ê titre permanent aux Pieds-Noirs dont elle adopta pour une bonne part la culture. Elle s'appelle depuis la tribu des Sarsis et sa langue est le seul vestige de son origine athapascane.
  20.  
  21.      Les Pieds-Noirs profitÅrent des objets europÄens de plus en plus disponibles, mais ils ÄchappÅrent dans une large mesure ê l'influence rapide des avant-postes blancs, Ätant donnÄ que les nÄgociants refusÅrent de dÄplacer leurs postes des rives des routes de transport. Des groupes de Pieds-Noirs, transportant avec eux surtout du pemmican, des viandes sÄchÄes, des peaux de loup et de bison, se rendaient chaque annÄe aux postes de traite britanniques le long de la Saskatchewan-Nord et, ê partir de 1830, aux postes amÄricains du Missouri supÄrieur. ChargÄs des provisions ainsi acquises et enrichis par leurs observations sur les moeurs et les coutumes des Blancs, les AmÄrindiens disparaissaient de nouveau au-delê de l'horizon au bout de quelques semaines. Avant 1860, bien peu d'EuropÄens les suivirent dans leur territoire.
  22.  
  23.      Bien que cette situation laissa aux Pieds-Noirs quelques dÄcennies pour assimiler en toute libertÄ les idÄes et les objets nouveaux, ils n'ont pas ÄchappÄ aux effets dÄsastreux provoquÄs par leur contact avec le monde de l'homme blanc. DÅs 1780, sinon plus tÖt, diverses ÄpidÄmies sÄvirent frÄquemment dans les Plaines septentrionales, anÄantissant des milliers d'Autochtones non immunisÄs contre ces maladies. En outre, du point de vue Äconomique, la nouvelle prospÄritÄ ne se rÄalisa pas sans peine. Adoptant l'importation toute faite, les AmÄrindiens dÄlaissÅrent la fabrication artisanale de l'ustensile traditionnel et se mirent ê dÄpendre de plus en plus sur les nÄgociants blancs.
  24.  
  25.      Les AmÄrindiens prirent peu ê peu conscience de la perte de leur autarcie au cours de la seconde moitiÄ du XIXe siÅcle et leur mode de vie en souffrit. On blëma l'extinction graduelle des grandes hardes de bisons sur une chasse excessive et imprÄvoyante. Ce fut, sans aucun doute, un facteur important. ╦ celui-ci s'ajouta, cependant, les prÄcipitations atmosphÄriques extrÉmement faibles ê partir de 1850 et ce, durant plusieurs dÄcennies, provoquant une grosse rÄduction de pëturages. En consÄquence, la population de bisons diminua au moins de moitiÄ, et les Pieds-Noirs durent passer de plus en plus de temps ê la recherche de gibier, sans Ägard au danger grandissant d'escarmouches avec les Cris, les Assiniboines et les MÄtis qui empiÄtaient sur leur territoire.
  26.  
  27.      Plus dÄsastreux encore s'avÄrÅrent les effets de l'alcool qu'offraient aux Pieds-Noirs, en quantitÄs Änormes, des nÄgociants amÄricains d'un nouvel acabit. La violence et les ÄchauffourÄes entre AmÄrindiens et Blancs s'ajoutÅrent ê la misÅre qui Äcrasait les Pieds-Noirs. Si, en dernier ressort, ils n'avaient pas reìu d'aide des grands chefs, tels que Crowfoot et Red Crow, ils se seraient battus en vain pour sauver les leurs. En 1874, la Police montÄe du Nord-Ouest, corps policier nouvellement formÄ, s'amena dans l'Ouest et, trÅs rapidement, rÄtablit l'ordre. NÄanmoins, les hardes de bisons disparaissant trÅs vite, les colons blancs arrivÅrent, s'installÅrent dans des fermes et formÅrent des villages agricoles. L'Äpoque des grandes chasses Ätait rÄvolue.
  28.  
  29.      AlarmÄs par la tournure des ÄvÄnements, les Pieds-Noirs prÄsentÅrent une requÉte au gouvernement du Canada en 1876 et, un an plus tard, le TraitÄ numÄro 7 fut conclu. Les Pieds-Noirs, les Sarsis et les Assiniboines, qui avaient pour nÄgociateur le chef Crowfoot, renoncÅrent ê tout le sud albertain, recevant en contrepartie des rÄserves d'une superficie d'un cinquiÅme de mille carrÄ par personne, des rentes et d'autres avantages. Quelques annÄes plus tard, les Pieds-Noirs chassÅrent le bison avec succÅs pour la derniÅre fois. Cette chasse fut suivie de longues annÄes de famine et seuls les plus robustes survÄcurent grëce aux rations souvent inadÄquates du gouvernement. Les Pieds-Noirs du Montana connurent des difficultÄs semblables perdant le quart des leurs durant ces annÄes.
  30.  
  31.      Il est facile aujourd'hui de critiquer les mÄthodes brutales par lesquelles les gouvernements canadien et amÄricain forcÅrent les AmÄrindiens ê se plier au rÄgime administratif nouveau et au code social des Blancs. Pourtant, chefs blancs et autochtones se trouvÅrent aux prises avec une situation qui ne s'Ätait pas encore prÄsentÄe ni ê l'une ni ê l'autre de ces sociÄtÄs. Il s'agissait de prÄparer des chasseurs et des guerriers nomades au nouveau rÖle et ê la nouvelle position qui les attendaient dans la sociÄtÄ qui se formait rapidement autour des rÄserves. Durant cette pÄriode difficile d'adaptation socio-Äconomique, les missionnaires de diverses confessions assumÅrent un rÖle primordial en procurant l'enseignement et en offrant une sympathie qui trop souvent manquait aux reprÄsentants des gouvernements.
  32.  
  33.      L'Älevage, la culture du foin et l'extraction du charbon devinrent les principales sources de revenu des Pieds-Noirs; l'implantation de nouvelles variÄtÄs de cÄrÄales rendit enfin l'agriculture rentable. La vie de la rÄserve s'amÄliora lentement jusqu'ê la DÄpression, lorsque la tendance ê l'exploitation mÄcanisÄe de fermes plus vastes leur apporta dÄception, frustration et dÄsespoir. Dans les rÄserves, de grandes zones furent louÄes ê des cultivateurs blancs. La population s'accrut rapidement ê partir de 1930 et le manque d'emplois d'une annÄe ê l'autre devint une plaie chronique. AprÅs la DeuxiÅme Guerre mondiale, la hausse foudroyante du co₧t de la vie ne fit qu'aggraver la situation.
  34.  
  35.      Les Äcoles s'amÄliorÅrent, divers programmes Äconomiques dÄmarrÅrent, les responsabilitÄs administratives passÅrent de plus en plus des fonctionnaires aux dirigeants autochtones avant-gardistes. L'exploitation du pÄtrole dans la rÄgion et l'expansion d'industries connexes crÄÅrent des emplois. Depuis 1940, les AmÄrindiens quittent de plus en plus les rÄserves pour les villes voisines.
  36.  
  37.      MalgrÄ un siÅcle de changements, les gens des Prairies ont su conserver les caractÄristiques fondamentales et les valeurs de leur culture traditionnelle qu'ils ajustent au rÄgime socio-Äconomique d'aujourd'hui. Grëce aux liens familiaux sans cesse raffermis et au ╟powwow╚ annuel cÄlÄbrÄ dans chaque rÄserve, les Pieds-Noirs canadiens rÄussissent ê prÄserver leur unitÄ ethnique avec leurs cousins du Montana.
  38.  
  39. L'Äconomie 
  40.  
  41.      L'Äconomie des Pieds-Noirs reposait traditionnellement sur la chasse ê l'orignal (Älan d'AmÄrique), ê l'antilope et surtout au bison, leur gibier principal, qui errait en hardes innombrables dans les Plaines nord-amÄricaines. Pour la chasse, on utilisait des enclos et des prÄcipices non seulement pour le bison, comme il est signalÄ plus haut, mais aussi pour l'antilope. Les techniques de chasse dÄpendaient des conditions atmosphÄriques, de la gÄographie locale, des migrations saisonniÅres et de l'Ätat des bÉtes. L'arrivÄe du cheval confÄra au chasseur une portÄe et une rapiditÄ de beaucoup supÄrieures. Les premiers fusils ê percussion ne valaient guÅre l'arc et la flÅche et, vers 1870, arrivÅrent les fusils ê rÄpÄtition.
  42.  
  43.      La viande se mangeait fraöche mais on en faisait aussi sÄcher pour l'entreposer, quelquefois dans un mÄlange de gras et de baies sÄchÄes (le pemmican), en vue de l'hiver. Les peaux servaient ê la confection de tipis, de couvertures, de boucliers, de vÉtements, de rÄcipients et de harnais; les cornes, ê la fabrication de louches et de cuillers; les os, ê celle des outils; le fumier, ê l'entretien du feu. Une partie de la viande et des peaux Ätait troquÄe contre des fusils, des couteaux, des haches, des couvertures, des vÉtements, du cafÄ, du tabac, du whisky et d'autres articles importÄs. En plus de piÄger le petit gibier, les femmes variaient leur menu en servant du navet, des racines, des baies et d'autres plantes comestibles qu'elles rÄcoltaient aux alentours du campement.
  44.  
  45.      Le tipi Ätait la meilleure solution au problÅme que posait la construction d'une habitation, vu le climat et le mode de vie nomade. On disposait en cercle quelque vingt longues perches qui se croisaient au sommet. On recouvrait cette charpente de peaux de bison cousues en demi-cercle, maintenues en place par des chevilles de bois ê l'avant du tipi et par des grosses pierres ê la base. AprÅs l'adoption de la toile, on substitua des piquets aux lourdes pierres. Deux rabats formant une ouverture au sommet permettaient ê la fumÄe de s'Ächapper. Ils Ätaient soutenus, ê l'extÄrieur, par deux perches mobiles grëce auxquelles on pouvait rÄgler le tirage. L'arriÅre du tipi Ätait presque vertical, tournÄ vers le vent d'ouest dominant, alors que le devant, fort inclinÄ, assurait la stabilitÄ sous les rafales souvent brusques et fortes des hautes Plaines.
  46.  
  47.      Les femmes fabriquaient, installaient et possÄdaient les tipis. Il eut ÄtÄ mal vu que les hommes s'en mÉlent. Parce qu'ils Ätaient depuis longtemps bien nantis en chevaux de charge, les Pieds-Noirs avaient des tipis beaucoup plus gros que ceux des autres AmÄrindiens des Plaines canadiennes.
  48.  
  49.      Tous les autres objets Ätaient Ägalement confectionnÄs en fonction d'une existence nomade. PlutÖt que des meubles de rangement, ils possÄdaient toutes sortes de contenants de peau souple et de cuir brut pour y ranger les vÉtements, les outils, les objets cÄrÄmoniels et la nourriture. Grëce ê leur robe entourant les Äpaules, les mÅres portaient les bÄbÄs sur leur dos dans des sacs faits de cuir assoupli, doublÄ de mousse sÄchÄe, qui servaient de couche. De toute Ävidence, les femmes passaient une bonne partie de leur temps ê apprÉter, ê tanner et ê coudre les peaux. Elles parlaient avec autant d'orgueil du nombre de couvertures de tipi qu'elles avaient faites, que les valeureux combattants de leurs aventures guerriÅres.
  50.  
  51.      L'importance du cheval imposa une nouvelle forme d'entreprise: sa prÄdation lors de raids chez l'ennemi, moyen pÄrilleux mais efficace d'acquÄrir la richesse et d'augmenter son prestige. De toute Ävidence, ces biens pouvaient se perdre aussi rapidement qu'ils s'acquÄraient, car tous les AmÄrindiens des Plaines pratiquaient ce sport avec enthousiasme. On surmontait ce risque en distribuant gÄnÄreusement des chevaux ê ses parents et amis. Celui qui donnait ainsi un jour pouvait s'attendre ê recevoir autant, sinon plus, un autre jour. C'est assurÄment l'avÅnement du cheval qui provoqua chez les Pieds-Noirs la naissance d'une classe de familles riches et influentes ayant chacune ê sa charge des partisans pauvres. NÄanmoins, la plupart se tiraient raisonnablement bien d'affaire et on raconte que plusieurs pauvres orphelins parvinrent ê se ranger parmi les riches.
  52.  
  53. L'organisation sociale 
  54.  
  55.      Dans cette sociÄtÄ, l'individu abandonnÄ de ses proches avait peu de chance de rÄussite. Toutefois, l'adoption Ätait aussi aisÄe que frÄquente, et l'on cÄdait volontiers un enfant ê un couple ayant perdu les siens. Le mÄnage pied-noir comprenait l'homme, une ou plusieurs Äpouses, ses enfants non mariÄs et peut-Étre aussi quelqu'autre membre de la famille comme une tante ou un grand-parent. Le chasseur heureux se voyait souvent pressÄ par sa femme de prendre aussi pour Äpouses les soeurs et les amies de celle-ci pour l'aider au travail des peaux et ê l'entretien d'un tipi plus vaste et plus confortable et, partant, grossir la richesse du mÄnage.
  56.  
  57.      La bande se composait d'environ vingt ê trente mÄnages ainsi constituÄs, apparentÄs pour un bon nombre par les chefs de famille. La bande, unitÄ essentielle de la vie Äconomique et politique des Pieds-Noirs, assurait une protection mutuelle et un nombre de mëles suffisant pour l'organisation de chasses communautaires. Chaque bande avait son chef reconnu pour tel d'un commun accord ê cause de son prestige et de son nom, dÄrivant en gÄnÄral d'un surnom que lui avaient accolÄ les membres d'autres bandes. L'Äconomie, basÄe sur la chasse, ne permettait pas l'Ävolution d'unitÄs dÄmographiques permanentes plus nombreuses. La plupart du temps, on n'avait affaire qu'aux autres membres de sa propre bande.
  58.  
  59.      Bien qu'indÄpendante dans son Äconomie et sa politique, la bande reconnaissait des liens ethniques, linguistiques et culturels avec certaines autres bandes. L'ÄtÄ, ê l'Äpoque o¥ les bisons se rassemblaient en vastes hardes, chacune de ces bandes s'installait ê sa place habituelle sur le grand cercle de campement tribal pour quelques semaines durant lesquelles elle se soumettait ê l'autoritÄ du chef suprÉme de la tribu. Ce dernier Ätait celui qui, parmi les chefs de bande, prÄsidait le conseil des chefs de bande et des chefs de guerre, vu son prestige et son influence. Il n'existait pas de fonction politique supÄrieure ê celle du chef suprÉme de la tribu. Les tribus ne se concertaient pas, de sorte que l'emploi occasionnel du terme ╟ConfÄdÄration des Pieds-Noirs╚ est incorrect.
  60.  
  61.      Le respect et l'exÄcution des accords conclus au sein du conseil tribal Ätaient confiÄs ê des groupes d'hommes choisis pour assurer l'ordre au camp durant la chasse estivale de la tribu. Ces groupes se prÄsentaient sous trois types sociÄtÄs guerriÅres, cultuelles et, les moins formelles, celles qui regroupaient les danseurs. RecrutÄes dans toutes les bandes, ces sociÄtÄs revÉtaient un rÖle primordial pour l'unification de la tribu.
  62.  
  63.      ╦ la fin de l'ÄtÄ passÄ ╟en tribu╚, les bandes se quittaient et reprenaient leur route respective. L'hiver, chaque bande campait en terrain boisÄ dans une vallÄe fluviale ê l'abri du vent, de la poudrerie et du froid terrible qui sÄvissaient sur la plaine dÄcouverte. Les bisons, dispersÄs en hardes innombrables et minuscules, passaient Ägalement les mois d'hiver dans ces rÄgions plus clÄmentes, au grand avantage des bandes qui s'y trouvaient. La vallÄe offrait le bois comme combustible pour les feux de camp et l'herbe comme nourriture pour les chevaux. C'Ätait l'Äpoque des rÄunions sociales, des jeux sur les riviÅres gelÄes et des rÄcits interminables qu'on racontait le soir.
  64.  
  65. La religion 
  66.  
  67.      Au retour des vents tiÅdes, messagers du printemps, le bison commenìait sa migration vers les Plaines, obligeant les Pieds-Noirs ê lever, eux aussi, le camp d'hiver. Ils ne se mettaient cependant pas en marche avant d'avoir vu les premiers castors quitter leur cabane. En leur honneur, et en celui des autres esprits sacrÄs de la nature, les possesseurs des baluchons sacrÄs du castor se rÄunissaient pour accomplir leurs rituels et planter les graines du tabac sacrÄ.
  68.  
  69.      Plus tard au printemps, la bande Ätait dÄjê parvenue ê des endroits plus ÄlevÄs quand le premier orage annonìait la tenue d'un rituel honorant les esprits cÄlestes, accompli par les possesseurs des baluchons sacrÄs de pipes. Dans tous les rites comportant des baluchons sacrÄs, il fallait les dÄballer cÄrÄmonieusement et psalmodier, ê chaque objet, un chant aussi ancien que long. Ces objets Ätaient en gÄnÄral des morceaux d'animaux, reliques d'anciennes bÄnÄdictions jadis prononcÄes sur le peuple par les esprits de ces animaux.
  70.  
  71.      Les baluchons sacrÄs pour les rituels communautaires et les sacs sacrÄs, plus petits, pour les rituels particuliers, provenaient de rÉves et de visions. Le jeune Pied-Noir, formÄ sinon dressÄ ê s'attendre ê de telles impressions, rÄpondait au dÄsir de ses parents si, ayant priÄ et je₧nÄ dans un endroit isolÄ, il faisait la connaissance en rÉve d'un ╟gardien spirituel╚. Souvent, ce gardien spirituel Ätait l'esprit d'un animal. L'esprit, en retour des priÅres et des sacrifices, donnait en rÉve au jeune homme certains chants et parfois aussi des instructions pour guÄrir, pour contrÖler le climat par magie et pour se confectionner des amulettes et des porte-bonheur. Jusqu'ê sa mort, l'AmÄrindien se retirait souvent afin de prier et demander l'aide de son gardien spirituel. Si on dÄmontrait l'efficacitÄ de ces rites, ceux-ci, de privÄs qu'ils Ätaient, pouvaient prendre de l'importance et s'inscrire finalement dans le cadre des cÄrÄmonies annuelles auxquelles prenait part la tribu toute entiÅre.
  72.  
  73.      Tous dÄsiraient ardemment faire l'objet de telles visions et se disciplinaient pour y parvenir. Mais ils n'Ätaient pas tous Älus. La richesse pouvait cependant y supplÄer. Les baluchons sacrÄs et les chants et rituels qui s'y rattachaient pouvaient Étre cÄdÄs ê tout preneur, ê un prix Ätabli. ╦ la suite de l'arrivÄe du cheval et des articles de troc europÄens, le prix monta en flÅche. ╦ l'aube du XXe siÅcle, un baluchon sacrÄ de pipes pouvait fort bien co₧ter soixante chevaux. L'admission aux sociÄtÄs cultuelles s'obtenait de la mÉme faìon.
  74.  
  75.      Ces rituels rattachÄs aux baluchons sacrÄs avaient pour but de rendre hommage aux divers esprits auxquels on attribuait la permanence du cycle de la nature. Par ailleurs, les Pieds-Noirs partageaient la croyance gÄnÄrale de l'humanitÄ envers un CrÄateur universel. Ce Grand-Esprit qui, selon la lÄgende, rÄsidait sur le soleil, avait une puissance ê laquelle rien n'Ächappait. Voilê pourquoi les AmÄrindiens lui rendaient hommage en exÄcutant, au milieu de l'ÄtÄ, la danse du Soleil. Le rÖle principal, au cours de la cÄrÄmonie, revenait ê la ╟Sainte-Femme╚, femme respectÄe s'Ätant engagÄe ê assumer ce rÖle pour obtenir une aide spirituelle.
  76.  
  77.      Le premier jour de la danse du Soleil, on Ärigeait une hutte circulaire au centre du campement. On recouvrait de broussailles la charpente de perches et les chevrons se rejoignaient au milieu o¥ ils s'appuyaient sur la fourche d'une grande perche centrale. On interrompait la construction de cette hutte par la distribution de tranches sacrÄes de langue de bison et la bÄnÄdiction du peuple par la Sainte-Femme. Une fois la hutte achevÄe, la Sainte-Femme mettait fin ê un jeune de cinq jours. Durant les quatre jours suivants, les jeunes gens se privaient de manger, et ils dansaient autour de la perche centrale de la hutte cÄrÄmonielle, face au soleil, soufflant dans leurs sifflets d'os d'aigle, concentrant leur pensÄe sur la priÅre. ImmÄdiatement avant et aprÅs la danse du Soleil elle-mÉme, les membres des sociÄtÄs culturelles et guerriÅres exÄcutaient leurs propres danses rituelles.
  78.  
  79. Les arts et mÄtiers 
  80.  
  81.      Cependant, la danse annuelle du Soleil n'Ätait pas qu'un rite exclusivement solennel, loin de lê. Elle durait environ deux semaines, et c'Ätait l'occasion par excellence des visites, des jeux, des courses de chevaux et d'autres activitÄs rÄcrÄatives. Certains personnages portaient leur costume cÄrÄmoniel, et les autres revÉtaient leurs plus beaux atours; mÉme les chevaux Ätaient dÄcorÄs. Tous les objets fabriquÄs par les Pieds-Noirs, aujourd'hui rÄunis dans les collections des musÄes, sont les vestiges fanÄs et poussiÄreux de superbes objets d'artisanat dont on faisait Ätalage autrefois ê l'Äpoque de la danse du Soleil.
  82.  
  83.      Il est Ävident qu'un peuple nomade ne produisait pas ces objets dans un seul but artistique; pourtant, les objets que fabriquaient les Pieds-Noirs pour leur usage quotidien possÄdaient des qualitÄs esthÄtiques, soit par la forme, soit par la dÄcoration, fait encore plus manifeste dans les objets, costumes notamment, destinÄs aux cÄrÄmonies. Porter ou donner des vÉtements richement dÄcorÄs confÄrait un surcroöt de prestige, et les objets de telle facture jouÅrent un rÖle primordial dans le troc avec les autres tribus.
  84.  
  85.      Les femmes apprÉtaient les peaux et confectionnaient les vÉtements, les couvertures de tipi, et les contenants de peau. Elles rÄalisaient toutes les broderies avec des piquants de porc- Äpic et des perles de couleur et elles peignaient des motifs gÄomÄtriques traditionnels sur des couvertures de peau de bison et des contenants de peau brut. En 1850, le tissu et les perles de verre importÄs Ätaient devenus aussi courants que les peaux et les piquants de porc-Äpic.
  86.  
  87.      Les hommes fabriquaient l'attirail de guerre, l'Äquipement de chasse et les ustensiles cÄrÄmoniels. Ils sculptaient des bols de bois, des cuillers de corne, des pipes de pierre et ils peignaient des images rÄalistes et symboliques sur les couvertures de tipi, les couvertures en peau de bison et les boucliers. Bien que chaque famille pouvait produire ê peu prÅs tout ce dont elle avait besoin, certains individus Ätaient renommÄs pour leur talent exceptionnel dans un art en particulier, sans toutefois que la production artistique ne devienne leur occupation exclusive ou permanente.
  88.  
  89.      La peinture est, ê n'en pas douter, la technique dÄcorative la plus ancienne chez les Pieds-Noirs. ╦ l'origine, les pigments provenaient de roches et de plantes mais, dÅs 1770, les trafiquants de fourrures importaient des couleurs commerciales. DÄlayÄes dans l'eau, la colle ou la graisse, les couleurs Ätaient appliquÄes ê l'aide de piÅces d'os poreux qui fonctionnaient comme les plumes feutre d'aujourd'hui.
  90.  
  91.      Seuls les AmÄrindiens de l'AmÄrique du Nord travaillÅrent les piquants de porc-Äpic: on ne trouva trace de cet art nulle part ailleurs. On utilisait les piquants dans leur couleur naturelle, le blanc, ou on les teignait. L'artisan les aplatissait ensuite en les tirant entre ses dents puis les cousait ê la peau suivant diverses techniques complexes. En 1880, la broderie de perles de verre s'Ätait tellement rÄpandue chez les Pieds-Noirs que la plupart des femmes cessÅrent d'utiliser les piquants qui exigeaient un long travail.
  92.  
  93.      Peints, brodÄs aux piquants de porc-Äpic ou brodÄs de perles, la plupart des motifs dÄcoratifs restÅrent gÄomÄtriques jusqu'au jour o¥ les artisans connurent les motifs floraux d'Europe, importÄs par les MÄtis de la riviÅre Rouge et les Cris. Ces nouveaux motifs restÅrent l'apanage des mocassins, des baluchons sacrÄs de pipes et des harnais ê cheval. Cet art floral connut une grande vogue ê la fin du XIXe siÅcle et au dÄbut du XXe. Les dÄcorations des costumes que portent aujourd'hui les Pieds-Noirs lors de leurs ╟powwows╚ reviennent cependant aux anciens motifs gÄomÄtriques en perles.
  94.  
  95.      Toujours pittoresques et fidÅles aux traditions, la plupart des formes d'art des Pieds-Noirs actuels ont perdu leur symbolisme. Les motifs peints sur les couvertures de tipi font cependant exception. Au sommet et ê la base du tipi, des motifs gÄomÄtriques reprÄsentent le ciel et la terre, alors qu'au centre, on retrouve des illustrations d'animaux et d'autres Étres Ämanant de rÉves et de visions. Ceux-ci sont la preuve que les Pieds-Noirs ont conservÄ leur propre vision de la vie malgrÄ tout le changement survenu ê leur univers.  
  96.  
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