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Text File  |  1994-06-09  |  27KB  |  83 lines

  1. D╔FENSE DE LA NOUVELLE-FRANCE: ½LA PETITE GUERRE╗ (1660-1760) 
  2.  
  3. Bernard Pothier 
  4.  
  5.      Au milieu de l'hiver de 1690, un dΘtachement armΘ de cent quatorze Canadiens (composΘ surtout de Franτais nΘs au Canada) et quatre-vingt seize Indiens alliΘs sous le commandement de Jacques Le Moyne de Sainte-HΘlΦne et Nicholas d'Ailleboust de Manthet quitta MontrΘal pour la colonie de New York; ils avaient pour objectif le village de Schenectady. Ces hommes se dΘplaτaient en raquettes et tiraient leurs provisions et leur Θquipement sur des traεneaux; c'est ainsi qu'ils arrivΦrent en vue de leur destination avant minuit le 18 fΘvrier. ½GrΓce α la neige qui tombait en Θpais flocons╗, ils avancΦrent sans avoir ΘtΘ remarquΘs et ne trouvΦrent pas de sentinelle en place. Les hommes s'engouffrΦrent par une des portes du village restΘe entrebΓillΘe (½par nΘgligence et indocilitΘ des habitants╗), s'Θtablirent silencieusement α des points stratΘgiques α l'intΘrieur de la cl⌠ture, cherchant ainsi α empΩcher la fuite des habitants qui auraient pu aller porter l'alarme α Albany, α quelque vingt kilomΦtres vers le sud. Puis, lΓchant des cris de guerre sauvages, les assaillants lancΦrent l'assaut contre le village endormi. De fait, le village entier fut pillΘ et br√lΘ; quelque soixante habitants furent massacrΘs, vingt-cinq hommes et jeunes gens furent faits prisonniers et environ cinquante vies furent ΘpargnΘes. Au milieu du jour, ayant accomplis leurs mΘfaits, les envahisseurs quittΦrent sans arriΦre regard cette scΦne de dΘvastation et reprirent le chemin de MontrΘal, en emmenant cinquante chevaux chargΘs de butin.
  6.  
  7.      Telle Θtait la petite guerre, une ½vΘritable chasse au gibier humain╗. C'Θtait une guerre de razzias, de guet-apens, d'attaques surprises, d'escarmouches et de tirs d'embuscades meurtriers provenant du couvert de la forΩt; une guerre o∙ la patience et l'endurance allaient de pair avec l'habiletΘ, le courage et les dΘceptions. DΘpassΘe en nombre par la population beaucoup plus nombreuse des colonies anglaises depuis le milieu du XVIIe siΦcle, la Nouvelle-France n'aurait pu survivre autrement pendant aussi longtemps. En effet, pendant trois quarts de siΦcle, des annΘes 1680 α la ConquΩte, la dΘfense de la Nouvelle-France a reposΘ davantage sur de petits dΘtachements de soldats supplΘtifs pleins de hardiesse, mieux adaptΘs aux particularitΘs de la guerre et des randonnΘes dans les rΘgions inexploitΘes de l'AmΘrique du Nord, que sur les troupes rΘguliΦres venues de France. GrΓce aux avantages qu'ils tiraient d'une mobilitΘ plus grande, de l'effet de surprise, et du soin religieux qu'ils prenaient α Θviter les batailles rangΘes, les dirigeants de la colonie de la Nouvelle-France voulaient au moins contenir les ambitions impΘriales des Anglais, sans disposer de la force massive d'armΘes rΘguliΦres.
  8.  
  9.      Le raid de 1690 sur Schenectady symbolise un coup de main militaire caractΘristique d'une longue histoire de guerres coloniales au Canada. Mais Schenectady ne reprΘsente pas un ΘvΘne- ment isolΘ; les coloniaux franτais et leurs alliΘs semΦrent la terreur et la ruine tout le long de l'immense frontiΦre de la Nouvelle-France, sur terre comme sur mer, des Grands Lacs α l'Atlantique, et de la baie d'Hudson au golfe du Mexique.
  10.  
  11.      Les circonstances qui amenΦrent les colons europΘens et leurs descendants α se perfectionner dans l'art de la guerre α l'indienne et α l'employer avec efficacitΘ constituent un Θpisode dramatique de l'histoire de la Nouvelle-France. DΦs les dΘbuts, ces colons Θtablirent une tradition militaire qui est devenue une caractΘristique de la sociΘtΘ canadienne et qui a persistΘ longtemps aprΦs la pΘriode coloniale. Les habitants, installΘs principalement le long du Saint-Laurent, Θtaient habituΘs, dΦs l'enfance, α chasser, α pΩcher et α entreprendre de longs voyages en canoδ. Les coureurs de bois, accoutumΘs aux forΩts et aux cours d'eau d'AmΘrique du Nord, avaient une expΘrience encore plus vaste des dΘplacements en canoδ d'Θcorce de bouleau ou des randonnΘes en raquettes, sur de longues distances, α la poursuite du castor. C'est autant le caractΦre particulier de la frontiΦre que les difficultΘs α obtenir un soutien adΘquat de la mΦre patrie qui poussa les Canadiens α dΘfendre leurs familles et leurs foyers de la mΩme maniΦre que la plupart d'entre eux gagnaient leur vie, en Θtroite harmonie avec le pays mΩme. Le fait que les troupes rΘguliΦres franτaises ne pouvaient que difficilement Ωtre retirΘes des champs de bataille en Europe ne faisant que rendre plus impΘrative pour la Nouvelle-France la nΘcessitΘ de compter surtout sur les hommes et les ressources dont elle disposait. Un observateur amΘricain des annΘes 1750 a notΘ le contraste entre les coloniaux anglais et franτais:
  12.  
  13.      Nos hommes ne sont qu'un peuple de fermiers et de planteurs, qui ne savent se servir que de la hache et de la houe. Les leurs . . ., depuis l'enfance parmi les Indiens, sont habituΘs α se servir des armes; et ils ont la rΘputation de valoir dans cette partie du monde les troupes aguerries, s'ils ne leur sont pas supΘrieurs. Ce sont des soldats qui combattent sans recevoir de solde, habituΘs α vivre dans les bois sans Ωtre aux dΘpens de qui que ce soit, α marcher sans bagages, α se maintenir avec un minimum de munitions et de vivres; cela reprΘsente pour nous un immense fardeau.
  14.  
  15. La ½Terreur╗ iroquoise 
  16.  
  17.      La petite guerre avait pris naissance dans la colonie laurentienne au cours de la seconde moitiΘ du XVIIe siΦcle, comme consΘquence directe des raids iroquois des annΘes 1640 et 1650. La population peu nombreuse de la colonie franτaise fut amenΘe par cette expΘrience terrifiante α adopter les tactiques et les pratiques barbares de son tenace ennemi.
  18.  
  19.      Contrairement α ses voisins du sud, la Nouvelle-France Θtait fondΘe sur le commerce des fourrures et continuait d'en dΘpendre. Le centre de la traite Θtait α QuΘbec qui commandait tout l'arriΦre-pays; les fourrures parvenaient de la rΘgion des Grands Lacs, des vallΘes du Saint-Laurent et de la riviΦre des Outaouais. Depuis l'Θpoque de Champlain, les Franτais obtenaient des fourrures des Hurons et des Algonquins au nord des Grands Lacs. Au milieu du XVIIe siΦcle, ils durent pΘnΘtrer davantage vers l'Ouest, et formΦrent des alliances avec des tribus comme les Illinois et les Miamis. Avec le temps, dans le but de consolider le rΘseau de traites et de maintenir avec les AmΘrindiens des relations diplomatiques complexes, mais de premiΦre importance, de nombreuses bases furent Θtablies α MontrΘal, Fort Frontenac, DΘtroit, Michillimakinac et plus α l'Ouest.
  20.  
  21.      Cependant, l'expansion du commerce franτais avait ΘcartΘ des profits de la traite un groupe amΘrindien puissant, les Iroquois, qui Θtaient installΘs au sud du fleuve Saint-Laurent et du lac Ontario; ils rΘagirent en se liguant avec les trafiquants hollandais α Fort Orange (Albany). Pour obtenir une plus large part du commerce des fourrures, ils avaient commencΘ dans les annΘes 1630 α harceler les alliΘs amΘrindiens de la France. C'est ainsi que l'alliance commerciale franτaise s'est doublΘe d'une alliance militaire; dΦs 1609, les Franτais, sous la conduite de Champlain, furent entraεnΘs dans la guerre pour soutenir leurs associΘs commerciaux.
  22.  
  23.      Les Iroquois usΦrent rapidement de reprΘsailles. └ la fin des annΘes 1640, aprΦs avoir en fait fermΘ α toute communication les cours d'eau qui permettaient aux trafiquants franτais de transiger avec leurs alliΘs amΘrindiens de l'Ouest (pays d'en haut), ils rΘussirent α supprimer les Hurons. Puis, dans une vΘritable vague de terreur qui dura jusqu'au milieu des annΘes 1660, les Iroquois dirigΦrent leur fureur contre les Franτais, pour tenter de les arracher α leurs Θtablissements le long du Saint-Laurent.
  24.  
  25.      La colonie franτaise en fut traumatisΘe. La mobilitΘ des Iroquois, bien supΘrieure α celle des habitants, leurs maniΦres fugitives d'approcher, leur endurance ainsi que leur souci d'Θviter le combat ouvert et de prΘfΘrer l'embuscade, sans Θgard pour personne, qu'il s'agisse d'hommes, de femmes ou d'enfants, Θtaient pour les habitants de grands sujets d'inquiΘtude. Au moment le plus critique de la ½terreur╗, les colons furent tout prΦs d'abandonner tous ensemble la Nouvelle-France et nombreux parmi eux furent ceux qui s'y rΘsignΦrent et abandonnΦrent la colonie.
  26.  
  27.      Cependant, en dΘpit des Iroquois, la colonie tenait bon et en mΩme temps prΘparait une contre-attaque efficace. Un camp volant de soldats fut constituΘ pour surveiller le Saint-Laurent depuis Trois-RiviΦres jusqu'α MontrΘal, de mΩme, des milices furent organisΘes et des palissades construites. Mais, surtout, les mΘthodes de combat changΦrent complΦtement lorsqu'on se rendit compte peu α peu que si l'on voulait vaincre les Iroquois, il fallait le faire sur leur propre terrain et selon leur propre tactique: ainsi les Canadiens en venaient α adopter les mΘthodes de guerre indiennes. ConfrontΘs par ce qu'un gouverneur de Nouvelle-France appellerait quelques annΘes plus tard, la guerre la plus cruelle du monde, les Canadiens durent se plier α ses rΦgles. En consΘquence,
  28.  
  29. . . . ils apprirent α combattre avec la rage du dΘsespoir, sans demander ni accorder de quartier, sans souci de la mort, puisque celle-ci Θtait infiniment prΘfΘrable au sort rΘservΘ α ceux que l'ennemi prenait vivant . . . Les deux premiΦres gΘnΘrations de colons devinrent, par nΘcessitΘ, aussi aptes α la guerilla que leurs ennemis Iroquois.
  30.  
  31. L'aventure au Long Sault 
  32.  
  33.      Au printemps de 1660, des habitants de Ville-Marie (MontrΘal) -- α cette Θpoque la colonie situΘe le plus α l'ouest -- mirent au point une nouvelle stratΘgie. Un groupe de dix-sept Canadiens commandΘs par Adam Dollard des Ormeaux auquel s'Θtaient joints quatre Algonquins et quarante Hurons dΘcidΦrent d'½aller α la petite guerre et dresser des embusches aux Iroquois α leur retour de la chasse. . .╗ La petite troupe devait aller au Long Sault sur la riviΦre des Outaouais, ½et attendre les Iroquois dans le passage au retour de la chasse avec leurs castors, espΘrant les battre et les anΘantir facilement, Θtant dΘpourvus alors des choses nΘcessaires. . . ╗
  34.  
  35.      L'aventure ne fut pas heureuse. C'Θtait la premiΦre fois qu'une expΘdition conτue entiΦrement α la franτaise Θtait projetΘe en dehors des rΘgions habitΘes; les hommes de Dollard, inexpΘrimentΘs (ils Θtaient ½peu habiles en canotage╗ par exemple), commirent un certain nombre d'erreurs tactiques graves. Ces erreurs ajoutΘes α une malchance persistante furent suffisantes pour condamner l'entreprise α l'insuccΦs. Un jour ou deux aprΦs l'arrivΘe du groupe de Dollard au pied des rapides du Long Sault, on vit surgir, descendant la riviΦre, non pas les bandes Θparses habituelles de chasseurs revenant dans leurs villages, mais une troupe de 300 guerriers; ces derniers avaient rendez-vous avec 400 autres qui les attendaient α la riviΦre Richelieu avant de lancer une attaque massive contre les Franτais.
  36.  
  37.      Bien qu'ils aient montrΘ un grand courage au combat, aucun des hommes de Dollard ne survΘcut aux attaques meurtriΦres des Iroquois. Il faut noter cependant qu'ils avaient ΘtΘ les premiers α prendre l'offensive en dehors des endroits habitΘs et qu'ils avaient dΘmontrΘ une certaine perspicacitΘ. Un autre quart de siΦcle s'Θcoulerait avant que de telles incursions deviennent partie des tactiques rΘguliΦres de dΘfense en Nouvelle-France.
  38.  
  39. Les coureurs de bois 
  40.  
  41.      Les consΘquences de la guerre iroquoise et les plaintes des colons finirent par rejoindre la France, o∙ le ministre de la Marine, Colbert, dΘcida d'anΘantir entiΦrement ½ces barbares╗. └ cette fin, en 1665, il envoya α QuΘbec 1 200 soldats rΘguliers, la plupart du rΘgiment Carignan-SaliΦres. En janvier et septembre de l'annΘe suivante, deux grandes expΘditions furent lancΘes dans le pays des Agniers. Cependant, les soldats rΘguliers venus de France, furent bien prΦs d'Ωtre vaincus, non par les Iroquois, mais par la nature sauvage du pays. Ils n'Θtaient pas accoutumΘs α faire campagne dans une telle contrΘe et le dΘplacement et l'approvisionnement de gros dΘtachements de troupes dans ces rΘgions sauvages causaient des problΦmes de logistique.
  42.  
  43.      Les autoritΘs franτaises tirΦrent, cependant, des leτons prΘcieuses des campagnes de 1666. Les dures rΘalitΘs de la guerre dans le style indien devenaient plus Θvidentes. Des vΘtΘrans endurcis du commerce des fourrures avaient fait partie des expΘditions et l'on tint compte de leur expΘrience et de leurs aptitudes: robustes, Θnergiques et indΘpendants, ils avaient adoptΘ un grand nombre des techniques indigΦnes. Ces hommes portaient le costume des AmΘrindiens, avaient adoptΘ leur nourriture et parlaient leur langue; en outre, souvent ils prenaient comme Θpouses des femmes amΘrindiennes. └ force de poursuivre le castor et de livrer des combats pour dΘfendre leurs pelleteries contre les Iroquois α l'aff√t, ces Franτais Θtaient parvenus α surmonter les fatigues dues α la gΘographie et au climat hostile du pays.
  44.  
  45.      Au fur et α mesure que le temps passait, les autoritΘs en vinrent α compter ΘnormΘment (sinon exclusivement) sur les Canadiens pour pousser des pointes, α la maniΦre indienne, et porter la guerre profondΘment en territoire ennemi. Lorsque les Compagnies Franches de la Marine devinrent force permanente de la colonie dans les annΘes 1680, elles se bornΦrent le plus souvent α assurer le service de garnison dans les forts, α entretenir les fortifications, et α travailler pour le compte des habitants α la campagne ou des artisans des villes. Par consΘquent, c'Θtait de petits dΘtachements spΘcialisΘs de la Milice, formΘs de Canadiens et gΘnΘralement dirigΘs par des Canadiens, endurcis par suite d'excursions en forΩt, qui assuraient la premiΦre ligne de dΘfense, tant sur terre que sur mer, dans les rΘgions ΘloignΘes de Nouvelle-France.
  46.  
  47.     La population acceptait le service militaire, sinon toujours joyeusement, du moins avec bonne volontΘ et par sens d'obligation. Cependant, les coureurs de bois Θtaient, de notoriΘtΘ publique, indisciplinΘs et irrespectueux de l'autoritΘ. Des officiers franτais comme Pierre de Troyes, bien qu'il n'e√t pu que difficilement rΘussir sans eux, notait tristement que ½la discipline que demande la rΘgularitΘ du service . . . manque α la valeur naturelle des Canadiens╗ et que ½le caractΦre des Canadiens . . . ne s'accorde guΦre avec la subordination.╗ Cependant, des gouverneurs avisΘs, comme Denonville, avaient vite fait de noter le profond respect que les Canadiens portaient α leurs chefs qui seuls, semble-t-il, pouvaient avoir raison de leur insouciance. Sous le commandement d'hommes tels que les Le Moyne, les Hertel, les Robinau et les Coulon, les Canadiens Θtaient de loin meilleurs soldats que les troupes rΘguliΦres envoyΘes de France, dans les conditions que l'on rencontrait en AmΘrique du Nord.
  48.  
  49. La dΘfense de la Nouvelle-France jusqu'en 1713 
  50.  
  51.      Lorsqu'il arriva α QuΘbec en 1685, le gouverneur Denonville trouva la Nouvelle-France serrΘe entre deux tenailles gΘantes. Au sud et au sud-ouest, les Iroquois, activement soutenus par les Anglais α New York (la colonie hollandaise Θtait passΘe α l'Angleterre en 1664) avaient recommencΘ leurs incursions, cette fois elles furent portΘes contre les alliΘs de la France α l'ouest; tandis qu'au nord et au nord-ouest, la Compagnie de la Baie d'Hudson, nouvellement Θtablie, s'accaparait graduellement du commerce de fourrures. Denonville dΘcida d'abord de neutraliser la menace du nord en autorisant un dΘtachement de cent hommes (soixante-dix Canadiens et trente soldats rΘguliers des troupes de la Marine) sous le commandement de Pierre de Troyes, le capitaine le plus compΘtent de la colonie, α se diriger vers la baie de James, α se saisir des commerτants anglais et α Θtablir des postes franτais rivaux dans la rΘgion.
  52.  
  53.      L'expΘdition quitta MontrΘal α la fin de mars 1686, par voie d'eau, empruntant le cours tumultueux de la riviΦre des Outaouais jusqu'au lac TΘmiscamingue et de lα, en passant par une sΘrie de lacs et de cours d'eau coupΘs de portages extΘnuants jusqu'α la riviΦre Moose, qui se jette dans la baie de James. On n'avait jamais jusqu'α prΘsent tentΘ une expΘdition aussi lointaine. AprΦs quatre-vingt-cinq jours d'Θpreuves incroyables et de pΘrils constants, au cours desquels les hommes sombraient parfois dans un dΘsespoir qui les portaient au bord de la mutinerie, l'expΘdition arriva finalement α la baie de James le 21 juin. Le succΦs de cette expΘdition vint principalement de l'expΘrience que les Canadiens avaient des pays du nord et de leur loyautΘ envers leurs propres chefs, en particulier envers les frΦres Le Moyne, Sainte-HΘlΦne et Iberville. Sans l'endurance de ces hommes et leur vaste expΘrience des voyages en pays inexploitΘ, l'expΘdition n'aurait probablement jamais atteint ses objectifs.
  54.  
  55.      Une fois lα, et en dΘpit de la paix qui rΘgnait alors officiellement entre l'Angleterre et la France, les hommes du chevalier de Troyes prirent d'assaut en peu de temps trois postes anglais, s'appropriant au cours des opΘrations de grandes quantitΘs de fourrures. Au premier poste, le Fort Moose, de Troyes admit qu'il Θprouva ½beaucoup de peine α arrΩter la fougue de nos Canadiens qui, faisant de grands cris α la faτon des sauvages, ne demandaient qu'α jouer des couteaux╗ dΦs que des brΦches eurent ΘtΘ pratiquΘes dans la palissade. En 1686, l'adaptation α la guerre de style indien Θtait complΦte et, avec l'expΘdition de la baie de James, commenτait une nouvelle Φre dans les relations anglo-franτaises.
  56.  
  57.      La colonie ne tarda pas α se rallier aux nouvelles tactiques qui, α partir des annΘes 1680 caractΘrisΦrent la plupart des opΘrations militaires contre les colonies anglaises, jusqu'α ce que les exigences de la Guerre de Sept ans imposent une forme de guerre plus conventionnelle. Au cours de cette pΘriode, le peuplement plus important des colonies anglaises et les intΘrΩts commerciaux puissants que l'Angleterre avait en AmΘrique firent irrΘvocablement pencher l'Θquilibre en sa faveur. Cependant, la crΘation de petits dΘtachements, dans le style des expΘditions de la baie de James, qui lanτaient des raids Θclairs contre les positions anglaises, contribua de faτon importante au maintien de la Nouvelle-France pendant trois autres quarts de siΦcle.
  58.  
  59.      Lorsque des nouvelles annonτant une guerre imminente atteignirent les colonies anglaises en 1689, les Iroquois en furent immΘdiatement informΘs et ils lancΦrent une attaque surprise meurtriΦre sur Lachine. Le gouverneur Frontenac dΘcida d'user de reprΘsailles et dΘclencha une sΘrie de raids Θclairs contre trois Θtablissements le long de la frontiΦre anglaise. C'est dans ce contexte qu'eut lieu en fΘvrier 1690 le raid sur Schenectady. On lanτa des raids similaires sur Salmon Falls et Fort Loyal en Nouvelle-Angleterre qui ne furent pas moins dΘvastateurs.
  60.  
  61.      Les offensives de 1690 rΘvΘlΦrent un nouvel aspect de la petite guerre: la cruautΘ. Les Canadiens se montrΦrent aussi impitoyables que les Iroquois eux-mΩmes, sinon plus. └ Schenectady et Salmon Falls, les portes des maisons avaient ΘtΘ enfoncΘes et hommes, femmes et enfants avaient ΘtΘ scalpΘs alors que, fous de terreur, ils se dΘbattaient pour sortir de leurs lits. D'autres avaient ΘtΘ massacrΘs alors qu'ils s'Θlanτaient hors de leurs maisons incendiΘes et pleines de fumΘe. Le combat pour la vie que menait la Nouvelle-France exigeait des mesures dΘsespΘrΘes. └ la baie de James, alors que planait la menace du scorbut, Iberville n'avait permis au chirurgien anglais de chasser afin de se procurer du gibier frais, que pour le faire prisonnier, et accΘlΘrer ainsi l'extension de la terrible maladie chez l'ennemi. Lorsque finalement ils capitulΦrent, les Anglais n'avaient perdu que trois hommes au combat, mais vingt-cinq Θtaient morts du scorbut et du froid.
  62.  
  63.      Lorsque la Grande-Bretagne Θtablit sa prΘdominance en AmΘrique deux gΘnΘrations plus tard, le souvenir amer de la sauvagerie des expΘditions guerriΦres des Canadiens et des Indiens durait encore. En 1758, James Wolfe, nouveau venu en AmΘrique, Θcrivait, ½Bien que je ne sois ni inhumain ni rapace, j'aurais cependant plaisir α voir la vermine canadienne ΘcrasΘe et pillΘe et payer ainsi un juste prix pour une cruautΘ comme on n'en avait encore jamais rencontrΘe╗.
  64.  
  65.      Les rivalitΘs s'intensifiant, les Canadiens se mirent α pratiquer en mΩme temps la guerre de course contre les Θtablissements anglais le long de la c⌠te Atlantique et dans la baie d'Hudson. En 1694, les Franτais allΦrent opΘrer jusqu'α moins de soixante-cinq kilomΦtres de Boston, tandis qu'un petit escadron de flibustiers canadiens commandΘ par Iberville prenait Fort York sur la baie d'Hudson. Deux annΘes plus tard, Iberville dΘtruisit Fort William Henry sur la frontiΦre de la Nouvelle-Angleterre et de l'Acadie, qui faisait l'objet d'un litige, et fit voile jusqu'α Placentia pour participer α la destruction des pΩcheries anglaises de Terre-Neuve. Cette derniΦre campagne se rΘvΘla la plus destructrice du conflit anglo-franτais tout entier en AmΘrique.
  66.  
  67.      Les autoritΘs coloniales anglaises du nord ne prirent pas de temps α s'exaspΘrer de la stratΘgie franτaise et unirent leurs forces contre la Nouvelle-France. Alors que leurs assauts contre QuΘbec en 1690 et 1711 Θchouaient, les dirigeants coloniaux se livrΦrent avec plus de succΦs α une sΘrie de reprΘsailles contre les villages abΘnaquis et acadiens, dont la prise de Port Royal par un corps de troupe important sous les ordres de Francis Nicholson en 1710 fut le point culminant. Cette victoire fut bient⌠t consolidΘe par le TraitΘ d'Utrecht qui, en 1713, fit tomber l'Acadie, Terre-Neuve et la baie d'Hudson aux mains de la Grande-Bretagne. MalgrΘ ces sΘvΦres pertes territoriales, le coeur de la Nouvelle-France, la colonie du Saint-Laurent, restait intact et la France entreprit de consolider sa position en AmΘrique du Nord.
  68.  
  69. La phase finale 
  70.  
  71.      Avec la signature du TraitΘ d'Utrecht commenτait une pΘriode de paix sans prΘcΘdent qui devait durer jusqu'en 1744, annΘe o∙ la guerre Θclata de nouveau. Les hostilitΘs se terminΦrent quatre annΘes plus tard sans pertes territoriales ni d'un c⌠tΘ ni de l'autre. Puis, en 1754, les intΘrΩts commerciaux britanniques et franτais se heurtΦrent dans la vallΘe de l'Ohio et la France et l'Angleterre se trouvΦrent de nouveau en guerre en 1756. Les ΘvΘnements des annΘes suivantes (la Guerre de Sept ans) scellΦrent le destin de la Nouvelle-France. └ ce moment-lα, les ressources canadiennes α la fois en hommes et en moyens Θtaient exploitΘes au-delα de ce qui leur Θtait possible. L'Angleterre, dΘterminΘe α mettre la main sur ce qui restait de la Nouvelle-France, jouissait de la maεtrise incontestΘe des voies maritimes vitales de l'Atlantique. Les coloniaux anglais eux-mΩmes Θtaient devenus habiles α la guerre de forΩts; les exploits des hommes des bois de Virginie et du Kentucky, tireurs d'Θlite, et des combattants des unitΘs irrΘguliΦres comme les Rogers' Rangers l'avaient prouvΘ.
  72.  
  73.      MalgrΘ leur situation de plus en plus prΘcaire, les Canadiens n'avaient rien perdu de leur enthousiasme pour la stratΘgie de l'Θpoque de Frontenac et des Le Moyne. On en reτut la preuve de faτon Θclatante en juin 1755, lorsque 250 Canadiens et 600 Indiens mirent en dΘroute, α la MonongahΘla, l'armΘe du major-gΘnΘral Braddock composΘe de 2 200 soldats rΘguliers et de soldats des provinces amΘricaines -- sans aucun doute la victoire la plus impressionnante jamais remportΘe par ces irrΘguliers.
  74.  
  75.      Mais bient⌠t les rΘguliers britanniques adaptΦrent leurs tactiques aux rΘalitΘs de l'AmΘrique du Nord. L'Angleterre s'Θtait dΘcidΘe α faire la guerre en grand, avec des milliers de soldats rΘguliers, de solides fortifications et un recours plus important α l'artillerie. Les Franτais, afin d'Θviter d'Ωtre submergΘs, n'avaient pas d'autres choix que de suivre cet exemple; de lα, l'arrivΘe, en 1755, de troupes rΘguliΦres dites de terre, venues de France, et commandΘes par le gΘnΘral franτais Montcalm. Ainsi, pour la premiΦre fois, la longue rivalitΘ anglo-franτaise aboutissait surtout α un combat entre troupes rΘguliΦres engagΘes dans des opΘrations conformes aux usages Θtablis, qui mettaient le siΦge devant les villes selon toutes les rΦgles; la force traditionnelle de soutien de la Nouvelle-France, la Milice, Θtait rΘduite au statut de force auxiliaire.
  76.  
  77.      Comme les opΘrations qui se sont dΘroulΘes α Louisbourg, Carillon (Ticonderoga) et QuΘbec devaient le prouver, les troupes d'irrΘguliers canadiens et leurs alliΘs amΘrindiens ne pouvaient pas Ωtre d'un grand secours dans des opΘrations de style europΘen. Pour la premiΦre fois en face d'un ennemi qui dΘclenchaient des feux de salves en tirant α dΘcouvert, ils s'abritaient ou fuyaient. Cependant, en dΘpit de ces importantes limites apportΘes α leurs activitΘs, ces combattants continuaient les tactiques de la petite guerre et harcelaient les forces britanniques: les expΘditions de guerre continuaient leurs raids sur les Θtablissements amΘricains, immobilisaient des forces ennemies supΘrieures en nombre en menaτant leur ravitaillement, en tendant des embuscades hardies α leurs colonnes ou en repoussant leur avance par la destruction de leurs bases. Mais, α la fin, la supΘrioritΘ militaire britannique associΘe α l'application des rΦgles les plus strictes de l'art de la guerre aboutirent aux victoires dΘcisives de Louisbourg (1758), de QuΘbec (1759) et finalement α la capitulation de MontrΘal (1760).
  78.  
  79.      La stratΘgie, indigΦne α la Nouvelle-France, faite de raids et d'incursions sur les frontiΦres, et inaugurΘe dans le dernier quart du XVIIe siΦcle, avait du moins atteint l'objectif α court terme: dΘfendre la colonie contre les ennemis du sud, supΘrieurs en nombre. Elle avait soutenu le moral des Canadiens en mΩme temps qu'elle maintenait le prestige de la France aux yeux de ses alliΘs amΘrindiens et avait rΘussi pour un temps α saper sΘrieusement le moral de la Nouvelle-Angleterre.
  80.  
  81.      └ la longue cependant, la tactique des Canadiens avait soulevΘ l'indignation gΘnΘrale des Anglo-AmΘricains et avait conduit α des expΘditions dΘvastatrices, en particulier contre la colonie de l'Acadie, moins bien dΘfendue. En fin de compte, ce qui a pesΘ le plus sur les ΘvΘnements fut la dΘtermination de la Grande-Bretagne de mettre fin une fois pour toute α la mainmise des Franτais sur l'AmΘrique du Nord par des moyens militaires puissants et traditionnels, bien soutenus par la supΘrioritΘ de sa puissance navale. Cependant, dans la seconde moitiΘ du XVIIe siΦcle, la Nouvelle-France avait fait preuve d'une fΘroce dΘtermination de survivre. De cette dΘtermination, elle tirait sa plus grande force au temps mΩme o∙ ses espΘrances de survie Θtaient les plus faibles.  
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