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Text File  |  1996-06-20  |  30KB  |  53 lines

  1. HALIFAX (1749-1849): D'une garnison ê mÄtropole 
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  3. David A. Sutherland 
  4.  
  5.      Halifax passe gÄnÄralement pour une ville bëtie pour la guerre. On lui attribue pour fonction essentielle celle d'un avant-poste militaire dont l'histoire vacille perpÄtuellement entre l'atmosphÅre affairÄe du temps de guerre et le climat d'inertie du temps de paix. Voilê une conception qui ternit la vÄritable nature de Halifax. Depuis le dÄbut de son existence, cette ville s'est efforcÄe d'Étre plus qu'une base militaire. Les Haligoniens tentent depuis longtemps de faire de leur collectivitÄ le carrefour dominant, le foyer de toute activitÄ Äconomique, politique et culturelle au sein des Maritimes. En fait, l'histoire de Halifax entre 1749 et 1849 se rÄsume ê une lutte pour devenir la mÄtropole commerciale de la rÄgion.
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  7.      C'est la gÄographie qui a dirigÄ le cours de l'histoire de Halifax. Cette ville possÅde un immense atout naturel de par son port en eau profonde, s₧r, vaste, dÄgagÄ en hiver et formant escale sur les principales lignes maritimes reliant l'Europe et l'AmÄrique du Nord. En revanche, Halifax est handicapÄ par certains inconvÄnients naturels: les abords immÄdiats du havre sont entourÄs de petites collines de granit parsemÄes de blocs erratiques et recouvertes d'une couche tÄnue de sol acide. Il existe pourtant le long de la baie de Fundy et du dÄtroit de Northumberland un fonds relativement gÄnÄreux de richesses naturelles: sol arable, bois de coupe et götes minÄraux. En outre, le poisson foisonne dans les eaux cÖtiÅres des Maritimes.
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  9.      Par malheur, Halifax a eu du mal ê s'assurer l'exploitation de ces ressources d'arriÅre-pays. Aucune riviÅre navigable ne relie la ville ê l'intÄrieur de la province. Ce n'est qu'aprÅs 1850 que l'arrivÄe du chemin de fer a offert un moyen de transport efficace et peu co₧teux. Jusque lê, il avait fallu mener surtout par mer les Ächanges entre Halifax et la plupart des Ätablissements d'arriÅre-pays. Ainsi se perpÄtuaient l'isolation et la fragmentation. En hiver, les glaces entravaient la navigation. En ÄtÄ, l'accessibilitÄ gÄnÄrale du littoral des Maritimes faisait que les entrepreneurs haligoniens se heurtaient constamment ê la concurrence intÄrieure et extÄrieure, chacun voulant accaparer les ressources et les marchÄs rÄgionaux. Les inconvÄnients gÄographiques avaient tendance ê supplanter les atouts, et Halifax n'allait certes pas devenir la mÄtropole du jour au lendemain, offrant ainsi un dÄfi intÄressant ê ses citoyens.
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  11.      C'est ê des causes gÄographiques qu'il faut attribuer la nÄgligence dont a souffert Halifax au dÄbut de la colonisation des Maritimes par les EuropÄens. Les Anglais et les Franìais concentraient leur activitÄ le long de la baie de Fundy et autour de l'öle du Cap-Breton, zones les plus propices ê la traite des fourrures, ê l'agriculture et ê la pÉche. Halifax, qui portait alors son nom indien de ChÄbouctou, passait inaperìue. Pauvre en ressources exploitables, elle ne s'ouvrait pas sur l'arriÅre-pays. Il fallut attendre qu'Äclate la guerre pour que l'achÅvement de la conquÉte impÄriale de l'AmÄrique du Nord change le destin de ChÄbouctou. Son port sortit de l'ombre de faìon spectaculaire en 1746 quand le duc d'Anville, envoyÄ par la France, se prÄsenta avec une flotte de soixante et onze navires et 9 940 hommes pour organiser des opÄrations militaires. Il avait pour objectif de reprendre Louisbourg, de chasser les Anglais de la Nouvelle-âcosse, puis de dÄtruire Boston. Le mauvais temps, le manque de provisions et la maladie anÄantirent cependant l'expÄdition de d'Anville, mais son initiative eut des effets durables. Il avait montrÄ que toute force navale d'occupation ê ChÄbouctou se trouvait bien placÄe pour perturber les communications maritimes entre l'Europe et l'AmÄrique du Nord, harceler les pÉcheurs du nord de la Nouvelle-Angleterre et diriger des raids sur n'importe quel port des treize colonies. Les stratÅges anglais furent impressionnÄs. C'est pourquoi en 1749, aprÅs la reddition de Louisbourg ê la France, ils profitÅrent d'une accalmie des hostilitÄs avec les Franìais pour envoyer une expÄdition s'emparer de ChÄbouctou et le garder. RebaptisÄe Halifax, cette ville, jusque-lê nÄgligÄe, fut bientÖt fortifiÄe, afin d'en faire une dÄfense d'avant-poste pour Boston et d'assurer aux Anglais une base en vue de raids futurs sur le bastion franìais de Louisbourg.
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  13.      Adoptant Louisbourg pour modÅle, les Anglais tentÅrent de donner ê Halifax autre chose qu'un rÖle militaire. La capitale de la Nouvelle-âcosse fut transportÄe d'Annapolis Royal ê Halifax, et les dignitaires londoniens couchaient sur papier leurs grandes espÄrances de voir Halifax centraliser les pÉcheries provinciales. Plusieurs causes freinÅrent cependant l'expansion rapide qui aurait fait de Halifax une mÄtropole rÄgionale. Pendant la dÄcennie de 1750, la ville resta en Ätat de siÅge, sÄparÄe de l'arriÅre-pays par une alliance hostile des Micmacs avec les Franìais; d'autre part, le gouvernement impÄrial compromit les visÄes de Halifax en ordonnant la dÄportation des Acadiens en 1755, dÄpeuplant ainsi l'intÄrieur de la province. Le repeuplement par des colons de la Nouvelle-Angleterre et le retour de certains Acadiens marquÅrent le dÄbut des annÄes 1760, mais, ê mesure que se fondaient des ports isolÄs, le gros de leur commerce Ätait monopolisÄ par Boston. Enfin, Halifax reìut le coup de grëce en 1763 aprÅs la dÄfaite de la France et son expulsion de l'AmÄrique du Nord. L'Angleterre n'avait plus besoin de Halifax: la garnison fut rÄduite et les autoritÄs impÄriales limitÅrent les dÄpenses engagÄes en Nouvelle-âcosse en temps de paix. Les entrepreneurs privÄs suivirent le gouvernement, rapportant leur butin en Angleterre plutÖt que de se risquer ê exploiter des ressources incertaines. Ces revers, joints aux obstacles gÄographiques dÄjê prÄsents, empÉchÅrent d'abord Halifax de dÄpasser le stade de garnison militaire isolÄe, ê peine capable de surveiller l'arriÅre-pays adjacent.
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  15.      Ce sous-dÄveloppement a confÄrÄ ê Halifax une structure plutÖt europÄenne que nord-amÄricaine, au dÄbut du moins. Officiers, bureaucrates impÄriaux et entrepreneurs militaires dominaient au sein de l'Älite gouvernante. Il n'existait guÅre, ê l'Ächelle locale, de dÄmocratie ou de fiertÄ collective. Les dirigeants municipaux Ätaient dÄsignÄs par les autoritÄs, et non Älus par le peuple. La fondation d'Äglises, d'Äcoles, d'un hospice, d'un orphelinat, d'un hÖpital et d'autres institutions Ätait laissÄe ê l'initiative impÄriale. Les marchands haligoniens obtinrent ê force de pressions l'Ätablissement d'une assemblÄe Älective, mais ils la laissÅrent devenir un simple truchement des autoritÄs londoniennes. Pendant ce temps, les maniÅres et les moeurs des citoyens en gÄnÄral reflÄtaient la grossiÅre brutalitÄ de la vie d'une garnison militaire. Un tÄmoin dÄcrivit la population en ces termes: ╟de misÄrables dÄvergondÄs... si profondÄment ancrÄs dans toutes sortes de turpitudes qu'ils n'ont plus que l'ombre de la religion╚. Un autre dÄclara: ╟La moitiÄ de la ville s'occupe de vendre le rhum, et l'autre de le boire.╚
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  17.      L'importance de l'isolation gÄographique, Äconomique et culturelle de Halifax par rapport ê l'arriÅre-pays nÄo-Äcossais se trouva mise en relief pendant la RÄvolution amÄricaine. La population des ports isolÄs, originaire en grande partie de la Nouvelle-Angleterre, Ätait dans l'ensemble solidaire des rebelles, allant parfois jusqu'ê prendre les armes pour les appuyer. En revanche, la plupart des Haligoniens se ralliÅrent ê la Couronne, conscients de la prÄsence des armes britanniques et de la perspective des profits ê rÄaliser. NÄanmoins, ni l'intimidation ni le pragmatisme Ägoòste ne sont ê l'origine de la loyautÄ des Haligoniens envers la Couronne. Les habitants de la capitale adoptÅrent cette attitude parce que, vivant ê l'ombre d'une garnison, ils ne se trouvaient pas dans le courant de l'Ävolution des colonies amÄricaines. En consÄquence, ils ne pouvaient pas comprendre, et encore moins partager les motifs des rebelles. La loyautÄ de Halifax n'Ätait que l'expression de la mentalitÄ prÄdominante de la garnison.
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  19.      La Guerre rÄvolutionnaire s'avÄra lucrative pour Halifax. ╦ la stagnation Äconomique succÄdÅrent le plein emploi, des salaires ÄlevÄs et des profits montant en flÅche. La guerre maintenait Ägalement les extrÉmes d'une sociÄtÄ de garnison. La vie du simple soldat restait dure et ingrate. Songeant ê son affectation ê Halifax, un conscrit allemand dÄclara que la nourriture ne valait rien et qu'en raison du froid les hommes n'en finissaient pas de hurler et de claquer des dents. Les journaliers voyaient l'inflation dÄvorer leurs salaires. PlutÖt que d'essayer en vain d'Äconomiser, ils buvaient. Leur comportement amena un prÄdicateur des ports isolÄs ê comparer avec dÄpit la dÄpravation qui rÄgnait ê Halifax ê celle qui avait perdu Sodome. Pendant ce temps, l'Älite jouissait du confort et de la sÄcuritÄ. Un visiteur, accueilli au sein de la bourgeoisie locale, signalait que la vie ê Halifax se rÄsumait ê festoyer, ê jouer aux cartes et ê danser.
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  21.      DÅs la fin des hostilitÄs en 1783, la misÅre s'abattit derechef sur Halifax. Pourtant, elle n'engendra pas le dÄsespoir, et les habitants s'accrochaient ê l'espÄrance de bÄnÄficier un jour de la rÄorganisation post-rÄvolutionnaire de l'Empire. Leur optimisme reposait sur la dÄcision britannique de recourir ê une rÄglementation mercantiliste des Ächanges pour faire Ächec aux âtats-Unis nouvellement formÄs. Admis sous certaines rÄserves aux pÉcheries intÄrieures de l'AmÄrique britannique, les AmÄricains seraient cependant exclus du transport des cargaisons commerciales des Antilles britanniques. En principe, la Nouvelle-âcosse et les autres colonies voisines du nord auraient pu remplacer la Nouvelle-Angleterre comme fournisseur et marchÄ des Antilles britanniques. Le rÉve d'une ╟nouvelle╚ Nouvelle-Angleterre o¥ Halifax e₧t succÄdÄ ê Boston s'imposa ê l'imagination des Haligoniens. On affirmait avec assurance que le port venait enfin d'obtenir le moyen de surmonter les obstacles du sous-dÄveloppement.
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  23.      La rÄalisation de ces attentes s'avÄra difficile aprÅs la RÄvolution. Des annÄes durant, la plus grande partie des Maritimes resta enlisÄe dans le marasme et l'isolation d'un pays de colonisation, contrainte ê importer toutes ses denrÄes alimentaires pour survivre. Les intÄrÉts amÄricains dominaient les pÉcheries, entretenant des Ächanges rÄguliers avec les ports isolÄs sans Ägard pour le mercantilisme britannique. NÄanmoins, Halifax rÄussit ê prendre graduellement un caractÅre autre que celui d'une garnison militaire isolÄe. ╦ la fin du XVIIIe siÅcle, elle Ätait devenue un point de transit pour les Ächanges entre les Antilles et les âtats-Unis. Elle Ätait Ägalement considÄrÄe comme le principal entrepÖt commercial des Maritimes. De mai ê novembre, pÄriode de pointe de la navigation commerciale, des douzaines de petits voiliers faisaient la navette entre Halifax et les petits ports de la rÄgion, Ächangeant les produits importÄs de Grande-Bretagne, des Antilles et des âtats-Unis, du poisson, du bois de coupe, des minerais et des denrÄes agricoles. Ce systÅme d'Ächanges commerciaux s'Ätendit et se raffermit pendant les Guerres napolÄoniennes, de 1802 ê 1815. Les opÄrations militaires entravaient l'activitÄ commerciale des pays Ätrangers avec les Maritimes, alors que simultanÄment, la guerre faisait connaötre ê Halifax de nouveaux sommets de prospÄritÄ. Halifax pourrait donc un jour parvenir ê l'hÄgÄmonie, rÄalisant ainsi son rÉve.
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  25.      L'accÅs de Halifax ê la position de centre commercial amena des changements quantitatifs et qualitatifs dans la sociÄtÄ urbaine locale. Entre 1780 et 1815, la population passa graduellement de 8 000 ê plus de 11 000, principalement en consÄquence de l'immigration britannique. Parmi les nouveaux arrivants, un petit groupe d'entrepreneurs Äcossais presbytÄriens s'imposa comme chef de file du monde des affaires locales. Toutefois, l'immigrant caractÄristique ressemblait plutÖt ê l'Irlandais catholique dÄmuni de capital et de talent. EntraönÄs dans la main-d'oeuvre urbaine comme journaliers, les Irlandais prolifÄrÅrent bientÖt. Moins de dix pour cent au dÄbut, ils comptÅrent bientÖt pour plus de trente pour cent de la population totale. Leur prÄsence constituait un dÄfi et une contrariÄtÄ pour la majoritÄ anglo-saxonne de Halifax, qui rÄagit par une discrimination systÄmatique destinÄe ê perpÄtuer la subordination des Irlandais. La population noire de Halifax se trouvait cependant plus infortunÄe encore que les Irlandais. Pendant la Guerre de 1812, la Marine royale britannique avait transportÄ des âtats-Unis ê Halifax plusieurs centaines d'affranchis. AprÅs une pÄriode de plein emploi aux fortifications du port, on les avait Ätablis sur de petits lopins de terre ê la pÄriphÄrie de la capitale, o¥ ils survivaient pÄniblement, appelÄs occasionnellement ê faire partie de la main-d'oeuvre active de Halifax.
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  27.      Alors que la masse de la population haligonienne s'accroissait en se diversifiant sur les plans ethnique et racial, l'Älite urbaine se faisait de plus en plus homogÅne. Le pouvoir restait concentrÄ entre les mains des hauts fonctionnaires, des officiers et des entrepreneurs militaires, renforcÄs dÄsormais par un contingent de marchands de gros, qui s'occupaient plutÖt des denrÄes courantes que des approvisionnements militaires. Au dÄbut du XIXe siÅcle, la majoritÄ de cette aristocratie Ätait nord amÄricaine de naissance. En outre, les intermariages transformaient littÄralement l'Älite haligonienne en ╟secte familiale╚. L'une et l'autre tendance favorisÅrent l'apparition d'un esprit de solidaritÄ et d'exclusivitÄ. En mÉme temps, l'Älite se mit ê faire preuve d'un sens accru de responsabilitÄ envers la collectivitÄ locale, comme si elle reconnaissait qu'il s'agissait bien d'Haligoniens, et non plus simplement de Britanniques en exil. Les membres civils de l'aristocratie consacraient une part de plus en plus grande de leur temps et de leurs deniers ê la fondation et ê la bonne marche d'Äglises, d'Äcoles, de clubs et d'oeuvres de bienfaisance diverses. Cette expansion des activitÄs philanthropiques reflÄtait une maturitÄ sociale accrue.
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  29.      Durant l'Åre napolÄonienne, Halifax connut ê la fois la stabilitÄ et l'Ävolution. Le commerce n'avait pas transformÄ le port en une collectivitÄ de bourgeois compassÄs et disciplinÄs. La ville est restÄe essentiellement une garnison militaire caractÄrisÄe par une dÄcadence flamboyante, un dÄsordre violent et une inÄgalitÄ sociale aiguæ. Son altesse royale, le prince Guillaume, le futur roi d'Angleterre, ne fit que s'incliner devant la coutume quand il visita Halifax au cours des annÄes 1780, festoyant, buvant et bambochant jusqu'ê s'effondrer d'Äpuisement et d'ivresse. Une dizaine d'annÄes plus tard, son frÅre âdouard se comportait avec plus de dÄcence, rÄservant sa passion ê une seule maötresse. NÄanmoins, la chastetÄ Ätait en dÄfaveur auprÅs de l'aristocratie haligonienne, encore ╟prÉte ê excuser et ê accepter la promiscuitÄ sexuelle et l'adultÅre comme des moeurs normales╚. Naturellement, l'aristocratie n'avait pas la mÉme tolÄrance ê l'Ägard des ╟classes infÄrieures╚. Les simples soldats Ätaient toujours chëtiÄs par une brutale flagellation ou la pendaison publique pour des dÄlits mineurs. L'entrÄe du havre Ätait dÄcorÄe d'un gibet arborant le cadavre goudronnÄ de ceux qui avaient osÄ dÄfier leurs seigneurs. Les civils restaient vulnÄrables devant la justice militaire ê cause des petites bandes qui dÄbarquaient rÄguliÅrement pour enrÖler de force des ╟volontaires╚ dans la Marine royale britannique. Entre temps, les indigents semblaient gÄnÄralement incapables de profiter de la guerre pour relever leur niveau de vie. Les pires conditions se retrouvaient dans les taudis voisins des casernes. Parmi les nombreux bordels et cabarets, on apercevait ╟le dÄgo₧tant spectacle de familles abandonnÄes, extrÉmement pauvres, ivres, nu-tÉte, nu-pieds, dans l'Ätat le plus abominable possible╚.
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  31.      L'aspect de la rue des Casernes (Barrack Street) contrastait nettement avec l'atmosphÅre des bureaux administratifs, des maisons de comptabilitÄ et des rÄsidences de l'aristocratie haligonienne. Pour cette classe, la guerre, surtout de 1807 ê 1815, fut une pÄriode de prospÄritÄ sans prÄcÄdent. Le revenu qu'elle tirait des droits et bÄnÄfices Ätait si considÄrable que l'inflation ne l'atteignait guÅre. En 1814, un journal local rÄsuma en ces termes la mentalitÄ de cette sociÄtÄ ╟respectable╚: ╟Heureux âtat que la Nouvelle-âcosse dans cette Äpoque de tumulte, nous vivons en paix et en sÄcuritÄ, envahis seulement par une innombrable lÄgion de doublons et de dollars amÄricains qui ont vidÄ nos boutiques et nos entrepÖts comme une horde barbare.╚ Malheureusement, on pouvait ê juste titre se demander si cette prospÄritÄ survivrait ê la paix.
  32.  
  33.      Les guerres napolÄoniennes cessÅrent en 1815, et dÅs lors une crise Äconomique s'abattit sur Halifax et dura prÅs de dix ans. PrivÄe de son bourdonnant marchÄ de garnison, affrontant une recrudescence de la concurrence amÄricaine et antillaise dans les pÉcheries, et menacÄe par Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) qui cherchait ê accaparer le commerce avec les petits ports, la capitale nÄo-Äcossaise parut sur le point de perdre sa mainmise sur le commerce. Les affaires devinrent presque stagnantes et l'agitation sociale fit Äruption dans la ville. Des pamphlÄtaires anonymes et des chroniqueurs se mirent ê s'attaquer aux privilÅges des riches. Les ouvriers spÄcialisÄs firent la grÅve pour s'assurer la sÄcuritÄ d'emploi et maintenir les salaires qu'ils gagnaient en temps de guerre. Les travailleurs non spÄcialisÄs, faute d'organisation, s'en remirent ê des tactiques plus grossiÅres: voies de fait, vol et incendie. L'aristocratie de Halifax, se voyant attaquÄe, riposta par diverses mesures de rÄpression. Les critiques anonymes furent recherchÄs, accusÄs de libelle sÄditieux et emprisonnÄs. Les syndicats ouvriers furent accusÄs de conspiration criminelle. Une loi fut adoptÄe pour l'Ätablissement d'une maison de correction baptisÄe Bridewell, du nom de celle de Londres, et les autoritÄs reìurent des pouvoirs discrÄtionnaires leur permettant d'incarcÄrer ê peu prÅs tout le monde, des ivrognes errants aux domestiques rÄcalcitrants. Ces mesures intimidÅrent rÄellement les critiques, mais ne relancÅrent pas l'Äconomie pour autant.
  34.  
  35.      AprÅs la guerre, Halifax vÄgÄta plus ou moins jusqu'ê ce que son port, vers 1825, ressente les effets de l'expansion Äconomique de la Grande-Bretagne et de l'AmÄrique. Le commerce avec les Antilles britanniques se ranima de sorte que l'activitÄ commerciale prit gÄnÄralement de l'ampleur ê Halifax. Le port connut alors une pÄriode de croissance qui devait persister jusque vers 1840. Et pourtant, Halifax ne rÄussit guÅre ê atteindre les objectifs fixÄs pendant les annÄes 1780. Il s'avÄra impossible pour l'arriÅre-pays des Maritimes de se passer des âtats-Unis, tant pour l'approvisionnement que pour les marchÄs. Qui plus est, Halifax ne put d'aucune faìon monopoliser l'Äconomie rÄgionale. Les contrebandiers amÄricains, les marchands de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) et les nÄgociants des petits ports concurrenìaient avec persistance les marchands ayant leur siÅge dans la capitale nÄo-Äcossaise. Enfin, le commerce haligonien accusait une trÅs grande instabilitÄ, fluctuant considÄrablement et connaissant une dÄbëcle vers 1830. NÄanmoins, les gens considÄraient ê l'Äpoque ces faiblesses comme insignifiantes en regard de la nette expansion de l'Äconomie. L'optimisme rÄgnait sans conteste, car le volume des Ächanges avaient ÄgalÄ, puis surpassÄ les niveaux atteints pendant la guerre.
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  37.      Les rÄalisations commerciales d'aprÅs-guerre ê Halifax transformÅrent graduellement les valeurs et les institutions locales, suscitant en fin de compte une nouvelle identitÄ pour la collectivitÄ. Le changement essentiel fut celui qui toucha l'entreprise commerciale. Les marchands de Halifax avaient depuis longtemps l'habitude d'investir la plus grande partie de leur excÄdent financier en Grande-Bretagne et aux âtats-Unis. Cette exportation de capitaux contribuait au sous-dÄveloppement local. Depuis 1825 environ, ê mesure qu'on faisait davantage confiance ê l'Äconomie locale, on modifiait ses habitudes d'investissement. Les marchands haligoniens augmentÅrent leur participation directe ê la production de denrÄes essentielles comme le poisson et le bois de coupe. Ils acquirent Ägalement une flotte marchande au tonnage de plus en plus fort. En outre, cette pÄriode vit les entrepreneurs haligoniens fonder un grand nombre de compagnies par actions pour se lancer dans l'assurance maritime, l'assurance-vie, les banques, la construction de canaux, l'exploitation miniÅre, la pÉche, l'expÄdition, les services municipaux et la navigation ê vapeur. Ces entreprises devinrent le principal instrument par lequel les hommes d'affaires haligoniens cherchÅrent ê unifier et ê contrÖler l'Äconomie des Maritimes. Au fond, elles exprimaient l'urgent besoin d'une suprÄmatie mÄtropolitaine.
  38.  
  39.      Une autre manifestation de la rÄorientation d'aprÅs-guerre ê Halifax devait surgir dans le domaine de la religion. Jusque vers 1780, les âglises d'Angleterre et d'âcosse avaient joui d'une suprÄmatie relativement incontestÄe dans la capitale nÄo-Äcossaise. Plusieurs des Loyalistes qui vinrent s'Ätablir ê Halifax Ätaient des catholiques, ce qui explique pourquoi les Ädits anti-catholiques, qui remontent ê 1758, furent rÄvoquÄs. Au cours des annÄes ultÄrieures, diverses sectes protestantes, notamment les MÄthodistes et les Baptistes, se firent remarquer ê Halifax. Leur influence collective sur les affaires locales Ätait restÄe secondaire jusqu'en 1820, mais par la suite, toutes les Äglises de la ville dÄployÅrent une vigueur soutenue. D'autres paroisses se fondÅrent, de nouvelles Äglises se bëtirent, et l'application des rÅgles de chastetÄ, d'abnÄgation et d'ardeur au travail fut d'une rigueur sans prÄcÄdent. Ce dynamisme de l'organisation et le rÖle d'arbitre de la moralitÄ publique que jouait dÄsormais le clergÄ, reflÄtaient les changements essentiels qui marquaient la sociÄtÄ haligonienne. La classe moyenne de la ville, de plus en plus nombreuse et opulente, alliÄe jusqu'ê un certain point aux ouvriers spÄcialisÄs, exigeait de la sociÄtÄ une cohÄsion et une discipline accrues. Elle estimait que la vertu Ätait la clef du succÅs matÄriel.
  40.  
  41.      Cette attitude se manifestait Ägalement au-delê de la sphÅre des religions Ätablies. Elle explique la recrudescence d'activitÄ philanthropique ê partir de 1820. L'ÄnumÄration partielle des nouvelles associations ê but charitable ou coopÄratif comporterait les fraternitÄs ethniques, les loges maìonniques, la Poor Man's Friend Society, la Nova Scotia Philanthropic Society, la Carpenters' Charitable Society, la African Friendly Society, la African Abolition Society et la African Union Society. Ce changement de mentalitÄ s'exprima surtout par l'Äclosion de nombreuses sociÄtÄs d'abstinence totale entre 1830 et 1850. Certes, la recherche de la vertu s'exprime souvent par la simple rÄpression de vieilles habitudes, mais elle peut aussi amener des rÄformes innovatrices. Ainsi, on dÄcida de remplacer la maison de correction (the Bridewell) par un pÄnitencier conìu scientifiquement pour rÄÄduquer ses pensionnaires. Le retrait des enfants, des malades et des aliÄnÄs de la Maison des pauvres pour les placer dans des Ätablissements o¥ l'on pourrait leur prodiguer des soins adÄquats fut Ägalement un progrÅs.
  42.  
  43.      La classe moyenne put Ägalement exprimer ses aspirations dans le domaine culturel: les Haligoniens fondÅrent aprÅs la guerre un institut de mÄcanique, deux bibliothÅques ainsi que plusieurs sociÄtÄs littÄraires, scientifiques, horticoles et musicales. Outre la publication de divers journaux gÄnÄraux, religieux et ╟tempÄrants╚, les Äditeurs de Halifax entreprirent des travaux plus ambitieux, comme les revues littÄraires mensuelles, les histoires provinciales, les recueils de poÄsie et de musique. De plus, les Haligoniens jouÅrent un rÖle d'avant-garde dans la rÄforme de l'enseignement. Diverses Äcoles ╟de bienfaisance╚ furent fondÄes pour instruire les enfants pauvres de la ville et leur enseigner le respect de l'aristocratie. Sur un autre plan, les Haligoniens firent figure de pionniers en fondant diverses acadÄmies et collÅges confessionnels qui dispensaient aux enfants d'une classe moyenne ambitieuse un enseignement peu co₧teux qui les prÄparait au droit, ê la mÄdecine et au sacerdoce. Il faut remarquer que nombre de ces innovations culturelles, en particulier les journaux et les maisons d'enseignement, devinrent des instruments de propagation du comportement urbain dans l'arriÅre-pays rural voisin. En effet, Halifax pourrait s'enorgueillir d'avoir ÄtÄ la mÄtropole qui orienta et insuffla l'Äveil intellectuel de la Nouvelle-âcosse au XIXe siÅcle.
  44.  
  45.      Vers 1835, la trame de l'expansion Äconomique, de la rÄorganisation sociale et de l'innovation culturelle avait fait de Halifax un foyer d'agitation et de conflit politique. Les troubles dÄcoulaient en partie des relations avec la Grande-Bretagne. Les entrepreneurs haligoniens Ätaient mÄcontents des objections impÄriales aux politiques d'encouragement des manufactures locales et d'exclusion des AmÄricains des pÉcheries intÄrieures. Ils s'opposaient Ägalement aux desseins impÄriaux d'abandonner la protection du mercantilisme en faveur du marchÄ libre. Il s'avÄra cependant difficile de faire front commun pour s'opposer ê la Grande-Bretagne, ê cause de la mÄfiance rÄciproque qu'Äprouvaient l'aristocratie de Halifax et la classe moyenne en progrÅs. Le ressentiment qui couvait chez celle-ci ê propos de questions comme les privilÅges des anglicans, la corruption du gouvernement municipal et la concentration des richesses entre les mains de quelques banquiers, lui fit rÄclamer des rÄformes politiques. Sous la direction de Joseph Howe, les agitateurs de la ville formÅrent une alliance avec les mÄcontents des ports isolÄs, s'imposÅrent ê l'AssemblÄe et exigÅrent la soumission du Conseil exÄcutif de la province. 
  46.  
  47.      La lutte pour le ╟gouvernement responsable╚ se dÄchaöna pendant les annÄes 1840 en pleine crise Äconomique. Le commerce de Halifax Ätait perturbÄ par suite d'une rÄcession cyclique d'importance internationale, mais les traditionalistes de la province soutenaient que toute cette misÅre Ätait due aux tenants du marchÄ libre et des rÄformes politiques. Enfin, au terme de cette tumultueuse dÄcennie, la structure du pouvoir provincial se dÄmocratisa suffisamment pour satisfaire les rÄformistes de la classe moyenne. En mÉme temps, la Grande-Bretagne accordait ê ses colonies d'AmÄrique du Nord une plus grande autonomie. Il leur faudrait accepter l'abandon du mercantilisme, mais elles obtenaient en revanche le droit de dÄcider elles-mÉmes des orientations gÄnÄrales de leur politique d'expansion. Au dÄbut, bien des Haligoniens rÄagirent comme si le port, en marchÄ libre et sous un gouvernement responsable, allait forcÄment sombrer dans la pauvretÄ et l'anarchie. DÅs 1849 cependant, des signes de rÄtablissement Äconomique et de stabilitÄ sociale se manifestÅrent, et l'optimisme succÄda ê l'angoisse.
  48.  
  49.      Vers le milieu du XIXe siÅcle, Halifax se trouvait ê un point crucial de son histoire. La ville Ämergeait d'une pÄriode de grands bouleversements au cours de laquelle les institutions, les valeurs et les modes de dÄveloppement traditionnels avaient ÄtÄ dÄtruits. En mÉme temps, toutefois, l'avenir se dessinait assez clairement pour redonner confiance. Halifax paraissait situÄe idÄalement pour participer ê l'expansion gÄnÄrale du commerce mondial promise par les tenants du marchÄ libre. En outre, les entrepreneurs locaux pouvaient avoir la complaisance de croire que les navires ê vapeur, les chemins de fer et les lignes tÄlÄgraphiques intÄgreraient et centraliseraient l'Äconomie des Maritimes. Les innovations techniques, croyait-on, consacreraient une fois pour toutes l'hÄgÄmonie rÄgionale de Halifax. C'Ätaient lê de bien naòves espÄrances, mais elles n'en contribuÅrent pas moins ê crÄer une ambiance propre ê rassÄrÄner la population de la capitale nÄo-Äcossaise.
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  51.      C'est surtout la bourgeoisie dominante qui rendit Halifax conscient de son destin de mÄtropole. Cette nouvelle classe dirigeante s'Ätait libÄrÄe considÄrablement, sinon complÅtement, de sa dÄpendance Äconomique et sentimentale envers la garnison impÄriale. Vers le milieu du siÅcle, les officiers n'occupaient plus qu'une position secondaire au sein de l'Älite sociale de Halifax. Le pouvoir se trouvait maintenant entre les mains d'une caste de marchands, d'hommes de loi et de nÄgociants, qui dÄcidait de tout, de l'architecture aux moeurs publiques. En 1849, les efforts dÄployÄs par la bourgeoisie urbaine en vue d'imposer sa propre faìon de penser et d'agir ê toute la collectivitÄ furent couronnÄs de succÅs: il fallait dÄsormais redÄfinir le caractÅre haligonien. L'ancienne identification ê la garnison existait toujours, mais de faìon attÄnuÄe. Halifax Ätait d'abord une collectivitÄ nord-amÄricaine gouvernÄe par des hommes ayant des idÄaux de progrÅs moral et matÄriel. La mÄtamorphose de Halifax pendant son premier siÅcle a eu sur elle une importance dÄcisive. L'avenir dirait si cette ville pourrait soutenir son Älan jusqu'ê la fin du XIXe siÅcle.  
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