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Text File  |  1996-06-20  |  27KB  |  81 lines

  1. LE PEUPLEMENT FRANCOPHONE DANS LES PRAIRIES DE L'OUEST (1870-1920)
  2.  
  3. Robert Painchaud 
  4.  
  5.      Trop souvent quand on pense au Canada franìais, on ne voit que la province de QuÄbec. Cette image fait oublier la contribution d'environ un million de francophones qui habitent d'autres provinces, particuliÅrement l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et les trois provinces des Prairies. Les francophones de l'Ouest du Canada, qui ne reprÄsentent aujourd'hui qu'une faible minoritÄ de la population de cette rÄgion du pays, sont les descendants de MÄtis franìais installÄs dans les Prairies depuis le XVIIIe siÅcle, de Canadiens franìais qui ont ÄmigrÄ du QuÄbec vers l'Ouest ou ont ÄtÄ rapatriÄs entre 1870 et 1920, ou d'immigrants francophones venus au Canada de la France, de la Belgique et de la Suisse aprÅs 1890. Leur prÄsence atteste toutefois de l'existence du fait franìais dans toutes les rÄgions du Canada.
  6.  
  7.      Dans les trois provinces des Prairies, l'importante population anglophone menace l'ÄlÄment francophone d'assimilation linguistique et culturelle. Le recensement de 1971 dÄmontre d'ailleurs, d'une part, qu'un nombre accru de personnes qui, ê l'origine, parlaient franìais, ne comprennent dÄsormais plus cette langue et, d'autre part, qu'il y en a de moins en moins qui parlent quotidiennement le franìais. Fait assez intÄressant toutefois, davantage de personnes de descendance autre que franìaise apprennent et utilisent le franìais.
  8.  
  9.      L'histoire des francophones dans l'Ouest canadien et leur situation actuelle soulÅvent des questions intÄressantes. Que serait le Canada si la proportion des francophones dans l'Ouest Ätait plus ÄlevÄe? Imaginez cette rÄgion du pays comptant 25 ou 30% de francophones au lieu du pourcentage infÄrieur ê 10% enregistrÄ dans chacune des trois provinces des Prairies. Comment le Canada aurait-il fait face au problÅme du bilinguisme si plus de Canadiens franìais s'Ätaient Ätablis dans l'Ouest entre 1870 et 1920? Y aurait-il eu des partis et des mouvements sÄparatistes ou indÄpendantistes au QuÄbec? Existerait-il moins de mÄfiance entre les Canadiens franìais et les Canadiens anglais? Le bilinguisme serait-il un fait accompli depuis plusieurs dÄcennies? Ou est-ce qu'un plus grand nombre de Canadiens franìais aurait augmentÄ les problÅmes linguistiques et culturels au Canada?
  10.  
  11.      Personne n'est Ävidemment en mesure de rÄpondre ê toutes ces questions hypothÄtiques. Elles font partie des ╟si╚ historiques. Mais sont-elles vraiment tellement vaines alors que tous les ÄlÄments nÄcessaires ê la rÄalisation de ces hypothÅses existaient? Il suffit de se rappeler qu'au cours du siÅcle ÄcoulÄ entre la guerre de 1812 et la Grande Guerre, plus de 700,000 QuÄbÄcois francophones ont quittÄ leur province pour s'Ätablir ailleurs et tenter d'y faire fortune. Des milliers d'entre eux sont revenus au pays par la suite et se sont Ätablis dans l'Ouest, mais la grande majoritÄ a pris racine dans les âtats de la Nouvelle-Angleterre ou ailleurs aux âtats-unis, pour devenir graduellement une partie intÄgrante du ╟creuset des immigrants╚.
  12.  
  13. Les interprÄtations 
  14.  
  15.      Pourquoi ces Canadiens franìais ont-ils prÄfÄrÄ un autre pays au leur? Pourquoi ont-ils choisi l'Ouest amÄricain au lieu de l'Ouest canadien?
  16.  
  17.      Il y a diverses explications de la faible migration des Canadiens franìais vers l'Ouest du Canada. Selon Arthur I. Silver (CHR, vol. 50, numÄro 1, 1969), lorsque le Manitoba s'est joint ê la ConfÄdÄration, les QuÄbÄcois ne se seraient pas Ätablis dans cette nouvelle province en aussi grand nombre que les Ontariens ê cause de leur attitude nÄgative et dÄfaitiste ê l'Ägard d'une rÄgion aussi ÄloignÄe de leur ╟patrie╚. En outre, leur ╟scepticisme ê l'Ägard de la valeur matÄrielle des prairies╚ rÄflÄtait une mentalitÄ conservatrice, saisissant contraste avec l'esprit ╟pionnier╚ des Ontariens. Ce manque d'audace de la part des Canadiens franìais remontait jusqu'ê la ConquÉte, ou ils avaient probablement appris ê ╟frener leurs ambitions╚. Le dÄfaitisme et le dÄcouragement s'Ätaient infiltrÄs dans la sociÄtÄ canadienne-franìaise. Il est vrai que des rapports publiÄs dans la presse quÄbÄcoise du XIXe siÅcle dÄcrivant les colonies fondÄes ê la RiviÅre-Rouge comme une rÄgion froide, stÄrile et dÄserte n'Ätaient guÅre favorables. Il y a lieu de croire que les descriptions d'inondations, de famine et de solitude dans ces rÄgions lointaines ont fait peur aux Canadiens franìais. Silver affirme que ceux-ci Ätaient incapables d'un optimisme suffisant pour s'Äloigner de leur patrie, le QuÄbec, et s'adapter ê la vie dans une rÄgion ÄloignÄe du Canada. Et finalement, Silver croit que les Canadiens franìais ont peut-Étre redoutÄ l'Ouest ê cause de la prÄsence des protestants et des orangistes!
  18.  
  19.      L'interprÄtation de Silver soulÅve des questions encore sans rÄponses sur les Canadiens franìais. Serait-il possible qu'ils soient toujours restÄs un peuple frontalier? N'ont-ils pas ouvert en canots les voies vers l'Ouest? Leur prÄsence dans le mid-ouest amÄricain ne dÄmontre t-elle pas que plusieurs Ätaient prÉts ê s'Ätablir loin de leur patrie? PrÄfÄraient-ils les centres industriels de la Nouvelle-Angleterre aux rÄgions agricoles de l'Ouest parce qu'ils ne se sentaient aucun penchant pour l'agriculture? A-t-on largement exagÄrÄ leur crainte de tout ce qui Ätait anglais et protestant?
  20.  
  21.      Les historiens Äconomistes prÄsentent une autre opinion sur les modes de migration des Canadiens franìais.Albert Faucher et Gilles Paquet (Recherches sociographiques, vol. 3, sept.-dÄc. 1964) soutiennent, dans leur analyse finale, que les gens Ämigrent pour des raisons personnelles, dans l'espoir de trouver de meilleures conditions sociales et Äconomiques. Il faut Ätudier la concentration de Canadiens franìais dans les centres industriels de la Nouvelle-Angleterre dans le contexte des modes de colonisation en AmÄrique du Nord. Au XIXe siÅcle, vu les conditions Äconomiques au QuÄbec, des centaines de milliers de Canadiens franìais ont refusÄ de se plier aux pressions exercÄes par le clergÄ et les politiciens pour les inciter ê ne pas abandonner la terre, pas plus qu'ils n'ont acceptÄ de rÄpondre aux appels lancÄs pour la colonisation des ╟pays d'en haut╚, soit la rÄgion septentrionale du QuÄbec. Des paroisses entiÅres se sont vidÄes au fur et ê mesure que des jeunes gens, vite rejoints d'ailleurs par d'autres membres de la famille, cherchent des emplois de bas niveau dans les tanneries du Maine, du Vermont ou du Massachusetts. D'autres partent vers l'ouest, au Kansas; en Iowa ou mÉme en Californie. Les Äconomistes affirment qu'il faudrait interprÄter leur dÄcision d'Ämigrer dans un milieu industriel, de toute Ävidence proche du QuÄbec dans le cas des âtats de la Nouvelle-Angleterre, dans une optique Äconomique et non pas en termes culturels.
  22.  
  23.      Si le QuÄbec s'Ätait industrialisÄ plus tÖt, il est fort possible que les Canadiens franìais seraient restÄs dans leur province. Albert Faucher et Maurice Lamontagne (╟L'histoire du dÄveloppement industriel au QuÄbec,╚ dans La sociÄtÄ canadienne-franìaise de Marcel Rioux et d'Yves Martin, 1971) expliquent le retard de l'industrialisation du QuÄbec par des facteurs d'ordre gÄographique qui ont favorisÄ le dÄveloppement de l'Ontario avant celui du QuÄbec. Inutile d'ajouter que la question d'industrialiser l'Ouest canadien ne s'est mÉme pas posÄe.
  24.  
  25. Le rÖle de l'âglise 
  26.  
  27.      Quelles qu'aient ÄtÄ les rÄpercussions de la colonisation, l'absence totale de celles-ci, ou les pressions d'ordre Äconomique et gÄographique exercÄes sur les Canadiens franìais, l'âglise catholique s'est tenue au premier rang des promoteurs de l'Ätablissement des francophones dans l'Ouest et de la colonisation de cette rÄgion par ces derniers. Des autoritÄs religieuses tels que les archevÉques TachÄ (1854-1894) et Langevin (1895-1915) de Saint-Boniface ont dÄfini les objectifs de la colonisation; ils ont recrutÄ ecclÄsiastiques et sÄculiers chargÄs d'Ätablir des colonies ou de fonder de nouvelles communautÄs, ont constamment intriquÄ ê Ottawa pour faire nommer des agents gouvernementaux et ont personnellement incitÄ leurs confrÅres du QuÄbec, de France, de Belgique et des âtats-Unis ê venir les appuyer.
  28.  
  29.      Les buts de la colonisation ont variÄ de temps ê autre. Ainsi, au dÄbut des annÄes 1870, Mgr TachÄ dÄsire former un bloc de paroisses canadiennes-franìaises autour des Ätablissements mÄtis qui existaient dÄjê. En 1871, il fonde un journal, Le MÄtis, suivi par la crÄation, en 1874, de la SociÄtÄ de Colonisation du Manitoba. L'arrivÄe du premier groupe de colons au printemps de 1876, tous des Canadiens rapatriÄs des âtats de la Nouvelle-Angleterre, coòncide cependant avec l'exode des MÄtis vers les plaines de la Saskatchewan et les rives du lac Manitoba. L'âglise modifie donc ses positions, soutenant que les Canadiens franìais devraient poursuivre des objectifs nationaux en veillant ê exercer leur influence dans l'Ouest du Canada, Ätant donnÄ qu'ils constituaient la premiÅre sociÄtÄ europÄenne ê s'y Étre Ätablie. Le maintien du dualisme franìais et anglais devint l'objectif premier des chefs francophones.
  30.  
  31.      Les arguments de Mgr TachÄ en faveur d'une forte prÄsence francophone dans l'Ouest seront repris par tous ses successeurs. MalgrÄ plusieurs demandes, ils n'ont pourtant pas rÄussi ê convaincre les autoritÄs ecclÄsiastiques ou politiques du QuÄbec, alors inquiÅtes en raison de l'abandon massif de paroisses entiÅres pour les centres industriels de la Nouvelle-Angleterre. Elles soutiennent que les Canadiens franìais ne devraient pas quitter leur province et risquer de perdre leur majoritÄ et leur influence au sein de la ConfÄdÄration. La politique ÄnoncÄe en 1871, dans une lettre du clergÄ quÄbÄcois qui prÄcise que ceux qui veulent absolument quitter le QuÄbec devraient s'installer au Manitoba ou dans l'Ouest canadien plutÖt qu'aux âtats-unis, n'a jamais ÄtÄ modifiÄe. Au cours des annÄes vingt, les politiciens quÄbÄcois ont continuÄ de rappeler aux dirigeants ecclÄsiastiques de l'Ouest canadien le contenu de ce mandement, et ont insistÄ pour que les agents de colonisation ne cherchent pas ê dÄpeupler le QuÄbec au profit d'une autre rÄgion.
  32.  
  33. L'immigration catholique et francophone 
  34.  
  35.      Deux autres questions ont pourtant influencÄ les objectifs de l'âglise dans l'Ouest: d'une part les problÅmes d'ordre scolaire soulevÄs ê la fin des annÄes 1880 et d'autre part l'immigration de l'est de l'Europe aprÅs 1896. Afin de rÄtablir les Äcoles confessionnelles subventionnÄes par l'âtat, il fallait trouver un nombre suffisant de personnes pour que les politiciens soient impressionnÄs par la dÄtermination des francophones catholiques ê obtenir le droit de parler et d'enseigner leur langue. Sur ce point, l'arrivÄe des immigrants d'outre-mer les a quelque peu aidÄ, car bon nombre des arrivants Ätaient catholiques d'origine ruthÄnienne, polonaise ou allemande. Il est pourtant difficile d'unir ces groupes nationaux et culturels distincts en une force politique organisÄe. De plus, la prÄsence de deux ou mÉme de plusieurs groupes linguistiques dans une mÉme collectivitÄ pose un sÄrieux dilemme. La religion, facteur commun d'unification, devrait-elle avoir prÄsÄance sur des considÄrations de nationalitÄs? L'admonition ╟qui perd sa langue perd sa foi╚ veut-elle dire que l'ÄlÄment francophone n'aura pas de statut spÄcial et que tous les groupes deviendront de simples ╟ethnies╚? Qui aura la prioritÄ? L'âglise pourrait-elle Étre une institution francophone? PrÄvoyait-elle comme but ultime un mÄlange des groupes catholiques?
  36.  
  37.      La rÄponse ê ces questions Ätait, du moins selon les autoritÄs religieuses francophones, qu'en conservant leurs valeurs linguistiques et culturelles, la foi des diverses ethnies serait plus solide dans l'Ouest canadien. C'est pourquoi l'âglise est portÄe ê considÄrer la population francophone comme l'ÄlÄment dirigeant dans la lutte pour maintenir et faire respecter les droits de la religion et des minoritÄs. Elle reconnait par ailleurs la nÄcessitÄ pour le clergÄ de maltriser deux langues ou plus et l'archevÉque Langevin refuse des offres de services de prÉtres et de diverses communautÄs religieuses qui ne pouvaient satisfaire aux exigences d'une sociÄtÄ multilingue. Mgr Langevin et ses collÅgues ont recrutÄ ou formÄ des prÉtres et des religieuses capables de rÄpondre aux besoins des ÄlÄments franìais, flamands, allemands, polonais et ruthÄniens. Il va de soi que les missionnaires, eux, ont poursuivi leur oeuvre auprÅs des Indiens de l'Ouest dans le dialecte propre ê chaque tribu.
  38.  
  39. Les agents de colonisation 
  40.  
  41.      Pour atteindre leurs objectifs, les dirigeants francophones de l'Ouest se sont adressÄs par l'intermÄdiaire de comitÄs locaux aux gouvernements, aux sociÄtÄs de colonisation, aux missionnaires colonisateurs, aux journaux et aux organismes comme la SociÄtÄ Saint-Jean-Baptiste.
  42.  
  43.      Les collaborateurs les plus prÄcieux ont probablement ÄtÄ les missionnaires colonisateurs qui ont fait venir des colons pour fonder de nouvelles paroisses ou pour Ätoffer celles qui existaient dÄjê. Des hommes tels que les abbÄs Fillion et Beaudry au Manitoba, les abbÄs Gravel et Lefloch en Saskatchewan ou le pÅre Lacombe et l'abbÄ Morin en Alberta ont beaucoup voyagÄ ê titre d'agents gouvernementaux ou de reprÄsentants de leurs ÄvÉques respectifs. Ils ont rÄdigÄ des brochures, donnÄ des confÄrences, correspondu avec des familles et des groupes intÄressÄs et dirigÄ ceux-ci vers des exploitations rurales dans l'Ouest. Parmi les autres colonisateurs connus, citons Dom Paul Benoöt, moine franìais venu au Manitoba au dÄbut des annÄes 1890 qui a fondÄ diverses communautÄs, entre autres Notre-Dame-de-Lourdes et Saint-Claude, ainsi que l'abbÄ Jean Gaire, prÉtre franìais lui aussi, qui a fondÄ une vingtaine de colonies rÄparties entre Grande-ClairiÅre et Wauchope, dans le sud du Manitoba et de la Saskatchewan entre 1887 et 1925.
  44.  
  45.      Des sociÄtÄs de colonisation, crÄÄes dans les trois provinces des Prairies, pour attirer les compatriotes francophones leur ont rÄservÄ des townships entiers ou ont tentÄ d'obtenir des tarifs rÄduits pour le transport de leur famille et de leurs biens. ╦ leur tÉte, il y a souvent des professionnels et des hommes d'affaires dÄsireux de s'assurer une clientÅle. Parfois ils cherchent Ägalement ê mettre des capitaux en commun pour racheter les terres abandonnÄes par des cultivateurs afin de les revendre ê leurs compatriotes. Beaucoup de personnes voient ces activitÄs et les slogans patriotiques et religieux qui les accompagnent comme l'un des ÄlÄments d'une ╟mission╚ destinÄe ê Ätablir des bases solides de groupes francophones catholiques dans l'Ouest.
  46.  
  47.      Les journaux sont des instruments de la propagande pour inciter des francophones ê s'installer sur les terres dans l'Ouest. Le MÄtis (plus tard, Le Manitoba), du Manitoba et Le Patriote (Saskatchewan) et Le Courrier de l'Ouest (Alberta), entre autres, publient quantitÄ d'Äditoriaux, de lettres et de renseignements sur les conditions locales de la colonisation et de l'immigration. On invite mÉme les abonnÄs ê envoyer des articles ê leurs parents et amis! Des membres de la SociÄtÄ Saint-Jean-Baptiste fournissent ê ces hebdomadaires des dÄtails sur les terres disponibles et les possibilitÄs commerciales dans leurs localitÄs respectives. Tous ces articles visent ê dÄmontrer les avantages de la colonisation dans l'Ouest. On ne sait cependant pas dans quelle mesure ils ont rÄellement contribuÄ ê attirer des colons.
  48.  
  49. D'autres efforts de colonisation 
  50.  
  51.      Les deux niveaux gouvernementaux, fÄdÄral et provincial, s'intÄressaient beaucoup au peuplement francophone dans les Prairies. Au dÄbut des annÄes 1870, le gouvernement Mackenzie rÄserva des ╟townships╚ au Manitoba pour les Canadiens franìais rapatriÄs des âtats-Unis. Durant les 1880, les Conservateurs ont subventionnÄ un journal, Le Colonisateur Canadien, qui Ätait distribuÄ au QuÄbec et en Nouvelle-Angleterre. La nomination d'Hector Fabre au poste de Haut Commissaire canadien en France facilita d'avantage l'immigration francophone de l'Europe vers l'Ouest canadien. Des annonces ê ce sujet apparaissent dans Paris-Canada, publiÄ ê compter de 1884. AprÅs 1896, le gouvernement libÄral envoie des reprÄsentants en Europe qui dans leurs discours en France et en Belgique font valoir l'Ouest canadien. En 1902, le gouvernement du Manitoba ouvre un bureau ê MontrÄal et envoie des prÉtres et des laòques dans les rÄgions amÄricaines o¥ se trouvent le plus de Canadiens franìais afin de les convaincre ê revenir au Canada.
  52.  
  53.      Les efforts de colonisation francophone ont eu d'autres promoteurs. DÅs le dÄbut, le Canadien Pacifique accorde des laissez-passer aux agents colonisateurs et ses agents accompagnent les missionnaires-colonisateurs dans leurs voyages. Vers 1900, lorsque l'abbÄ J.A. Ouellette Ätablit une colonie francophone dans le sud de l'Alberta, il bÄnÄficie du concours du Canadien Pacifique. Au QuÄbec, des associations telles La SociÄtÄ de Rapatriement de MontrÄal et La SociÄtÄ des Artisans Canadiens-Franìais accordaient un certain appui aux tentatives de colonisation dans l'Ouest. En Europe, la SociÄtÄ d'lmmigration Franìaise et La Canadienne, ont essayÄ d'intÄresser les capitalistes ê investir dans les grandes concessions sur lesquelles les colons pourraient former des communautÄs indÄpendantes, pourvues de leurs propres institutions. Les rapports des journalistes, des riches aristocrates et des prÉtres convaincus de l'avenir des colonies francophones dans l'Ouest, ont aussi beaucoup aidÄ l'impulsion colonisatrice.
  54.  
  55. La colonisation et les modes d'immigration 
  56.  
  57.      Le premier groupe francophone Ätabli dans l'Ouest du Canada aprÅs 1870 s'est installÄ sur les rives de la riviÅre Rouge au sud de Winnipeg et de Saint-Boniface, dans deux townships fournis par le gouvernement fÄdÄral. Les familles rapatriÄes qui arrivent au Manitoba aprÅs 1875 sont pour la plupart trÅs pauvres. Un ralentissement Äconomique dans les âtats de la Nouvelle-Angleterre, l'accord de subventions pour le transport des colons et la distribution gratuite de terres dans les Prairies, encouragent quelques centaines de familles ê venir s'Ätablir dans les nouvelles paroisses de Letellier, Sainte-Agathe et Saint-Pierre-Jolys.
  58.  
  59.      L'essor Äconomique du Manitoba entre 1879 et 1882 attire des familles et entrepreneurs prospÅres qui viennent directement du QuÄbec. Cette petite bourgeoisie inspire de l'optimisme ê l'Älite francophone, dont les espoirs s'effondrent cependant aprÅs l'inÄvitable dÄpression de 1882, alors que la plupart d'entre eux retournent dans l'Est du Canada, jurant de ne jamais plus investir au Manitoba, rÄpandant des histoires peu flatteuses sur l'Ouest canadien et provoquant un dÄbat enflammÄ entre la presse francophone du Manitoba et celle du QuÄbec. Cette lutte ne sert pas ê grand-chose parce que, d'une part, le sort des francophones, groupe minoritaire, au Manitoba du moins, Ätait dÄjê rÄglÄ et que, d'autre part, les annÄes 1880 Ätaient en fait, pour les Prairies, des annÄes de disette. Les gelÄes Ätaient prÄcoces et les rÄcoltes maigres. Le nombre d'immigrants ontariens s'amenuisait aussi. La rÄbellion du Nord-Ouest et l'achÅvement des travaux de construction du Canadien Pacifique engendrent de l'agitation, mais aucun de ces deux ÄvÄnements n'influe profondÄment sur la migration des francophones dans la rÄgion. Aux âtats-Unis toutefois, des agents fonciers dÄploient des efforts pour dÄtourner les colons de l'Ouest canadien en le dÄcrivant comme un ╟pays sauvage╚, peu s₧r pour les familles des colons.
  60.  
  61.      Vers 1885, des dirigeants francophones comme l'archevÉque TachÄ et Thomas-Alfred Bernier, Äminent catholique de la communautÄ francophone du Manitoba, cherchent du renfort en Europe. Des dÄlÄgations d'hommes d'affaires et d'aristocrates europÄens visitent l'Ouest canadien aprÅs 1885. Par consÄquent, des collectivitÄs de francophones s'installent hors de la vallÄe de la riviÅre Rouge. C'est lê le dÄbut de ce qui sera plus tard qualifiÄ de plan concertÄ pour Ätablir un chapelet de paroisses allant vers l'Ouest jusqu'aux Rocheuses.
  62.  
  63.      Les nouvelles colonies sont essentiellement composÄes d'immigrants belges et franìais. Des agriculteurs quittent les ╟vieux pays╚ ê cause des gouvernements anticlÄricaux. De riches familles confient leurs fils, encore peu murs, ê des prÉtres et ê des familles Ätablies espÄrant que cette vie rude formera leur caractÅre. Ces jeunes ne reìoivent pas d'argent avant d'avoir fait leurs preuves; ce n'est qu'ê ce moment-lê qu'ils ont le droit de possÄder une exploitation rurale ou d'acheter une propriÄtÄ quelconque. Dans d'autres cas, des groupes d'aristocrates se forment et tentent de crÄer des sociÄtÄs qui respectent les hiÄrarchies sociales et excluent les indÄsirables. On en trouve des exemples ê Fannystelle (Manitoba), ê Saint-Hubert, mieux connu sous le nom de La Rollandrie (Saskatchewan) et ê Trochu (Alberta). Les ranchs, les fermes laitiÅres et les autres Ätablissement agricoles fondÄs par ces EuropÄens francophones Älargissent considÄrablement la diversitÄ de la population francophone en termes d'apport culturel et commercial.
  64.  
  65.      L'immigration massive d'EuropÄens de l'Est dans l'Ouest canadien aprÅs 1896 exerce des pressions sur la population francophone. Les efforts dÄployÄs par l'abbÄ Gaire pour Ätablir une sÄrie de colonies rapprochÄes sont contrecarrÄs par le nombre Äcrasant d'immigrants non francophones. AprÅs 1905, l'abbÄ Louis-Philippe Gravel a affermi la position de ses compatriotes en fondant diverses communautÄs aux environs de Gravelbourg. Entre temps, d'autres agents de colonisation dirigent de nouveaux colons vers les alentours de Prince-Albert tandis que dans le nord de l'Alberta, l'abbÄ J.-A. Ouellette voit ê l'expansion de Saint-Albert, base des MÄtis fondÄe par le pÅre Albert Lacombe, en 1861. Des tentatives de rapatriement contribuent ê la crÄation de nouvelles paroisses, mais en revanche la migration des agriculteurs francomanitobains vers les deux autres provinces des Prairies devient pratique courante.
  66.  
  67.      Cet exode alarme tellement les autoritÄs francophones du Manitoba qu'en 1910, face au dÄclin rapide de la population des ╟anciennes paroisses╚ Ätablies le long de la riviÅre Rouge et de la riviÅre Seine, elles envisagent des mesures pour endiguer le flot d'Ämigration. Les dirigeants craignent que leur groupe passe aprÅs leurs homologues de la Saskatchewan et de l'Alberta et ils redoutent les consÄquences malheureuses que ce dÄclin de la population pourrait avoir sur leur statut de groupe minoritaire. Des appels au patriotisme n'apportent pas non plus de solution ê ces dÄparts. Les fils de cultivateurs ne veulent pas exploiter des fermes dans d'autres rÄgions de la province ou, sont incapables d'obtenir des terres dans les paroisses o¥ ils sont nÄs, ce qui les amÅne donc ê partir vers l'Ouest.
  68.  
  69.      La Grande Guerre n'enraye pas les efforts de colonisation des francophones. Ils considÅrent que cet ÄvÄnement leur offre un moyen de compenser leurs pertes puisque l'immigration europÄenne diminue. Malheureusement, de nombreux Franìais et Belges retournÄs dans leur patrie ne survivent pas ê la guerre, tandis que beaucoup de Canadiens franìais croient que la crise de la conscription au Canada ne fait qu'empirer le manque d'attrait de l'Ouest canadien comme une rÄgion hospitaliÅre. L'urbanisation et l'industrialisation accÄlÄrÄes contribuent ê garder les gens au QuÄbec. Des coopÄratives destinÄes aux francophones, crÄÄes juste avant la dÄclaration de la guerre, ne rÄussissent pas non plus ê promouvoir les avantages de la colonisation et de l'agriculture dans l'Ouest en cette pÄriode inflationniste.
  70.  
  71.      Au cours de la deuxiÅme dÄcennie du XXe siÅcle, les subventions gouvernementales pour les programmes de colonisation et de rapatriement sont trÅs difficiles ê obtenir. Le rÖle du bureau des missionnaires-colonisateurs, ê MontrÄal, disparaöt petit ê petit. L'ultime effort pour consolider la position des colonies francophones ÄparpillÄes, en rachetant les agglomÄrations de Mennonites qui les sÄparaient dans certaines rÄgions de la Saskatchewan et du Manitoba, n'a donnÄ que peu de rÄsultats. C'est le dernier effort de colonisation francophone dans l'Ouest.
  72.  
  73. Le problÅme de la survie 
  74.  
  75.      Dans son ouvrage Group Settlement. Ethnic Communities in Western Canada (Toronto, Macmillan, 1936), C.A. Dawson affirme que des groupes Ätrangers ont cherchÄ, par une colonisation en bloc, un moyen d'assurer leur survie, ê titre ╟d'ölots culturels╚. Les chemins de fer, soutient-il, ont constituÄ l'un des agents d'assimilation de ces minoritÄs au sein d'une collectivitÄ plus vaste. Le professeur Dawson aurait pu ajouter d'autres facteurs d'assimilation, notamment, les Äcoles, la radio et la tÄlÄvision et les pressions gÄnÄrales exercÄes par une sociÄtÄ en Ävolution.
  76.  
  77.      Pour lutter contre ces tentatives d'assimilation, les groupes francophones ont eu recours ê bien des instruments utilisÄs aussi par d'autres minoritÄs: les journaux, la langue, la religion et toute une gamme d'Ätablissements culturels et politiques. Ainsi, il existe aujourd'hui dans les provinces des Prairies des hebdomadaires francophones, des stations radiophoniques, des chaönes de tÄlÄvision, des troupes de thÄëtre, des collÅges (Saint-Boniface, Gravelbourg et Saint-Jean ê Edmonton) et de nombreux autres organismes ayant pour but de promouvoir et d'accroötre le fait franìais dans l'Ouest canadien. En rÄponse ê ce nouvel Ätat d'esprit, qui dÄcoule en partie des revendications formulÄes par les QuÄbÄcois pendant les annÄes 1960 et 1970, les gouvernements ont offert leur aide pour assurer la survie de l'ÄlÄment francophone hors des frontiÅres du QuÄbec. Certains prÄtendent que les pressions en faveur d'un QuÄbec indÄpendant se feront plus fortes, ê moins que des groupes francophones puissent survivre ailleurs que dans une seule province. Les minoritÄs francophones hors du QuÄbec seraient dont des ╟pions╚ importants sur l'Ächiquier opposant les fÄdÄralistes aux forces nationalistes du QuÄbec.
  78.  
  79.      La vague francophone qui a dÄferlÄ sur l'Ouest canadien au cours de l'Åre de colonisation allant de 1870 ê 1920 aurait pu modifier le cours des relations entre les deux groupes fondateurs du Canada et, ê plus forte raison, entre les diverses ethnies du pays. Que cette influence ne se soit pas manifestÄe fait maintenant partie de l'histoire, mais il n'y a pas lieu de douter de la portÄe ou du manque de portÄe de ce mouvement.  
  80.  
  81.