L'histoire des travailleurs est jalonnÄe, entre autres choses, d'une multitude de conflits de travail. Mais pourquoi tant insister sur la violence, alors qu'il y a beaucoup de conventions collectives qui se signent sans bruit? Dans notre sociÄtÄ, seule une grÅve, parce qu'elle dÄrange notre tranquillitÄ, mais aussi parce qu'elle dÄcoupe plus clairement l'ensemble des problÅmes des travailleurs (conditions de travail, sÄcuritÄ d'emploi, salaires, etc.), de mÉme que les prÄoccupations du patronat et souvent du gouvernement, impose ê l'attention du grand public les problÅmes de la condition ouvriÅre.
Durant les annÄes quarante et cinquante, les grÅves furent nombreuses; certaines plus brutales que d'autres. Parmi les grÅves les plus farouches, il suffit de nommer celles de Montmorency, de Louiseville, de Shawinigan, de Murdochville et d'Asbestos. Pourquoi donc avoir choisi Asbestos? Parmi les diffÄrentes luttes ouvriÅres survenues ê cette Äpoque, les milieux syndicaux et intellectuels ont accordÄ une place privilÄgiÄe ê la GrÅve de l'amiante". Cet arrÉt de travail a eu un impact considÄrable sur l'Ävolution de la C.T.C.C. (ConfÄdÄration des travailleurs catholiques du Canada) et a donnÄ le coup d'envoi de ce que l'on a appelÄ plus tard la ╟RÄvolution tranquille╚.
Une sociÄtÄ conservatrice
Le QuÄbec en 1949 a un caractÅre assez particulier. Les Canadiens franìais vivent sous une Äconomie contrÖlÄe par d'autres et ils s'adaptent plutÖt lentement aux changements amenÄs par le dix-neuviÅme siÅcle. En outre, les problÅmes sociaux ne font qu'aggraver dans une sociÄtÄ qui, l'Älite en tÉte, refuse tout changement qui pourrait moderniser le QuÄbec et lui faire assumer son caractÅre nord-amÄricain.
Le personnel politique qui dirige la province incarne le conservatisme. L'Union Nationale, parti de Maurice Duplessis fondÄ en 1936, est Älue la mÉme annÄe, mais ne garde que briÅvement le pouvoir, puis le reprend lors des Älections de 1944 et le conserve jusqu'en 1959. Lors de l'Älection de 1948, elle porte sa reprÄsentation ê l'AssemblÄe lÄgislative, de 82 ê 91 siÅges sur 108. L'opposition parlementaire, reprÄsentÄe par le Parti LibÄral est pratiquement inexistante. Le gouvernement Duplessis est passÄ maötre dans l'art du jeu Älectoral. Une carte Älectorale dÄficiente o¥ les comtÄs urbains sont sous-reprÄsentÄs, permet ê Duplessis de compter sur une clientÅle Älectorale surtout rurale, peu ouverte aux changements. Le parti unioniste dispose d'une machine Älectorale bien huilÄe et retorse. L'Union Nationale est de plus alimentÄe par une caisse Älectorale bien garnie. La corruption, le nÄpotisme et le patronage rÅgnent dans l'administration provinciale.
Depuis le dÄbut du siÅcle, l'Äconomie quÄbÄcoise a connu une rÄvolution industrielle accÄlÄrÄe; l'industrie supplante l'agriculture. Cette expansion s'intÅgre dans les progrÅs industriels de l'Äconomie canadienne durant la guerre 1939-1945. La production industrielle du pays, contrÖlÄe par le gouvernement, est orientÄe vers les besoins de la guerre. Les textiles, l'acier, les produits minÄraux, dont l'amiante, sont en pleine expansion. Seulement le tiers de la production nationale est destinÄe ê la consommation locale. AprÅs la laine, le sucre, le cuir, le bois, l'acier et l'huile, le rationnement s'Ätend a tous les produits de consommation courante. Les gens ont de l'argent, car le travail ne manque pas, mais il ne peuvent obtenir suffisamment de biens de consommation.
La fin des hostilitÄs en 1945 suscite quelques problÅmes de reconversion, mais la prospÄritÄ se maintient. Cette prospÄritÄ s'accompagne d'une flambÄe inflationniste causÄe par la fin du contrÖle de guerre sur les prix. Les salaires restent cependant stables. Les travailleurs voient donc leur pouvoir d'achat diminuer et font pression pour hausser les salaires.
Au QuÄbec, ce dÄveloppement Äconomique repose sur une main-d'oeuvre abondante et sur l'existence de matiÅres premiÅres. Les industries du textile, des pëtes et papiers et des mines font des affaires d'or. La plupart de ces entreprises sont financÄes par des capitaux amÄricains et gÄrÄes par un personnel anglais ou amÄricain. L'industrie canadienne-franìaise en est une d'arriÅre-garde; il n'y a pratiquement pas de capitalistes canadiens-franìais, et elle demeure absente de l'exploitation des richesses naturelles qui sont ê la base de la prospÄritÄ Äconomique du continent. NÄanmoins, la structure industrielle se modifie quelque peu: le nombre des Ätablissements diminuent, alors que le capital financier moyen par entreprise augmente.
Le gouvernement Duplessis profite de la prospÄritÄ de l'aprÅs-guerre. Adversaire acharnÄ de l'intervention Ätatique, il a foi dans les vertus de l'entreprise privÄe, gardienne de la libertÄ et rempart contre le communisme. Duplessis fait appel systÄmatiquement aux capitaux amÄricains ê des conditions peu avantageuses pour le QuÄbec. Ainsi, au dÄbut des annÄes cinquante, le gouvernement quÄbÄcois a concÄdÄ une mine de fer du Labrador ê une entreprise -amÄricaine, moyennant une redevance d'un cent la tonne de minerai extrait, alors que celui de Terre-Neuve en recevait 33 cents. Le gouvernement assure aux investisseurs Ätrangers, une administration stable, peu entreprenante et surtout bienveillante.
La RÄvolution industrielle, accÄlÄrÄe par la derniÅre guerre, a provoquÄ l'exode rural. En 1901, 40% de la population quÄbÄcoise vit en ville. Cinquante annÄes plus tard, ce pourcentage est passÄ ê 67%. Pour les Älites traditionnelles, l'urbanisation ne pouvait avoir que des rÄsultats dÄsastreux sur les Canadiens franìais. La grande ville consume le corps et l'ëme, dÄsorganise la famille, favorise l'Äclosion des idÄes rÄvolutionnaires et des troubles sociaux.
La crise Äconomique de 1929 a forcÄ les gouvernements a intervenir de plus en plus dans le domaine social. La dÄpression qui en rÄsulta a poussÄ le FÄdÄral ê adopter successivement la Loi de l'assurance chÖmage (1936-1940) et la Loi des allocations familiales (1944). Au QuÄbec, le gouvernement Duplessis, en dÄpit des pressions des milieux urbains, refuse toute intervention sociale de l'âtat. L'individu est responsable de ses difficultÄs et doit s'en sortir seul. Les organismes de secours privÄs, le plus souvent ê caractÅre religieux, sont lê pour soulager la misÅre. Cette absence de mesures sociales s'explique par la crainte du premier ministre qu'en intervenant sur le plan social, on accentue l'instabilitÄ des gens et la multiplication de leurs besoins. Le patronage et le nÄpotisme font souvent figure de mesures sociales.
AprÅs la guerre, le monde syndical se heurte au libÄralisme Äconomique. MÉme s'ils avaient le droit d'exister, cela ne veut pas dire que l'âtat et le patronat ont toujours crÄÄ les conditions favorables au respect de la libertÄ syndicale. Au QuÄbec, le monde syndical apparaöt comme une des seules forces d'opposition aux Älites dominantes et l'outil essentiel ê la formulation de problÅmes sociaux. PrÅs du tiers de la main-d'oeuvre industrielle est syndiquÄe. Sa tëche est compliquÄe par l'anticommunisme alimentÄ par la guerre froide. Toute opposition ou tout groupe progressiste est prÄsentÄ comme Ätant rÄvolutionnaire.
Souvent les unions ouvriÅres luttent pour leur survie. Elles rÄclament le droit d'association, la formule Rand*, l'amÄlioration des conditions de travail et surtout des hausses de salaire. Effectivement, les travailleurs quÄbÄcois sont les plus mal payÄs du pays. Pour un mÉme travail, certaines entreprises oeuvrant au QuÄbec, paient 45 cents l'heure de moins qu'en Ontario. Les revendications syndicales dÄbordent le cadre professionnel et dÄbouchent sur les besoins sociaux. On rÄclame l'intervention de l'âtat au niveau de l'assurance-santÄ, de l'Äducation, de la sÄcuritÄ au travail, du logement, etc.
Sur le plan interne, le mouvement ouvrier, et particuliÅrement le syndicalisme catholique, est secouÄ par l'amorce de profondes mutations. Sous l'influence conjuguÄe des grÅves des annÄes trente et des progrÅs industriels, le syndicalisme catholique passe d'une phase de gestation ê une phase transitoire qui le mÅnera vers une action plus revendicatrice. DÄsormais, la C.T.C.C. deviendra graduellement un mouvement syndical et, de moins en moins, un mouvement nationaliste. Des prÄoccupations socio-Äconomiques l'emporteront sur la religion et le nationalisme. Cette Ävolution suit de prÅs les changements de la sociÄtÄ quÄbÄcoise o¥ la vocation agraire s'estompe.
Cette transformation de la C.T.C.C. est liÄe au renouveau du leadership syndical. Les cadres syndicaux sont dÄsormais des universitaires formÄs par les sciences sociales et de moins en moins des travailleurs de la base. GÄrard Picard et Jean Marchand incarnent ce nouveau personnel syndical. Ils restent inspirÄs de la doctrine sociale de l'âglise, mais sans l'esprit apostolique de leurs prÄdÄcesseurs.
Le rÄgime Duplessis ne cesse de rÄpÄter aux investisseurs amÄricains que la classe ouvriÅre du QuÄbec est la meilleure au monde, laborieuse, respectueuse de l'ordre et des lois. Dans cette sociÄtÄ conservatrice, pour prÄserver la stabilitÄ nÄcessaire au dÄveloppement Äconomique, la politique ouvriÅre du gouvernement est fort restrictive. Dans un de ses calembours coutumiers, Duplessis disait: ╟Les travailleurs ont le droit de s'organiser, mais pas de dÄsorganiser╚. Le gouvernement Duplessis, quand il n'est pas violemment anti-syndical, favorise des relations paternalistes entre le capital et le travail. Il s'attaque en particulier aux chefs syndicaux, qu'il discrÄdite aux yeux de leurs commettants. Les lÄgislations ouvriÅres, votÄes par l'AssemblÄe lÄgislative, constituent autant de baillons pour le syndicalisme. Par une interprÄtation lÄgaliste de cette lÄgislation, on restreint encore davantage les droits syndicaux. La Commission des relations ouvriÅres est d'une lenteur exaspÄrante et les tribunaux d'arbitrage souvent partiaux. La police provinciale se fait souvent l'instrument de cette rÄpression syndicale.
Les patrons se sentant appuyÄs en haut lieu, dÄnient ê la classe ouvriÅre la plupart des droits qu'elle rÄclame. Souvent leurs actions prennent l'allure de provocations pour les ouvriers. L'emploi de briseurs de grÅve, de manoeuvres dilatoires et de campagnes publicitaires trompeuses, accroissent les tensions dans le monde ouvrier. Ceux-ci doivent se battre farouchement pour conserver leur libertÄ et leurs droits. Les grÅves sont le thÄëtre d'affrontements sauvages, en particulier dans l'industrie textile et dans l'industrie manufacturiÅre.
Les grÅves de Montmorency en 1937, de Valleyfield en 1946, de Louiseville de 1947, et surtout d'Asbestos en 1949, offrent un scÄnario immuable; aprÅs d'interminables nÄgociations, les travailleurs entrent en grÅve. Cette grÅve est souvent dÄclarÄe illÄgale. Le patron engage des scabs et reprend sa production. Les grÄvistes s'agitent, la police provinciale intervient, les bagarres et la violence Äclatent. Les antagonistes se retrouvent souvent devant les tribunaux, les procÅs sont interminables. De guerre lasse, les travailleurs retournent au travail. Le litige est alors portÄ devant les tribunaux d'arbitrage souvent partiaux. AprÅs des mois d'attente, le verdict est presque toujours dÄfavorable aux ouvriers. La grÅve de l'amiante est conforme en tous points ê ce scÄnario.
*Selon la formule Rand, la cotisation syndicale est prÄlevÄe sur le salaire de l'ouvrier, qu'il soit syndicalisÄ ou non.
La grÅve de l'amiante
ReprÄsentÄs par des unions locales, affiliÄes ê la FÄdÄration nationale des employÄs de l'industrie miniÅre (C.T.C.C.), prÅs de 5,000 travailleurs furent affectÄs par cet arrÉt de travail, paralysant plusieurs entreprises miniÅres d'Asbestos, de Thetford Mines et des alentours.
Les mineurs rÄclamaient des hausses de salaire de base de 15 cents l'heure, portant le salaire horaire ê un dollar l'heure. Cette demande semblait justifiÄe. Alors que le taux horaire dans les mines d'amiante Ätait de 85 cents l'heure, il Ätait de plus d'un dollar dans les autres mines. Les mineurs voulaient en plus, deux semaines de vacances annuelles, une contribution de 3% du salaire par la compagnie pour le fond de bien-Étre des ouvriers. On exigeait le paiement de huit fÉtes catholiques chÖmÄes et une enquÉte sur le travail du dimanche. Les travailleurs demandaient la formule Rand ou la cotisation syndicale obligatoire ê la source. Cette formule garantissait la force de leur syndicat. On parlait Ägalement d'un droit de consultation de la partie syndicale dans le cas de promotion, de mutation ou de congÄdiement.
La grÅve de l'amiante avait enfin comme cause, l'Äpineux problÅme de l'amiantose. ╦ l'Äpoque, les conditions de travail des mineurs ont pris l'allure d'un scandale. On dÄnonìait cette maladie mortelle. Pour certains, il Ätait criminel de laisser travailler des individus dans de telles conditions. GÄrard Filion Äcrivait dans Le Devoir du 12 juin 1949, en faisant allusion ê l'amiantose: ╟Avec la complaisance des autoritÄs civiles, il y a dans le QuÄbec des crimes qui restent sans chëtiment╚.
Face aux demandes syndicales, les six compagnies miniÅres offraient peu de chose: une hausse de 5 cents l'heure et l'octroi de 2 congÄs payÄs supplÄmentaires. On refuse la formule Rand que l'on qualifie d'anti-dÄmocratique. Les employeurs ne veulent pas entendre parler de co-gestion ou d'un quelconque droit de regard du syndicat sur la direction du personnel. On dÄnonce cette demande comme Ätant socialiste et une atteinte au droit de gÄrance de l'employeur.
Les deux parties Ätaient trÅs loin d'une entente. Les nÄgociations s'annonìaient longues et difficiles. Elles dÄbutÅrent dÅs les premiers mois de l'annÄe 1949, mais furent rompues le 24 janvier 1949. C'est alors que le ministÅre provincial du Travail dÄsigne M. LÄopold Rodgers comme conciliateur. Devant l'Ächec de cette conciliation, les deux parties devaient aller en arbitrage. Le 13 fÄvrier 1949, 1,500 mineurs se rÄunissent en assemblÄe gÄnÄrale. Jean Marchand leur propose deux solutions: l'arbitrage ou la grÅve illÄgale. C'est aux cris de ╟on veut la grÅve╚ qu'ils refusent l'arbitrage. Pour eux, ce n'est qu'une arme dans les mains des patrons. Ils craignent surtout qu'aprÅs de longs dÄlais, le verdict de l'arbitrage leur soit dÄfavorable comme cela arrivait souvent dans les conflits ouvriers de l'Äpoque. Tous Ätaient unanimes ê rÄclamer la grÅve. Le jour mÉme, 2,500 travailleurs de la Canadian Johns-Manville Company Limited, dÄbrayaient ê Asbestos. Quelques jours plus tard, le nombre total des grÄvistes atteint 5,000 travailleurs, avec l'arrÉt de travail des mineurs de Thetford Mines et des alentours.
La Compagnie et le ministre quÄbÄcois du Travail, M. A. Barrette, dÄclarent aussitÖt la grÅve illÄgale. L'arrÉt de travail Ätait considÄrÄ comme illÄgal parce que les mineurs Ätaient entrÄs en grÅve ê la fin de la pÄriode de conciliation sans Étre allÄs ê l'arbitrage comme le prescrivait la loi. Le premier ministre Duplessis accuse, pour sa part, les chefs syndicaux d'agir par intÄrÉt personnel, de monter la tÉte des ouvriers et de saboter les lois ouvriÅres de la province.
Le 19 fÄvrier 1949, la Commission des relations ouvriÅres enlÅve aux Syndicats de l'Amiante d'Asbestos et de Thetford Mines, et ê la FÄdÄration nationale des employÄs de l'industrie miniÅre Inc., leur certificat d'accrÄditation, pour avoir dÄclenchÄ une grÅve illÄgale. Ce geste porte directement atteinte aux droits syndicaux, car il enlevait ê une association ouvriÅre d₧ment reprÄsentative, son pouvoir de nÄgociation. Les ouvriers accusent la C.R.O d'avoir outrepassÄ ses fonctions. DÅs le lendemain, plus d'une centaine d'agents de la police provinciale se rendent ê Asbestos. La police patrouille systÄmatiquement les routes avoisinantes. Le lendemain, le Conseil municipal se plaint et rÄclame le rappel des forces de l'ordre, ê la suite d'allÄgations que certains agents, sous l'effet de boissons alcooliques, commettent des actes de violence, d'indÄcence, et effectuent des arrestations sommaires. La prÄsence policiÅre accroöt le mÄcontentement des ouvriers. Fin avril, la Compagnie a recrutÄ des briseurs de grÅve, des scabs. Elle annonce, ê grand renfort publicitaire, tant dans les journaux qu'ê l'usine, qu'ils auront prioritÄ lors du rÅglement du conflit.
Le mois de mai est marquÄ d'une extrÉme violence. Les grÄvistes, devant un conflit qui traöne en longueur, veulent arrÉter l'embauche de briseurs de grÅve et paralyser la production. La compagnie rÄclame la protection de la police. Un convoi de vingt-cinq voitures de la police provinciale part de Sherbrooke pour mettre les grÄvistes ê la raison. Les travailleurs Ätablissent des lignes de piquetage Ätanches et des barrages sur les routes principales. Des automobiles sont renversÄes, la dynamite se fait entendre. On parade dans la ville. Le 6 mai, ê bonne heure, l'acte de l'Ämeute est lu. La police arrÉte 180 ouvriers et fait preuve de brutalitÄ. Le bilan de l'ÄchauffourÄe, des travailleurs ont le visage tumÄfiÄ ou portent des marques de rudesse. Certains agents ont menacÄ des grÄvistes de les arrÉter de nouveau s'ils ne rentraient pas au travail le matin mÉme.
Le clergÄ avait l'habitude d'intervenir dans les conflits ouvriers en raison de la place qu'il occupait dans la sociÄtÄ quÄbÄcoise. L'aggravation du conflit de l'amiante et les dÄnonciations de la C.T.C.C. par les autoritÄs patronales et gouvernementales, menaìaient l'existence mÉme du syndicalisme catholique. Le clergÄ ne pouvait rester indiffÄrent devant ces attaques contre un mouvement qu'il avait crÄÄ. Les abbÄs Pichette de la C.T.C.C. et Camirand du syndicat local appuyÅrent publiquement les grÄvistes. Ce dernier dÄclara: ╟Si j'Ätais mineur, je serais grÄviste." Mais devant un conflit qui s'Äternisait, les autoritÄs religieuses intervinrent ê leur tour. Certains ÄvÉques firent pression sur les autoritÄs publiques pour les amener ê manifester une attitude moins lÄgaliste. Mgr Georges Courchesne, dans une lettre au premier ministre Äcrivait: ╟La grÅve d'Asbestos est illÄgale mais juste.╚ Mgr Maurice Roy, de QuÄbec, de son cÖtÄ, joua tout au long du conflit le rÖle de mÄdiateur entre les parties. Mgr Philippe Desranleau, de Sherbrooke, et Joseph Charbonneau, de MontrÄal, prirent fait et cause pour les grÄvistes du haut de la chaire. Dans de nombreux diocÅses de la province, au nom de la charitÄ et de la justice, des quÉtes aux portes des Äglises furent ordonnÄes pour secourir les familles en grÅve.
Au mois de juin, la tension diminue et trois compagnies de Thetford Mines signent un rÅglement. Monseigneur Maurice Roy reìoit tour ê tour, ê QuÄbec, les deux parties. Le 1er juillet, la grÅve qui aura durÄ cinq mois est enfin terminÄe par une entente entre le syndicat et la partie patronale. Chacun proclame sa satisfaction au sujet de cet arrangement de principe.
L'entente prÄvoit la reconnaissance syndicale, le rÄemploi de tous les grÄvistes, l'arrÉt des procÄdures judiciaires, une hausse de salaire de 10 cents l'heure et le recours ê un tribunal d'arbitrage pour nÄgocier les points litigieux de la nouvelle convention. Pour le syndicat, la victoire est mince. Il reconnait le droit de gÄrance de la compagnie et renonce ê son droit de regard sur les congÄdiements et les mutations. La formule Rand n'est pas Ätablie et la crÄation d'un fond de bien-Étre social, abandonnÄe. Il a cependant gagnÄ la bataille de la certification et obtenu une faible hausse de salaire. Les rÄsultats de l'arbitrage sur les points litigieux ne furent guÅre plus favorables aux ouvriers. Le 15 janvier 1950, les mineurs signaient une nouvelle convention de travail. Le conflit aura occupÄ la scÅne quÄbÄcoise durant prÅs d'une annÄe.
Asbestos devant l'histoire
Cette grÅve a soulevÄ et soulÅve encore beaucoup d'intÄrÉt. De nombreux sociologues, historiens et syndicalistes l'ont analysÄe: pour certains, ce fut le dÄbut de la rÄvolution tranquille, pour d'autres, on a surestimÄ l'impact de ce conflit. Ces deux interprÄtations peuvent Étre aussi valides l'une que l'autre.
La grÅve d'Asbestos marque en effet le dÄbut de la rÄvolution tranquille. Elle a incarnÄ une victoire des forces, du renouveau sur le conservatisme social. DÄsormais, le rÄgime Duplessis paraöt sous son vrai jour. Certains membres de la sociÄtÄ rÄclamaient l'intervention socio-Äconomique de l'âtat, qui serait plus favorable aux quÄbÄcois. On refuse la sociÄtÄ traditionnelle et l'on veut assumer les consÄquences sociales de la rÄvolution industrielle. Cette grÅve reprÄsente l'Ämergence de groupes d'opposition extra-parlementaires, l'Äveil d'une forte minoritÄ de quÄbÄcois: intellectuels, journalistes, syndicalistes, politiciens, universitaires, mÉme une partie du clergÄ, sensibles aux tares du rÄgime.
Cette grÅve reprÄsente un tournant de l'Ävolution de la C.T.C.C. Le syndicalisme catholique a pris conscience de sa force. Cette grÅve reprÄsente une victoire contre la coalition patronale- gouvernementale, qui voulait affaiblir les syndicats. Le syndicalisme catholique a changÄ d'orientation. La C.T.C.C. passe d'une attitude conservatrice, inspirÄe de la doctrine sociale de l'âglise, qui prÉchait un bon ╟ententisme╚ patron-syndicat, ê une attitude fortement revendicatrice. Les relations patronales-ouvriÅres seront donc conflictuelles. Ce sera dÄsormais une Äpreuve de forces pour amÄliorer le statut socio-professionnel du travailleur. La C.T.C.C. avait donc acquis sa maturitÄ. DÄsormais, on ne pouvait certes plus l'accuser de ╟jaunisme╚.
On n'est pas tous d'accord pour donner cet impact ê la grÅve d'Asbestos. Ainsi, Pierre ValliÅres Äcrivait, selon le point de vue de la gauche radicale, dans la revue RÄvolution quÄbÄcoise de janvier 1965, que cette grÅve a ╟donnÄ lieu ê beaucoup de phrases, beaucoup de mots, mais concrÅtement, il n'en sortit rien de rÄvolutionnaire. Au lendemain de ce conflit majeur, la classe ouvriÅre quÄbÄcoise n'Ätait pas plus avancÄe qu'avant. Seuls quelques intellectuels avaient pris go₧t aux sciences sociales╚. Le jugement est sÄvÅre, pour ValliÅres, on a beaucoup trop glorifiÄ cet arrÉt de travail, on l'a trop chargÄ de signification, alors que les rÄsultats ê court terme furent peu glorieux. C'est une interprÄtation qui mÄriterait que l'on s'y attarde.
╦ Asbestos, de nos jours encore, les travailleurs sont atteints de cette maladie mortelle, l'amiantose, et la province demeure le thÄëtre de nombreux conflits ouvriers. Pour certains QuÄbÄcois, le conflit qui entoure la grÅve d'amiante constitue le dÄbut d'une sÄrie de changements qui se continuent; pour d'autres, ê tendance plus radicale, cette grÅve signifie le symbole d'un compromis qu'ils considÅrent la source de plusieurs des difficultÄs syndicales actuelles. C'est en examinant les diverses thÅses, qui s'opposent, sur cet ÄvÄnement majeur de l'Ävolution ouvriÅre du QuÄbec que l'Ätudiant en histoire se renseigne sur la corrÄlation entre philosophie politique et interprÄtation historique.