╟GARDER LA COLOMBIE-BRITANNIQUE POUR LES BLANCS╚: SENTIMENT ANTI-ASIATIQUE DANS L'OUEST (1858-1949)
Stephen M. Beckow
Le conflit entre les cultures asiatique et europÄenne en AmÄrique de Nord ne dÄcoule pas d'une sÄrie d'incidents locaux, ni ne constitue une simple suite ê l'histoire mondiale. Au contraire, il est le rÄsultat important de nombreux ÄvÄnements humains significatifs du dix-neuviÅme siÅcle, soit le dÄveloppement des communications transocÄaniques rapides, la colonisation de l'ouest de l'AmÄrique du Nord, la crise due ê la surpopulation asiatique et les invasions des puissances europÄennes en Asie. Par suite de ce concours de circonstances, des centaines d'Ämigrants asiatiques ont traversÄ le Pacifique, certains ê destination du Canada. Nombre d'entre eux, pleins d'espoirs de succÅs n'y ont trouvÄ que conflits. Bien qu'en si peu de temps nous ne puissions que dessiner les grandes lignes de ces questions alors si vitales, il nous faut au moins Ävoquer les craintes et les frustrations qui caractÄrisent les mouvements des deux groupes en opposition.
Quand les blancs de la Colombie-Britannique mentionnent l'existence d'un ╟problÅme oriental╚, ils rÄunissent dans cette expression un mÄlange d'Ämotions et de sentiments abstraits ê divers degrÄs. Le ╟problÅme oriental╚ comprend les questions Äconomiques aussi bien que culturelles; c'est un dilemme tant sur le plan personnel que sur le plan des relations humaines. Les blancs de l'Äpoque sentent une menace ê leur mode de vie et voient la fin de leur rÉve de puretÄ et de domination anglo-saxonne dans la partie ouest de l'AmÄrique du Nord britannique. Ils dÄsignent sous le terme d'╟oriental╚ tous ceux qui viennent d'Asie, souvent mÉme ceux qui sont originaires du Proche-Orient. Ils y incluent aussi les ╟Hindous╚, au troisiÅme rang des groupes asiatiques importants. Mais ce sentiment de persÄcution dont souffrent les blancs de la Colombie-Britannique s'adresse surtout aux Chinois et aux Japonais, et ceci pour deux raisons. La premiÅre, c'est que les immigrants de l'Inde orientale, le groupe suivant par ordre d'importance, sont encore peu nombreux par rapport aux deux autres groupes. En 1908, annÄe de la mise en vigueur de nouvelles lois limitant le flot de l'immigration entre l'Inde et le Canada, il n'y a qu'environ 5 000 Indiens de l'Est qui sont entrÄs au Canada, beaucoup ne faisant que passer, en route vers les âtats-Unis. En 1911, le nombre d'immigrants de l'Inde orientale tombe ê 2 342, comparativement ê 9 021 Japonais et 27 774 Chinois.
L'autre raison, c'est que ces Indiens arrivent d'une colonie de l'Empire britannique; en tant que sujets britanniques, ils risquent de tomber facilement sous le coup de lois qui ne peuvent s'appliquer aux Chinois ou aux Japonais. En outre, comme peuple soumis, ils n'ont pas la mÉme attitude raciale agressive que plusieurs blancs prÉtent aux Japonais. C'est pourquoi, nous nous limitons ê ne parler que des deux principaux groupes asiatiques qui prÄoccupent les habitants de la Colombie-Britannique au cours de la seconde moitiÄ du dix-neuviÅme siÅcle et de la premiÅre moitiÄ du vingtiÅme.
Comme le dit Stanford Lyman, la situation malheureuse dans leur pays et l'attrait des possibilitÄs offertes ê l'Ätranger durant la deuxiÅme moitiÄ du dix-neuviÅme siÅcle poussent un grand nombre de Chinois ê quitter leur terre natale. Pour fuir les dÄsastres naturels et un soulÅvement politique dans les provinces de Kouangtong et de Foukien, des masses d'habitants se rÄfugient dans les villes cÖtiÅres; lê, ayant vent des dÄcouvertes d'or en Californie, en 1847, une partie d'entre eux payent 25$ ou 50$ pour la traversÄe vers San Francisco. De lê, comme commerìants et prospecteurs ils gagnent les rÄgions aurifÅres. Parmi eux se trouvent, en 1858, les premiers Chinois ê destination de la Colombie-Britannique, colonie de la Couronne, attirÄs eux aussi par de nouvelles dÄcouvertes d'or du cÖtÄ du fleuve Fraser. AprÅs les ruÄes vers l'or en Colombie-Britannique, l'immigration chinoise diminue. Quand elle reprend, aprÅs 1881, les Chinois viennent, non plus comme prospecteurs et marchands libres mais comme journaliers ê contrat, obligÄs de rÄgler la dette rÄsultant de la traversÄe en travaillant dans des Äquipes de construction du chemin de fer. Les premiÅres maisons de commerce, comme la compagnie Kwong Lee de Victoria, organisent l'arrivÄe de groupes de terrassiers ê contrat. Le premier convoi important d'ouvriers est l'oeuvre de l'entrepreneur principal de l'Ouest, Andrew Onderdonk, qui fait venir au Canada, entre 1881 et 1884, prÅs de 16 000 terrassiers pour construire la section pacifique du Canadien Pacifique. La plupart des Ämigrants chinois quittent leur pays avec la ferme intention d'y revenir aprÅs avoir amassÄ un certain capital, et il semble que la moitiÄ de ceux qui sont venus en Colombie-Britannique avant la PremiÅre Guerre mondiale soient effectivement retournÄs en Chine.
╦ la mÉme Äpoque, la surpopulation et les bouleversements politiques au Japon dans les districts sud de Honsyu et nord de Kiou Siou poussent les fermiers sans terre et les pÉcheurs pauvres ê chercher fortune ê l'Ätranger. Comme en Chine, les invasions des impÄrialistes occidentaux affaiblissent le rÄgime central, mais, contrairement aux Mandchous, le shogunat de Tokugawa ne rÄsiste pas aux premiÅres agitations. La dynastie impÄriale des Meiji est rÄtablie en 1867, un de ses premiers rescrits Älargit la politique d'Ämigration. Une foule de Japonais s'installent alors dans la colonie d'Hokkaòdo, puis en Chine continentale et en Russie asiatique, et enfin dans les öles Hawaii. Pendant les annÄes qui prÄcÅdent 1898, date de l'annexion des Hawaii aux âtats-Unis, les öles servent de point de transition pour les Ämigrants japonais qui vont aux âtats-Unis et au Canada. C'est pour enrayer cette source d'immigration (ainsi que celle des colonies sino-britanniques), que le Canada adopte, en 1908, un rÅglement refusant l'admission de tout immigrant qui n'arrive pas directement de son pays d'origine, ce qui interrompt l'immigration en provenance de l'Inde orientale. Bien que les Japonais viennent pÉcher dans les eaux canadiennes dÅs 1877, leur nombre s'accroöt lentement, et n'atteint que 1 000 environ en 1896, mais aprÅs il se multiplie rapidement. En 1901 et en 1911, cinq et dix fois ce nombre respectivement, Ätaient entrÄs au Canada.
L'installation du chemin de fer du Pacifique est achevÄe en 1885; elle a sans doute ÄliminÄ la nÄcessitÄ d'employer des groupes importants de terrassiers chinois, mais elle n'a pas enrayÄ le besoin de manoeuvres asiatiques dans d'autres secteurs de l'Äconomie. Les nouvelles mines ê l'intÄrieur, dÄveloppÄes regulare ê cause du rÄseau de chemins de fer et de ses embranchements, aprÅs 1885, ainsi que les industries dÄjê Ätablies comme les mines de charbon et les conserveries de saumon, rÄclament ê cor et ê cri de la main-d'oeuvre orientale ê bon marchÄ. ╦ la mÉme Äpoque, un nombre croissant de manoeuvres blancs de l'Est du Canada, de l'Ouest des âtats-Unis et de l'Europe arrivent en Colombie-Britannique. Les hommes de l'Ouest amÄricain, en particulier les mineurs, avaient dÄjê travaillÄ avec des Orientaux, ce qui les porte ê rÄagir avec discrimination et violence. Au cours de la plus violente Ämeute dirigÄe en 1885, contre les Chinois, vingt-huit d'entre eux sont massacrÄs par des grÄvistes ê Rock Springs (Wyoming), geste qui a poussÄ le gouvernement amÄricain ê offrir ê la Chine un dÄdommagement de prÅs de 277 000$. Cet incident et sa rÄplique beaucoup plus faible ê Vancouver, deux ans plus tard, indiquent bien que les Orientaux Ätaient utilisÄs comme boucs Ämissaires dans la guerre entre ouvriers et patrons.
Ceux qui favorisent l'immigration des Orientaux, selon les dires rÄpÄtÄs des porte-paroles des ouvriers, sont ceux qui profitent d'eux en les embauchant, ou ceux qui s'en servent pour semer la division dans le mouvement ouvrier. Parmi ceux qui l'encouragent, on compte les riches et les puissants : premiers ministres, banquiers, armateurs, industriels, entrepreneurs, propriÄtaires de ranchs et fermiers. La composition de ce groupe ê changÄ aprÅs la PremiÅre Guerre mondiale, mais jusque lê c'est un groupe de pression puissant contre l'exclusion des Orientaux.
Financiers et industriels surveillent l'expansion du mouvement ouvrier avec des craintes non dissimulÄes. Ils se servent des travailleurs non-syndiquÄs en Colombie-Britannique, y inclus les Orientaux, comme arme pour dÄsunir les rangs des syndicats ouvriers. En embauchant des non-syndiquÄs pour remplacer les grÄvistes, les employeurs intransigeants peuvent faire face aux pÄriodes d'agitation ouvriÅre. Ces frictions provoquÄes par l'utilisation des travailleurs orientaux ne menacent pas seulement l'unitÄ des syndicats, mais elles font aussi glisser la critique des patrons ╟anti-syndicalistes╚ vers les ╟briseurs de grÅves╚ et les ╟coolies.╚ Les ouvriers se rÄjouissent des mesures qui privent les Asiatiques d'exercer les droits et les privilÅges de la citoyennetÄ, et les patrons eux n'y trouvent ê redire. Tous les droits civiques Ätant refusÄs aux employÄs asiatiques, les patrons n'ont plus aucun sentiment d'obligation quant aux conditions de travail et aux niveaux de salaires rÄservÄs ê ces ╟Ätrangers.╚ Faute de jouir de ces droits, les ouvriers orientaux sont mis de plus en plus en plus ê l'Äcart et perdent tout espoir de faire redresser leur situation par les politiciens en quÉte de votes.
Mais le monde syndical s'inquiÅte non seulement de la diminution des niveaux de salaires, il craint aussi les rÄpercussions gÄnÄrales de cette utilisation des travailleurs ê contrat. Ainsi, les travailleurs prÄvoyaient une Åre ╟d'esclavage industriel╚, si les patrons rÄussissaient ê conserver le droit de faire venir, ê contrat, des Ätrangers qui sont tenus de travailler dans de mauvaises conditions et ê des salaires de misÅre. Les ouvriers blancs ne se soucient pas du sort des ╟coolies╚ sous un tel rÄgime; si les ouvriers ê contrat s'Ätaient contentÄs de postes dÄdaignÄs par les travailleurs blancs, il n'y aurait sans doute pas eu la moindre objection au travail ê contrat en soi. Autrement dit, les blancs n'ont rien contre le fait que les Chinois mettent du poisson en caisse, transportent du charbon, lavent la vaisselle, soient cuisiniers ou buandiers, taches beaucoup trop ╟serviles╚ ou ╟dÄplaisantes╚ pour les blancs. Or, la main-d'oeuvre ê contrat est importÄe pour occuper des postes que les ouvriers blancs convoitent. Rivaliser pour ces emplois dans un marchÄ de travail libre Äquivaudrait ê perdre tout ce que les ouvriers avaient rÄussi ê obtenir au cours des derniers cent ans. Ce serait le retour ê la ╟fÄodalitÄ╚, la naissance d'un ordre nouveau dominÄ par les ╟barons brigands╚ de l'industrie. Les chefs syndicaux et les intellectuels de classe moyenne s'ÄlÅvent contre une telle Ävolution.
DÅs 1878, des groupements de travailleurs sont crÄÄs pour combattre l'immigration chinoise. La Workingman's Protective Association de Victoria annonce son intention d'obtenir ╟une protection mutuelle de la classe ouvriÅre de la Colombie-Britannique contre l'arrivÄe en masse de Chinois╚ et manifeste son dÄsir ╟d'utiliser tous les moyens lÄgitimes pour en supprimer l'immigration.╚ Les terribles Ämeutes de Vancouver en 1887 et en 1907 et la grÅve de Nanaimo en 1913 prouvent que les travailleurs de la Colombie-Britannique sont prÉts ê employer la force pour intimider les Orientaux, qui eux ne tiennent pas compte de leurs avertissements.
Dans sa guerre contre l'immigration asiatique, le monde ouvrier est appuyÄ par deux autres groupes de Canadiens qui s'opposent ouvertement ê la prÄsence des Orientaux pour des raisons idÄologiques plutÖt qu'Äconomiques; les deux groupes sont composÄs d'hommes d'affaires qui ne profitent pas du commerce ou de l'emploi des Orientaux, de politiciens, d'officiers de la milice, de fonctionnaires, de journalistes, de membres des professions libÄrales et du clergÄ. Le premier groupe craint la domination raciale; la Colombie-Britannique constitue ê leurs yeux un avant-poste de l'Empire britannique dans le Pacifique, dont la composition anglo-saxonne est mise en danger par cette marÄe asiatique. Le second groupe s'inquiÅte du bien-Étre social, pour eux, la Colombie-Britannique reprÄsente un avant-poste de la chrÄtientÄ occidentale, dont les conditions de vie et les principes chrÄtiens sont menacÄs par ╟l'immoralitÄ paòenne.╚ Pendant que les travailleurs scrutent les Ächelles de salaires, les amis de la population anglo-saxonne Ätudient les tableaux d'immigration et les rÄformateurs religieux et sociaux dÄpouillent les statistiques concernant l'hygiÅne et le crime. Jonglant les faits fort savamment, les porte-paroles de ces deux groupes se convainquent bien que, comme l'a dit le jeune R.B. Bennett aprÅs l'Ämeute de Vancouver en 1907, ╟la Colombie-Britannique doit rester un pays rÄservÄ aux blancs.╚
En prÄparant leur stratÄgie, les ennemis des Orientaux font face ê deux obstacles. D'abord, ils ne parviennent pas ê Äclairer les Canadiens de l'Est ╟ignorants╚ de la ╟question orientale╚, ni ê les y intÄresser malgrÄ leurs efforts ╟d'Äducation de l'Est.╚ Cela vient en partie du fait que juste avant 1920, quand l'immigration a cessÄ, le pourcentage des Orientaux en Colombie-Britannique, est de sept ê onze pour cent, alors qu'il n'est que d'une fraction de un pour cent dans les autres provinces. Cela tient aussi du fait que le reste du Canada s'inquiÅte davantage des rÄpercussions que peut avoir l'arrivÄe des hommes ╟en peaux de moutons.╚ Quoi qu'il en soit, la Colombie-Britannique s'est retrouvÄe toute seule dans sa lutte contre les Orientaux.
D'autre part, les blancs anti-asiatiques sont gÉnÄs par la rÄpartition des pouvoirs entre le fÄdÄral et la province. Selon les clauses de l'Acte de l'AmÄrique de Nord britannique, l'immigration, les affaires extÄrieures, l'industrie et le commerce relÅvent dÄsormais du gouvernement fÄdÄral. Les tentatives provinciales d'interdire les nationaux chinois ou d'exercer la discrimination ê leur sujet sont rejetÄes par le gouvernement conservateur de Macdonald, car selon lui, ces questions ne relÅvent pas de la compÄtence juridique de la Colombie-Britannique. Plus tard, le gouvernement libÄral de Laurier, surestimant les possibilitÄs de commerce avec le Japon, annule les dispositions visant uniquement les nationaux japonais. Cette situation est une source continuelle de frustrations pour les blancs anti-orientaux de cette province de l'Ouest, qui trouvent alors des moyens dÄtournÄs de lÄgifÄrer contre les rÄsidents chinois et japonais. Toutes les questions de titres de propriÄtÄ et de droits civiques, de travaux publics provinciaux et municipaux, de terres de la Couronne et de permis relÅvent de la lÄgislature provinciale. Il Ätait facile de libeller les lois portant sur ces domaines de faìon ê ce qu'elles ne s'adressent qu'aux Chinois et aux Japonais. Le gouvernement fÄdÄral annule les lois dont l'ÄnoncÄ touche les nationaux japonais, par exemple; par ailleurs, il accepte comme valides les lois provinciales qui concernent les Japonais en gÄnÄral. Ce petit tour de passe-passe permet aux lÄgislateurs anti-orientaux d'entreprendre une campagne de restriction de l'activitÄ Äconomique ê l'intÄrieur de la province.
Ainsi les adversaires de l'Ämigration et de l'installation des Orientaux ont deux choix : chercher ê faire cesser l'immigration en provenance des pays d'Asie, ou tenter de dÄtruire les activitÄs Äconomiques des Orientaux dans la province. Avant 1885, les demandes d'exclusion des Asiatiques n'ont guÅre de succÅs parce que le gouvernement fÄdÄral reste convaincu que l'importation de groupes imposants de terrassiers est essentielle ê l'achÅvement du chemin de fer du Canadien Pacifique. Mais en 1884, prÄvoyant la fin des travaux, le gouvernement fÄdÄral accepte d'abord de faire enquÉte, puis d'imposer une capitation pour les immigrants d'Asie, ê raison de 50$ en 1885, puis de 100$ en 1900 et de 500$ en 1903.
Cette capitation ralentit l'immigration pendant quelque temps, puis ne semble plus du tout la gÉner. En 1911, des centaines de Chinois sont de nouveau arrivÄs dans la province; les enquÉteurs constatent que cet impÖt sert ê augmenter les salaires de ceux qui sont dÄjê sur place et leur permet de subventionner l'Ämigration d'amis et de parents. La PremiÅre Guerre mondiale ralentit ê nouveau l'immigration, nÄanmoins, dÅs sa fin, les ouvriers et les soldats dÄmobilisÄs s'unissent aux fermiers, aux pÉcheurs et aux petits commerìants (auxquels les Orientaux font de plus en plus concurrence) pour exiger l'exclusion des Chinois. En 1923, le gouvernement fÄdÄral rÄpond ê ces demandes par la promulgation d'une loi qui empÉche l'entrÄe des immigrants chinois; seulement huit sont admis au Canada entre 1925 et 1940.
Il est cependant plus difficile de bloquer l'immigration japonaise au Canada. D'une part, comme membre de l'Empire britannique, le Canada doit remplir certaines obligations en raison du traitÄ anglo-japonais de 1902. D'autre part, le gouvernement Laurier espÅre encourager le commerce avec le Japon. La Grande-Bretagne s'oppose aux lois adverses aux nationaux japonais, car elles nuisent aux intÄrÉts canadiens et impÄriaux. ╦ la suite des Ämeutes de Vancouver en 1907, les restrictions se font sous forme d'un ╟engagement d'honneur╚ entre le Canada et le Japon, ce dernier restreignant volontairement l'Ämigration au Canada ê 400 personnes par annÄe. Mais au fur et ê mesure de l'abandon, par les Japonais canadiens, des domaines des ressources naturelles et de la construction, pour rivaliser avec les blancs dans le commerce et l'agriculture, de nouvelles protestations poussent le gouvernement fÄdÄral ê renÄgocier cet engagement d'honneur. En 1928, les pouvoirs discrÄtionnaires dans le domaine de l'immigration sont transmis aux autoritÄs consulaires canadiennes au Japon et le nombre des immigrants est abaissÄ ê 150 par annÄe.
Le recensement de 1931, le premier aprÅs l'adoption de la Loi de 1923, dite Chinese Exclusion Act, dÄmontre qu'il y a dix fois plus d'hommes dans la communautÄ chinoise que de femmes, ce qui porte plusieurs blancs ê croire que la communautÄ chinoise au Canada disparaötra Äventuellement. Par ailleurs, par ce mÉme recensement, le premier depuis la modification de l'engagement d'honneur de 1928, on constate, dans la communautÄ japonaise, une proportion de dix hommes pour sept femmes et un taux des naissances qui semble particuliÅrement ÄlevÄ. Les blancs apprennent, par ces chiffres, que la communautÄ japonaise rÄussira non seulement ê survivre, mais aussi ê se multiplier. L'Empire japonais tient une place de plus en plus menaìante sur le plan mondial et nombreux sont les habitants de la Colombie-Britannique qui prÄconisent une politique d'action contre l'enclave japonais dans la province. Par contre, les inquiÄtudes au sujet de la communautÄ chinoise disparaissent puisqu'on la croit moribonde, mais aussi en raison d'une soudaine sympathie envers eux ê cause de l'oppression de la Chine par le Japon.
Alors que l'immigration orientale est presque terminÄe, les blancs anti-asiatiques mettent l'accent sur la deuxiÅme stratÄgie : la suppression des libertÄs civiques et Äconomiques. Tout en oeuvrant pour restreindre l'immigration, ces blancs proposent de refuser le droit de vote provincial aux rÄsidents chinois et japonais. Le refus de ce droit entraöne automatiquement certaines incapacitÄs lÄgales. Les Orientaux n'ont ni le droit de se prÄsenter aux Älections, ni de siÄger aux commissions scolaires, ni de faire partie de jurys. En plus des consÄquences directes de la perte du droit de vote, les blancs hostiles aux Asiatiques inventent d'autres pÄnalisations. Cette Ämancipation devient une condition essentielle ê l'admission ê certaines professions comme le droit et la pharmacie. Une entente tacite exclut les Orientaux des postes dans l'enseignement, dans la fonction publique et dans un certain nombre d'autres domaines de travail; aucun Chinois ne peut travailler aux travaux publics. L'octroi d'un permis de coupe ê la main est liÄ ê cette Ämancipation. Une campagne ministÄrielle est lancÄe en vue de restreindre l'Ämission de permis de pÉche ╟ê d'autres que les sujets britanniques blancs et les Indiens du Canada.╚ Une mesure purement vexatoire est incorporÄe ê la Loi de la Colombie-Britannique, de 1924, dite Factories Act.
Sous l'empire de cette loi, les blanchisseries opÄrant ê profit entrent dans la catÄgorie des ╟usines╚ et doivent se plier aux heures de travail maximum imposÄes. Cette loi touche directement les blanchisseries chinoises dont les employÄs sont gÄnÄralement des membres de la famille et dont la rÄussite dÄpend des heures d'ouverture les soirs et les jours de congÄ. Ces propositions qui deviennent des rÅglements ou des lois n'ayant que peu de portÄe Äconomique, mais beaucoup de rÄpercussions sociales laissent bien apparaötre leur but rÄel cachÄ : la discrimination contre les Orientaux. Ainsi, la fermeture des Äcoles de la province aux enfants chinois en 1907, et l'interdiction d'accÅs ê la maison provinciale aux Chinois ëgÄs et pauvres en 1936, servent ê exposer la nature essentiellement discriminatoire d'un grand nombre de dispositions ╟de rÄglementation╚, en apparence du moins.
Les syndicats ouvriers appuient plusieurs de ces initiatives. De plus, certaines techniques employÄes par des groupements non-syndicaux ont pris leur source dans les mÄthodes Ätablies par les syndicats: l'idÄe d'interdire l'accÅs ê un mÄtier donnÄ, par exemple, a pour origine l'Ätablissement de professions fermÄes. En outre, quand les fermiers en 1921, songent ê Ätamper les produits orientaux, ils suivent l'exemple de l'Ätiquette syndicale utilisÄe dÅs 1871 par les fabricants de cigares de San Francisco pour faire la distinction entre leurs produits et ceux des Orientaux. Les syndicats rÄussissent ê faire exclure les Asiatiques des chantiers provinciaux et municipaux et des travaux miniers souterrains les mieux payÄs. En 1907, ils rÄussissent aussi ê interdire l'importation de travailleurs ê contrat. En 1925, ils font voter une loi sur le salaire minimum, qui rÄduit le nombre d'Asiatiques ê salaires infÄrieurs dans les industries d'extraction. Certaines mesures suggÄrÄes par les syndicats ne deviennent pas des lois, entre autres, celles qui visent les hommes qui portent les cheveux serrÄs en queue, qui expÄdient les restes des morts dans un autre pays, qui portent des hottes ou qui parlent une langue autre qu'europÄenne. D'autres initiatives du monde ouvrier deviennent lois seulement quand les rÄformateurs de classe moyenne ont pris position ê leur sujet. William Lyon Mackenzie King qui, en tant que sous-ministre du Travail, prÄside l'enquÉte sur les Ämeutes de Vancouver en 1907, puis celle sur l'entrÄe illÄgale d'immigrants asiatiques, revient de Vancouver bien dÄcidÄ ê limiter l'immigration orientale et ê briser le trafic d'opium. Ces deux sujets sont, dans l'esprit de King, Ätroitement liÄs et dans la lutte qu'il mÅne plus tard, avec le juge d'Edmonton Emily Murphy (╟Janey Canuck╚), contre les trafiquants d'opium, il dÄpeint les Chinois comme destructeurs de la santÄ et du bien-Étre des Canadiens. Nous devons les premiÅres lois canadiennes sur les narcotiques aux efforts de ces deux personnes et c'est presque uniquement la communautÄ chinoise qui en subit les effets. Ceux qui participent au dÄbat dÄnoncent la tendance anti-orientale de ce genre de dispositions et font remarquer le peu de rÄpercussion du commerce de l'opium sur le Canada occidental, en comparaison de l'impact beaucoup plus profond des spÄcialitÄs pharmaceutiques et des mÄdicaments. Des milliers de gens, disent-ils, emploient librement et sans danger des mÄdicaments ê base d'opium. Le rÄsultat net de la rÄglementation des stupÄfiants n'Ätait pas tant limiter la possibilitÄ, pour un grand nombre de Chinois, de gagner leur vie (but de tant d'initiatives syndicales), que de dÄpeindre la communautÄ chinoise comme une dÄlinquante sociale.
D'aprÅs le mouvement ouvrier, son succÅs ê rÄduire l'efficacitÄ de la concurrence gÄnÄrale des Asiatiques vers 1930 et ê les exclure totalement de certains mÄtiers a modifiÄ la situation entre les travailleurs blancs et asiatiques. Les syndicats changent de tactique au cours de cette dÄcennie et encouragent l'affranchissement des Orientaux et les inscrivent dans les syndicats ouvriers. En 1931, le Trades and Labour Congress accepte l'affiliation des Japonais ê la Camp and Mill Workers Union et en 1935, la Co-operative Commonwealth Federation (CCF), voix politique du monde ouvrier, rÄclame le droit de vote pour les Asiatiques. pour expliquer aux ouvriers la raison derriÅre cette nouvelle stratÄgie, un candidat de la CCF leur pose la question suivante : ╟PrÄfÄrez-vous un Asiatique ayant droit de vote et qui devra par consÄquent atteindre le mÉme standard de vie que vous ou un Asiatique sans droit de vote dont on peut se servir pour nuire ê vos syndicats et ê vos conditions de travail.╚
Les organisations ouvriÅres modifient leur stratÄgie et diminuent l'intensitÄ de leur campagne Äconomique; par contre, la campagne sociale des groupements non ouvriers redouble d'ardeur et bÄnÄficie de nombreux appuis. Au cours des annÄes vingt, d'autres mouvements se joignent ê la Asiatic Exclusion League (la force derriÅre les Ämeutes de Vancouver en 1907) et fomentent la rÄvolte contre les Orientaux. Les Native Sons of British Columbia, la White Canada Association, et le Ku Klux Klan dÄfraient souvent la manchette, non seulement dans la province, mais partout au Canada. Les Canadiens de l'Est voient l'agitation de la Colombie-Britannique comme un curieux phÄnomÅne, mais les journalistes et les polÄmistes anti-orientaux affirment le sÄrieux de leurs opinions. Des politiciens municipaux et provinciaux leur emboötent le pas et expriment l'inquiÄtude sociale en termes plus familiers et demandent des sanctions contre les Orientaux. Mais la nouvelle situation de la Colombie- Britannique des annÄes vingt et trente pousse les chefs de ces mouvements anti-asiatiques non-ouvriers ê demander la rÄvocation des permis accordÄs aux commerìants orientaux et la dÄportation de tous les rÄsidents d'origine asiatique. Le prÄsident d'un comitÄ de la lÄgislature provinciale refuse de tolÄrer ce genre de demande et compare les actions des politiciens locaux ê celles d'Hitler. Il se dissocie de la lutte contre les Orientaux.
La composition du conseil d'un des organismes anti-asiatiques reflÅte bien le caractÅre nouveau de l'opposition aux Orientaux. Au dÄbut des annÄes trente, le conseil de la White Canada Association comptait un reprÄsentant de la Retailers Association, de la Cloverdale Farmers Association et de la Fisherman Protective Association, ainsi qu'un ingÄnieur agronome et un courtier en propriÄtÄs immobiliÅres rurales. Sans l'intervention d'une guerre rÄelle, qui a totalement transformÄ la bataille livrÄe par ces organismes, celle-ci serait probablement restÄe une simple guerre de mots. L'entrÄe en guerre du Japon (Seconde Guerre mondiale) annoncÄe par le bombardement de Pearl Harbor et confirmÄe sur le plan domestique par la capture de la garnison canadienne ê Hong Kong, rend le sentiment d'hostilitÄ envers les Japonais non seulement lÄgitime, mais lui confÅre une aurÄole de patriotisme. Les racistes blancs, les ennemis Äconomiques et les politiciens raniment le sentiment anti-japonais en prenant pour cible les Canadiens d'origine japonaise. Bien que la communautÄ nipponne compte sur le gouvernement fÄdÄral pour maintenir l'ordre et administrer la justice de faìon impartiale, le gouvernement de William Lyon Mackenzie King nÄglige le bien-Étre de la communautÄ japonaise. L'administration King ordonne le retrait de tous les nationaux japonais et canadiens d'origine japonaise des rÄgions cÖtiÅres de la Colombie-Britannique. Ces familles perdent, au cours de cette dÄportation, tout ce qu'elles ont ÄconomisÄ ou construit. Le situation des Canadiens d'origine japonaise est diffÄrente de celle des Italiens et Allemands d'origine, puisque aucune distinction n'est faite entre les personnes nÄes ê l'Ätranger et celles nÄes au Canada.
MÉme si, aprÅs la guerre, il y a une rÄvolution totale des attitudes qui Älimine entiÅrement la discrimination contre les Canadiens d'origine orientale, hommes et femmes, la communautÄ japonaise ne reìoit, malgrÄ les sÄvÅres malheurs subis, qu'une compensation minime pour ses pertes. Un premier ministre canadien, Lester Pearson, admet l'injustice du traitement qui leur est infligÄ, cependant, le problÅme n'a jamais ÄtÄ rÄglÄ de faìon satisfaisante. La publicitÄ faite aux atrocitÄs des Nazis, la crÄation des Nations Unies et l'adoption d'une charte des Droits de l'homme tÄmoignent d'un changement d'attitude. La citoyennetÄ et les droits de franchise, jusque lê refusÄs, sont accordÄs aux Chinois en 1947 et aux Japonais en 1949. L'immigration en provenance de l'Asie reprend selon des critÅres de compÄtence plutÖt que de race. Sur un plan plus vaste cependant, les immigrants europÄens sont encore privilÄgiÄs par rapport aux Asiatiques, et les Canadiens d'ascendance orientale constatent toujours une discrimination latente et officieuse.
Aucun ÄvÄnement n'a probablement eu une importance symbolique plus grande que l'Älection du premier Canadien d'origine orientale ê la Chambre des communes. Aux Älections de 1957, Douglas Jung, Canadien d'origine chinoise, dÄfait le ministre de la DÄfense et conserve son siÅge aux Älections de l'annÄe suivante. Titulaire d'un diplÖme de la facultÄ de droit de l'UniversitÄ de Colombie-Britannique, il exerce une profession jusque lê fermÄe aux hommes et aux femmes de la mÉme origine ethnique. Douglas Jung est un des nombreux Canadiens d'origine chinoise ou japonaise qui apportent quelque chose ê la vie professionnelle, commerciale, ouvriÅre, sportive et rÄcrÄative du Canada et qui trouvent des carriÅres rÄmunÄratrices dans des domaines dont les Orientaux Ätaient exclus pendant plusieurs gÄnÄrations.