╔VOLUTION DES MOYENS DE TRANSPORT DANS LA R╔GION DU SAINT-LAURENT ET DES GRANDS LACS (1828-1860)
Gerald Tulchinsky
Le transport a toujours ΘtΘ essentiel α la vie Θconomique canadienne. Il est d'une importance capitale pour la circulation des personnes et des marchandises ainsi que pour l'extension des frontiΦres Θconomiques. La nation canadienne elle-mΩme est devenue une rΘalitΘ lorsque des moyens de transport modernes ont reliΘ des rΘgions dispersΘes. Pendant la courte pΘriode qui va de 1828 α 1860, les dΘveloppements fructueux et rΘvolutionnaires que connurent les transports dans la vallΘe du St-Laurent et la rΘgion des Grands Lacs, posΦrent les fondements du systΦme qui, par la suite, reliera l'est α l'ouest canadien. Les bateaux α vapeur devinrent un moyen de transport d'usage courant. On dragua des riviΦres, on balisa des chenaux, on construisit de grands canaux, des ports et des phares. On procΘda aux premiers essais de transport par ballon et l'on construisit le premier rΘseau ferroviaire.
Ce dΘveloppement des transports canadiens Θtait un phΘnomΦne nouveau et spectaculaire en ce milieu du dix-neuviΦme siΦcle. Il fut activΘ par le procΘdΘ traditionnel de mise en valeur du pays qui consistait α exploiter les ressources agricoles et forestiΦres, ce que H.A. Innis a appelΘ l'½Θconomie de denrΘes et de matiΦres premiΦres╗. Pour H.G.J. Aitken, Θgalement historien de l'Θconomie, cet essor des transports constitue un bon exemple d'une autre vieille tradition canadienne, celle de l'½expansionnisme dΘfensif╗, d'aprΦs laquelle le gouvernement favorisait les grands travaux afin de parer α la domination des ╔tats-Unis sur l'AmΘrique du Nord britannique. Il faut connaεtre ces deux traditions si l'on veut saisir les rapports entre l'amΘlioration des moyens de transport et la place du Canada, puissance Θconomique en voie de dΘveloppement, dans le monde du commerce international. Cette connaissance nous permet aussi de mieux comprendre la stratΘgie d'expansion continentale dans laquelle le gouvernement a jouΘ un r⌠le crucial. L'exploitation des ressources et matiΦres premiΦres ainsi que l'½expansionnisme dΘfensif╗ Θtaient mis en pratique par le monde des affaires qui favorisait les innovations dans le secteur des transports et en Θtait le grand bΘnΘficiaire. Les rapports Θtroits entre les hommes d'affaires et les politiciens dont les mesures lΘgislatives affectaient grandement le climat du monde des affaires sont complexes et intΘressants α analyser. L'essor des transports toucha aussi d'autres secteurs de l'Θconomie. Il est probable que les effets les plus profondΘment ressentis le furent par la population canadienne, dans sa vie quotidienne.
Les canaux
L'un des grands problΦmes de la colonisation du Haut-Canada, fut le co√t ΘlevΘ du transport des marchandises en provenance de MontrΘal, principal port d'entrΘe du Saint-Laurent. Et ce n'Θtait pas qu'une question d'argent; il fallait compter avec les trΦs longs dΘlais et les grands risques qui menaτaient l'acheminement non seulement des produits, mais aussi de l'Θquipement militaire indispensable. Les leτons de la guerre de 1812-1814, amenΦrent le gouvernement britannique α s'inquiΘter de l'approvisionnement des troupes chargΘes de dΘfendre les postes stratΘgiques le long de la frontiΦre canado-amΘricaine. C'est cette prΘoccupation, α la fois commerciale et militaire, qui fut α l'origine de la construction des premiers grands canaux du Saint-Laurent et des Grands Lacs au cours des annΘes 1820 et 1830: le canal Lachine, le canal Welland, (dont la premiΦre partie, qui permettait de franchir les chutes de Niagara, fut achevΘe en 1829), et le canal Rideau reliant Bytown α Kingston. Ces deux derniers constituΦrent des tours de force sur le plan du gΘnie, de l'importance de la main-d'oeuvre, et des capitaux investis. Il est certain que ces projets n'auraient pu Ωtre menΘs α bien sans le concours direct du gouvernement.
La construction du canal Lachine qui contourne les dangereux rapides du mΩme nom, en amont de MontrΘal, dΘbuta lentement et sans satisfaire qui que ce soit tant qu'elle resta sous l'Θgide d'une sociΘtΘ privΘe; le gouvernement du Bas-Canada, bien qu'il ait eu la rΘputation de ne pas vouloir entreprendre d'affaires, endossa la responsabilitΘ financiΦre des travaux. Le gouvernement britannique, pour sa part, finanτa la construction du co√teux canal Rideau (prΦs d'un million de livres) pour rΘpondre α des besoins militaires et commerciaux. En fait, le canal Rideau fut construit sous la direction d'officiers du gΘnie de Sa MajestΘ qui engagΦrent des entrepreneurs locaux chargΘs de diverses parties du travail. Tout comme le canal Lachine, le canal Rideau fut construit surtout par des immigrants irlandais aidΘs par des artisans Θcossais et canadiens-franτais. Par contre, au tout dΘbut de la construction du canal Welland, c'est l'╔tat de New York qui fournit les capitaux, les spΘcialistes et mΩme un bon nombre de travailleurs, choisis parmi ceux qui venaient α peine de terminer la construction du canal ╔riΘ. Mais mΩme dans ce cas, le Haut-Canada (et, dans une moindre proportion, le Bas-Canada) investit de grosses sommes et, lorsque l'on constata que la premiΦre version du canal Welland, peu solide, ne rΘpondait pas aux attentes, le gouvernement le reprit au compte des travaux publics. C'Θtait lα pratique courante dans toute l'AmΘrique du Nord; aux ╔tats-Unis, la plupart des grands systΦmes de canalisation, y compris cet Θnorme succΦs que fut le canal ╔riΘ, furent construits par l'╔tat ou le gouvernement local. Les entrepreneurs ne manquaient pas, mais les capitaux, eux, Θtaient rares; de plus, il n'existait pas au Canada de mΘthode facile, comme celle qu'on crΘera vers la fin du dix-neuviΦme siΦcle, pour obtenir des investissements Θtrangers (surtout britanniques).
Ces canaux des annΘes 1820 et du dΘbut des annΘes 1830 Θtaient d'une importance incalculable pour le Canada. Ils ne rΘussirent pas α attirer le riche commerce de l'intΘrieur du continent, mais constituΦrent, nΘanmoins, une importante composante d'un systΦme de transport plus efficace. Avec le canal ╔riΘ, leur rival, ils ont possiblement favorisΘ une plus grande exploitation agricole du Haut-Canada en rΘduisant de beaucoup les co√ts du transport des passagers, des produits d'importations et des biens exportΘs. Du mΩme coup, les canaux permirent d'ouvrir α la colonisation des rΘgions trΦs difficiles d'accΦs, comme celle environnant les lacs Rideau. Leur construction donna de l'emploi α des milliers d'immigrants qui travaillΦrent souvent dans des conditions trΦs dangereuses et pour de maigres salaires. Les employeurs utilisΦrent souvent le systΦme du troc, rΘmunΘrant leurs ouvriers en nature, par exemple en alcool, plut⌠t qu'en argent. Les ouvriers des canalisations qui luttΦrent contre cette situation (par exemple, au cours de la grΦve qui affecta la construction du canal de Lachine en 1843) furent les premiers manifestants du syndicalisme au Canada. La construction des canaux amena au pays beaucoup d'argent et stimula dans l'ensemble l'activitΘ Θconomique, mΩme si cette nouvelle richesse fut inΘgalement rΘpartie entre les rΘgions et les classes sociales. La demande en main-d'oeuvre, en nourriture, en approvisionnements, en outils et en chevaux suscita l'expansion du secteur primaire de l'Θconomie canadienne.
Cet emballement spectaculaire pour les canalisations dura de 1820 α 1830. Il fallut ensuite attendre dix ans avant l'avΦnement d'une nouvelle Θpoque d'amΘlioration des voies maritimes aux Canadas. L'Θpuisement des ressources financiΦres (le gouvernement britannique Θtait stupΘfait et furieux du co√t exorbitant du canal Rideau), la stagnation Θconomique et les conflits politiques dΘcouragΦrent les travaux jusqu'α ce que la stabilitΘ et l'optimisme renaissent avec l'union des deux Canadas en 1840.
Un nouveau programme, vaste et de grande portΘe, fut entrepris α titre de travaux publics par le gouvernement canadien aidΘ du gouvernement britannique qui garantissait l'intΘrΩt sur les capitaux empruntΘs. On chercha surtout α amΘliorer la navigabilitΘ du Saint-Laurent entre MontrΘal et Prescott o∙ rapides et hauts fonds avaient toujours entravΘ la navigation. On entreprit la construction de canaux α Beauharnois, α Cornwall et α Williamsburg, et l'on procΘda α l'Θlargissement des canaux Lachine et Welland. Pour mener α bien ces travaux, la province du Canada dut emprunter α Londres la somme Θnorme de prΦs de deux millions de livres. Mais lorsqu'ils furent terminΘs, les navires de fort tonnage purent circuler sur une mΩme voie d'eau de MontrΘal jusqu'au lac ╔riΘ.
Dans l'ensemble, les canaux ne rΘussirent pas α devenir le principal dΘbouchΘ des produits alimentaires canadiens et amΘricains des rΘgions avoisinant les Grands Lacs; nΘanmoins, ils constituΦrent une addition importante au rΘseau de transports canadien. Le commerce avec l'intΘrieur se faisait dΘsormais α meilleur compte lorsque les marchandises passaient par MontrΘal plut⌠t que par New York, (ce qui n'empΩcha pas New York de rester un port ocΘanique plus important que MontrΘal, parce que ses eaux ne gelaient pas en hiver) et l'industrie accrut de beaucoup sa puissance grΓce α l'un de ces canaux; en effet, vers la fin des annΘes 1840, de nombreuses industries nouvelles, farine, sucre, outils, bois, vΩtements, moteurs a vapeur, bateaux ainsi qu'un grand nombre d'autres produits, s'installΦrent au bord du canal Lachine, a MontrΘal. Le gouvernement, pour encourager l'industrie, louait α bon compte des sites industriels, si bien que manufacturiers et spΘculateurs saisirent l'occasion pour s'installer α MontrΘal donnant ainsi un aspect nouveau α la vie Θconomique montrΘalaise axΘe jusqu'alors sur le commerce. En 1854, quelque vingt nouvelles usines employant environ deux milles personnes faisaient de MontrΘal le plus grand centre manufacturier du Canada.
Bateaux α vapeur
Tandis que l'on procΘdait α la construction des grands canaux, au cours des annΘes 1820 et 1830, ainsi qu'α celle de canaux plus petits sur l'Outaouais, le Richelieu et le Saint-Laurent, l'usage du bateau α vapeur sur les cours d'eau canadiens se rΘpandait rapidement. Bien que le bateau α vapeur ne supplanta pas complΦtement les barges, bateaux Durham, sloops, goΘlettes, ou mΩme radeaux, qu'on utilisait pour transporter marchandises et passagers, on s'en servait de plus en plus pour le transport des marchandises de grande valeur et celui des passagers. Introduits dans le Bas Saint-Laurent dΦs 1809, les bateaux α vapeur Θtaient couramment utilisΘs sur les Grands Lacs vers la fin de la dΘcennie suivante. Par la suite, et pendant de nombreuses annΘes, des vapeurs presque tous sortis des chantiers montrΘalais sillonnaient tous les cours d'eau des rΘgions habitΘes de l'AmΘrique du Nord britannique.
AprΦs l'introduction du bateau α vapeur, la construction de moteurs α vapeur que ce soit pour les bateaux ou pour d'autres machines devint une industrie importante. DΦs 1818, des AmΘricains Θtablirent une petite fonderie α MontrΘal et y produisirent des moteurs pour rΘpondre α une demande croissante. Avec celle-ci d'autres usines qui s'Θtablirent α MontrΘal et plus tard α Kingston et α Toronto constituΦrent la base de la premiΦre industrie mΘcanique canadienne. Elles permirent α l'Θconomie de passer de l'½Γge des matiΦres premiΦres╗ α l'½Γge de la vapeur et du fer╗, et furent l'un des facteurs de la rΘvolution des transports. Les transports et l'activitΘ industrielle Θtaient concentrΘs dans les grands centres commerciaux, et l'essor urbain de l'Θpoque se fit en rapport direct avec le rapprochement croissant de ces deux sphΦres d'activitΘ. Ce rapport se prΘcisa encore davantage au cours des annΘes 1850 quand la construction des chemins de fer stimula la croissance et l'expansion rapide des fonderies et d'autres industries.
Chemins de fer
L'Γge de la vapeur et du fer, annoncΘ sous d'heureux auspices en 1809 par le lancement du vapeur de John Molson, l'Accommodation, allait devenir une rΘalitΘ Θconomique sociale et politique vers les annΘes 1850. Les premiers essais de machines α vapeur sur les chemins de fer britanniques propagΦrent, au cours des deux dΘcennies qui suivirent, la fiΦvre de la construction ferroviaire en Grande-Bretagne et aux ╔tats-Unis. L'enthousiasme que suscitΦrent les chemins de fer Θtait α son comble au cours des annΘes 1840 et, Θvidemment, les Canadiens dΘsireux d'amΘliorer leurs transports et de rΘaliser des profits emboεtΦrent le pas. Dans sa fameuse brochure sur la philosophie des chemins de fer publiΘe en 1850, Thomas Keefer, ingΘnieur canadien de grande rΘputation, chanta les vertus du monstre d'airain en termes ronflants:
½L'effet civilisateur de la locomotive est l'une des anomalies contemporaines, qui, bien qu'inexplicable pour certains, apparaεt si Θvident pour tous qu'on en accepte l'existence, comme celle de l'Θnergie que produit la vapeur, bien que la substance en soit invisible et que l'homme en ignore le secret. La pauvretΘ, l'indiffΘrence, l'Θtroitesse d'esprit ou la jalousie des diverses confessions religieuses, les dissensions locales ou le dΘmagogisme politique peuvent Θtouffer les meilleurs efforts du systΦme Θducatif et les neutraliser; mais cette Θnergie invisible qui sort victorieuse d'une guerre contre les ΘlΘments vaincra assurΘment les prΘjugΘs, et les faiblesses de l'esprit, ou les dessins des tyrans psychologiques...elle n'attend pas la saison propice, mais, avec une vigueur sans relΓche et une assiduitΘ α toute Θpreuve, elle entretient de faτon inΘvitable et constante la curiositΘ et l'esprit de comparaison, et, tout en satisfaisant aux besoins matΘriels et en allΘchant la multitude, elle invite inconsciemment et irrΘsistiblement les Ωtres humains α une communion plus intime.╗
Depuis les annΘes 1830, la population canadienne s'intΘressait beaucoup α la possibilitΘ de construire des chemins de fer; les journaux soulevaient la question, les AssemblΘes lΘgislatives en discutaient, car elles auraient α fournir l'aide financiΦre nΘcessaire aux projets, et le premier chemin de fer du pays, un tronτon de portage de quatorze milles allant de Laprairie α Saint-Jean, fut terminΘ en 1836. Vers le milieu des annΘes 1840, Θtant donnΘs la prospΘritΘ gΘnΘrale et les succΦs des chemins de fer d'Angleterre et des ╔tats-Unis, on se mit α prΘvoir la construction de lignes reliant de nombreuses villes et villages canadiens et l'on rΩvait dΘjα d'une ligne de chemin de fer qui irait de l'Atlantique au Pacifique. └ l'Θpoque, la philosophie des chemins de fer ne se contentait pas d'Θvaluer les avantages Θconomiques et sociaux des chemins de fer, elle voyait en eux un instrument politique, un moyen d'amΘliorer les communications entre les deux collectivitΘs, de resserrer les frontiΦres, et enfin un instrument stratΘgique important pour la dΘfense de l'AmΘrique du Nord britannique. Toronto et MontrΘal devinrent les deux grands centres de promotion des chemins de fer. Les entrepreneurs de MontrΘal projetΦrent d'Θtablir des parcours jusqu'aux ports d'hiver sur l'Atlantique tandis que les hommes d'affaires de Toronto songeaient α des lignes s'avanτant dans les terres au nord et α l'ouest de la ville.
Toutefois, on se rendit compte rapidement que, sans une aide substantielle du gouvernement, on ne rΘussirait α construire que de petites voies de portage. En 1849, le gouvernement du Canada-Uni adopta une loi qui garantissait l'intΘrΩt (jusqu'α 6%) sur les bons Θmis par les compagnies qui construiraient des chemins de fer d'une longueur de plus de 75 milles. Cette garantie entrait en vigueur aprΦs que la moitiΘ de la ligne ait ΘtΘ construite. La loi Θtait taillΘe sur mesure pour les grands projets comme celui de la Northern, qui devait relier Toronto α la baie Georgienne, celui qui visait α relier le Saint-Laurent α l'Atlantique (entre MontrΘal et Portland, Maine) et celui de la Great Western, visant α joindre Toronto α Windsor. GrΓce α cette aide financiΦre, toutes ces voies ferrΘes progressΦrent rapidement, et Θtaient achevΘes dΦs 1854. Les capitaux vinrent, en grande partie, de Grande-Bretagne, certains des ╔tats-Unis, et une part apprΘciable des fonds avait ΘtΘ fournie par des investisseurs du secteur privΘ canadien. Chose plus importante, l'accord d'une charte α ces chemins de fer et α bien d'autres (dont plusieurs n'ont jamais ΘtΘ construits) reflΘtait la montΘe de nouveaux groupes d'hommes d'affaires: promoteurs de chemins de fer, spΘculateurs α la bourse des valeurs ferroviaires et spΘculateurs fonciers, fournisseurs de matΘriaux de construction et d'outillage, entrepreneurs et bien d'autres encore. Il apparut aussi un nouveau type d'entrepreneurs ayant des intΘrΩts dans plus d'un domaine et qui, par d'adroites manipulations, rΘussissaient parfois α rΘaliser d'Θnormes profits. Bien que leur jeu soit difficile α saisir ces entrepreneurs, enrichis grΓce aux chemins de fer, entretenaient souvent des relations Θtroites avec les politiciens favorables aux lois des chemins de fer et responsables de ces lois. L'ΘnoncΘ cΘlΦbre et si souvent citΘ de sir Allan MacNab, chef du parti conservateur dans le Haut-Canada au cours des annΘes 1850, ½les chemins de fer, voilα ma politique╗ tient beaucoup moins de l'aveu hΘsitant que de l'exultation. └ cette Θpoque d'optimisme et d'enthousiasme α l'Θgard des chemins de fer, certains politiciens frΘquentaient les promoteurs du rail sans se dΘcontenancer. En ces jours enivrants pour les promoteurs de chemins de fer, peu s'opposaient α cette pratique et l'on raconte qu'un grand nombre de politiciens avaient des obligations α l'Θgard d'un certain entrepreneur, Samuel Zimmerman, Γme dirigeante de la Great Western Railway.
Le plus grand projet ferroviaire de l'Θpoque fut celui du chemin de fer Grand Tronc, reliant MontrΘal α Toronto, dont la construction commenτa en 1853 et qui devait Ωtre le tronτon canadien d'un chemin de fer traversant l'AmΘrique du Nord britannique d'Halifax α Windsor. Une fois les travaux menΘs α bien, certains magnats et politiciens avaient amassΘ une fortune; le public dut porter le fardeau d'une dette Θnorme de $26 millions. └ eux seuls les intΘrΩts sur les prΩts (en fait c'Θtait des dons, carrΘment) que le gouvernement versa aux compagnies absorbΦrent une grande partie du revenu de l'╔tat. Cet ½hΘritage╗ gΘnΘreux que le gouvernement laissa au Grand Tronc Θtait bien petit si on le compare aux dons encore plus gΘnΘreux en terres, en argent, en lignes de chemin de fer et autres avantages accordΘs au Canadien Pacifique au cours des annΘes 1880. La construction du Grand Tronc fut accompagnΘe de gaspillage, de maladministration et de manoeuvres en coulisse. En 1853, la compagnie du Grand Tronc se vit chargΘe des problΦmes de la compagnie St. Lawrence and Atlantic Railway, de la ligne QuΘbec-Richmond, et elle devait aussi respecter ses engagements et construire le pont Victoria qui traversait le Saint-Laurent α hauteur de MontrΘal; elle devait enfin construire quelque deux cent milles de voies inutiles pour relier Toronto a Guelph et α Sarnia, rΘgion dΘjα desservie par la Great Western. Les promoteurs A.T. Gualt, Luther Holton, Casimir Gzwoski et David L. Macpherson figurent parmi les principaux bΘnΘficiaires de ces tractations. Les actionnaires britanniques et le peuple canadien en furent quittes pour un chemin de fer trop ΘlaborΘ, construit α grand frais, et dont la sociΘtΘ criblΘe de dettes Θtait incapable de se renflouer par l'exploitation de voies dont l'Θcartement Θtait diffΘrent de celui des voies amΘricaines auxquelles elles devaient s'abouter.
Cette construction d'envergure se solda cependant par certains avantages, dont le plus substantiel fut sans doute l'accΘlΘration rapide de la croissance Θconomique au cours des annΘes 1850 : l'accumulation des capitaux, surtout pour la construction des chemins de fer, s'Θleva au chiffre pharamineux de 100 millions de dollars. Exception faite d'une dΘpression brΦve mais grave, en 1857, cette dΘcennie fut tΘmoin d'une impressionnante expansion Θconomique. Toutefois, il serait inexact d'attribuer toute cette expansion ou mΩme la plus grande partie de celle-ci aux retombΘes de la construction ferroviaire. La montΘe rapide du prix du blΘ au cours de la guerre de CrimΘe, de 1853 α 1856, l'expansion du marchΘ amΘricain du bois de coupe et d'autres produits et l'essor soutenu du Haut-Canada furent les grandes composantes de cette prospΘritΘ. On peut aussi maintenir que les chemins de fer ne furent pas la cause principale du taux ΘlevΘ d'immigration ni de la gΘnΘralisation de l'expansion industrielle de l'Θpoque; les bases Θtaient s√rement dΘjα jetΘes en 1850, bien avant l'ascension phΘnomΘnale des chemins de fer. Il est tout aussi difficile de prouver que les chemins de fer Θtaient presque indispensables α la circulation des marchandises et α l'expansion de l'agriculture et de l'industrie du bois sur de nouveaux territoires. En effet, les transports par lacs, riviΦres et canaux Θtaient d'une efficacitΘ croissante et, avec l'amΘlioration du rΘseau routier, on aurait sans doute pu dΘvelopper ces moyens de transport sans immobiliser autant de capitaux que pour le rail. Cependant, c'est grΓce aux chemins de fer que les transports devinrent possibles durant toute l'annΘe.
Ceci ne veut toutefois pas dire que les Θchanges commerciaux se faisaient au mΩme rythme douze mois par annΘe. Les marchandises encombrantes comme le blΘ, le bois et le bois de coupe Θtaient gΘnΘralement expΘdiΘes par voie d'eau, mode de transport beaucoup moins co√teux que les chemins de fer, et, de toute faτon, les chemins de fer ne pouvaient rien changer au fait que la production de ces matiΦres premiΦres se faisait sur une base saisonniΦre. Bien que la construction du pont Victoria en 1859 ait ouvert une voie ferrΘe de Sarnia et Windsor jusqu'α Portland, dans l'╔tat du Maine (dΘbouchΘ d'hiver de MontrΘal), la proportion des produits de base acheminΘe par lα demeura infime. En fait, une grande quantitΘ des exportations canadiennes Θtait toujours acheminΘe vers la mer par les canaux et les chemins de fer amΘricains. Quoi qu'il en soit, c'Θtait l'Γge d'or des chemins de fer et, s'il est bon d'Ωtre sceptique quant aux bienfaits qu'on leur attribue habituellement, il ne faut pas oublier qu'α l'Θpoque, presque tout le monde croyait que les chemins de fer allaient semer la prospΘritΘ sur leur passage.
En dΘpit du fait qu'il n'Θtait peut-Ωtre pas nΘcessaire, Θconomiquement parlant, le rail devint presque un signe des temps. Les voies ferrΘes traversaient les campagnes paisibles et atteignaient la plupart des villes importantes; elles passaient en pleine rue et les locomotives crachaient fumΘe et bruit excitant la colΦre des citadins. Les chemins de fer transformΦrent considΘrablement les rΘgions o∙ ils furent construits et altΘrΦrent souvent profondΘment la vie des gens ordinaires en leur offrant la possibilitΘ de voyager relativement vite. En effet, les dΘplacements en train Θtaient rapides et peu co√teux. En allant jusque dans les cantons reculΘs, o∙ le droit de passage se vendait α prix modique, le rail desservait une population bien plus importante que les bateaux α vapeur. MalgrΘ un dΘbut peu brillant marquΘ de nombreux dΘraillements et d'autres accidents, le train gagna rapidement beaucoup de popularitΘ. Ceux qui pouvaient se l'offrir prisaient le confort des couchettes et des wagons-restaurants; en deuxiΦme classe, les siΦges Θtaient rembourrΘs alors qu'en troisiΦme classe les banquettes Θtaient en bois.
Le chemin de fer mena en peu de temps α la crΘation d'un nouveau secteur de la classe ouvriΦre. La construction des lignes Θtait assurΘe par de grosses Θquipes de travailleurs, o∙ l'on retrouvait des immigrants, plus mobiles que les citoyens dΘjα Θtablis. Une fois les assises construites, les rails posΘs, les ponts construits, il fallait voir α l'entretien de la voie: souvent, il fallut amΘliorer les assises et l'on dut rΘduire la dΘclivitΘ sur de grands tronτons de nombreuses lignes. On avait besoin de conducteurs et de personnel d'entretien. La demande en locomotives et autre matΘriel Θlargit le marchΘ et encouragea l'expansion des fonderies α MontrΘal, ainsi que des autres ateliers de mΘtal. De nouvelles usines ouvrirent leurs portes α Kingston, Toronto, Hamilton et London. Les sociΘtΘs ferroviaires, et surtout le Grand Tronc et la Great Western, construisirent des ateliers, immenses pour l'Θpoque, dans leurs cours de triage de MontrΘal et d'Hamilton. En 1860, les compagnies de chemin de fer canadiennes employaient 6,600 hommes; de nombreux autres ouvriers travaillaient dans les usines Θtablies dans diverses villes α produire l'Θquipement dont on avait besoin.
Il faut bien admettre que les chemins de fer ne constituent qu'une chapitre de l'histoire de la rΘvolution des transports, mais il ne faut pas pour autant sous-estimer leur r⌠le. Les chemins de fer furent un important facteur d'Θvolution rapide de l'activitΘ socio-Θconomique du pays. Le rail Θtait vouΘ α l'expansion. En 1860, le rΘseau ferroviaire de l'Ontario et du QuΘbec se limitait α la vallΘe du Saint-Laurent et aux Grands Lacs, la rΘgion la plus peuplΘe, mais les promoteurs prΘvoyaient dΘjα la construction de lignes dans la vallΘe de l'Outaouais et, vers l'est, jusqu'α QuΘbec et jusqu'aux Maritimes. L'idΘe de construire une ligne qui traverserait le continent d'est en ouest persistait. Ailleurs en AmΘrique du Nord britannique et notamment dans les Maritimes, o∙ un programme de dΘveloppement ferroviaire distinct et trΦs ambitieux avait ΘtΘ entrepris au cours des annΘes 1850, plusieurs plans prΘvoyaient la liaison des villes et l'ouverture de nouvelles rΘgions. Beaucoup de ces projets prirent des dΘcennies α se rΘaliser mais, grΓce α l'aide importante des gouvernements fΘdΘral, provincial et municipal, α laquelle vinrent s'ajouter d'Θnormes capitaux Θtrangers, on construisit de nombreuses lignes importantes. └ vrai dire, la caractΘristique prΘdominante de l'Θpoque des chemins de fer, fut la participation du gouvernement aux divers projets de construction, la plupart d'entre eux Θtant d'une utilitΘ douteuse. On trouve α la source des grandes fortunes d'un groupe de plus en plus dΘterminΘ d'entrepreneurs une aptitude de plus en plus marquΘe α manipuler la structure financiΦre des sociΘtΘs ferroviaires et α influencer tous les paliers de gouvernement. La vallΘe du Saint-Laurent et la rΘgion des Grands Lacs Θtaient entrΘs dans l'Φre des chemins de fer; pourtant, elles dΘpendaient encore, dans une large mesure, des transports par eau qui, grΓce α l'essor de la canalisation, α la meilleure navigabilitΘ des cours d'eau, et α d'importantes innovations technologiques comme l'hΘlice, le chargeur α grain et les coques d'acier, continuΦrent α prendre de l'expansion au cours de cette pΘriode qui, si elle fut transitoire, eut des effets α longue portΘe.