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Text File  |  1996-06-21  |  28KB  |  72 lines

  1. WINNIPEG : L'ESSOR D'UNE VILLE (1874-1914)
  2.  
  3. Alan F.J. Artibise 
  4.  
  5. Origines et constitution 
  6.  
  7.      Les dÄbuts peu prometteurs de Winnipeg ne laissaient rien prÄsager de l'expansion remarquable que la ville devait connaötre au cours des annÄes qui suivent son accession ê l'Ätat de citÄ en 1874. DÅs 1812, pionniers et commerìants de fourrures occupÅrent la rÄgion ê la confluence des riviÅres Rouge et Assiniboine. Ce ne sera cependant pas avant 1862 que la ville commencera ê prendre forme, lorsque Henry McKenny construit un magasin gÄnÄral ê l'endroit actuel de l'intersection des rues Portage et Main. Quatre annÄes plus tard, on donnait le nom de Winnipeg (nom cree donnÄ au lac situÄ ê quarante milles au nord: "win" qui signifie boueux et "nippee" eau) au secteur McKenny.
  8.  
  9.      La publicitÄ amenÄe par le soulÅvement de Riel, et l'entrÄe du Manitoba dans la ConfÄdÄration canadienne en 1870 donnÅrent ê la petite ville son premier Älan. La population, qui Ätait de cent personnes en dÄcembre 1870, grimpa ê 215 en 1871, 1,467 en 1872, 3,700 en 1874. ╦ cette Äpoque, le phÄnomÅne le plus courant Ätait la fusion de commerìants indÄpendants et de nouveaux venus; ces derniers venaient, pour la plupart, d'Ontario et de Grande-Bretagne.
  10.  
  11.      Nourrissant la noble ambition de devenir rapidement le "Chicago du Canada", sans autres antÄcÄdents que l'essor rapide des deux derniÅres annÄes, les WinnipÄgois voulaient adopter le nom de "ville", terme qui, mÉme s'il ne correspondait pas ê la rÄalitÄ, serait plus respectÄ ê l'Est, croyaient-ils fermement. Par consÄquent, les rÄsidants demandÅrent au gouvernement provincial le statut de ville et, aprÅs plusieurs dÄlais, ils recevaient la sanction lÄgislative en novembre 1873. Des Älections municipales se sont tenues, et le conseil municipal de Winnipeg se rÄunissait pour la premiÅre fois le 19 janvier 1874.
  12.  
  13.  
  14. Dirigeants du monde des affaires 
  15.  
  16.      Pendant que la nouvelle ville de Winnipeg poursuit son Älan dans les annÄes qui suivent, il rÅgne chez les chefs de file responsables de cet essor un optimisme inÄbranlable qui devait Étre important pour l'avenir de la ville. Les WinnipÄgois, qu'ils soient originaires de l'Ontario ou de l'Angleterre, marchands prospÅres ou journaliers, jeunes ou vieux, deviennent rapidement d'avides catalyseurs pour la ville. Ils sont Ägocentriques, dynamiques et dÄterminÄs ê protÄger l'hÄgÄmonie de leur ville contre quiconque semblerait vouloir la contester. Ils ont la ferme conviction d'avoir mis le cap sur l'infini. Ainsi bien, Winnipeg nourrit des ambitions impÄrialistes. Plus que d'Étre simplement une autre colonie prometteuse de l'Ouest, Winnipeg Ätait appelÄe ê Étre la mÄtropole et le principal porte-parole de la rÄgion, destinÄe ê jamais ê jouer un rÖle primordial et incontestÄ. La croissance rapide des principaux grossistes et sociÄtÄs immobiliÅres, par exemple, avait donnÄ ê de nombreux WinnipÄgois une perspective rÄgionale -- parfois mÉme nationale -- qui transcendait souvent les intÄrÉts locaux et provinciaux. Winnipeg allait devenir le centre des prairies et un avant-poste de l'Ontario par son commerce et sa mentalitÄ.
  17.  
  18.      Les hommes d'affaires de Winnipeg pour qui le progrÅs se calculait en termes matÄriels tendirent leurs efforts vers un seul  objectif : la croissance rapide et continue. L'aspect le plus remarquable de Winnipeg ê cette Äpoque est l'encouragement systÄmatique, organisÄ et co₧teux que l'entreprise Äconomique reìoit des groupes publics et privÄs. Les hommes d'affaires et organismes, comme la Chambre de commerce, rÄussissaient toujours ê convaincre la municipalitÄ d'amÄliorer et d'Älargir le milieu des affaires de Winnipeg ê mÉme les fonds publics et aux dÄpens des citoyens. En fait, l'opinion commune aux hommes d'affaires winnipÄgois Ätait que l'expansion de l'entreprise Äconomique devait Étre le souci premier de l'administration municipale.
  19.  
  20.      En raison de l'importance des dÄcisions que devait prendre le conseil municipal, les hommes d'affaires jouÅrent un rÖle actif en politique municipale tant pour protÄger que pour appuyer leurs intÄrÉts. Les marchands, les hommes d'affaires, les agents immobiliers, les financiers, les entrepreneurs et les manufacturiers de la ville, bref, la classe commerciale de Winnipeg, occupÅrent chaque poste Älectif durant toute la pÄriode. Dans nombreuses autres villes d'AmÄrique du Nord, les hommes d'affaires se sont emparÄs du pouvoir municipal, en Äcartant une vieille Älite sociale bien Ätablie. Quant ê eux, les entrepreneurs winnipÄgois n'ont eu ê dÄloger qui que ce soit. Winnipeg a ÄtÄ crÄÄ par des hommes d'affaires, ê des fins Äconomiques et commerciales, et ceux-ci ont ÄtÄ naturellement les premiers dirigeants.
  21.  
  22.      Si on considÅre les hommes qui ont occupÄ des postes au conseil municipal de Winnipeg, on constate non seulement qu'ils appartenaient aux mÉmes institutions commerciales (par exemple, la Chambre de commerce) mais qu'ils faisaient partie des mÉmes associations et clubs sociaux, culturels et athlÄtiques. Ils se retrouvent dans les salons du Manitoba Club ou du Carleton Club, aux rÄunions de la Historical and Scientific Society du Manitoba, dans les activitÄs de la Winnipeg and Dramatic Society, du Winnipeg Rowing Club, ou du St. Charles Country Club et dans de nombreuses associations de curling.
  23.  
  24.      La vie sociale des nantis de Winnipeg comprenait de nombreuses autres activitÄs. ╦ en juger par les rubriques de Town Topics, espÅce de carnet mondain de Winnipeg, il y avait des piÅces de thÄëtre et des concerts offerts par des troupes d'amateurs et de professionnels, de paisibles parties de cartes, des bals officiels, des thÄs, des mariages et des dÄjeuners. On voyageait souvent en Californie, en Floride, en Europe et dans l'Est du Canada. Plusieurs membres de l'Älite passaient leurs vacances dans des "centres de villÄgiature" comme les plages Grand et Victoria sur la rive sud du lac Winnipeg, le lac Minabi "situÄ sur un promontoire d'argile verte dominant la riviÅre Winnipeg", et le lac des Bois. Le fait que ces centres soient restÄs le privilÅge des nantis pendant toute la pÄriode est rÄvÄlateur. Les familles de travailleurs, qui pouvaient faire des balades le dimanche seulement, Ätaient retenues ê la ville en vertu d'un article de la Loi sur le jour du Seigneur qui interdisait le fonctionnement des trains spÄciaux le dimanche. Bref, les dirigeants de la communautÄ Äconomique de Winnipeg se mÉlaient trÅs peu ê la classe ouvriÅre.
  25.  
  26. Principe d'expansion ê l'oeuvre 
  27.  
  28.      Deux facteurs rÄduisaient les possibilitÄs de Winnipeg de se dÄvelopper. Tout d'abord, la distance considÄrable la sÄparant du centre du Canada, l'isolait du monde commercial; deuxiÅmement, l'absence de source d'Änergie ê bon marchÄ mettait obstacle au dÄveloppement de l'industrie manufacturiÅre. Quoiqu'on fasse, l'inaccessibilitÄ des marchÄs de l'Est du Canada et de l'Ätranger demeurait le grand problÅme tout comme la difficultÄ d'inciter le colon ê venir s'Ätablir dans l'Ouest canadien. Si Winnipeg dÄsirait mettre en valeur ses prairies comme moyen d'assurer son dÄveloppement, elle devait devenir partie intÄgrante du rÄseau urbain qui ne faisait alors que commencer dans le reste du Canada. La besogne des principaux hommes d'affaires winnipÄgois Ätait de se montrer ê la mesure d'une mÄtropole dynamique. Comme tout homme d'affaires, les dirigeants de Winnipeg guidÅrent les ambitions municipales d'aprÅs leur propre philosophie de l'Ävolution -- se reliant ainsi au monde important des affaires. Dans les dÄcennies qui suivent 1874, une Ätroite liaison s'est maintenue entre les aspirations des hommes d'affaires et la politique municipale. Dans le mÉme temps, Winnipeg Ätait en voie de devenir la principale mÄtropole de l'Ouest canadien. La prÄoccupation premiÅre des dirigeants de la ville sera de se prÄparer pour le chemin de fer, produire de l'Änergie, et attirer les colons et les industriels.
  29.  
  30.      La premiÅre chance de l'Älite est survenu lors du choix de la route du Canadien Pacifique. Le Manitoba Free Press abordait la chose sur un ton brutal : "Le pays a surtout besoin de pionniers et de chemins de fer, et il faut des chemins de fer pour que viennent les pionniers". Le choix de la route allait Ägalement influencer l'orientation de la colonisation et intensifier la spÄculation fonciÅre. Les terres o¥ le chemin de fer devait passer auraient Ävidement plus de valeur que celles situÄes plus loin. NÄanmoins, en 1870, une chose Ätait certaine : le chemin de fer traversera la province nouvellement formÄe. Mais la question Ätait de savoir ê quel endroit.
  31.  
  32.      Le gouvernement fÄdÄral choisit d'abord une route au sud du lac Manitoba et le projet attira des pionniers ê Winnipeg et la rÄgion. Le scandale du Canadien Pacifique en 1873 et la chute du gouvernement Macdonald entraönÅrent des retards et causÅrent de l'incertitude. En 1874, on annonìait que le chemin de fer traverserait la riviÅre Rouge au nord de Winnipeg et passerait par le nord-ouest entre les lacs Winnipeg et Manitoba en direction d'Edmonton. La poussÄe principale de la colonisation Äviterait alors Winnipeg. Les dirigeants de la ville, forts de l'appui vigoureux de la Chambre de commerce, contestÅrent d'abord cette dÄcision. Cependant, lorsque le premier ministre Mackenzie opposa un refus catÄgorique ê toutes les tentatives de rÄforme des dirigeants de Winnipeg, ces derniers essayÅrent de tirer le meilleur parti d'une situation fëcheuse en cherchant ê s'assurer que Winnipeg serait au moins reliÄe directement ê la ligne principale et qu'il y aurait Ägalement une ligne de chemin de fer de "colonisation" vers le sud-ouest. La dÄfaite de Mackenzie et des LibÄraux en 1878 fit renaötre l'ancien projet de la route situÄe au sud et aprÅs des nÄgociations poussÄes, il fut enfin acquis que le chemin de fer passerait par Winnipeg. Des conditions financiÅres avantageuses et le dÄsir de la Compagnie de la Baie d'Hudson de faire de gros profits avec ses terrains prÅs du centre ville (le vieux Fort Garry) ont probablement influencÄ grandement cette dÄcision.
  33.  
  34.      Cette dÄcision semble assurer ê la ville de Winnipeg qu'elle deviendra le centre de l'activitÄ commerciale du Nord-Ouest. Si la croissance de l'Äconomie et de la population Ätait l'objectif premier, alors "l'exemption permanente d'impÖt" accordÄe sur tous les biens du Canadien Pacifique, le don d'un terrain pour une gare de voyageurs, $200,000 comptant de mÉme que la construction, par la ville, d'un pont de $300,000 enjambant la riviÅre Rouge, Ätaient justifiÄs. L'essor Äconomique que connut Winnipeg renforìa la conviction que les chemins de fer Ätaient la clÄ d'une croissance rapide et soutenue. Par la suite, le conseil municipal s'efforìa par tous les moyens de stimuler l'expansion ferroviaire sans toutefois voir ê contrÖler un tel dÄveloppement. Cette attitude aura ê long terme d'importantes consÄquences sociales.
  35.  
  36.      De nombreux problÅmes surgirent, entre 1882 et 1914, par suite de l'expansion rapide des lignes de chemin de fer. Les voies ferrÄes du Canadien Pacifique, de la Canadian Northern Railway, du Grand Trunk Pacific Railway, de la Midland Railway crÄent un vÄritable cauchemar dans les rues de la ville. Les passages ê niveau accentuent la division de la ville dÄjê partagÄe par la riviÅre Rouge et la riviÅre Assiniboine.
  37.  
  38.      En gÄnÄral, on peut dire que les hommes d'affaires de la communautÄ ont fait des sacrifices, de faìon inconsidÄrÄe, pour attirer les chemins de fer. Winnipeg tenait le haut du pavÄ et aurait pu rÄglementer l'entrÄe des chemins de fer mais il n'en fut rien. Les gÄnÄrations futures allaient Étre confrontÄes ê de sÄrieux problÅmes.
  39.  
  40.      Le chemin de fer n'Ätait qu'une nÄcessitÄ parmi d'autres car il Ätait aussi important de se procurer de l'Änergie ê bon marchÄ. Vers 1880, les hommes d'affaires Ätaient convaincus que la croissance future de Winnipeg dÄpendait d'une source d'Änergie peu co₧teuse. ╦ cette Äpoque, la ville s'alimentait en ÄlectricitÄ grëce ê des usines thermiques, ce qui entraönait des co₧ts ÄlevÄs de production d'ÄlectricitÄ pour la simple raison que Winnipeg s'approvisionnait en combustible des bassins houillers de la Pennsylvanie. On Ätudia divers projets, mais durant ce temps, les capitalistes prÄfÄrÅrent Äriger leurs usines dans la rÄgion du Saint-Laurent et payer les frais de transport vers l'Ouest. Toutefois, les manufacturiers soulignÅrent que, exception faite de l'Änergie ê bon marchÄ, toutes les conditions leur Ätaient favorables; en effet, la main-d'oeuvre ê Winnipeg Ätait rÄguliÅre et assez abondante, et la ville possÄdait de riches terres de culture.
  41.  
  42.      Finalement, la ville fit appel ê des spÄcialistes pour Ätablir le co₧t de construction d'une usine qui alimenterait la ville en Änergie. Cependant, les recherches progressaient lentement. Pendant un certain temps, on crut que la question de l'ÄlectricitÄ serait rÄglÄe par l'entreprise privÄe lorsque la Winnipeg Electric Company Ätablit une usine prÅs de la riviÅre Winnipeg. Toutefois, on constata vite que la situation n'en serait pas amÄliorÄe pour autant puisque le co₧t de l'ÄlectricitÄ Ätait presque toujours aussi ÄlevÄ. C'est alors que la ville s'attaqua sÄrieusement ê la question. En 1906, les Älecteurs approuvaient une dÄpense de plus de trois millions de dollars pour la construction d'une usine ê Pointe du Bois. L'usine est complÄtÄe en 1911 et les co₧ts d'ÄlectricitÄ connaissent alors une baisse importante. Le monde des affaires semblait avoir enfin rejetÄ l'aspect privÄ de son activitÄ et acceptÄ le principe du socialisme municipal comme instrument utile ê l'essor d'une ville. La dÄmocratie municipale de Winnipeg Ätait ê son apogÄe et, par consÄquent, Winnipeg devait produire de l'Änergie ê des taux qui furent pendant longtemps les plus bas du continent.
  43.  
  44.      ╦ prime abord, l'histoire de la production hydro-Älectrique de Winnipeg semble marquer une victoire quant ê la participation de la collectivitÄ et une dÄfaite pour l'entreprise privÄe. Si on regarde le projet de plus prÅs, cette victoire n'est pas aussi fantastique qu'on peut le croire. Loin de s'appuyer sur les avantages de la propriÄtÄ municipale, un retour au projet de municipalisation ne s'est fait qu'aprÅs avoir ÄpuisÄ toutes les autres mÄthodes d'approche. AprÅs coup seulement, les dirigeants municipaux et les principaux hommes d'affaires se rendirent compte que les erreurs commises antÄrieurement leur avaient permis de crÄer un puissant monopole qui menaìait de garder pour lui tous les profits advenant le cas o¥ ils opteraient pour une participation communautaire. Le succÅs inquiÄtant de l'entreprise privÄe entraöna donc une prise de dÄcision en faveur de la propriÄtÄ municipale. Les hommes d'affaires ne pouvaient espÄrer faire face ê la puissance de la Winnipeg Electric Railway Company et la contrer qu'avec le pouvoir et l'appui financier de la ville. Une chose est certaine, le socialisme municipal ne se serait jamais implantÄ si les dirigeants municipaux, lors de leurs nÄgociations prÄcÄdentes avec la compagnie, avaient ÄtÄ plus perspicaces.
  45.  
  46.      Une autre dimension du principe de l'expansion ê l'oeuvre a trait aux programmes Ätablis par les principaux reprÄsentants du monde des affaires pour attirer des immigrants et des industries ê Winnipeg. Il s'agissait avant tout d'accroötre la population et par consÄquent, les dirigeants de Winnipeg mirent sur pied une vaste campagne publicitaire. Divers programmes Ätaient mis de l'avant dont la publication de guides sur Winnipeg et l'Ouest, l'embauchage d'agents d'immigration rÄmunÄrÄs, de visites organisÄes ê l'intention des journalistes, la publicitÄ dans les journaux europÄens, britanniques et amÄricains et une participation directe ê la Western Canadian lmmigration Association (l'Association des immigrants de l'Ouest). Ces programmes sont tous trÅs co₧teux et de plus sont financÄs ê mÉme les fonds publics. Que ce soit ou non cette publicitÄ ou d'autres facteurs qui aient attirÄ les immigrants ê Winnipeg, on ne peut nier le fait qu'ils y vinrent en trÅs grand nombre. En outre, de 1901 ê 1911, plus d'un million d'immigrants affluÅrent de tous les pays d'Europe et des âtats- Unis. Presque tous passÅrent par Winnipeg et plus de 100,000 s'y installÅrent.
  47.  
  48.      Il reste qu'on ne peut mesurer l'importance des diverses campagnes en vue d'attirer les immigrants seulement ê partir du nombre d'arrivants qu'on incita ê venir ê Winnipeg et dans l'Ouest canadien. L'importance des programmes de publicitÄ rÄside plutÖt dans ce qu'ils rÄvÅlent sur la sociÄtÄ ê cette Äpoque. L'utilisation des deniers publics pour des programmes destinÄs essentiellement ê remplir les goussets des spÄculateurs et des hommes d'affaires renseigne bien sur le partage du pouvoir. Ainsi la plupart des membres de la Western Canadian Immigration Association Ätaient eux-mÉmes d'importants propriÄtaires terriens qui firent des profits considÄrables par suite des efforts fournis par la ville. Cela ne signifie pas que la corruption soit pratique courante; la relation entre la fortune des dÄtenteurs privÄs et le gouvernement municipal Ätait considÄrÄe comme chose normale. Mais si l'on envisage ces dÄpenses de fonds publics par rapport ê la condition sociale de l'ensemble de la population de Winnipeg ê cette Äpoque, une ombre se dessine. Des programmes destinÄs ê encourager l'accroissement de la population sont mis de l'avant au moment mÉme o¥ Winnipeg connaöt une pÄnurie de logements, une insuffisance du nombre de maisons d'enseignement et de centres de loisirs et de plus, les services d'alimentation en eau potable et d'Älimination des eaux-vannes sont inadÄquats. De cette situation paradoxale, il ne peut en rÄsulter qu'une acuitÄ de problÅmes.
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  50. La communautÄ urbaine 
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  52.      Pendant que les principaux hommes d'affaires s'efforìaient de faire de Winnipeg une grande ville, celle-ci se dÄlimitait en zones de travail et en quartiers distincts. Le regroupement des activitÄs Äconomiques, la sÄgrÄgation des groupes Äconomiques et ethniques, la distribution inÄgale des services municipaux et les diffÄrents types de construction rÄsidentielle contribuaient ê crÄer une large variÄtÄ de quartiers individualisÄs et uniques au sein de Winnipeg. En effet, l'existence de quartiers distincts, par exemple le quartier des affaires, le "secteur des Ätrangers", les "banlieues boisÄes" faisait de Winnipeg une grande ville bien diffÄrente du temps o¥ ce n'Ätait qu'une petite agglomÄration presque rurale avant l'Äpoque des chemins de fer, soit entre 1874 et 1884.
  53.  
  54.      AprÅs 1885, le rythme de croissance de Winnipeg fut tel que peu de villes au Canada, sinon aucune n'avait encore connu un tel dynamisme. Winnipeg qui n'Ätait qu'un petit poste de traite de fourrures Ätait devenu en quarante ans seulement une mÄtropole importante et cent fois plus peuplÄe. L'expansion est Ägalement trÅs importante. En 1874, lors de la constitution de la ville, celle-ci avait une superficie de 3.1 milles carrÄs, mais, en fait, seulement une partie Ätait amÄnagÄe. Quarante ans plus tard, la ville s'Ätendait sur 23.6 milles carrÄs et presque toute cette superficie Ätait rÄservÄe ê des fins rÄsidentielles ou commerciales. De plus en plus, la population et les industries de Winnipeg gagnaient les autres municipalitÄs de la rÄgion.
  55.  
  56.      L'essor rapide de Winnipeg amÅne de nombreux changements importants. En peu de temps, les piÄtons et les chevaux cÄdaient la place aux bicyclettes, aux tramways et mÉme ê quelques automobiles. En 1914, le vieux quartier rÄsidentiel de 1874 Ätait devenu la principale zone de travail, soit le centre industriel, commercial, financier et des communications de l'Ouest canadien. ParallÅlement, les vieilles maisons du centre ville qui n'avaient pas encore ÄtÄ dÄtruites pour faire place ê l'expansion industrielle devenaient le lieu de rÄsidence des gens ê faible revenu qui forment prÅs de la moitiÄ de la population. Trois quartiers distincts font leur apparition non loin du centre de la ville. Les plus nantis de la population, surtout des Anglo-Saxons, rÄsidaient dans le secteur sud de la ville. L'ouest Ätait pour sa part habitÄ par la classe moyenne composÄe de divers groupes ethniques. Enfin, la classe ouvriÅre et le "ghetto Ätranger" se partagaient le secteur nord.
  57.  
  58.      ╦ cette Äpoque, surgissent de nombreux problÅmes inhÄrents ê la vie urbaine et qui nous sont familiers : le retrait soudain de parties entiÅres de la population habitant de vieux quartiers, le dÄclin rapide que connaissent certains quartiers de la ville, l'extension de la mÄtropole au-delê de ses limites politiques et enfin, surtout l'effort d'auto-discipline des rÄsidants de Winnipeg travaillant ê des emplois spÄcialisÄs, habitant des quartiers distincts et ayant entre eux des rapports particuliers.
  59.  
  60.      L'existence de tels modes de croissance a eu d'importantes rÄpercussions sur Winnipeg. ╦ court terme, la sÄgrÄgation rÄsidentielle basÄe sur le niveau du revenu et l'appartenance ethnique a tenu ÄloignÄs les uns des autres les groupes opposÄs. La classe supÄrieure du secteur sud de la ville ainsi que la classe moyenne et la classe ouvriÅre en pleine prospÄritÄ du secteur ouest et du centre de la ville Ätaient sÄparÄes de la classe infÄrieure et des Ätrangers qui habitaient alors le secteur nord. En gÄnÄral, chaque quartier Ätait homogÅne, ce qui donnait ê ses habitants un secteur d'appartenance communautaire. Cependant, les consÄquences sociales ê long terme d'une telle rÄpartition Ätaient Ävidentes. De nombreux WinnipÄgois n'ont jamais habitÄ un quartier hÄtÄrogÅne et par le fait mÉme, n'ont pas eu l'occasion de faire preuve de tolÄrance, qualitÄ qui est essentielle ê ces regroupements. Ainsi, de nombreux citoyens n'ont pas eu ê faire face ê d'autres gens ayant des objectifs et des valeurs complÅtement diffÄrents. Des ÄvÄnements comme la grÅve gÄnÄrale de Winnipeg en 1919, ont mis en relief un trait particulier et commun des habitants de cette  ville : l'absence de volontÄ de comprendre le point de vue des autres. D'aprÅs ce seul exemple, il apparaöt Ävident que les dÄcisions prises par les dirigeants municipaux, les hommes d'affaires et les constructeurs domiciliaires de l'Äpoque ont eu un effet considÄrable sur les ÄvÄnements ultÄrieurs. Bon nombre d'idÄes, de valeurs et modes de rÄpartition des habitations qui prirent naissance ê Winnipeg entre les annÄes 1874 et 1914 existent encore.
  61.  
  62.      L'effondrement du marchÄ immobilier en 1913 et la dÄclaration de la guerre en 1914 eurent des rÄpercussions profondes sur Winnipeg. AprÅs une longue pÄriode de croissance soutenue et prodigieuse, l'immigration cessa, la vente de terrains diminua et l'activitÄ commerciale connut une rÄgression. Winnipeg entrait ainsi dans une nouvelle pÄriode au cours de laquelle elle allait devoir faire face aux principales consÄquences de son essor, aux questions non rÄsolues des relations entre les groupes ethniques et entre les classes sociales et la fin prochaine de la Grande Guerre. Pourtant, ces troubles ne ralentissent pas la marche du progrÅs matÄriel de Winnipeg; en termes de population et de production, elle avait, en 1914, une bonne avance sur les autres villes du Canada. Ces ÄvÄnements n'assombrissent pas non plus le caractÅre unique de Winnipeg. En ce qui concerne l'amÄnagement paysager, la structure Äconomique, le type de communautÄ et de gouvernement, les aspirations des principaux hommes d'affaires avaient atteint leur point culminant.
  63.  
  64.      ComparÄe ê la ville de 1881, aux prises avec de graves problÅmes avant l'arrivÄe des chemins de fer, ou ê la ville de 1896, compacte et homogÅne quant ê sa composition ethnique, Winnipeg est, en 1914, une mÄtropole bien Ätablie, tentaculaire et hÄtÄrogÅne. Winnipeg avait quarante ans d'existence en tant que ville constituÄe, ce qui est suffisant pour dÄterminer dans quelle mesure les dirigeants de la communautÄ Äconomique ont rÄussi ê concilier leur dÄsir de faire de Winnipeg une grande ville, avec l'aspect le plus important de l'existence d'une vraie vie communautaire pour la grande majoritÄ des citoyens.
  65.  
  66.      Le dÄsir de ces dirigeants de faire de Winnipeg la mÄtropole de l'Ouest est dÄjê, en 1914, plus que satisfait. Winnipeg est devenue la troisiÅme ville en importance du Canada. Pour ce qui est de la production industrielle, elle occupe la quatriÅme place, prÄcÄdÄe seulement de MontrÄal, Toronto et Hamilton. En 1911, Winnipeg rÄpond pour la moitiÄ de la production manufacturiÅre des Prairies et est reconnue comme le centre rÄgional le plus important dans les domaines des affaires bancaires, de l'emploi et du transport. L'aspect le plus marquant -- partant le plus avantageux pour les hommes d'affaires de la ville -- est que Winnipeg soit devenu le plus important centre de cÄrÄales du continent nord-amÄricain.
  67.  
  68.      MalgrÄ l'immense succÅs que connaissaient les programmes Äconomiques des hommes d'affaires, il existait ê Winnipeg des lacunes Ävidentes. En politique, la ville Ätait dirigÄe par un groupe d'hommes d'affaires prospÅres qui, grëce au droit de suffrage restreint, au vote plural et ê un gouvernement centralisÄ, excluaient de la politique les syndicats et les divers groupes ethniques de Winnipeg. Ainsi, ces hommes d'affaires entendaient faire prÄvaloir leur conception d'une politique gouvernementale acceptable. Quoique certains dirigeants municipaux Ätaient impressionnÄs par les projets d'une communautÄ efficace, ordonnÄe et attrayante, la grande majoritÄ des principaux hommes d'affaires se consacraient ê l'expansion et n'Ätaient pas prÉts ê accepter des restrictions qui toucheraient l'entreprise privÄe. Winnipeg se divisa bientÖt en quartiers distincts. Chaque quartier avait ses propres groupes paroissiaux, ses clubs et ses sociÄtÄs de tous genres, mais la ville n'avait pas d'agence pour s'occuper des problÅmes de l'ensemble de la mÄtropole. MÉme la municipalitÄ, qui Ätait alors dominÄe par un petit groupe d'hommes d'affaires, ne pouvait concevoir le milieu urbain comme Ätant le propre de tous les citoyens et touchant le mode de vie de chacun.
  69.  
  70.      En derniÅre analyse, c'est l'indomptable besoin d'expansion qui constitue la raison premiÅre de l'Ächec de Winnipeg ê englober tous les aspects de la vie communautaire au cours des quarante premiÅres annÄes de son existence. L'expansion Äconomique Ätant la prioritÄ indiscutable, il restait peu de ressources publiques pour assurer ê tous les citoyens un niveau de vie satisfaisant. En 1914, les dÄfavorisÄs de Winnipeg n'avaient pas d'emplois stables et bien rÄmunÄrÄs, de logements adÄquats, ni de soins mÄdicaux convenables. Ils Ätaient tous confinÄs dans un tiers de la ville, o¥ la force constabulaire offrait une protection mÄdiocre et les enfants ne pouvaient frÄquenter de bonnes Äcoles ni avoir des loisirs convenables. La majoritÄ des WinnipÄgois, qu'ils soient de la classe ouvriÅre ou de la classe moyenne, habitaient gÄnÄralement des logements acceptables, mais laids la plupart du temps et Ätaient tous subjuguÄs par les conditions de travail et les contraintes de l'environnement urbain. MalgrÄ la protection des syndicats pour certains et la richesse pour d'autres, l'ensemble des WinnipÄgois n'avaient pas de moyens de donner un caractÅre plus humain ê leur existence. Le taux de mortalitÄ trÅs ÄlevÄ, particuliÅrement chez les enfants, et les grÅves de plus en plus frÄquentes aprÅs 1900 rÄvÅlent de faìon Ävidente que prÖner quelque chose de "plus grand et de meilleur" n'est pas la meilleure faìon d'Ätablir une communautÄ dynamique.  
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