LE TRANSPORT MARITIME ET LA CONSTRUCTION NAVALE DANS LES PROVINCES MARITIMES AU XIXe SIΘCLE
Charles Armour et D. A. Muise
Les habitants des Maritimes, vivant au voisinage de l'ocÄan et ê proximitÄ des ressources matÄrielles exploitables, sont depuis longtemps gens de mer selon une tradition ê laquelle ils restent fortement attachÄs.
En fait, ce qui a attirÄ un bon nombre des premiers colons europÄens dans la rÄgion, ce sont les mÄtiers reliÄs ê la mer, soit la pÉche dans les eaux cÖtiÅres, soit l'exploitation pour l'exportation des vastes forÉts de la rÄgion. Les deux genres d'activitÄ ont inÄvitablement entraönÄ l'essor de la construction navale et du transport maritime, d'abord simples complÄments des industries principales, mais qui ont constituÄ par la suite une industrie capable, au moins en partie, d'assurer sa propre croissance.
Dans le monde du XIXe siÅcle, toutes les constructions Ätaient en bois. Les EuropÄens traversaient l'Atlantique sur des voiliers de bois. Pour eux, la mer reprÄsentait souvent une Äpreuve, une barriÅre ê franchir. Plus tard, elle devait devenir moins une barriÅre qu'un nouveau territoire ê explorer, riche en ressources naturelles qui devait assurer aux gens des Maritimes un certain progrÅs matÄriel. Avant la construction des vapeurs et des coques de navire en acier, le voilier de bois Ätait le roi des ocÄans.
Les qualitÄs que les habitants des Maritimes ont dÄmontrÄes pour s'adapter ê la vie en mer dans leur zone limitÄe d'influence ont confÄrÄ ê l'╟ëge du bois, du vent et de la voile╚ des proportions quasi Äpiques et ont fait une Äpoque fÄconde en rÄcits de grand courage et de hauts faits entourÄe d'une gloire qui ne devait pas survivre ê l'influence dÄvastatrice du progrÅs.
I. Des facteurs qui ont contribuÄ ê l'Ätablissement de l'industrie de la construction navale dans les Maritimes
L'industrie navale des provinces Maritimes doit sa naissance et son essor ê des forces extÄrieures. Il ne faut pas nÄgliger le rÖle jouÄ par l'emplacement de ces provinces et par la convergence de ressources naturelles qui s'y trouvent. Cependant, ce sont des facteurs extÄrieurs qui stimulaient souvent cette croissance, c'est-ê-dire les guerres qui sÄvissaient de temps ê autre en Europe et en AmÄrique ou encore la demande, entretenue artificiellement, de ressources coloniales, comme le bois d'oeuvre. Les pÄriodes qui encourageaient une expansion rapide de la navigation dans les Maritimes furent tour ê tour favorisÄes et contrecarrÄes par ces facteurs extÄrieurs, de la guerre de Sept Ans au milieu du XVIIIe siÅcle ê la guerre de CrimÄe vers 1850 et la guerre de SÄcession aux âtats-Unis pendant les annÄes 1860. Les guerres mettaient des gens et des biens en mouvement, dÄtournaient souvent l'attention des participants et permettaient ainsi ê un Ätranger entreprenant d'exploiter les possibilitÄs offertes. Il n'y a rien de tel pour amÄliorer la situation d'un pays constructeur de navires qu'une guerre sur un territoire qui n'est pas le sien ou qu'un vaste dÄplacement de personnes ou de marchandises, comme la ruÄe vers l'or en Californie et en Australie dans les annÄes 1850.
La premiÅre pÄriode de l'expansion du transport maritime dans les provinces de l'Atlantique, celle qui a lieu avant 1800, eut peu de rapport avec la construction navale. La guerre de Sept Ans (1754-1760) et la guerre de l'IndÄpendance amÄricaine (1774-1783) amenÅrent dans la rÄgion une classe de commerìants. Les membres de cette sociÄtÄ Ätaient souvent des agents au service de grandes entreprises britanniques, ou des entrepreneurs venant des anciennes colonies amÄricaines situÄes plus au sud. La plupart commenìaient d'une faìon ou d'une autre dans le commerce de l'approvisionnement des troupes britanniques ê l'Äpoque o¥ Halifax devint le centre de la puissance maritime britannique en AmÄrique du Nord. Presque tous les navires en activitÄ dans la province avant 1780, et leur nombre Ätait comparativement peu ÄlevÄ, furent construits ailleurs. Les seules exceptions Ätaient les esquifs ou les chaloupes utilisÄs pour le pÉche cÖtiÅre par les pÉcheurs acadiens de l'öle du Cap-Breton, ainsi que les petites embarcations non pontÄes dont se servaient les tout premiers colons. Quelques goÄlettes, dont la taille ne dÄpassait guÅre celle des embarcations non pontÄes utilisÄes dans la pÉche cÖtiÅre, servaient ê transporter le charbon des mines du Cap-Breton, et ê approvisionner la garnison de Halifax. La capacitÄ de ces vaisseaux dÄpassait rarement cinquante tonneaux.
╦ cette Äpoque, le transport maritime Ätait trÅs liÄ ê l'expansion commerciale. Il est essentiel de rappeler ici que l'activitÄ commerciale dÄpendait Ätroitement des liens qui unissaient la rÄgion et l'Empire britannique. La rÄvolution amÄricaine, qui amena l'effondrement du premier Empire britannique, donna ê la rÄgion des Maritimes une excellente occasion de croötre ê l'intÄrieur des limites protÄgÄes de la nouvelle organisation impÄriale. Au dÄbut, cela s'exprimait par des dispositions interdisant aux navires des âtats-Unis de participer au commerce lucratif avec les Antilles. Cet ensemble de lois, connu sous le nom de Navigation Acts accorda la prÄfÄrence aux navires et aux commerìants de l'Empire; aussi les marchands des Maritimes ne tardÅrent-ils pas ê dÄfendre leur droit d'approvisionner les Antilles en marchandises premiÅres telles que le poisson et les douves de tonneau, sans oublier les denrÄes alimentaires. Ce premier dÄveloppement entraöna une accumulation de capital et d'expÄrience qui permettront plus tard aux Maritimes d'investir des sommes importantes dans la construction navale. Les avantages qu'il y avait ê demeurer dans l'Empire Ätaient tels que des commerìants des Maritimes trouvaient souvent profitable de devenir d'ardents impÄrialistes.
Un autre facteur extÄrieur connexe, encore plus important, fut la pÄnurie de bois pour les navires et les bëtiments qui se fit en Grande-Bretagne au tournant de siÅcle. Le guerres napolÄoniennes ayant fermÄ les ports de la Baltique aux marchands de bois anglais, l'AmÄrique du Nord ne tarda pas ê devenir la principale source d'approvisionnement de la Grande-Bretagne. Les Änormes forÉts de l'AmÄrique du Nord britannique furent assaillies par les b₧cherons, et leur bois fut ensuite expÄdiÄ au-delê de l'Atlantique. Plus que tout autre chose, cette exploitation entraöna l'expansion de la construction navale lans les Maritimes, car il fallait des navires d'un plus gros tonnage pour transporter les cargaisons de bois. En mÉme temps cette exploitation attira pour la premiÅre fois l'attention des entrepreneurs britanniques sur les possibilitÄs d'investissement dans les Maritimes.
Une autre ressource importante de Martimes contribua ÄnormÄment au dÄveloppement de la marine marchande. L'abondance de poissons de diverses sortes au large des cÖtes de l'AmÄrique du Nord attirait les EuropÄens depuis le XVIe siÅcle. Les colons qui venait s'Ätablir dans les innombrables baies et ports, en Nouvelle-âcosse surtout, Ätaient souvent dÄjê habituÄs ê gagner leur vie sur la mer. Cela Ätait particuliÅrement vrai pour les gens de la Nouvelle-Angleterre, venus avant et aprÅs la rÄvolution amÄricaine. Pour ces efforts, le colon arrivait ê attraper les poissons sans trop de difficultÄs et ê les vendre sans problÅme; ainsi, mÉme ceux qui n'avaient aucune expÄrience, comme par exemple les colons allemands installÄs ê Lunenburg dans les annÄes 1750, ne tardÅrent pas ê se lancer dans l'industrie de la pÉche. On se retrouva donc avec une population qui devint rapidement habile dans les mÄtiers de la mer. Celle-ci constitue Ägalement une voie de communication facile d'une colonie ê une autre. Du mÄtier de pÉcheur ê celui de marin, il n'y a qu'un pas; nombreux furent les fils des premiers colons qui le franchirent, et avec un minimum de dÄpaysement.
II. L'Ävolution de la construction navale dans les Maritimes
Pendant les premiÅres dÄcennies du XIXe siÅcle les Maritimes bÄnÄficiÅrent d'une incroyable accumulation de capitaux qui Ätait associÄe ê la construction navale et ê l'industrie du bois. Les marchands britanniques qui envoyaient leurs agents en AmÄrique du Nord mirent peu de temps ê se rendre compte que toutes les ressources nÄcessaires ê la construction navale se trouvaient dÄjê sur place et qu'il ne manquait qu'une main-d'oeuvre expÄrimentÄe et des ingÄnieurs spÄcialisÄs dans ce domaine pour rÄaliser toutes les possibilitÄs qui existaient. Bien qu'on föt venir des ouvriers spÄcialisÄs directement de Grande-Bretagne pour surveiller la construction des bëtiments, on ne tarda pas ê intÄgrer la main-d'oeuvre locale dans l'industrie. La complexitÄ de la construction navale nÄcessitait la coordination de plusieurs mÄtiers: depuis les charpentiers en navires jusqu'ê ceux qui faisaient les voiles, en passant par toute la gamme des mÄtallurgistes qui produisaient les ferrures essentielles ê une bonne construction.
Pendant ces premiÅres annÄes les navires Ätaient conìus d'une faìon plutÖt rudimentaire et la qualitÄ d'exÄcution ne fut pas souvent ê la hauteur des normes europÄennes. Dans certains cas, les navires Ätaient ê peine plus que des chalands de haute mer qui souvent Ätaient dÄmolis quand ils arrivaient en Grande-Bretagne avec leur cargaison de bois. Ces bateaux Ätaient difficiles ê manoeuvrer et contribuaient pour une large part ê la rÄputation parfois mauvaise qu'avaient les navires construits dans les colonies pendant le premier tiers du siÅcle. Il ne s'agit lê, cependant, que d'une phase passagÅre et les navires coloniaux commencÅrent ê acquÄrir une rÄputation d'excellence trÅs lÄgitime dans les annÄes 1830 et 1840. Cette pÄriode marqua le vÄritable dÄbut de la construction navale dans les colonies et vit apparaötre d'excellents architectes coloniaux. Le renom international de Donald McKay date de cette Äpoque de pleine croissance. Son expÄrience montra ê quel point l'industrie des Maritimes avait des liens avec celle qui se dÄveloppait le long du littoral nord-ouest de l'Atlantique. Les innovations dans les techniques et dans la conception se succÄdÅrent rapidement pendant le deuxiÅme tiers du siÅcle et les constructeurs des Maritimes firent preuve d'autant d'entreprise que leurs homologues dans d'autres pays ê adapter et ê mettre au point des mÄthodes nouvelles et meilleures dans la construction de navires au long cours.
L'╟ëge d'or╚ de la construction marqua Ägalement l'apogÄe du voilier comme instrument de l'Äconomie des Maritimes. C'est une chose d'utiliser des compÄtences techniques dans l'exploitation d'une ressource naturelle de faìon ê produire une marchandise commercialisable, c'est une autre chose d'exploiter des avantages d'emplacement et de main d'oeuvre de faìon ê tailler pour le produit de ces compÄtences une place dans un marchÄ concurrentiel. Les Maritimes ne tardÅrent pas ê profiter de ces avantages et ê faire de la construction navale une entreprise phÄnomÄnale. En l'espace d'une gÄnÄration, les colonies maritimes, dont la participation ê la navigation mondiale Ätait passablement insignifiante au dÄbut, se hissÅrent au rang des grandes puissances pour le tonnage possÄdÄ. Vers 1850, l'activitÄ rÄunie des trois colonies maritimes leur permit de gagner les rangs des puissances maritimes du monde et d'occuper la quatriÅme place derriÅre la Grande-Bretagne, la France et les âtats-Unis.
Cet essor prodigieux survint parce que les marchands et les investisseurs Ätaient prÉts ê collaborer ê la construction, ê la propriÄtÄ et ê l'exploitation des navires. Un rÄgime complexe d'investissement, aux termes duquel constructeurs et fournisseurs avaient souvent des intÄrÉts dans un vaisseau donnÄ ou dans un groupe de vaisseaux, fit du commerce maritime une Äconomie collective qui influenìa ê peu prÅs tous les aspects de la sociÄtÄ des Maritimes. Cela fut possible parce que les capitaux nÄcessaires pour Ätablir un chantier naval Ätaient plutÖt modestes. En fait, puisque tant de ports avaient leur propre chantier naval, il aurait ÄtÄ difficile de trouver un centre de premiÅre importance. Souvent, l'emplacement d'un chantier dÄpendait de la proximitÄ d'une source de bois appropriÄ ou de la disponibilitÄ d'une main-d'oeuvre convenable; au cours des annÄes, des chantiers navals se dÄplacÅrent souvent d'un port ê l'autre.
Le centre de cette industrie, si l'on tient absolument ê en trouver un, pourrait se situer ê Saint-Jean (N.-B.); les vastes forÉts de la vallÄe de la riviÅre Saint-Jean y garantissaient un approvisionnement constant du bois essentiel ê la construction navale. Les chantiers navals de Saint-Jean Ätaient cÄlÅbres dans le monde entier et, au XIXe siÅcle, produisirent quelques-uns des plus gros et des meilleurs navires grÄes en carrÄ qu'on ait construits ê cette Äpoque dans le monde entier. Le Marco Polo (1,625 tonneaux), construit en 1851, Ätait peut-Étre le plus connu de ces gros bëtiments, mais il y en avait bien d'autres de taille et d'importance Ägales. Ces grands navires exigeaient bien s₧r une mobilisation de capital et de main-d'oeuvre qui allait au-delê des possibilitÄs de la plupart des chantiers navals des Maritimes. Les milliers de goÄlettes, de barques, de brigantins, etc., construits le long de la cÖte nÄcessitaient ÄnormÄment d'habiletÄ et d'esprit d'entreprise, mais Ätaient habituellement le produit de chantiers beaucoup plus petits, caractÄrisÄs par une bonne proportion de sous-traitance pour divers aspects de la construction.
La relation entre construction navale d'une part, et propriÄtÄ et exploitation de navires d'autre part n'est pas aussi Ävidente qu'on pourrait le croire ê premiÅre vue. Souvent, les deux sont trÅs distinctes. La plupart des navires Ätaient probablement faits sur commande par des constructeurs, soit pour des marchands locaux, soit pour des acheteurs Ätrangers. Pour ce qui est de la propriÄtÄ, par contre, elle peut se rÄduire ê l'exploitation d'une simple petite goÄlette pour la pÉche en haute mer, comme elle peut aller jusqu'ê comprendre une flotte de plusieurs navires employant de nombreux marins et voguant sur toutes les mers du monde. Certains navires Ätaient construits pour Étre vendus presque immÄdiatement, tandis que d'autres demeuraient la propriÄtÄ de gens des Maritimes pendant des annÄes et servaient leurs propriÄtaires sans interruption. Ce fut surtout le cas pendant les quelques dÄcennies qui suivirent 1850, Äpoque o¥ le commerce mondial comparativement libre et la montÄe en flÅche des expÄditions internationales de marchandises crÄÅrent une forte demande pour les bons navires marchands. C'est la derniÅre belle Äpoque du voilier, et les habitants des Maritimes Ätaient alors probablement les marins les plus habiles du monde dans le transport des marchandises.
III. La Navigation et les gens des Maritimes
L'union Ätroite qui s'Ätablit ê cette Äpoque entre la population et la politique des Maritimes d'une part, et les activitÄs reliÄes ê l'ocÄan d'autre part, Ätait si Ävidente qu'elle ne suscitait guÅre de commentaires de la part de ceux qui y participaient. Les allÄes et venues d'un grand nombre de navires venant de partout constituaient presque quotidien dans les petits ports comme Yarmouth et Sydney, pour ne pas parler de Halifax ni de Saint-Jean. Il n'Ätait pas rare que des vaisseaux partent de leurs ports d'attache pour une pÄriode de deux ou trois ans pendant laquelle, ils faisaient plusieurs traversÄes de l'Atlantique et, parfois des voyages dans le Pacifique, en transportant bien des cargaisons diffÄrentes. Les jeunes habitants des Maritimes avaient l'occasion de visiter des coins ÄloignÄs du monde et souvent, ils en venaient rapidement ê Étre ê la tÉte de leurs propres bëtiments. Nombreux Ätaient les capitaines de moins de trente ans qui Ätaient commandants des navires employant plusieurs hommes. Cela est un peu moins surprenant lorsqu'on songe que les mousses s'embarquaient dÅs l'ëge de dix ou douze ans. Parfois, le capitaine ou le second emmenaient leur famille en voyage, de sorte que leurs enfants faisaient trÅs jeune l'expÄrience de la vie en mer.
Bien s₧r, le navire ê voile Ätait Ägalement un mode de transport assez dangereux. Le marin ne pouvait compter que sur quelques instruments pour juger de sa position et de sa vitesse, et sur ê peu prÅs rien en fait de dispositifs de sÄcuritÄ. ╦ bord d'un navire, tout Ätait organisÄ d'une faìon autocratique, et la vie de tout un Äquipage pouvait dÄpendre de la dÄcision du capitaine de carguer les voiles ou de changer de direction par mauvais temps. La plupart des navires Ätaient petits en comparaison des gÄants que sont les bëtiments de haute mer d'aujourd'hui et ils Ätaient soumis aux caprices du vent et du temps. Les pertes de vies et de bëtiments Ätaient monnaie courante dans la vie des Maritimes, quelle que f₧t l'habiletÄ des marins. De violentes tempÉtes pouvaient anÄantir des douzaines de navires et des centaines d'hommes d'un seul coup. Dans certaines parties des Maritimes, lê o¥ la navigation occupait le plus de gens, il n'y avait guÅre de familles qui ne furent pas ÄprouvÄes par le mer.
On ne pouvait employer un voilier en bois pour transporter des cargaisons que pour un temps limitÄ. Les navires Ätaient classÄs par les sociÄtÄs d'assurance selon un systÅme compliquÄ de mesures qui tenaient compte de la nature des matÄriaux, de la rÄputation des constructeurs et d'une foule de facteurs connexes. Cependant, c'Ätait surtout l'ëge qui dÄterminait la catÄgorie. AprÅs cinq ou dix ans de mer, il Ätait difficile d'obtenir une bonne assurance pour les cargaisons. Il en rÄsultait que pendant les premiÅres annÄes de rendement optimum des bëtiments, on les exploitait jusqu'ê la limite de leurs possibilitÄs de faìon qu'ils rapportassent le maximum de profits ê leurs constructeurs et ê leurs propriÄtaires. Ces navires finissaient souvent leurs jours dans un rÖle plutÖt indigne: comme charbonniers ou comme caboteurs, transportant ê bas prix des cargaisons encombrantes et de peu de valeur. Ce n'Ätait d'ordinaire qu'une question de temps avant qu'un bëtiment traitÄ de cette faìon ne f₧t englouti par la mer. L'espÄrance de vie d'un navire bien construit pouvait atteindre vingt ans, mais il s'agissait lê plutÖt de l'exception que de la rÅgle.
Un petit groupe d'entrepreneurs des Maritimes avait amassÄ des fortunes respectables en exploitant la situation internationale et en profitant de l'avantage gÄographique et des ressources humaines de la rÄgion. Cependant, ce phÄnomÅne n'avait pas donnÄ lieu ê un dÄveloppement Äconomique de longue durÄe. Les revenus de l'industrie maritime reposaient en effet sur la prestation de services sur le marchÄ international. Tant que les Maritimes pouvaient surmonter la concurrence d'autres centres de construction navale les revenus entraient, mais ceux-ci menaient rarement ê l'Ätablissement d'une activitÄ industrielle ê fort capital dans la rÄgion, sauf dans une ou deux villes comme Saint-Jean et Yarmouth. L'investissement dans la navigation Ätait en fait plutÖt instable, c'est-ê-dire susceptible d'Étre retirÄ de l'industrie et rÄinvesti dans des secteurs plus rÄmunÄrateurs de l'Äconomie. Avec la disparition du voilier ê coque de bois et son remplacement par des navires au long cours ê coque d'acier, actionnÄs ê vapeur, l'Äconomie des Maritimes subit un dur coup. L'absence d'une base diversifiÄe rendait la rÄgion particuliÅrement vulnÄrable aux changements de l'Äconomie internationale. Cette situation, ainsi que la rÄorientation des Ächanges commerciaux du Canada qui suivit la ConfÄdÄration du Canada, bouleversa l'Äconomie traditionnelle. Heureusement, l'exploitation du charbon et une certaine industrialisation en Nouvelle-âcosse, de mÉme que l'essor de la papeterie au Nouveau-Brunswick, amortirent quelque peu le choc; cependant, la position inconfortable des Maritimes dans la ConfÄdÄration a toujours ÄtÄ une consÄquence de la pÄriode de transition qui coòncida avec les premiers temps de la ConfÄdÄration. Quoi qu'il en soit, le souvenir d'une Äpoque o¥ les fils de la Nouvelle-âcosse Ätaient considÄrÄs comme les meilleurs marins du monde subsiste encore dans les Maritimes.
De cette union trÅs Ätroite avec la mer il a dÄveloppÄ un patrimoine extrÉmement riche qui fait partie intÄgrante de la vie mÉme des Maritimes. L'ëge des ╟navires de bois et des hommes de fer╚ est fertile en rÄcits d'hÄroòsme individuel en face d'une mer hostile et cruelle. Recueillis au hasard ê l'Äpoque et embellis par les gÄnÄrations qui se les transmettaient, les rÄcits romantiques de la lutte de l'homme contre la nature ont enrichi la rime du poÅte et l'histoire du conteur. La dÄcadence de l'industrie maritime pendant le dernier tiers du siÅcle et le dÄclin subsÄquent de maints ports minuscules qui avaient si bien servi l'industrie ne faisaient qu'accentuer le culte que vouaient certaines rÄgions des Maritimes ê l'╟ëge d'or╚ qui avait prÄcÄdÄ la ConfÄdÄration.