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Text File  |  1996-06-21  |  29KB  |  73 lines

  1. LES âTABLISSEMENTS D'INTERNEMENT: ORIGINES DES H∩PITAUX POUR MALADES MENTAUX ET DES PâNITENCIERS DU CANADA 
  2.  
  3. Daniel Francis et C. James Taylor 
  4.  
  5. Introduction 
  6.  
  7.      Au cours des siÅcles, les sociÄtÄs ont eu recours ê diverses mÄthodes de traitement des personnes qui sont incapables de se conformer aux normes reconnues de comportement, ou refusent de le faire. Au dÄbut du XIXe siÅcle, les thÄoriciens et les rÄformateurs sociaux ont commencÄ ê soutenir la thÄorie -- tout d'abord en Europe, puis en AmÄrique du Nord -- selon laquelle il est possible de ╟traiter╚ avec succÅs et de rÄadapter les criminels et les personnes souffrant de troubles mentaux. Prenant pour hypothÅse que la folie et le comportement criminel Ätaient dus ê un milieu social ou personnel indÄsirable, ils soutenaient qu'il Ätait possible de corriger les dÄviances dans un milieu amÄliorÄ o¥ primaient la discipline et des normes appropriÄes de conduite. Ce sont lê les principes qui ont prÄsidÄ ê la conception des nouveaux Ätablissements rÄservÄs ê l'internement des criminels et des aliÄnÄs -- le pÄnitencier et l'asile. Ces Ätablissements continuent, encore aujourd'hui, ê jouer un rÖle primordial dans la rÄadaptation des dÄviants.
  8.  
  9.      L'asile, comme on appelait au dÄbut l'hÖpital pour malades mentaux, et le pÄnitencier, paraissent peut-Étre poursuivre des buts diffÄrents, mais tous deux ont ÄtÄ crÄÄs vers la mÉme Äpoque pour mettre en pratique des thÄories similaires de traitement des dÄviances. Tous deux Ätaient destinÄs ê jouer un rÖle thÄrapeutique, et non pas ê Étre de simples Ätablissements de dÄtention. Tous deux ont servi de ╟laboratoires╚ pour les nouvelles techniques de gestion du comportement. Tous deux ont tentÄ de faire de l'architecture une force de dÄveloppement moral. Tous deux ont ÄtÄ crÄÄs dans une explosion d'optimisme rÄformateur, et tous deux ont pÄriclitÄ, en partie ê cause d'une mauvaise gestion, pour devenir des exemples de l'inhumanitÄ de l'homme ê l'Ägard de son prochain. C'est pour toutes ces raisons que le pÄnitencier et l'asile sont comme des jumeaux non identiques; en dÄpit de leurs diffÄrences apparentes, ils ont ÄtÄ conìus simultanÄment, dans les mÉmes circonstances.
  10.  
  11. L'avÅnement de l'Åre de l'internement 
  12.  
  13.      Au dÄbut du XIXe siÅcle, les prisons de l'AmÄrique du Nord britannique servaient surtout ê dÄtenir les infracteurs entre deux Ätapes du processus judiciaire; les suspects Ätaient gardÄs en prison jusqu'ê leur procÅs, puis incarcÄrÄs jusqu'ê ce qu'ils aient purgÄ leur peine. Pour les crimes graves, tels que la trahison, le meurtre et mÉme le vol qualifiÄ, la pendaison Ätait le chëtiment habituel. Les criminels convaincus d'infractions moins sÄrieuses Ätaient parfois marquÄs du sceau de l'infamie ou mis aux fers. Entre ces deux extrÉmes, existait un domaine assez flou de peines plus ou moins lourdes. Bien qu'aux termes de la loi, de nombreux crimes contre les biens fussent considÄrÄs comme des crimes punis de mort, de nombreux magistrats hÄsitaient de plus en plus ê envoyer ê la potence les coupables de crimes autres que le meurtre. Comme le pilori et le marquage au fer rouge ne semblaient pas des chëtiments suffisamment sÄvÅres pour les crimes graves, on avait recours ê d'autres sanctions telles que l'exil. Au dÄbut du XIXe siÅcle, dans les colonies canadiennes, les courtes peines de prison et l'exil Ätaient les chëtiments les plus frÄquemment utilisÄs. Comme les prisons Ätaient rarement utilisÄes pour des incarcÄrations prolongÄes, elles n'avaient pas l'importance qu'elles devaient acquÄrir par la suite au cours du siÅcle.
  14.  
  15.      Au dÄbut des annÄes 1800, il n'existait pratiquement aucun cadre institutionnel pour le traitement des malades mentaux. S'ils Ätaient capables de subvenir ê leurs propres besoins, et n'en freignaient pas la loi, ils Ätaient souvent libres d'aller et venir dans la collectivitÄ. Ceux dont les moyens Ätaient suffisants ou qui appartenaient ê une famille aisÄe rÄsidaient dans des ╟maisons de fous╚ privÄes, et d'autres Ätaient soignÄs par leur propre famille ou par des ordres religieux. Ce n'est que lorsque les malades mentaux devenaient des criminels ou des indigents qu'on les envoyait dans un hospice ou en prison.
  16.  
  17.      Au cours des annÄes 1820-1830, quelques mÄdecins et particuliers d'AmÄrique du Nord britannique soucieux de rÄforme ont commencÄ ê se plaindre de l'insuffisance des soins donnÄs aux malades mentaux. InspirÄs par les exemples venus d'Europe et des âtats-Unis, ils prÄsentÅrent aux divers gouvernements coloniaux des requÉtes en faveur de la crÄation de centres de traitement pour les aliÄnÄs, financÄs grëce aux deniers publics et correctement gÄrÄs. Ce souci Ätait en partie suscitÄ par l'Ämergence d'idÄes nouvelles sur la nature de la folie. Jusque lê, les maladies mentales avaient ÄtÄ considÄrÄes comme un problÅme spirituel plutÖt qu'une maladie. On considÄrait que, privÄs de raison, les fous avaient perdu l'essence mÉme de leur humanitÄ. ConsidÄrant qu'ils Ätaient incapables de souffrir de la solitude ou d'Äprouver des douleurs physiques ou morales de la mÉme maniÅre que des personnes en bonne santÄ, on les traitait comme des animaux ou pis. Pour les partisans des thÄories nouvelles, au contraire, la folie Ätait une maladie qui tenait ê des facteurs environnementaux tels que la mauvaise santÄ, la pauvretÄ et des relations familiales prÄjudiciables. Ils considÄraient qu'en dÄtachant ╟l'organe malade╚ des ╟problÅmes de sa vie de tous les jours, de ses mauvaises habitudes, et du cercle... dans lequel il est toujours menacÄ et risque constamment une rechute╚, un malade mental pourrait Étre guÄri dans un environnement sain, o¥ il serait assurÄ qu'on le comprend. Une telle conception de la folie exigeait une nouvelle mÄthode de traitement des malades, grëce ê laquelle on ne se contenterait pas de les interner mais on les soignerait Ägalement.
  18.  
  19.      ╦ la mÉme Äpoque, aussi bien en Europe qu'en AmÄrique du Nord, de plus en plus de personnes se manifestaient en faveur de l'amÄlioration du systÅme pÄnal. Ces partisans d'une rÄforme se classaient en trois catÄgories distinctes, selon les raisons qui les motivaient le plus puissamment: il y avait ceux qui se plaignaient du caractÅre barbare des modes habituels de chëtiment; ceux qui croyaient qu'il Ätait possible de modifier le comportement criminel au lieu de se contenter de punir, et ceux qui voulaient un systÅme plus rationnel de sanctions afin de mieux dÄcourager le crime. Le champion des trois groupes s'appelait John Howard, un Anglais qui avait publiÄ en 1777 une Ätude en deux volumes intitulÄe Prisons and Lazarettos o¥ il dÄcrivait un certain nombre de prisons britanniques et quelques Ätablissements europÄens. Howard accusait les prisons de son pays d'Étre de sordides Äcoles du crime o¥ les jeunes infracteurs languissaient dans la compagnie de criminels endurcis. Selon lui, il existait sur le continent des Ätablissements o¥ la nature mÉme de l'expÄrience qu'y vivaient les criminels encourageait ceux-ci ê amÄliorer leur comportement, modification qui n'Ätait pas simplement provoquÄe par le chëtiment lui-mÉme mais aussi par le repentir et la rÄforme morale. Dans l'une des prisons europÄennes visitÄes par Howard, les dÄtenus occupaient des cellules individuelles construites autour d'un autel central. En mÄditant sur leurs crimes et en rendant Dieu tÄmoin de leur sentiment de culpabilitÄ et de leur chagrin, les criminels expiaient ainsi leurs pÄchÄs. Howard avait donc proposÄ de crÄer un pÄnitencier conìu pour encourager une telle expÄrience. Convaincu que le crime, comme la folie, Ätait liÄ aux grands maux de la sociÄtÄ tels que la pauvretÄ, l'ignorance, l'ivrognerie et d'autres vices, Howard soutenait que les dÄtenus devaient Étre soumis ê une discipline rigoureuse fondÄe sur les travaux forcÄs et la rÄflexion, si l'on voulait assurer leur rÄforme morale. C'est donc lui qui a crÄÄ et popularisÄ le principe du pÄnitencier qui, au cours du XIXe siÅcle, allait devenir le principal mode de traitement des personnes coupables d'infractions graves.
  20.  
  21.      Ce n'est qu'au cours du deuxiÅme quart du XIXe siÅcle que ces nouveaux Ätablissements d'internement ont ÄtÄ adoptÄs au Canada. Jusque lê, c'Ätait le vieux systÅme carcÄral dÄsuet qui accueillait la plupart des dÄviants; d'ailleurs, la population Ätait si rÄduite et si ÄparpillÄe que des grands Ätablissements de quelque type que ce soit, Ätaient inutiles et peu pratiques. Cependant, aprÅs les guerres napolÄoniennes, l'arrivÄe massive d'immigrants au Canada suscita partout des inquiÄtudes ê cause de ce que l'on considÄrait comme une augmentation gÄnÄrale de la criminalitÄ, des maladies mentales et de la dÄviance.
  22.  
  23.      Se rendant compte que les prisons et les asiles d'aliÄnÄs existants ne suffiraient pas ê accueillir le nombre croissant de personnes destinÄes ê Étre internÄes, les Canadiens se sont alors tournÄs vers l'Europe et les âtats-Unis pour y trouver des modÅles de rechange. Les AmÄricains s'inquiÄtaient des effets d'une immigration massive, de la modernisation et d'attitudes dÄmocratiques nouvelles, sur la stabilitÄ de leur sociÄtÄ. Chez notre voisin, il y avait Ägalement des groupes de rÄformateurs qui Ätaient motivÄs par la conviction que la science du gÄnie social permettrait d'amÄliorer la sociÄtÄ. Au cours des annÄes 1820, la Boston Prison Discipline Society devait s'affirmer comme le principal interprÅte des nouvelles thÄories au sujet des pÄnitenciers et aider ê les rÄpandre au Canada.
  24.  
  25.      ╦ la fin du XVIIIe siÅcle, on trouvait en France et en Angleterre des Ätablissements pour malades mentaux qui utilisaient la technique dite du traitement moral. âgalement baptisÄ ╟mÄthode humaine╚ ou ╟systÅme lÄnitif╚, ce traitement ne devait pas tarder ê obtenir l'aval des partisans des asiles d'aliÄnÄs en AmÄrique du Nord. La ╟mÄthode morale╚ n'Ätait pas vraiment un traitement au sens mÄdical du terme et faisait largement appel ê la compassion et ê une discipline lÄgÅre. L'asile moderne offrait un milieu strictement rÄglementÄ dans lequel les personnes dÄrangÄes trouvaient un ordre qui leur permettait de retrouver leur Äquilibre. Les malades n'Ätaient plus traitÄs avec brutalitÄ. Au lieu de les enfermer et de les laisser aux prises avec leurs illusions morbides, on les incitait ê participer ê des activitÄs qui les distrayaient de leurs obsessions. Le nouveau rÄgime quotidien du traitement moral incluait beaucoup d'exercice, beaucoup de travail physique rigoureux, des distractions et un rÄgime alimentaire trÅs sain.
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  27.      Comme le terme ╟traitement moral╚ l'implique, cette thÄrapie visait ê rÄtablir les normes morales en vigueur. L'insistance sur la moralitÄ Ätait inspirÄe par la conviction que le pÄchÄ ou l'immoralitÄ Ätait une cause importante de folie. C'est pourquoi, tout comportement antisocial, y compris l'ivrognerie, le jeu, la gloutonnerie, l'adultÅre et la masturbation, Ätait considÄrÄ comme nuisible ê la santÄ d'esprit. L'asile Ätait donc rigoureusement organisÄ de maniÅre ê renforcer la maötrise de soi et pour promouvoir des normes de conduite socialement acceptables. Un travail productif, les pratiques religieuses, des habitudes rÄguliÅres et la propretÄ revÉtaient une telle importance qu'ils Äclipsaient complÅtement toute procÄdure mÄdicale. L'asile Ätait en fait un systÅme. Tout, depuis l'emplacement des bëtiments jusqu'aux maniÅres des dÄtenus ê table, Ätait conìu pour transformer leur comportement en leur faisant assimiler les rÅgles morales correctes.
  28.  
  29.      La construction des pÄnitenciers conìus d'aprÅs ces nouvelles thÄories avait en gÄnÄral ÄtÄ prÄcÄdÄe par celle des asiles. Des mÄdecins comme George Peters, au Nouveau-Brunswick, Charles Duncombe, dans le Haut-Canada, Henry Hunt, ê Terre-Neuve, James Douglas dans le Bas-Canada, faisaient campagne en faveur de la construction d'asiles d'aliÄnÄs en AmÄrique du Nord britannique. Dans l'exercice de leur profession, ils avaient ÄtÄ touchÄs par le sort des aliÄnÄs. Convaincus de savoir comment apporter remÅde aux maladies mentales, ces rÄformateurs Ätaient ê la pointe du combat menÄ pour obtenir le soutien du public. Pour Charles Duncombe, la folie se guÄrissait aussi facilement ╟que les maladies ordinaires propres au climat╚. On croyait ê la nÄcessitÄ d'appliquer le traitement ê la premiÅre manifestation des symptÖmes. Si, au lieu de laisser le malade chez lui, on l'installait dans un asile dÅs les trois premiers mois, sa guÄrison Ätait pratiquement assurÄe. Si, auparavant, les soins Ätaient surtout assurÄs par la famille, les milieux de la mÄdecine et finalement les partisans de la sagesse conventionnelle en Ätaient venus ê penser qu'╟aucun fou ne retrouve la raison chez lui╚. La folie exigeait un traitement moral et ce traitement exigeait l'asile.
  30.  
  31.      Au dÄpart, les rÄformateurs emportÄs par leur zÅle Ätaient cependant allÄs trop vite pour que le public soit disposÄ ê fournir des hÖpitaux distincts pour les aliÄnÄs ou en mesure de le faire. Les premiers Ätablissements ont donc ÄtÄ des hÖpitaux de fortune, aux moyens insuffisants. En AmÄrique du Nord britannique, le premier Ätait installÄ dans le sous-sol d'un ancien hÖpital de Saint-Jean (Nouveau-Brunswick) pour les malades du cholÄra. Il ouvrit ses portes en 1836. ╦ Toronto, la Home District Gaol, petit Ädifice ê charpente en bois, fut vidÄe de ses prisonniers en 1841 pour Étre transformÄe en asile temporaire pour les ╟personnes atteintes de folie╚. Aux abords de QuÄbec, un vieux manoir de pierre de la seigneurie de Beauport fut converti en asile et accueillit ses premiers patients ê l'automne de 1845. ╦ Terre-Neuve, ce fut une ferme qui fut transformÄe en asile; en Colombie-Britannique, ce fut un hÖpital o¥ l'on soignait auparavant les victimes de la variole. Partout, les internÄs Ätaient probablement mieux soignÄs qu'ils ne l'auraient ÄtÄ auparavant, mais des installations de fortune n'Ätaient pas suffisantes pour provoquer la rÄvolution que les activistes souhaitaient dans le domaine des soins de santÄ mentale.
  32.  
  33.      Au milieu du siÅcle, le remplacement de ces prÄcurseurs par de grands hÖpitaux permanents assurant le traitement ╟moral╚ moderne, Ätait en cours. Encore une fois, c'Ätait le Nouveau-Brunswick qui donnait l'exemple: un nouvel asile dominant les chutes de Reversing Falls s'ouvrait ê Saint-Jean en 1848. Le Provincial Lunatic Asylum ouvrait ses portes ê Toronto en 1850, suivi par d'autres Ätablissements ê Terre-Neuve (1854) et en Nouvelle-âcosse (1859). Dans l'ouest du Canada, o¥ la population Ätait moins importante et o¥ les besoins se faisaient sentir de maniÅre moins aiguæ, les premiers asiles ne furent construits qu'au cours des 25 derniÅres annÄes du siÅcle.
  34.  
  35.      Tous les asiles mentionnÄs ci-dessus Ätaient des Ätablissements publics, ê l'exception de ceux du QuÄbec o¥ le gouvernement avait dÄcidÄ d'adopter un systÅme d'impartition. L'asile de Beauport, et les autres hÖpitaux pour malades mentaux crÄÄs par la suite dans cette province, Ätaient privÄs et Ätaient exploitÄs par leurs propriÄtaires. Le gouvernement du QuÄbec accordait ê ceux-ci une subvention annuelle par personne destinÄe ê subvenir aux besoins des patients qui n'avaient pas les moyens de payer leur traitement.
  36.  
  37.      Jusqu'ê la ConfÄdÄration, c'est dans le Haut-Canada que l'on constate les seuls efforts sÄrieux d'application des thÄories modernes de traitement et de rÄforme des criminels grëce ê la crÄation d'un nouveau pÄnitencier. Au dÄbut des annÄes 1830, un comitÄ de l'assemblÄe lÄgislative visitait plusieurs Ätablissements de Grande-Bretagne et des âtats-Unis et recommandait la construction d'un pÄnitencier selon les principes suggÄrÄs par Howard. ╟L'objet d'un pÄnitencier, dÄclarait son rapport, ne consistait pas simplement ê protÄger la sociÄtÄ et ê punir les infracteurs, mais ê crÄer une attitude de repentir chez les dÄtenus afin de rÄformer leur caractÅre.╚ Le gouvernement approuva ce rapport, et en 1832, les travaux commencÅrent sur un terrain voisin de Kingston. Bien que la construction ait eu lieu en plusieurs Ätapes et que l'Ätablissement ne fut complÅtement terminÄ que dans les annÄes 1850, il devait devenir un des pÄnitenciers les plus modernes de son Äpoque.
  38.  
  39.      Le pÄnitencier de Kingston incorporait plusieurs des innovations les plus rÄcentes dans le domaine de l'architecture carcÄrale, notamment une rotonde centrale d'o¥ rayonnaient des ailes qui contenaient les blocs de cellules. Il ╟traitait╚ les dÄtenus en leur imposant une forme systÄmatique de discipline carcÄrale. FondÄe sur les thÄories de John Howard, cette mÄthode comportait un rÄgime trÅs strict de travaux forcÄs pendant la journÄe, o¥ le silence Ätait imposÄ, et la dÄtention dans les cellules individuelles, la nuit. ╟Pour sauver l'enfant de l'ignorance et du vice de la destruction presque inÄluctable vers laquelle il se prÄcipite; pour protÄger l'infracteur vÄniel de la contagion...; pour implanter dans l'esprit des dÄtenus des principes religieux et moraux et des habitudes de travail; et pour lui donner la force nÄcessaire et l'encourager ê faire face aux difficultÄs du monde extÄrieur lorsqu'il sera libÄrÄ╚, le pÄnitencier supprimait toute identitÄ individuelle chez les prisonniers et les soumettait ê un rÄgime de conformitÄ rigoureuse.
  40.  
  41.      L'Ätablissement de Kingston est demeurÄ le seul pÄnitencier canadien complet jusqu'aprÅs la ConfÄdÄration. Lors de l'union du Haut et du Bas-Canada en 1841, les dÄtenus du QuÄbec y furent envoyÄs. Ailleurs, certaines prisons de comtÄ, telles que celles de Halifax et de Toronto, utilisaient certaines caractÄristiques du systÅme pÄnitentiaire, et ê la ConfÄdÄration, la plupart des prisons provinciales disposaient de locaux rÄservÄs ê la rÄclusion des prisonniers.
  42.  
  43.      AprÅs 1867 le gouvernement fÄdÄral et les gouvernements provinciaux se partagÅrent la responsabilitÄ de la rÄÄducation des criminels. Les personnes reconnues coupables de crimes de moindre gravitÄ donnant lieu ê des amendes ou des condamnations de moins de deux ans de prison, furent placÄes sous la juridiction du gouvernement provincial, alors que celles qui Ätaient passibles de la peine de mort ou de peines de prison de longue durÄe tombÅrent sous la responsabilitÄ du gouvernement fÄdÄral. Bien que les provinces aient effectivement crÄÄ des pÄnitenciers pour les prisonniers purgeant des peines de courte durÄe, celles-ci n'Ätaient pas jugÄes suffisamment longues pour que la discipline carcÄrale donne vraiment des rÄsultats. Les Ätablissements provinciaux avaient donc tendance ê appliquer moins rigoureusement le systÅme du travail dans le silence, en dÄpit du fait que les bëtiments fussent construits selon l'architecture de l'Äpoque, avec blocs cellulaires et passerelles.
  44.  
  45.      Au cours des annÄes 1870, un programme de construction fut lancÄ pour crÄer des pÄnitenciers fÄdÄraux dans chaque rÄgion du Dominion. Une ancienne maison de correction pour garìons fut agrandie afin d'en faire un pÄnitencier ê Saint-Vincent-de-Paul, prÅs de MontrÄal, en 1873. Des bëtiments identiques furent construits au Manitoba et en Colombie-Britannique en 1876 et 1878, et l'annÄe suivante fut marquÄe par la fin de la construction d'un pÄnitencier prÅs de Moncton, ê Dorchester (Nouveau-Brunswick). Pendant la plus grande partie du XIXe siÅcle, ces Ätablissements ont tous fonctionnÄ selon le modÅle de celui de Kingston et les principes sur lesquels il Ätait fondÄ: les prisons Ätaient ╟des Äcoles o¥ on ouvre les yeux aux ignorants et o¥ on donne de la force aux repentis -- o¥ on n'oublie pas que les crimes doivent Étre expiÄs, mais o¥ la rÄforme morale permanente du dÄtenu est le principal but poursuivi╚.
  46.  
  47. La fin de l'optimisme 
  48.  
  49.      Un fort vent d'optimisme avait animÄ la crÄation des nouveaux Ätablissements d'internement. Tout le monde Ätait convaincu que dans les circonstances appropriÄes, il Ätait possible de corriger un comportement dÄviant et que les maladies mentales reculaient devant les forces combinÄes du traitement moral et de l'asile.
  50.  
  51.      Malheureusement, ces nouveaux Ätablissements ne tardÅrent pas ê dÄcevoir leurs fondateurs. Dans le cas des hÖpitaux pour malades mentaux, un traitement moral efficace exigeait un systÅme rigoureux de classification, un nombre modÄrÄ de patients et un personnel comprÄhensif. Dans la pratique, les asiles Ätaient bondÄs, et leur population comprenait des Äpileptiques, des arriÄrÄs mentaux et des vieillards sÄniles. Lorsque l'on commenìa ê appliquer vigoureusement la pratique de l'internement des malades mentaux, les hÖpitaux se trouvÅrent incapables d'accueillir le flot de patients qu'on voulait leur imposer. L'asile d'aliÄnÄs provincial de Toronto, conìu pour 250 malades, en avait prÅs de 400 dans les annÄes 1860. Le manque d'espace rendait toute classification difficile, si bien que ceux qui souffraient de dÄpressions mineures se trouvaient souvent mÉlÄs aux forcenÄs les plus violents. La formation du personnel, d'ailleurs mal payÄ, laissait ê dÄsirer. ╦ une certaine Äpoque, on a mÉme prÄtendu que dans l'δle-du-Prince-âdouard, c'Ätait ╟un simple manoeuvre╚ qui dirigeait l'asile. Dans de telles circonstances, il Ätait sans doute inÄvitable qu'on recommence ê entraver les occupants de ces Ätablissements pour les contrÖler. Un Anglais, partisan des rÄformes dans les asiles, Daniel Hack Tuke, en visite dans les Ätablissements quÄbÄcois en 1884, y avait constatÄ que diverses mÄthodes Ätaient utilisÄes pour attacher de nombreux patients. Ceux qu'il avait vus, occupaient de minuscules cellules aveugles. Ils communiquaient avec leurs gardiens par un guichet percÄ dans la porte. Beaucoup portaient des menottes et passaient leurs journÄes ê errer dans les couloirs lugubres. D'autres Ätaient attachÄs par des courroies ê leurs lits. La situation Ätait la mÉme dans les autres provinces. ╦ l'asile de Mount Hope, en Nouvelle-âcosse, par exemple, il est prouvÄ que des internÄs sont morts de froid dans leurs cellules. Certains Ätaient soumis ê une rÄclusion rigoureuse dans ce que l'on appelait la ╟chambre noire╚, o¥ on les affamait dÄlibÄrÄment pour les affaiblir et les soumettre. En Colombie-Britannique, il Ätait frÄquent que les malades mentaux soient battus et plongÄs dans l'eau froide.
  52.  
  53.      Pour maintenir la discipline, les pÄnitenciers frÖlaient constamment la brutalitÄ. Des enquÉtes pÄriodiques au pÄnitencier de Kingston ont prouvÄ que les prisonniers Ätaient cruellement traitÄs, ce qui n'a pas empÉchÄ de continuer ê croire ê la perfectibilitÄ du systÅme. Les critiques faisaient souvent observer la mÄdiocritÄ des compÄtences du personnel carcÄral, mais la brutalitÄ des traitements Ätait, dans une large mesure, inhÄrente au systÅme lui-mÉme. Les dÄtenus passaient une bonne partie de la journÄe confinÄs dans des cellules aux murs de pierre, o¥ il y avait juste assez de place pour un lit, un escabeau et un seau. Ces cellules Ätaient froides, humides, malodorantes et sombres. Toute conversation entre les prisonniers Ätait interdite et le travail Ätait volontairement rendu dur et ennuyeux. Aucune visite n'Ätait permise. Lorsqu'ils enfreignaient les rÅglements, les dÄtenus Ätaient sÄvÅrement punis.
  54.  
  55.      Comme les statistiques relatives aux rÄcidivistes le montraient, le systÅme pÄnitentiaire ne rÄussissait pas ê corriger le comportement criminel. Au lieu d'aider les prisonniers ê se rÄadapter, il en faisait des criminels endurcis. Les administrateurs apportaient constamment des retouches au systÅme pour essayer d'obtenir de meilleurs rÄsultats. Tour ê tour, ils essayaient l'indulgence, une discipline sÄvÅre, des peines plus longues, des peines de durÄe indÄterminÄe, rien n'y faisait, le nombre des dÄtenus continuait ê grossir.
  56.  
  57.      Les tentatives dÄployÄes pour arrÉter la dÄtÄrioration des hÖpitaux pour malades mentaux n'eurent pas plus de succÅs. Les asiles tombÅrent sous la responsabilitÄ des provinces aprÅs la ConfÄdÄration et plusieurs gouvernements effectuÅrent des enquÉtes officielles ê la suite d'accusations de brutalitÄs ê l'Ägard des patients. Comme on pensait que l'encombrement Ätait le problÅme principal, on ouvrit plusieurs hÖpitaux supplÄmentaires au cours du dernier quart du XIXe siÅcle. En 1900, le QuÄbec avait quatre Ätablissements, et l'Ontario, sept. Certaines des nouvelles installations Ätaient rÄservÄes aux cas chroniques pour lesquels le pronostic Ätait peu encourageant ou dont l'affection Ätait due ê un dÄfaut congÄnital, ê la maladie ou ê la sÄnilitÄ. En Nouvelle-âcosse, par exemple, 15 asiles de comtÄ logeaient des pensionnaires dont on pensait qu'ils n'avaient aucune chance de guÄrir et de rentrer chez eux.
  58.  
  59.      Les enquÉteurs avaient recommandÄ un certain nombre d'autres changements dans les hÖpitaux pour malades mentaux, notamment l'amÄlioration de la formation du personnel, une meilleure classification des pensionnaires et l'interdiction des visites de simples curieux. Bien que ces changements aient peut-Étre amÄliorÄ la vie dans les asiles, ils ne rÄussirent pas ê insuffler un second souffle au traitement moral ou ê introduire de nouvelles mÄthodes thÄrapeutiques.
  60.  
  61.      ╦ la fin du siÅcle, l'optimisme qui avait caractÄrisÄ plus tÖt le traitement des malades mentaux avait fait place ê la rÄsignation et au sentiment qu'il y avait des limites ê ce que l'on pouvait faire. On acceptait le fait qu'un petit pourcentage des patients ne seraient jamais guÄris. ╟Sur 442 patients╚, confessait en 1881 le surintendant de l'asile du Nouveau-Brunswick, ╟on compte que 16 seulement, retrouveront la raison╚. Comme dans le cas du pÄnitencier, l'Ätablissement rÄservÄ aux malades mentaux Ätait revenu ê son point de dÄpart. De nouveau, on n'y voyait plus qu'un lieu d'internement dans lequel les malades mentaux croupissaient sans soins et pratiquement sans espoir de jamais se rÄtablir.
  62.  
  63. Conclusion 
  64.  
  65.      Jusqu'ê ces derniers temps, les historiens avaient coutume de dÄclarer que la crÄation des asiles et des pÄnitenciers au XIXe siÅcle constituait un exemple du progrÅs moral de l'humanitÄ. Invoquant des images de fous enchaönÄs ou de criminels aux fers, ces historiens classiques de la rÄforme Ätaient convaincus qu'asile et pÄnitencier constituaient un progrÅs par rapport aux pratiques ╟barbares╚ qui rÄgnaient auparavant. Non seulement ces Ätablissements Ätaient-ils plus humains, soutenaient-ils, ils Ätaient Ägalement plus ÄclairÄs parce qu'au simple internement, ils avaient substituÄ thÄrapie et rÄadaptation.
  66.  
  67.      Ces 20 derniÅres annÄes, les historiens ont de plus en plus mis en doute l'argument selon lequel l'incarcÄration d'un nombre ÄlevÄ de personnes dans des asiles et des pÄnitenciers au cours de la seconde moitiÄ du XIXe siÅcle Ätait prÄfÄrable ê la situation antÄrieure. Certains dÄclarent que les Ätablissements de rÄclusion reprÄsentaient non pas une rÄforme mais une forme nouvelle de rÄpression; qu'ils se contentaient de remplacer la coercition physique par la coercition psychologique; et que les chëtiments corporels Ätaient moins prisÄs, non pas parce qu'ils Ätaient inhumains mais parce qu'ils Ätaient inefficaces. D'autres voient dans les nouveaux asiles et pÄnitenciers des agents de contrÖle social qui isolaient les dÄviants et assuraient le maintien de l'ordre ê une Äpoque o¥ la sociÄtÄ Ätait ÄbranlÄe par la rapiditÄ de l'industrialisation. Certains prÄtendent que ces Ätablissements faisaient partie d'une stratÄgie de dÄfense permettant ê la classe moyenne, rendue nerveuse par l'Ävolution sociale, d'imposer ses propres valeurs au reste de la sociÄtÄ.
  68.  
  69.      Ce que toutes ces explications ont en commun, c'est le mÄpris du modÅle rÄformateur et de ses prÄtentions ê une supÄrioritÄ morale quelconque. Les historiens rÄvisionnistes voient plus loin que la rhÄtorique des partisans des asiles et des pÄnitenciers et s'intÄressent aux conditions sociales permettant au crime, ê la folie et ê l'internement institutionnalisÄ de fleurir. Ils estiment que les nouveaux Ätablissements ont ÄtÄ crÄÄs, non pas parce qu'ils reprÄsentaient un progrÅs sur le plan moral, mais parce qu'ils servaient des fins bien dÄterminÄes dans une sociÄtÄ menacÄe par l'industrialisation et la croissance urbaine.
  70.  
  71.      Aujourd'hui, quelque 150 ans aprÅs leur crÄation, les pÄnitenciers et les hÖpitaux pour malades mentaux demeurent des ÄlÄments familiers de la scÅne sociale. On entend cependant de plus en plus souvent la voix de ceux qui soutiennent que l'incarcÄration n'est pas le seul, ni le meilleur moyen de traiter un comportement dÄviant. Les rÄformateurs modernes soutiennent que ces Ätablissements sont aujourd'hui trop grands et trop impersonnels et qu'ils ont tendance ê exacerber le comportement qu'ils Ätaient censÄs corriger. Ces rÄformateurs plaident maintenant en faveur d'une ╟dÄsinstitutionnalisation╚, de certains criminels et malades mentaux. On commence, par exemple, ê penser que le service communautaire obligatoire est, plus que l'incarcÄration, une forme appropriÄe de chëtiment pour certains types de crimes. On envoie dÄjê les infracteurs dans des foyers de transition, et on s'intÄresse de nouveau aux possibilitÄs offertes par le traitement ê domicile des malades mentaux. Mais si ces diverses mÄthodes font l'objet de bien des dÄbats, les asiles et les pÄnitenciers continuent ê exister.  
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