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Text File  |  1994-06-10  |  45KB  |  131 lines

  1. LA PR╔HISTOIRE DE TERRE-NEUVE ET DU LABRADOR 
  2.  
  3. James A. Tuck 
  4.  
  5.      La reconstitution des faits qui se dΘroulΦrent α Terre-Neuve et au Labrador avant l'apparition de documents Θcrits est une entreprise fort complexe. Ce n'est que depuis une vingtaine d'annΘes que les archΘologues commencent α comprendre la longue histoire des populations prΘhistoriques de la rΘgion. Les rares vestiges que l'on a tirΘs du sol, o∙ ils sont parfois restes 9 000 ans ensevelis, laissent croire que l'histoire de ces populations, de ces modes de vie et de ces ΘvΘnements lointains, sur laquelle la lumiΦre se fait peu α peu, pourrait bien Ωtre l'une des plus captivantes au Canada. Dans une large mesure, cet intΘrΩt rΘsulte de la gΘographie physique de Terre-Neuve et du Labrador, qui prΘsente α la fois de vΘritables milieux arctiques et des rΘgions plus tempΘrΘes, touchant α plus de 15 000 kilomΦtres de littoral. Des habitants que nous appellerions les Indiens et d'autres que l'on a baptisΘs les Esquimaux, mais aujourd'hui se font appeler Inuit, ont occupΘ la province α diverses Θpoques, soit ensemble, soit sΘparΘment. Les archΘologues sont spΘcialement intriguΘs par la faτon dont ces populations de cultures diffΘrentes se sont adaptΘes au milieu, en particulier aux rΘgions c⌠tiΦres, et par la nature des relations qu'elles ont eues l'une avec l'autre.
  6.  
  7.      La maniΦre la plus simple de relater l'histoire des populations prΘhistoriques de la province est peut-Ωtre d'organiser l'information rΘunie par les archΘologues en un certain nombre de ½traditions╗. Ce terme dΘsigne ici le mode de vie caractΘristique d'un groupe ou de plusieurs groupes particuliers que l'on peut circonscrire dans l'espace et dont l'existence peut Ωtre attestΘe sur une assez longue pΘriode. Ainsi, les premiers habitants de Terre-Neuve et du Labrador ont ΘtΘ remplacΘs par un groupe indien appartenant α la tradition archa∩que maritime, laquelle est probablement apparue il y a 7 500 ans pour disparaεtre 3 500 ans plus tard. La tradition palΘo-esquimaude, qui remonte α environ 4 000 ans, s'est Θteinte il y a moins d'un millΘnaire, et les cultures post-archa∩ques qui ont donnΘ naissance α celles de la pΘriode historique ont commencΘ α se manifester il y a 3 000 ans. Enfin, la tradition des Esquimaux de ThulΘ ou du Labrador, toujours vivante, est vieille de 500 ans. Nous aborderons dans cet ouvrage les connaissances que nous possΘdons sur chacun de ces groupes, sur leur mode de vie, et ce que nous avons pu rΘunir sur leur histoire; mais passons en revue les ressources de la province.
  8.  
  9. Ressources naturelles 
  10.  
  11.      Les populations prΘhistoriques de Terre-Neuve et du Labrador subsistaient surtout grΓce aux ressources du littoral. Au nord abondaient le phoque annelΘ et le phoque barbu; on rencontrait le phoque du Groenland sur toute la c⌠te du Labrador; dans le sud de Terre-Neuve prΘdominaient le phoque commun et le phoque gris. Beaucoup de rΘgions c⌠tiΦres devaient aussi Ωtre frΘquentΘes par le morse. Les populations prΘhistoriques chassaient peut-Ωtre la baleine, le dauphin et le marsouin, et elles tiraient sans doute parti de la viande, de l'huile, des os et des fanons des baleines qui venaient s'Θchouer sur le rivage.
  12.  
  13.      Nous ne pouvons dire avec certitude dans quelle mesure les populations prΘhistoriques Θtaient capables d'exploiter diverses espΦces de poisson, comme le saumon, le capelan et la morue, qui allaient former plus tard le pivot de l'Θconomie de la province. Peut-Ωtre le saumon Θtait-il pris au harpon dans les riviΦres et les Θtangs peu profonds, et l'on pouvait se contenter de ramasser le capelan lorsqu'il ½roulait╗ sur les plages, en juin, pendant la saison du frai. Aucun indice ne permet encore de croire que les populations prΘhistoriques aient pratiquΘ la pΩche α la ligne; la pΩche aux poissons d'eau profonde, comme la morue, dΘpassait peut-Ωtre les possibilitΘs des techniques anciennes.
  14.  
  15.      Les oiseaux de mer comme la marmette, le goΘland, le fou de Bassan, le plongeon et le grand pingouin, espΦce d'oiseau incapable de voler, aujourd'hui Θteinte, fournissaient de la viande, des oeufs et des plumes. On se servait aussi de leurs os pour fabriquer des sifflets, des aiguilles et divers autres objets.
  16.  
  17.      Les mammifΦres terrestres le plus souvent chassΘs par les groupes prΘhistoriques de la rΘgion Θtaient le caribou et le castor. On savait Θgalement tirer parti, du moins α l'occasion, de l'ours noir et des petits animaux α fourrure comme la loutre et la martre.
  18.  
  19.      Ces animaux fournissaient non seulement de la chair et des peaux, mais encore des os, de l'andouiller et de l'ivoire qui deviendraient des armes et des outils. Pour fabriquer ces derniers, on se servait Θgalement de bois et de pierre. Le bois, lα o∙ il y en avait, Θtait probablement le matΘriau le plus employΘ. Au nord de la limite des arbres, on rΘcupΘrait sans doute des bouts de bois flottΘ, chaque fois que l'occasion s'en prΘsentait. Les pierres dures comme le quartz, le quartzite, le chert et l'ardoise Θtaient transformΘes en outils tranchants par Θclatement et adoucissage. Certains types de pierres aux propriΘtΘs particuliΦrement utiles Θtaient l'objet d'un troc d'un bout α l'autre de la province: le chert des carriΦres de la baie Ramah dans le nord du Labrador, et les galets de Cow Head, sur la c⌠te ouest, Θtaient employΘs dans plusieurs autres rΘgions o∙ l'on trouvait pourtant des matΘriaux locaux. La stΘatite ne se trouve α l'Θtat naturel que dans moins d'une douzaine d'endroits de la province, ce qui n'empΩche qu'α certaines pΘriodes cette pierre faisait l'objet d'un commerce sur tout le littoral.
  20.  
  21. Premiers habitants (il y a 9 000 α 7 500 ans) 
  22.  
  23.      Nous ne pouvons dire avec certitude α quelle Θpoque les premiers hommes sont arrivΘs dans les terres qui sont aujourd'hui Terre-Neuve et le Labrador; nous ne savons pas non plus de quelle maniΦre ni de quel endroit ils sont venus. Nous sommes α peu prΦs s√rs, toutefois, que de petites bandes se dΘplaτant vers le nord-est, en suivant la c⌠te nord du Saint-Laurent, Θtaient dΘjα Θtablies il y a environ 9 000 ans dans l'extrΘmitΘ sud du Labrador, le long du dΘtroit de Belle-Isle. Comme leurs outils et leurs armes en pierre ont certaines ressemblances avec des objets du mΩme genre en provenance de sites encore plus anciens de la Nouvelle-Angleterre et des Maritimes, nous croyons que ces bandes ont pu venir du sud.
  24.  
  25.      Leurs petits campements se trouvent aujourd'hui jusqu'α un kilomΦtre de la c⌠te, et α plus de vingt-cinq mΦtres en moyenne au-dessus du niveau de la mer; nΘanmoins, ces premiers habitants pratiquaient sans doute la chasse c⌠tiΦre. Les gΘologues nous apprennent en effet que le littoral du Labrador n'a pas encore fini de sortir de la mer, o∙ il s'est enfoncΘ jadis sous le poids des glaciers; en consΘquence, certains endroits aujourd'hui assez ΘloignΘs du rivage Θtaient des plages il y a environ 10 000 ans. Les ressources du dΘtroit de Belle-Isle se trouvaient donc littΘralement α la porte des chasseurs, qui pouvaient se rendre directement de la mer aux campements dans leurs embarcations.
  26.  
  27.      Il reste bien peu de chose des objets perdus ou mis au rebut par ces anciennes populations. Encore plus infimes sont les vestiges de leurs habitations, bien que l'on dΘcouvre parfois des foyers en pierre et quelques pierres plus ou moins dispersΘes qui laissent croire que ces bandes vivaient dans des tentes en peau; celles-ci, dressΘes sur des supports que l'on taillait dans du bois de la rΘgion, Θtaient chauffΘes par un foyer central; les bords Θtaient maintenus au sol par des pierres. Il ne reste rien aujourd'hui qui puisse nous renseigner sur les traits physiques de ces populations, sur les types de nourriture qu'elles recherchaient ou qu'elles Θtaient en mesure de se procurer, ni sur leur culture du point de vue social ou intellectuel.
  28.  
  29.      Nous supposons que ces hommes chassaient les mΩmes animaux -- oiseaux, mammifΦres marins et terrestres, poissons -- que leurs descendants, sur qui nous avons plus d'informations. Nous pensons qu'ils vivaient la plus grande partie de l'annΘe prΦs de la c⌠te, rΘpartis en petites bandes familiales. Sans doute s'Θtaient-ils dΘjα adaptΘs, sous certains aspects techniques et intellectuels, α la vie qu'ils devaient mener dans le sud du Labrador, mais nous ne pourrons en dire beaucoup lα-dessus tant que nous n'aurons pas dΘcouvert de sites o∙ des matiΦres organiques se seront prΘservΘes.
  30.  
  31. La tradition archa∩que maritime (il y a 7 500 α 3 500 ans) 
  32.  
  33.      Certains groupes continuΦrent d'avancer lentement vers le nord, en suivant la c⌠te du Labrador, pour atteindre il y a environ 5000 ans les baies Saglek et Ramah, bien au-delα de la limite des arbres. Les archΘologues ont menΘ des fouilles α un certain nombre de campements qui furent occupΘs de faτon continue par ces groupes, et ils ont rΘuni suffisamment d'informations pour nous permettre de reconstituer de faτon assez complΦte le mode de vie de ces populations.
  34.  
  35.      Les hypothΦses qui avaient ΘtΘ formulΘes au sujet de leurs activitΘs de chasse se sont vues confirmΘes par la dΘcouverte, en 1974, sur la route de L'Anse-Amour, dans le sud du Labrador, d'un tumulus contenant le squelette d'un enfant indien, accompagnΘ de divers objets en pierre, en os, en andouiller et en ivoire. Parmi les objets faits d'os de caribou, de morse ou d'oiseau se trouvait un harpon α tΩte dΘtachable. Ainsi, il y a 7 500 ans, les habitants du sud du Labrador Θtaient dΘjα bien ΘquipΘs pour exploiter les ressources de la c⌠te. Les ornements exΘcutΘs sur leurs outils et leurs armes, les peintures au moyen desquelles ils dΘcoraient leur Θquipement, et trΦs vraisemblablement leur corps, enfin la prΘsence d'un instrument de musique tΘmoignent aussi de la richesse de cette culture maritime; une culture suffisamment bien adaptΘe α la vie sur la c⌠te pour possΘder les moyens intellectuels et Θconomiques nΘcessaires α la crΘation de cette sΘpulture complexe, peu ordinaire de l'Anse-Amour.
  36.  
  37.      La vie de cette population Θtait si Θtroitement liΘe α la mer, mΩme α cette Θpoque ancienne, que le groupe reprΘsentΘ par le site de l'Anse-Amour appartient pour nous α la tradition archa∩que maritime, qui a ΘtΘ dΘcrite une premiΦre fois d'aprΦs les dΘcouvertes effectuΘes sur l'emplacement d'une autre sΘpulture. Le cimetiΦre de Port-au-Choix, vieux de 3 500 ans et situΘ sur la c⌠te ouest de Terre-Neuve, juste au sud du dΘtroit de Belle-Isle, contenait une vaste collection, apparemment complΦte, d'outils, d'armes et d'objets divers α caractΦre dΘcoratif ou magique en os, en andouiller et en ivoire. Les os s'Θtaient merveilleusement bien prΘservΘs, les corps ayant ΘtΘ ensevelis dans le sol de la plage rendu alcalin par une grande quantitΘ de morceaux de coquillages. On a mis au jour en 1968 plus de cinquante tombes contenant une bonne centaine d'individus, ce qui a permis aux archΘologues de donner une reconstitution remarquablement complΦte de la culture archa∩que maritime. Sans doute les squelettes humains avaient-ils beaucoup α nous apprendre, mais les objets enterrΘs avec eux prΘsentaient autant d'intΘrΩt, sinon plus encore.
  38.  
  39.      La prΘsence d'ossements de phoques, de baleines, de morses, d'ours polaires et de tout l'Θventail, ou presque, des oiseaux de mer de Terre-Neuve, y compris l'espΦce aujourd'hui disparue du grand pingouin, laisse croire que la vie des anciens habitants de Port-aux-Choix Θtait aussi Θtroitement liΘe α la mer que celle de leurs ancΩtres de la c⌠te sud du Labrador. On a Θgalement mis au jour des armes en pierre et en os qui servaient α prendre non seulement les animaux marins, mais encore le gibier des plateaux. Certains petits animaux α fourrure comme la loutre et le vison Θtaient peut-Ωtre pris au piΦge.
  40.  
  41.      Le dΘpeτage se faisait probablement au moyen de couteaux en pierre taillΘe; on n'a pas trouvΘ d'exemples de ces outils α Port-aux-Choix, mais ils reviennent souvent α d'autres sites de la culture archa∩que maritime, α Terre-Neuve comme au Labrador. Le fait que l'on a exhumΘ des armes et d'autres outils en os, en andouiller et en ivoire dΘmontre que les habitants de Port-aux-Choix savaient fendre ces matΘriaux, les tailler au couteau et les polir afin de crΘer une variΘtΘ d'objets utiles. Nous sommes aussi α peu prΦs certains que le bois Θtait une importante matiΦre premiΦre, bien qu'on n'en ait encore trouvΘ α aucun site archa∩que maritime. Nous sommes s√rs qu'on en faisait usage, car un grand nombre d'outils servant au travail du bois -- haches, herminettes et gouges en pierre -- ont ΘtΘ exhumΘs de ces sites; on a mΩme trouvΘ α Port-aux-Choix des ciseaux et des couteaux de bonne facture, ayant pour pointe une incisive de castor polie. Ces outils servaient sans doute α travailler les espΦces locales de bois dur et de bois mou pour fabriquer toutes sortes d'objets, depuis des embarcations, des supports de tentes et des manches d'armes et d'outils jusqu'α de dΘlicats pendentifs, semblables aux ravissants bijoux en os et en andouiller qui se sont prΘservΘs.
  42.  
  43.      Ces objets montrent que les groupes de la culture archa∩que maritime avaient su se doter des techniques nΘcessaires pour survivre α Terre-Neuve et au Labrador, mais les tombes de Port-aux-Choix attestent aussi qu'il existait, entre ces populations et leur milieu, des liens intellectuels et spirituels tout aussi solides. Dans presque chaque tombe avaient ΘtΘ dΘposΘs des griffes, des dents, des becs ou d'autres attributs des oiseaux et des animaux que chassaient les habitants de Port-aux-Choix. On y a Θgalement retrouvΘ de petites sculptures reprΘsentant une tΩte d'ours et divers oiseaux, qui servaient de pendentifs ou d'ornements pour la chevelure. On a exhumΘ enfin un certain nombre de cailloux blancs, de cristaux, de concrΘtions et divers autres objets qui semblent n'avoir eu aucune fonction utilitaire. Sans doute pourrait-il s'agir lα de simples ornements, mais nous croyons que leur prΘsence a un motif beaucoup plus profond. Il existe en effet, plus prΦs de nous, des peuples qui vivent de chasse, de pΩche et de cueillette, et dont les systΦmes de croyances visent α assurer une abondance de nourriture, de peaux et d'autres matiΦres premiΦres, α doter les individus de certaines qualitΘs, et enfin α dominer les aspects de l'existence humaine qu'ils ne peuvent gouverner directement. Ainsi, l'Indien de la tradition archa∩que maritime qui possΘdait les dents, les griffes ou quelque autre objet symbolisant un phoque pouvait, par ce moyen, se trouver avantagΘ par rapport au phoque qu'il chassait. Peut-Ωtre le bec ou la patte d'un goΘland ou d'un plongeon rendraient-ils leur propriΘtaire aussi bon pΩcheur que ces oiseaux. Les pattes ou les dents d'un renard ou d'un ours auraient le pouvoir d'infuser au chasseur qui les porte la ruse de l'un ou la force de l'autre. Il n'est pas aussi facile d'expliquer la prΘsence de cristaux, de cailloux et d'autres objets du mΩme genre, mais nous croyons qu'ils n'ont pas ΘtΘ ensevelis par accident.
  44.  
  45.      Nous voyons donc que les Indiens de la tradition archa∩que maritime avaient su adapter chaque aspect de leur mode de vie aux conditions de leur environnement. On sait qu'ils ont occupΘ α peu prΦs toute la c⌠te de l'εle de Terre-Neuve, de mΩme que le littoral du Labrador jusqu'α la baie Ramah, au nord. Pendant plus de 4 000 ans, soit α partir d'il y a 7 500 ans et jusqu'α il y a 3 500 ans environ, ces populations eurent la province α elles seules, et surent tirer parti de la richesse des forΩts, des landes et de la mer.
  46.  
  47.      Il y a un peu moins de 4 000 ans survint un ΘvΘnement qui allait changer tout le cours de la prΘhistoire de Terre-Neuve et du Labrador. Il ne s'agit pas d'un phΘnomΦne naturel, bien que la dΘtΘrioration du climat, vers cette Θpoque, n'y ait peut-Ωtre pas ΘtΘ ΘtrangΦre. Ce fut plut⌠t ce que nous appellerions un phΘnomΦne social: la partie septentrionale du Labrador vit arriver les premiers ΘlΘments d'un groupe qui se distinguait des Indiens de la tradition archa∩que maritime par la race, la langue, la culture et l'histoire.
  48.  
  49. La culture palΘo-esquimaude (il y a 4 000 α 1 000 ans) 
  50.  
  51.      Les ancΩtres de ces nouveaux-venus Θtaient partis de l'Alaska, probablement α la suite du boeuf musquΘ et d'autres mammifΦres marins et terrestres; ils avaient avancΘ vers l'est, traversant les rΘgions polaires, pour atteindre ce que nous appelons aujourd'hui l'extrΩme nord du Groenland. Au cours de cette expansion, il est trΦs vraisemblable qu'ils fondΦrent de petits Θtablissements derriΦre eux; avec le temps, les habitants de ces villages se mirent α explorer dans toutes les directions. Certains de ces voyages les amenΦrent vers le sud et, attirΘs par le gibier, ils finirent par se rendre au Labrador.
  52.  
  53.      Les archΘologues appellent ces groupes les PalΘo-Esquimaux, et dΘsignent leur culture sous le nom de tradition arctique des petits outils. Cette appellation est basΘe, d'une part, sur l'origine de ces groupes et sur la place qu'ils occupent dans la prΘhistoire, et d'autre part sur le fait qu'ils fabriquaient des armes et des outils minuscules, en pierre finement taillΘe. Au physique, les PalΘo-Esquimaux ressemblaient aux Inuit d'aujourd'hui: ils Θtaient trapus, ils avaient des traits semblables, et leurs cheveux Θtaient probablement noirs et plats. Peut-Ωtre mΩme parlaient-ils une langue apparentΘe α celle des Inuit.
  54.  
  55.      Les premiers nomades qui parcoururent les rΘgions polaires du Canada et du Groenland devaient sans doute se nourrir de boeuf musquΘ, de divers autres mammifΦres terrestres et d'oiseaux, mais les PalΘo-Esquimaux mirent rapidement au point une technique efficace pour la chasse au phoque, au morse et aux autres mammifΦres marins. Cette Θvolution rΘsulte peut-Ωtre de leur arrivΘe au Labrador, et plus particuliΦrement des contacts qu'ils durent avoir avec les Indiens de la tradition archa∩que maritime qui s'y trouvaient dΘjα. Nous savons que ces derniers possΘdaient les moyens techniques nΘcessaires α la chasse aux animaux marins, et notamment le harpon α tΩte dΘtachable, efficace pour le phoque et le morse. Les premiers PalΘo-Esquimaux, pour leur part, se tiraient d'affaire avec une sorte de harpon α barbelures caractΘristiques, sans doute moins efficace. Il est donc vraisemblable que les PalΘo-Esquimaux virent leurs premiers harpons α tΩte dΘtachable au Labrador, et que cette nouveautΘ se rΘpandit rapidement d'un bout α l'autre de l'Arctique. En leur permettant de diversifier leur Θconomie par l'addition de viande, de peau et d'ivoire de mammifΦres marins, le harpon α tΩte dΘtachable peut fort bien avoir transformΘ leur faτon de vivre. L'Θconomie des PalΘo-Esquimaux, qui rΘunissait dΘsormais les mammifΦres marins, les oiseaux, les poissons et les animaux terrestres, se rapprochait Θtroitement de celle des populations de la culture archa∩que maritime, ressemblance qui ne pouvait manquer de se reflΘter dans certains aspects du mode de vie de ces deux peuples.
  56.  
  57.      La tradition arctique des petits outils, α laquelle se rattachaient les premiers PalΘo-Esquimaux, se caractΘrise par des pointes de flΦches, des armatures distales bifaces de tΩtes de harpon, des grattoirs et des couteaux, tous faits de chert colorΘ finement taillΘ. Ces outils Θtaient employΘs de diverses maniΦres, et certains d'entre eux, trΦs particuliers, Θtaient spΘcialement faτonnΘs pour travailler l'os et pour couper certaines matiΦres. Le burin, petit outil en pierre taillΘe, aiguisΘ α une extrΘmitΘ, Θtait employΘ pour faτonner l'os, l'andouiller et l'ivoire; on se servait de microlames minces et tranchantes pour tailler les peaux et le bois.
  58.  
  59.      Les matiΦres organiques employΘes par les premiers PalΘo-Esquimaux de Terre-Neuve et du Labrador se sont rarement prΘservΘes. MΩme si les sites de l'Arctique o∙ les conditions sont plus favorables ne livrent qu'un trΦs petit nombre d'armes et d'outils. En dΘpit de ce fait, les archΘologues estiment que la vie des PalΘo-Esquimaux, certes pΘrilleuse par moments, devait Ωtre enrichie de mythes, de chansons, de plaisanteries et d'autres impondΘrables.
  60.  
  61.      Les premiers PalΘo-Esquimaux occupΦrent la province pendant une pΘriode allant d'un peu moins de 4 000 ans jusqu'α environ 2 200 ans avant aujourd'hui. Au cours de ces annΘes, ils descendirent vers le sud, depuis le Labrador jusqu'α l'εle de Terre-Neuve. Sur l'εle, les archΘologues ont retrouvΘ des outils et des armes minuscules en pierre taillΘe ressemblant α ceux du Labrador septentrional. Il y a 2 300 ou 2 400 ans, toutefois, leur nombre commenτa α diminuer, et l'on n'a encore exhumΘ aucun site de ces premiers PalΘo-Esquimaux qui remonte α moins de 2 200 ans environ. Les indices dont nous disposons actuellement permettent de supposer que ces groupes s'Θteignirent vers cette Θpoque et furent remplacΘs par d'autres PalΘo-Esquimaux, que les archΘologues dΘsignent sous le nom de DorsΘtiens.
  62.  
  63.      On a mis au jour, dans l'extrΩme nord du Labrador, quelques sites dorsΘtiens qui recouvrent sur une certaine pΘriode ceux des premiers PalΘo-Esquimaux; dans presque toute la province, cependant, ces deux cultures sont sΘparΘes par un intervalle de trois α quatre siΦcles. En outre, malgrΘ une certaine parentΘ entre les objets faτonnΘs par l'un et l'autre groupes, on observe.suffisamment de traits distinctifs pour penser que le passage du stade des premiers PalΘo-Esquimaux α celui des DorsΘtiens ne se fit probablement pas α Terre-Neuve ou au Labrador. Aucun indice ne nous permet encore de croire, toutefois, que cette Θvolution se soit effectuΘe ailleurs dans l'Arctique canadien.
  64.  
  65.      Au cours des trois ou quatre siΦcles qui suivirent leur apparition dans le Labrador septentrional, les DorsΘtiens s'Θtablirent rapidement dans toute la province, o∙ ils finirent par se trouver plus nombreux et plus rΘpandus que leurs prΘdΘcesseurs.
  66.  
  67.      └ l'origine, les outils et les armes fabriquΘs par les DorsΘtiens des diverses parties de la province prΘsentaient des ressemblances remarquables; α la longue, toutefois, l'Θloignement relatif de certains groupes finit par produire des diffΘrences de facture. Dans une certaine mesure, ce phΘnomΦne peut Ωtre aussi attribuable au processus d'adaptation α des milieux particuliers. Par exemple, alors que les DorsΘtiens de la c⌠te du Labrador et du nord-ouest de Terre-Neuve continuaient de poursuivre les grands troupeaux de phoques du Groenland qui revenaient tous les printemps, ceux qui s'Θtaient Θtablis dans l'est de Terre-Neuve et le long de la c⌠te sud, o∙ il n'y avait pas de phoques du Groenland, dΘpendaient davantage du phoque commun, et peut-Ωtre aussi du caribou et d'autres animaux terrestres. La distance qui sΘparait ces deux groupes est Θgalement apparente dans leurs objets faτonnΘs. Ainsi, le groupe de l'Est se servait rarement de lampes ou de bols de stΘatite, et employait sans aucun doute comme combustible, de prΘfΘrence α la graisse de phoque, le bois, qu'il lui Θtait facile de se procurer. Les pointes en pierre que ses membres fixaient au bout des harpons et de diverses autres armes Θtaient toujours triangulaires, mais, au lieu de les tailler, on les aiguisait par adoucissage. Ce sont lα quelques-unes des diffΘrences qui permettent aux archΘologues de distinguer l'un de l'autre ces deux groupes apparentΘs.
  68.  
  69.      Lα o∙ les conditions Θtaient favorables, certains DorsΘtiens s'Θtablissaient dans de gros villages qu'ils habitaient ΘtΘ comme hiver. └ la Pointe Riche (Terre-Neuve), prΦs de Port-aux-Choix, on peut voir plus de trente-cinq fosses rectangulaires, lα o∙ se trouvait jadis l'une de ces agglomΘrations. Chacune de ces fosses marque l'emplacement d'une ancienne maison semi-souterraine pourvue de murs de terre, de chevrons en bois et d'un toit de terre et de peau. Chaque maison avait son foyer central, mais on a aussi dΘcouvert des foyers extΘrieurs, d'o∙ l'on peut dΘduire que ce village Θtait un campement de base, habitΘ toute l'annΘe par une population sΘdentaire. Il est vraisemblable que, de temps α autre, de petits groupes partaient quelques jours en excursion de chasse, de pΩche ou de cueillette. Le golfe du Saint-Laurent n'Θtait toutefois qu'α quelques mΦtres, et ses richesses rΘpondaient largement aux besoins des DorsΘtiens.
  70.  
  71.      Il est possible que les croyances magiques et religieuses de ces gens du Dorset aient ΘtΘ semblables, pour certains traits fondamentaux, α celles des Indiens de l'archa∩que maritime. Elles devaient sans aucun doute assurer une bonne chasse, de mΩme que l'acquisition de qualitΘs personnelles souhaitables. Leur existence est attestΘe par de petites sculptures reprΘsentant des phoques, des ours et d'autres animaux, parfois tellement stylisΘs qu'ils en sont α peine reconnaissables. C'est Θgalement de cette dimension religieuse que semblent tΘmoigner quelques masques et autres objets du mΩme genre, ayant peut-Ωtre appartenu α des chamans qui intercΘdaient entre les membres de leur groupe et le monde des esprits.
  72.  
  73.      Il y a environ 1 400 ans, les DorsΘtiens commencΦrent α diminuer en nombre, α peu prΦs comme les premiers PalΘo-Esquimaux, quelques siΦcles auparavant. Cette fois encore, les archΘologues ignorent ce qui a pu se passer, mais ces deux extinctions ont peut-Ωtre eu les mΩmes causes. Nous savons en tout cas que de petites populations survΘcurent quelques siΦcles dans l'est de Terre-Neuve et bien aprΦs l'an 1 000 apr. J.-C. dans le nord du Labrador. Peut-Ωtre l'environnement Θtait-il plus stable dans ces rΘgions, ce qui aurait facilitΘ l'adaptation d'autres groupes. Ce n'est toutefois qu'en poussant les recherches que l'on fera la lumiΦre sur cette question difficile de la prΘhistoire des PalΘo-Esquimaux.
  74.  
  75. Les Indiens post-archa∩ques (il y a 3 500 ans α la pΘriode historique) 
  76.  
  77.      Sans doute n'est-il pas facile de se retrouver dans les cultures palΘo-esquimaudes de Terre-Neuve et du Labrador, marquΘes par deux migrations suivies d'extinctions, mais l'histoire plus rΘcente de la culture indienne de cette province n'est pas moins embrouillΘe. Il y a quelques annΘes, les archΘologues pensaient que les Indiens de la tradition archa∩que maritime Θtaient entiΦrement disparus entre 3 800 et 3 200 ans environ avant aujourd'hui, pour Ωtre remplacΘs par les PalΘo-Esquimaux, qui auraient α leur tour cΘdΘ la place α des Indiens arrivΘs plus rΘcemment.
  78.  
  79.      Les recherches effectuΘes au cours des dix derniΦres annΘes laissent croire, cependant, que le tableau serait plus complexe. Pour simplifier quelque peu, divisons les cultures des Indiens post-archa∩ques en deux pΘriodes: la pΘriode intermΘdiaire (il y a 3 500 - 2 000 ans) et la pΘriode rΘcente (α partir d'il y a 2 000 ans et jusqu'α la colonisation europΘenne).
  80.  
  81. Les Indiens de la pΘriode intermΘdiaire (il y a 3 500 α 2 000 ans) 
  82.  
  83.      Les Indiens de la pΘriode intermΘdiaire, qui s'Θtendit sur 1500 ans, occupΦrent une grande partie de la c⌠te du Labrador, au centre et au sud. Ils employaient parfois de la pierre en provenance du Labrador septentrional pour fabriquer leurs armes et leurs outils, mais on n'a retrouvΘ dans cette rΘgion aucun de leurs campements. De mΩme, bien que l'on ait dΘcouvert dans l'εle de Terre-Neuve quelques objets faτonnΘs ressemblant α ceux qu'ils ont laissΘs au Labrador, il reste qu'au moment o∙ nous Θcrivons ces lignes, en 1982, les archΘologues n'y ont encore retrouvΘ aucun de leurs Θtablissements. Les Indiens de la pΘriode intermΘdiaire Θtaient donc probablement aussi peu nombreux α Terre-Neuve qu'au Labrador septentrional.
  84.  
  85.      Les sites qui ont ΘtΘ fouillΘs, dans le centre et le sud du Labrador, se trouvent gΘnΘralement α faible altitude. Ils furent maintes fois occupΘs par les groupes indiens de la pΘriode intermΘdiaire; ceux-ci laissΦrent de grands foyers de galets, peut-Ωtre construits au milieu de tentes en peaux; on n'a toutefois retrouvΘ aucune trace de leurs habitations. Ces foyers Θtaient en tout cas le centre de l'activitΘ domestique, car on a dΘcouvert autour d'eux des Θclats de pierre rejetΘs lors de la fabrication de divers outils, voire mΩme certains de ces outils, apparemment perdus ou mis au rebut. Cette fois encore, seuls les objets en pierre se sont prΘservΘs. Au nombre de ces derniers, les plus caractΘristiques sont des pointes de projectile munies d'encoches latΘrales permettant de les fixer α une hampe, mais on a aussi rΘuni des couteaux et des grattoirs en pierre taillΘe, de mΩme que des Θclats de pierre allongΘs qui servaient probablement α couper certaines matiΦres. Certains gisements ont aussi livrΘ de minuscules Θclats de pierre aiguisΘs en pointes de flΦche.
  86.  
  87.      Il est difficile de prΘciser l'origine de ces groupes, mais on peut supposer qu'ils descendaient des anciennes populations de la tradition archa∩que maritime qui avaient habitΘ la partie mΘridionale du Labrador. Le peu que nous savons de leur mode de vie paraεt semblable α celui de ces premiers groupes; il semble toutefois que la technique trΦs avancΘe de l'ardoise polie leur ait ΘtΘ inconnue; par ailleurs, faute d'avoir retrouvΘ des objets faτonnΘs en os, en andouiller ou en ivoire, nous ignorons α peu prΦs tout des traits pouvant les rattacher α leurs prΘdΘcesseurs. Tout ce que nous croyons savoir α l'heure actuelle, c'est que les Indiens de la pΘriode intermΘdiaire Θtaient dispersΘs par petites bandes dans les parties centrale et mΘridionale de la c⌠te du Labrador, et qu'ils constituent un lien, bien tΘnu cependant, entre d'une part les Indiens de l'archa∩que maritime qui les avaient prΘcΘdΘs, et d'autre part les groupes qui apparurent il y a moins de 2000 ans.
  88.  
  89. Les Indiens de la pΘriode rΘcente (α partir d'il y a 2 000 ans et jusqu'α la colonisation europΘenne) 
  90.  
  91.      La prΘhistoire des Indiens de Terre-Neuve et du Labrador est un peu mieux connue pour les deux derniers millΘnaires jusqu'α la pΘriode des contacts que pour les 1 500 annΘes prΘcΘdentes, bien qu'elle soulΦve toujours un certain nombre de questions. Au Labrador, un ensemble de sites remontant α cette pΘriode ont livrΘ des objets faτonnΘs de facture semblable; on appelle cette collection le complexe de Point Revenge, du nom du premier site o∙ ce type de piΦces a ΘtΘ dΘcouvert. Dans l'εle de Terre-Neuve, les archΘologues ont identifiΘ deux complexes: celui de Beaches et celui de Little Passage. On ne sait rien de certain sur l'origine des groupes qui ont fabriquΘ ces objets, mais on a supposΘ qu'ils Θtaient venus de l'ouest ou qu'ils descendaient des Indiens de la pΘriode intermΘdiaire. Dans chacun des cas, l'archΘologue ne dispose que d'outils en pierre pour essayer de reconstituer l'histoire de ces populations, ce qui est extrΩmement difficile.
  92.  
  93.      Les groupes de Point Revenge habitaient de petits campements c⌠tiers assez semblables α ceux des Indiens de la pΘriode intermΘdiaire, leurs prΘdΘcesseurs. On y retrouve des pointes de projectile α encoches trΦs caractΘristiques, des couteaux en pierre taillΘe et de petits grattoirs unguiformes. Fait curieux, presque tous ces outils et ces armes sont en chert de Ramah provenant du Labrador septentrional, bien que la plupart des campements des Indiens de la pΘriode rΘcente, au Labrador, aient ΘtΘ situΘs au sud, loin des carriΦres de chert de Ramah. On se demande donc si les Indiens obtenaient ce matΘriau par voie d'Θchanges avec les DorsΘtiens, ou s'ils se rendaient eux-mΩmes aux carriΦres. Les groupes de Point Revenge exploitaient apparemment les mΩmes ressources marines et terrestres que d'autres Indiens du Labrador l'avaient fait avant eux, mais il nous est encore impossible de dΘterminer dans quelles proportions. Nous ne savons pas non plus avec certitude ce qu'ils ont pu devenir. Plusieurs sites remontent α l'Θpoque o∙ les Basques et d'autres groupes exploraient le littoral du Labrador, et pourtant on n'y a dΘcouvert aucun objet d'origine europΘenne α Point Revenge. On a trouvΘ par ailleurs une armature de tente en bois, effondrΘe, ressemblant aux structures que construisaient les Montagnais de l'Θpoque historique, ce qui a amenΘ certains auteurs α supposer que le complexe de Point Revenge pouvait reprΘsenter la culture montagnaise de la pΘriode prΘhistorique. Pour notre part, nous retenons plut⌠t l'hypothΦse que les groupes de Point Revenge descendaient des Indiens de la pΘriode intermΘdiaire, et qu'ils disparurent de la c⌠te du Labrador juste aprΦs l'arrivΘe des premiers EuropΘens, dans les annΘes 1 500.
  94.  
  95.      La situation dans l'εle de Terre-Neuve n'est pas moins difficile α dΘmΩler, quoique les derniΦres recherches aient accru largement notre connaissance de la pΘriode rΘcente. Comme nous l'avons indiquΘ plus haut, les archΘologues distinguent deux complexes. Le premier, celui de Beaches, rappelle le complexe de Point Revenge, plus ancien, auquel il peut Ωtre apparentΘ. La pierre locale remplace ici le chert de Ramah, mais les pointes de projectile, les couteaux et les grattoirs sont de forme semblable. On est Θgalement fondΘ α croire que les groupes de Beaches s'Θtaient adaptΘs α la vie sur la c⌠te, car on a retrouvΘ trΦs peu de leurs campements dans l'intΘrieur de l'εle de Terre-Neuve. On n'a pas encore datΘ ce complexe au moyen du carbone 14, mais les archΘologues sont d'avis qu'il remonte au dΘbut de la pΘriode rΘcente et qu'il peut Ωtre apparentΘ α celui de Little Passage, moins ancien.
  96.  
  97.      Cette derniΦre culture, connue depuis quelques annΘes seulement, comprend d'une part une diversitΘ de petites pointes de projectile α soie crantΘe, peut-Ωtre des pointes de flΦche ou des armatures terminales de harpon, et d'autre part des couteaux et des grattoirs qui ne prΘsentent pas de grandes diffΘrences avec ceux du complexe de Beaches. Les sites et les objets faτonnΘs du complexe de Little Passage sont situΘs le long des baies de Notre-Dame, de Bonavista et de la TrinitΘ, ainsi que sur la c⌠te sud de Terre-Neuve. On est donc fondΘ α croire que les groupes qui y ont vΘcu exploitaient les ressources aussi bien marines que terrestres, α l'instar des autres Indiens qui les avaient prΘcΘdΘs. Cette fois encore, cependant, nous devons nous contenter, pour essayer de reconstituer leur culture, de quelques bouts d'os jetΘs aprΦs les repas: aucun objet faτonnΘ en matiΦre organique n'a subsistΘ. Nous n'avons non plus aucun indice qui nous permette de dire ce que ces groupes sont devenus, mΩme si nous sommes tentΘs de voir en eux les ancΩtres des BΘothuks qui ont habitΘ Terre-Neuve α l'Θpoque historique.
  98.  
  99. Les BΘothuks (d'une Θpoque indΘterminΘe α 1829) 
  100.  
  101.      La prΘsente Θtude porte principalement sur la pΘriode prΘhistorique, mais nous croyons qu'il convient nΘanmoins de parler des BΘothuks de Terre-Neuve, mΩme si les archΘologues n'ont encore trouvΘ aucun site bΘothuk antΘrieur α l'Θtablissement des EuropΘens. Tous les renseignements que nous avons sur eux sont postΘrieurs α l'exploration et α la colonisation par les EuropΘens.
  102.  
  103.      Il est possible que le terme Peaux-Rouges vienne de la coutume qu'avaient les BΘothuks de se peindre le corps avec de l'ocre rouge. Comme ils furent parmi les premiers Indiens que les EuropΘens aperτurent au Canada, leur pratique peut fort bien Ωtre α l'origine de l'application de ce terme α tous les autochtones du Nouveau Monde. L'ocre rouge est employΘe depuis fort longtemps α Terre-Neuve, et le fait que l'on a continuΘ de s'en servir α l'Θpoque historique est peut-Ωtre le signe qu'il faut Θtablir un lien entre les BΘothuks et les Indiens de la tradition archa∩que maritime. Malheureusement, tous les indices dont nous disposons sur les origines des BΘothuks sont α peu prΦs aussi vagues que celui-lα. MalgrΘ les recherches obstinΘes des archΘologues, on n'a encore retrouvΘ aucun site contenant α la fois des objets de facture autochtone et des piΦces d'origine europΘenne. Il nous est donc impossible d'Θtablir avec certitude qui sont les ancΩtres des BΘothuks de l'Θpoque historique. Nous sommes portΘs α croire que certaines cultures des Indiens de l'Θpoque rΘcente, en particulier celles de la c⌠te nord-est et de la c⌠te sud, ont pu Ωtre α l'origine de la tradition des BΘothuks, mais seules des recherches plus poussΘes, avec un peu de chance, apporteront une rΘponse α cette question.
  104.  
  105.      Les archΘologues ont fait des fouilles α quelques sites bΘothuks de la pΘriode historique, et nous possΘdons quelques Θcrits du dΘbut du XVIIe siΦcle, puis de la fin du XVIIIe siΦcle jusqu'au dΘbut du XIXe, qui nous aident α comprendre la culture des BΘothuks. Selon ces tΘmoignages, deux choses semblent assez claires. PremiΦrement, il s'est produit certains changements profonds dans la culture bΘothuque entre l'Θpoque des premiers contacts avec les EuropΘens et le XIXe siΦcle; deuxiΦmement, les BΘothuks n'Θtaient pas, du moins de leur propre choix, ½le mystΘrieux peuple de l'intΘrieur de Terre-Neuve╗.
  106.  
  107.      Nous croyons que, α l'Θpoque prΘhistorique et au temps des tout premiers contacts avec les EuropΘens, les BΘothuks passaient la plus grande partie de l'annΘe sur la c⌠te, o∙ leur mode de subsistance Θtait trΦs semblable α celui des Indiens de l'archa∩que maritime. S'ils passaient quelque temps chaque annΘe α l'intΘrieur des terres (et rien ne le prouve), c'Θtait sans doute pour de brΦves pΘriodes, pendant la migration du caribou. Il est tout α fait possible qu'ils aient vΘcu toute l'annΘe sur la c⌠te, et que seuls de petits groupes de chasseurs aient quittΘ le village pour aller intercepter le caribou. Ainsi, en novembre 1612, John Guy visita un campement bΘothuk de la baie de la TrinitΘ o∙ il remarqua, entre autres choses, ½douze sabots de wapitis fraεchement tuΘs╗. Nous avons donc au moins quelques indices qui portent α croire α une longue occupation de la c⌠te, peut-Ωtre mΩme durant une bonne partie de la saison de la chasse au caribou. En outre, presque tous les sites bΘothuks de l'intΘrieur, le long de la riviΦre des Exploits, remontent aux XVIIIe et XIXe siΦcles. Il y a peu de sites plus rΘcents. AprΦs que les EuropΘens se furent Θtablis le long des c⌠tes de Terre-Neuve, la population bΘothuque diminua rapidement, jusqu'α se trouver rΘduite α quelques bandes confinΘes aux environs de la riviΦre des Exploits. La plupart des descriptions de la culture bΘothuque sont fondΘes sur l'observation de ces groupes dΘplacΘs.
  108.  
  109.      Certains changements attribuables α l'arrivΘe des EuropΘens, comme l'acquisition du fer, furent rapidement acceptΘs par les BΘothuks, auxquels ils s'avΘrΦrent d'ailleurs profitables; d'autres, toutefois, leur furent nettement nΘfastes. Les EuropΘens s'Θtablirent en des endroits du littoral de Terre-Neuve o∙ ils pouvaient facilement pΩcher, chasser le phoque, se procurer de l'eau douce et se protΘger des intempΘries -- toutes choses dont les BΘothuks avaient besoin pour survivre. En leur ⌠tant l'accΦs aux ressources c⌠tiΦres, que ces populations autochtones exploitaient peut-Ωtre depuis des millΘnaires, les EuropΘens scellΦrent sans aucun doute le destin des BΘothuks dΦs le dΘbut de la pΘriode historique.
  110.  
  111.      Il est difficile, sinon impossible, de se contenter des maigres ressources de l'intΘrieur de Terre-Neuve pour subsister; α ce rΘgime, les BΘothuks survΘcurent moins de deux cents ans. D'autres facteurs, comme les maladies europΘennes qui ont dΘcimΘ tant de peuples du Nouveau Monde, jouaient aussi contre eux. Nous savons que beaucoup de BΘothuks moururent de tuberculose. Jusqu'α la fin du XVIIIe siΦcle, au moment o∙ l'on fit plusieurs tentatives en vue de les soustraire α l'extinction, les BΘothuks n'intΘressaient nullement les EuropΘens. On faisait trΦs peu de troc avec eux, et on fit peu d'efforts pour les christianiser. Les efforts visant α les sauver ΘchouΦrent en partie α cause des facteurs que nous venons d'exposer, et en partie α cause des hostilitΘs sur lesquelles on a Θcrit un certain nombre de livres et d'articles depuis une vingtaine d'annΘes. La derniΦre BΘothuque dont l'existence nous soit connue, Shanawdithit, mourut en 1829.
  112.  
  113. La tradition thulΘenne et les Esquimaux du Labrador (il y a 500 ans α l'Θpoque actuelle) 
  114.  
  115.      Les derniers groupes prΘhistoriques qui ΘmigrΦrent au Labrador Θtaient une race arctique dont les descendants peuplent toujours la c⌠te. Ils descendirent du nord, comme avant eux les PalΘo-Esquimaux, et trouvΦrent probablement une terre d'o∙ les humains Θtaient absents, mais o∙ le gibier foisonnait. Ces groupes Θtaient toutefois diffΘrents de leurs prΘdΘcesseurs palΘo-esquimaux, car ils arrivΦrent au Labrador dans de grandes embarcations en peaux qu'ils appelaient des oumiaks, et aussi dans des kayaks, plus mobiles et beaucoup plus lΘgers; ils amenaient avec eux des chiens et des traεneaux. Contrairement aux PalΘo-Esquimaux, ils chassaient rΘguliΦrement le bΘlouga, tout en continuant de prendre des mammifΦres et des oiseaux marins, des poissons et des mammifΦres terrestres.
  116.  
  117.      └ une certaine Θpoque, peut-Ωtre vers le milieu du XVIIe siΦcle ces groupes, qui avaient vΘcu jusque-lα dans des villages composΘs de petites maisons ovales, commencΦrent α construire des habitations de plus en plus grandes. Au milieu du XVIIIe siΦcle, ils vivaient par maisonnΘes de plusieurs familles dans de grands bΓtiments rectangulaires dont certains mesuraient quinze mΦtres sur neuf. Ce changement correspond α une lΘgΦre dΘtΘrioration du climat et α l'arrivΘe des EuropΘens sur la c⌠te du labrador; on a d'ailleurs pensΘ qu'il fallait l'attribuer α ces deux phΘnomΦnes. Certains sont d'avis que le climat et les chasseurs europΘens ont pu contribuer tous deux α dΘcimer les baleines, ne laissant aux Inuit, pour survivre, que les phoques et le petit gibier. Il serait alors devenu impΘrieux de partager, ce qui aurait ΘtΘ beaucoup plus facile dans des maisons multifamiliales. Une autre hypothΦse veut que ces grandes maisons se soient construites autour de ½grands hommes╗ qui auraient acquis du prestige par suite d'un commerce fructueux avec les EuropΘens. La vΘritΘ se situe peut-Ωtre α mi-chemin.
  118.  
  119.      Quoi qu'il en soit, la prΘsence des EuropΘens ne fut pas aussi nΘfaste aux Inuit du Labrador qu'aux BΘothuks. Certes, les Inuit adoptΦrent tout aussi volontiers certains produits des techniques europΘennes; toutefois, grΓce peut-Ωtre α leur isolement gΘographique, leur mode de vie ne se trouva pas immΘdiatement menacΘ. L'influence europΘenne se fit cependant sentir de plus en plus au cours du XVIIIe siΦcle, et atteignit un point culminant, α la fin de ce siΦcle, avec l'Θtablissement de comptoirs et de missions moraves α plusieurs endroits du Labrador septentrional.
  120.  
  121.      Les Inuit dΘpendirent de plus en plus des EuropΘens pour des articles comme les balles, la poudre, mΩme certaines denrΘes, et les grandes habitations communes furent remplacΘes par de petites maisons unifamiliales, que l'on estimait mieux convenir aux EuropΘens. Les Θtablissements traditionnels finirent par Ωtre abandonnΘs au profit de campements α proximitΘ des missions, o∙ il Θtait plus facile de se procurer des marchandises. MalgrΘ le dΘclin que subit l'influence des Moraves, ce mode d'Θtablissement subsiste toujours. Les inuit du Labrador sont nΘanmoins parvenus α conserver une bonne partie de leur patrimoine, et ce en dΘpit des motoneiges, des fusils et de la tΘlΘvision. Le renouveau culturel des derniΦres annΘes permet de croire que beaucoup d'ΘlΘments de la culture traditionnelle se prΘserveront pour de nombreuses gΘnΘrations α venir.
  122.  
  123. RΘsumΘ 
  124.  
  125.      Nous voyons que les 9 000 ans d'histoire humaine de Terre-Neuve et du Labrador ressemblent α bien des Θgards α un gigantesque puzzle dont il manquerait de nombreuses piΦces. Une chose est s√re: il s'est produit plusieurs migrations, y compris celle d'un premier groupe indien il y a environ 9 000 ans, et plusieurs vagues plus rΘcentes de PalΘo-Esquimaux et d'Inuit.
  126.  
  127.      Il se peut que les descendants des premiers Indiens se soient si bien adaptΘs α la c⌠te de l'Atlantique qu'ils y aient vΘcu du dΘbut α la fin des pΘriodes archa∩quemaritime,intermΘdiaire et rΘcente, jusqu'α l'arrivΘe des EuropΘens. Il semble par ailleurs que les PalΘo-Esquimaux soient venus s'y installer α deux Θpoques, la premiΦre fois il y a 4 000 ans et la seconde il y a 2 000 ans. Ils s'Θtablirent chaque fois en diverses parties de la province, o∙ ils prospΘrΦrent quelque temps avant de disparaεtre. Les archΘologues s'interrogent toujours sur les causes de ces extinctions.
  128.  
  129.      En dΘpit de ces questions demeurΘes sans rΘponse, ou peut-Ωtre α cause d'elles, la prΘhistoire de Terre-Neuve et du Labrador est l'une des plus fascinantes au Canada. Les contacts entre Indiens et Esquimaux, l'existence de ces peuples α la frontiΦre de la terre et de la mer, l'influence de la mer sur l'Θvolution de leur culture et d'autres sujets encore occupent actuellement l'attention des archΘologues. Nous nous attendons α recueillir au cours des dix prochaines annΘes d'importantes nouvelles informations qui, nous l'espΘrons, viendront ajouter α nos connaissances.  
  130.  
  131.