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Text File  |  1996-06-20  |  21KB  |  55 lines

  1. LES IMMIGRANTS DANS LA VILLE: LE NORTH END DE WINNIPEG, 1900-1920 
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  3. J.E. Rea 
  4.  
  5.      Au dÄbut du XXe siÅcle, le Canada allait mettre tout en oeuvre pour rÄaliser le grand rÉve qui avait donnÄ naissance ê la ConfÄdÄration -- la crÄation d'un Dominion transcontinental. La derniÅre Ätape, Ätape cruciale du dÄveloppement d'une Äconomie nationale, Ätait la colonisation des prairies de l'Ouest. Les milieux d'affaires de Toronto et de MontrÄal considÄraient en effet l'acquisition de ce vaste arriÅre-pays comme un des grands objectifs du projet confÄdÄral: elle offrirait au centre du Canada un marchÄ et une source de matiÅres premiÅres, et aux compagnies de chemin de fer un commerce stable et florissant entre l'est et l'ouest du pays. Si seulement les colons venaient s'installer!
  6.  
  7.      Dans le but de faire valoir l'Ouest canadien et d'en favoriser la colonisation, le ministÅre fÄdÄral de l'IntÄrieur, sous la direction de Clifford Sifton, entreprit le recrutement intensif d'agriculteurs immigrants. Le ministÅre envoya ses agents dans toutes les parties du Royaume-Uni et des âtats-Unis pour vanter les avantages des terres encore inexploitÄes des prairies canadiennes. Les rÄsultats de cette campagne furent encourageants, non seulement pour les recruteurs du gouvernement, mais encore pour les reprÄsentants des compagnies de chemin de fer et des organismes privÄs de colonisation. Le gouvernement ne fut toutefois pas encore satisfait et rompit avec la tradition en se tournant vers une nouvelle source de fermiers expÄrimentÄs, la paysannerie du sud-est de l'Europe, ces ╟hommes en manteaux de peau de mouton╚ ê l'aspect exotique. Eux sauraient labourer la plaine et, la faisant produire et prospÄrer, mener ê bien la grande entreprise. Justement, cette nouvelle orientation de la politique d'immigration coòncida presque exactement avec une des grandes migrations de l'histoire de l'humanitÄ, qui vit des millions de gens quitter l'Europe pour les territoires de colonisation du globe. 
  8.  
  9.      La grande majoritÄ des immigrants qui, pour quelque raison que ce soit, choisirent de s'installer dans l'Ouest canadien passÅrent par Winnipeg. La mÄtropole champignon des Prairies, o¥ convergeaient les voies nationales de transport, devint une base de dÄpart pour lest terres nouvelles. Cependant, parmi les dizaines de milliers de personnes qui affluÅrent ê Winnipeg avant la Grande Guerre, beaucoup n'allÅrent jamais plus loin. Des centaines d'autres, insuffisamment prÄparÄes ê la culture des prairies ou dÄsabusÄes par de mauvaises terres, revinrent en ville pour s'y engager comme ouvriers dans les chemins de fer ou d'autres industries en pleine croissance. Il en rÄsulta pour Winnipeg une formidable Ävolution du chiffre de la population et de ses caractÅres dÄmographiques.
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  11.      ╦ la fin du XIXe siÅcle, au tout dÄbut de la grande vague d'immigration de l'Ouest, la population de Winnipeg Ätait de 42 534 habitants. En 1905, elle s'Älevait ê 79 975, soit presque le double; en 1910, elle Ätait passÄe ê 132 720; enfin, au dÄbut de la guerre, en 1914, elle atteignait 203 255. Ce rythme de croissance stupÄfiant mit ê rude Äpreuve les services, les possibilitÄs de logement, les installations sanitaires et les autres ressources de la ville. Cette agglomÄration pionniÅre, pleine de vigueur et de dynamisme, s'efforìait dÄsespÄrÄment de rÄsoudre les problÅmes suscitÄs par sa croissance rapide et de rÄpondre au dÄfi culturel que semblaient poser les arrivants.
  12.  
  13.      La croissance de la ville amena la crÄation d'une sÄrie de quartiers et de communautÄs urbaines qui prirent bientÖt des caractÅres bien dÄfinis, marquÄs en grande partie par la classe et l'ethnie. Ces barriÅres sociales furent mises en Ävidence par des facteurs tangibles d'isolement physique ê Winnipeg. Les trois riviÅres, la Rouge, l'Assiniboine et la Seine, qui avaient ÄtÄ auparavant des voies importantes de commerce et de communication, devinrent de fëcheux obstacles dans le contexte urbain. Par la suite, avec l'arrivÄe des chemins de fer, d'abord le Canadien Pacifique, puis le Canadian Northern, le Grand Trunk Pacific et le Midland, Winnipeg se trouva encore davantage divisÄe en communautÄs distinctes plus ou moins autonomes. Un des plus importants de ces nouveaux secteurs Ätait le North End, bruyant, grouillant de monde, quartier des immigrants venus grossir le nombre des ouvriers non spÄcialisÄs. La ligne principale du CP, avec ses ateliers et son immense cour de triage, devint la limite sud du quartier. Encore de nos jours, cette barriÅre physique et psychologique partage la ville. Elle eut pour rÄsultat la crÄation d'une communautÄ distincte ê l'intÄrieur de Winnipeg, laquelle projeta chez le groupe majoritaire occupant d'autres parties de la ville une image toute diffÄrente de celle qu'en avaient ses membres.
  14.  
  15.      Le North End Ätait considÄrÄ traditionnellement comme le ╟secteur des Ätrangers╚ ou comme un ghetto ethnique; on signifiait par lê que ses habitants Ätaient en grande majoritÄ des immigrants non britanniques. En rÄalitÄ, le caractÅre particulier du North End, au dÄpart, tenait davantage ê la classe sociale qu'ê l'origine ethnique. ╦ la fin des annÄes 1890, Äpoque ê laquelle commencÅrent ê affluer les premiers immigrants non britanniques, on trouvait dÄjê une population ouvriÅre assez considÄrable au nord des voies du CP. Les arrivants europÄens, invariablement pauvres et non spÄcialisÄs, cherchÅrent naturellement ê s'installer lê o¥ le logement Ätait le moins cher. Bien que le North End soit demeurÄ jusqu'ê rÄcemment un secteur exclusivement ouvrier, il se distingua trÅs tÖt par sa diversitÄ ethnique. L'afflux d'immigrants Äveilla l'attention de nombreux WinnipÄgois, parmi lesquels le populaire journaliste George F. Chapman, qui Äcrivit dans le Canadian Magazine en 1909: ╟Le ╟North End╚ a pris ê l'intÄrieur de la ville un cachet bien particulier. Sans doute ses habitants ne sont-ils pas tous Ätrangers, mais la plupart parlent une autre langue que l'anglais╚.
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  17.      Chapman contribuait ainsi ê crÄer le stÄrÄotype du ╟secteur des Ätrangers╚. Cette image Ätait pourtant considÄrablement faussÄe. En 1916, 83% de la population slave de la ville et 87% des Juifs vivaient dans le North End. NÄanmoins, on y trouvait seulement deux tiers des Scandinaves et ê peine 22% des Allemands. ╦ aucun moment, au dÄbut du XXe siÅcle, les Britanniques n'ont reprÄsentÄ moins de 45% des habitants du quartier. Il apparaöt toutefois clairement que les observateurs d'origine britannique avaient du North End une perception dÄterminÄe par les groupes les moins apparentÄs ê la majoritÄ culturelle. On Ätait gÄnÄralement d'avis que les Allemands et les Scandinaves, dont la culture se rapprochait sensiblement de celle des Britanniques, s'intÄgreraient bientÖt ê la sociÄtÄ de l'Ouest canadien. Par contre, le jeune Chapman fit Ätat d'un doute croissant quant ê la possibilitÄ d'assimiler les Juifs et les Slaves: ╟La fusion des races dans le creuset national fait des progrÅs. Les hauts fourneaux sont en train de former le nouveau Canadien... mais le systÅme accuse une faille. Le produit ne donne pas satisfaction, et le processus n'est ni assez rapide ni assez s₧r╚.
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  19.      La premiÅre image du North End de Winnipeg, celle qui en faisait un ghetto ethnique, fut ainsi crÄÄe par le groupe majoritaire. Elle contenait bien s₧r une part de vÄritÄ, mais l'idÄe que les immigrants d'Europe de l'Est reprÄsentaient une menace pour la culture dominante venait de l'insÄcuritÄ des chefs du groupe majoritaire, qui n'Ätaient aprÅs tout qu'une Älite plutÖt rÄcente. Le rÅglement de la question scolaire du Manitoba en 1897, qui marqua l'accession des Manitobains originaires de l'Ontario ê la domination culturelle, coòncida avec le dÄbut de la migration des EuropÄens vers l'Ouest. La majoritÄ britannique de Winnipeg s'Ätait ê peine assurÄe le pouvoir au sein des institutions sociales les plus importantes qu'elle dut affronter cette nouvelle menace. Il sembla soudain bien prÄmaturÄ de croire que l'Ouest canadien serait anglo-canadien et protestant. Le groupe majoritaire s'appliqua en consÄquence ê souligner par des comparaisons dÄsobligeantes les particularitÄs culturelles des nouveaux venus, les valeurs et les coutumes britanniques Ätant posÄes comme un idÄal ê imiter.
  20.  
  21.      On trouve un exemple de cette dÄmarche dans l'oeuvre de Ralph Connor. Connor Ätait le pseudonyme du RÄvÄrend Charles W. Gordon, ministre presbytÄrien bien en vue ê Winnipeg. Ses romans, qui prÖnaient pour l'Ouest un christianisme musclÄ, se trouvaient dans la plupart des foyers anglais de la classe moyenne. Dans un des mieux connus, The Foreigner, Äcrit en 1909 ê l'apogÄe de la nouvelle vague d'immigrants, il terminait une longue description d'une noce slave par le message suivant:
  22.  
  23.      Entre-temps, alors que le Winnipeg respectable dormait bien au chaud sous les toits couverts de neige et les cheminÄes fumantes, alors que convives et passants attardÄs revenaient, par les rues blanches et silencieuses et les avenues bordÄes d'arbres lourds de neige, ê leur foyer o¥ rÄgnaient l'amour, la paix et la vertu, dans la colonie ÄtrangÅre du North End les festivitÄs auxquelles avaient donnÄ lieu les noces d'Anka allaient se terminer dans les danses sordides des ivrognes et les bagarres sanguinaires.
  24.  
  25. Les normes de conduite ê respecter dans le nouveau pays Ätaient donc clairement ÄnoncÄes, et les traditions des immigrants condamnÄes.
  26.  
  27.      Si les WinnipÄgois d'origine britannique observaient avec une apprÄhension croissante l'augmentation du nombre des immigrants dans le North End, ceux-ci Ätaient inconscients de cette crainte. Ils avaient en effet des prÄoccupations plus pressantes: se bëtir une nouvelle vie dans cette ville dÄroutante, dure et souvent redoutable. Presque toujours, les EuropÄens de l'Est Ätaient entraönÄs dans le North End pour y trouver, non seulement des logements peu co₧teux, mais encore des compatriotes. Ils avaient besoin, ce qui est comprÄhensible, de quelque chose de stable et de familier dans ce monde nouveau et effrayant. D'un pëtÄ de maisons ê l'autre, ils s'efforìaient de recrÄer l'atmosphÅre de communautÄ villageoise qu'ils avaient laissÄe derriÅre eux. Ils cherchaient du rÄconfort dans leur langue, leurs pratiques religieuses et les coutumes de l'ancien monde. Le North End devint une juxtaposition de petits villages -- juifs, galiciens, bucoviens, polonais, russes, slovaques, finnois -- o¥ les nouveaux venus vivaient ê l'Äcart de l'univers anglo-canadien peu accueillant qui commenìait de l'autre cÖtÄ des voies ferrÄes.
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  29.      Les habitants du North End n'avaient guÅre besoin de frÄquenter le grand quartier commercial du centre de la ville. Le long de Main Street au nord et de Selkirk Avenue ê l'ouest se crÄÅrent des secteurs commerciaux o¥ les magasins de dÄtail et les petites industries de services tenus par les Anglais devinrent progressivement la propriÄtÄ d'immigrants ambitieux. Les tailleurs juifs, les constructeurs ukrainiens et les bouchers polonais contribuÅrent ê la formation d'un secteur d'affaires o¥ se cÖtoyaient une douzaine de langues. Les marchÄs locaux, o¥ l'on pouvait obtenir des aliments traditionnels, devinrent le symbole pittoresque de la vie communautaire du North End.
  30.  
  31.      Il faut pourtant rÄsister ê la tentation d'exagÄrer cet aspect romantique. Le North End Ätait Ägalement un monde terriblement congestionnÄ. Les possibilitÄs de logement de Winnipeg furent presque toujours insuffisantes avant la Grande Guerre, en particulier en ce qui a trait aux logements ê prix modique destinÄs aux ouvriers. Il en rÄsulta dans le North End une extraordinaire densitÄ de population. Les entrepreneurs exploitÅrent la situation en divisant le terrain par lots de 7,5 et de 10 m, sur lesquels ils construisirent ê la hëte des pëtÄs entiers de logements en rangÄe de qualitÄ infÄrieure. L'habitation unifamiliale Ätait un luxe quasi inconnu. Les amis originaires du mÉme village, les parents sans logis et les difficultÄs financiÅres obligeant ê prendre des locataires, tout contribuait ê une incroyable surpopulation. Nous trouvons un exemple de ces conditions de vie dans un tableau peint sur le vif par un des premiers travailleurs sociaux du North End :
  32.  
  33.      Sa chambre est situÄe dans un vieux logement miteux une de ces taupiniÅres humaines qui se multiplient trÅs rapidement dans notre ville. Le pÅre est sans travail. Les pensionnaires de mÉme. La piÅce est d'une saletÄ repoussante. La fillette est malade depuis des mois; depuis tout ce temps, elle occupe un lit dans lequel doivent dormir trois ou quatre personnes et qui sert en outre de table et e chaises. Depuis des semaines, cette fillette souffre d'une maladie de la peau qui s'est transmise aux enfants des chambres voisines. Elle s'est grattÄ les bras et les jambes jusqu'ê ce que s'ouvrent de grandes plaies qui se sont infectÄes. L'autre jour, j'ai vu sa mÅre plonger un ignoble torchon ê vaisselle dans l'eau des pommes de terre et en laver ses plaies!
  34.  
  35.      Dans certaines parties du North End, les conditions Ätaient effectivement scandaleuses. Il existait trÅs peu de logements pour les centaines de travailleurs saisonniers, de sorte que les familles prenaient frÄquemment 20 ou 25 locataires ê cinq cents la nuit. âtant donnÄ la surpopulation, les systÅmes d'Ägout rudimentaires et les mauvaises conditions d'hygiÅne ouvraient la porte aux maladies endÄmiques. Au cours de l'ÄtÄ 1912, la mortalitÄ infantile chez la population dite ╟ÄtrangÅre╚ fut ÄvaluÄe ê 28,2%. Les cas de tuberculose se chiffraient en 1918 ê 3,8 pour 1 000, ce qui Ätait le taux le plus ÄlevÄ de Winnipeg.
  36.  
  37.      Les immigrants d'Europe de l'Est arrivaient le plus souvent sans aucune aptitude professionnelle. Pour la plupart, ils avaient ÄtÄ paysans ou mÄtayers. Ils acceptaient donc tous les travaux pÄnibles qui leur Ätaient offerts, mÉme les plus mal rÄmunÄrÄs, au grand dÄsespoir des ouvriers britanniques, qui voyaient baisser les salaires. Bien entendu, les syndicats de Winnipeg exerìaient chaque annÄe des pressions pour stopper le flot d'immigrants, dont la concurrence reprÄsentait une sÄrieuse menace. Il n'est donc pas surprenant que la Chambre de commerce de Winnipeg ait militÄ avec enthousiasme en faveur de l'immigration.
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  39.      La construction des voies ferrÄes et les travaux de dÄfrichement Äloignaient de Winnipeg des centaines d'hommes tous les ÄtÄs, mais ils revenaient en ville pour l'hiver. D'autres trouvaient ê s'engager dans le bëtiment, dans les ateliers de vÉtements et dans diverses autres occupations non spÄcialisÄes. On estime qu'en 1918, 95% de la population ukrainienne de Winnipeg gagnait moins de 100$ par mois. Un trÅs petit nombre d'immigrants se lanìaient dans les affaires ê leur compte, d'ordinaire avec un capital modeste et une clientÅle limitÄe ê leur groupe ethnique.
  40.  
  41.      Les habitants du North End se raccrochaient aux traditions religieuses de leur pays d'origine plus par go₧t de la vie communautaire que par besoin de spiritualitÄ. La plupart des EuropÄens de l'Est Ätaient orthodoxes, juifs, catholiques romains ou catholiques de rite oriental, et pratiquaient leur religion dans leur langue maternelle. Dans tout le quartier surgirent les synagogues et les Äglises ê dÖme bulbeux caractÄristiques. Elles Ätaient souvent construites de ferraille, de vieilles caisses d'emballage et d'autres matÄriaux de fortune. BientÖt, les Äglises et leurs ╟salles paroissiales╚ devinrent les centres de la vie communautaire, remparts contre la nouvelle sociÄtÄ. Le cycle rituel du monde paysan, naissance, mariage et mort, comme depuis toujours dans les vieux pays, assurait l'unitÄ du groupe. Rien d'Ätonnant ê ce que la conservation de la langue et de la religion traditionnelles ait ÄtÄ aussi importante pour les immigrants que l'Ätait leur Älimination pour la majoritÄ anglaise et protestante.
  42.  
  43.      Cette derniÅre Ätait fermement convaincue que la seule solution au dÄfi culturel Ätait la ╟canadianisation╚ des immigrants. Toutes les institutions sociales de quelque importance collaborÅrent ê l'accomplissement de cette grande entreprise, et non seulement les plus en vue, comme les Äglises protestantes et l'enseignement public, mais encore le Y.M.C.A, les scouts et les organisations d'infirmiÅres. On ne saurait certes mettre en doute l'esprit de gÄnÄrositÄ qui prÄsida ê la majeure partie de cette activitÄ, surtout dans le cas des adeptes du mouvement Social Gospel de l'Äpoque. Pourtant, les motifs qui animaient la Margaret Scott Nursing Mission et les All People's Missions de J.S. Woodsworth, tout admirables qu'ils aient ÄtÄ pour leur sens du devoir chrÄtien, reposaient en dÄfinitive sur la conviction que la sociÄtÄ anglo-canadienne Ätait en soi supÄrieure et que les immigrants devaient Étre remodelÄs.
  44.  
  45.      Une bonne part du travail d'assimilation visait les enfants des immigrants, ce qui rendait inÄvitable un conflit des gÄnÄrations au sein des familles. Les corollaires sociaux du protestantisme libÄral -- individualisme et matÄrialisme -- allaient ê l'encontre de l'Äthique paysanne, basÄe sur le sens communautaire et axÄe sur l'au-delê. La domination des institutions sociales par le groupe majoritaire amena, comme c'Ätait inÄvitable, une perte de vitalitÄ pour la culture des immigrants. Cette tendance se heurta toutefois ê de fortes rÄsistances.
  46.  
  47.      Il se produisit dans le North End un phÄnomÅne assez remarquable. Alors que les efforts d'assimilation commenìaient ê briser l'unitÄ de certains groupes ethniques, ces groupes mÉmes se trouvÅrent renforcÄs par un sentiment de plus en plus fort d'appartenance ê une mÉme classe sociale. En 1912, Der Yid publia l'attaque suivante, dirigÄe contre les Juifs qui avaient quittÄ la communautÄ:
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  49.      Ils croyaient qu'ils seraient toujours nos frÅres les plus forts ê Winnipeg... Jamais ils n'ont daignÄ descendre vraiment dans le North End; jamais ils n'ont entendu battre le pouls de la rue juive. Jamais les joies ni les peines de la communautÄ juive ne les ont intÄressÄs. Ils sont venus tout juste une fois, pour dÄployer leurs ailes et, par l'Äclat de leurs dollars et la fumÄe de leurs cigares, ils essaient de placer le North End juif sous leurs ailes. Le North End, ils doivent maintenant l'admettre, sera bientÖt.plus puissant qu'eux, et la langue (le yiddish) qu'ils ont tellement dÄprÄciÄe est la seule qui soit parlÄe par ceux des Juifs qui deviennent chaque jour de plus en plus forts; le North End compte un thÄëtre yiddish, on y construit une Äcole pour l'enseignement du Talmud, et une fois de plus on y publie un journal yiddish... oui, c'est bien dans le North End que tout ceci se passe.
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  51.      ╦ l'Äpoque de la Grande Guerre, les groupes minoritaires du North End tÄmoignaient en effet d'un degrÄ remarquable d'activitÄ culturelle et intellectuelle. On trouvait chez eux des sociÄtÄs de musique, de danse et d'art dramatique. Les clubs de lecture recrutaient de nombreux membres. Il s'Äcrivait beaucoup de choses, dont trÅs peu a ÄtÄ traduit jusqu'ê prÄsent, et la presse ethnique Ätait florissante. Au dÄbut de la guerre, il existait deux journaux islandais, un suÄdois, un norvÄgien, un allemand, un yiddish, un polonais et cinq ukrainiens, tous publiÄs ê Winnipeg. On trouvait parmi eux des organes religieux et nationalistes, d'autres qui servaient les intÄrÉts Älectoraux des partis politiques canadiens et enfin des publications radicales au ton enflammÄ .
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  53.      Les intellectuels du North End, bien que peu nombreux, Ätaient trÅs actifs. Leurs chefs de file appartenaient presque tous aux Äglises ou ê un groupe socialiste, vigoureux quoique bigarrÄ, jouissant d'une influence considÄrable en dehors de ses propres rangs. Mais la Grande Guerre -- livrÄe, paradoxalement, pour rendre la libertÄ aux petits peuples -- Ätouffa la vitalitÄ intellectuelle du quartier. La plupart des Slaves et des Juifs venaient de l'Empire austro-hongrois chancelant, et ils Ätaient considÄrÄs comme des Ätrangers ennemis, au mÉme titre que les Allemands. En 1918, leurs journaux furent supprimÄs et leur langue pratiquement prohibÄe. La guerre marqua Ägalement la fin du plus fort afflux d'immigrants que le Canada ait connu. La paix revenue, le North End entra dans une nouvelle phase de son dÄveloppement. Ce furent nÄanmoins les quelque 12 premiÅres annÄes du siÅcle qui dÄterminÅrent l'image du quartier: polyglotte, pittoresque, souvent misÄrable, mais produisant des hommes et des femmes bien rÄsolus ê se tailler une place dans la vie de la ville.  
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