Marlynn Jolliffe, Charles 0. Fairbank fils et Brian Arnott
Au milieu du XIXe siΦcle, la vague d'industrialisation rapide qui dΘferlait sur l'ouest de l'Europe et sur l'AmΘrique du Nord crΘait une demande sans prΘcΘdent de lubrifiants pour les machines et de combustibles pour l'Θclairage. Le produit qui rΘpondait α ces deux grands besoins Θtait le pΘtrole, et les structures de base de tous les futurs progrΦs de l'industrie pΘtroliΦre mondiale existaient dans le Canada d'avant la ConfΘdΘration.
Avant 1858, plusieurs hommes s'Θtaient intΘressΘs aux ½gisements de goudron╗ du canton d'Enniskillen, α 30 kilomΦtres environ au sud-est de la ville actuelle de Sarnia, mais c'est James Miller Williams (1818-1890) qui entreprit de raffiner la substance bitumineuse qui s'y trouvait et de vendre le produit de l'opΘration comme huile d'Θclairage. En ao√t 1858, cet ancien carrossier de Hamilton avait mis en exploitation le premier puits de pΘtrole commercial du monde, rΘussi α raffiner la matiΦre brute, mis en marchΘ le produit et, ce faisant, fondΘ l'une des plus importantes industries extractives du monde moderne.
Explorateurs et arpenteurs
Les EuropΘens qui ouvrirent l'AmΘrique du Nord α la colonisation et au commerce notΦrent la prΘsence de pΘtrole α plusieurs endroits. DΦs 1726, un missionnaire franτais avait constatΘ l'utilisation du pΘtrole chez les AmΘrindiens vivant au sud du lac ╔riΘ. Dans les annΘes 1790, l'explorateur Alexander MacKenzie mentionnait que les Cris du nord de l'Alberta se servaient de bitume tirΘ des sables de l'Athabasca pour calfater leurs canots. Au cours d'un voyage le long de la rive nord du lac ╔riΘ en 1793, le colonel John Graves Simcoe remarqua la prΘsence sur la riviΦre Thames d'une nappe de pΘtrole dont Mme Simcoe trouva l'odeur dΘsagrΘable.
Dans le cadre d'une Θtude topographique de l'Ouest canadien dans les annΘes 1840, le gΘologue provincial, sir William Logan, demanda au chimiste qui faisait partie de son personnel, Thomas Sterry Hunt, de prΘlever des Θchantillons du sol en divers endroits pour les analyser. De l'Θchantillon tirΘ du marΘcage d'Enniskillen, Hunt disait que sa consistance ½ressemble plus ou moins α la variΘtΘ connue sous le nom de caoutchouc minΘral. L'utilisation qu'on fait de cette matiΦre en Angleterre et sur le continent pour la construction de routes, le calfatage de la coque des navires, la production de gaz d'Θclairage, ce α quoi elle se prΩte α merveille, suffit pour qu'on attache une importance considΘrable aux dΘp⌠ts qu'on en trouve dans ce pays...╗ Le rapport de Hunt incita Logan α envoyer son adjoint, Alexander Murray, Θtudier la situation. Ce dernier disait dans son rapport: ½Selon les observations, la partie supΘrieure de l'argile Θtait plus ou moins imprΘgnΘe de pΘtrole et de petites gouttelettes noires de la mΩme substance Θtaient dissΘminΘes dans la masse jusqu'α une profondeur de quatre ou cinq pieds... On pouvait voir l'huile bitumeuse qui montait α la surface de l'eau dans le ruisseau Black...╗
La plupart des observateurs de l'Θpoque portΦrent peu d'intΘrΩt aux dΘcouvertes des hommes de science. Les ½sources de pΘtrole╗ que Hunt et Murray trouvΦrent dans le sud-est de l'Ontario se trouvaient dans une rΘgion tout α fait inhabitable pour l'homme. Le canton d'Enniskillen, qui s'Θtendait sur 34 800 hectares, Θtait complΦtement recouvert d'une Θpaisse forΩt de chΩnes, de noyers, d'ormes et de frΩnes noirs. Il Θtait traversΘ par deux ruisseaux appelΘs Bear et Black. Dans le sol, une couche impermΘable d'argile bleue retenait l'eau, d'o∙ le nom de ½Black Swamp╗ donnΘ α cette rΘgion. Au printemps et en ΘtΘ, ce marΘcage produisait des multitudes de moustiques qui propageaient le ½paludisme╗ parmi les quelques colons qui l'habitaient. Les zones les plus malsaines de ce marΘcage Θtaient constituΘes de deux gisements de goudron, couvrant plusieurs hectares, o∙ une substance bitumeuse recouvrait le sol α une profondeur variant de quelques centimΦtres α plus d'un mΦtre. Une route qui traversait cette rΘgion fut dΘcrite comme ½un banc de boue de 12 milles de long dans lequel les chevaux risquaient α tout moment de disparaεtre╗. Ceux qui s'y aventuraient devaient avoir de trΦs bonnes raisons de le faire. C'Θtait le cas de Charles Tripp.
Production d'asphalte
Tripp avait peut-Ωtre appris d'Alexander Murray l'existence du marΘcage d'Enniskillen, car tous deux habitaient Woodstock, qui se trouvait α proximitΘ. Vers 1850, Tripp eut l'idΘe de produire de l'asphalte α partir des gisements de goudron d'Enniskillen et, deux ans plus tard, avec son frΦre Henry et d'autres investisseurs, il demanda au Conseil lΘgislatif du Haut-Canada la charte de la premiΦre compagnie pΘtroliΦre du monde. En 1854, cette charte fut finalement accordΘe α l'International Mining and Manufacturing Company pour ½l'exploration de gisements d'asphalte, de sources de pΘtrole et de sel et la transformation de ces substances en vue des divers usages auxquels elles peuvent Ωtre adaptΘes et mises en marchΘ╗. La sociΘtΘ produisit effectivement, avec la matiΦre bitumeuse qu'elle extrayait du sol, une certaine quantitΘ de pΘtrole lampant, mais elle s'intΘressa principalement α l'asphalte, pour laquelle elle reτut une mention honorable α l'Exposition universelle de Paris en 1855.
MalgrΘ ses premiers succΦs, l'International Mining and Manufacturing Company fut un Θchec. Les problΦmes de transport se rΘvΘlΦrent insolubles; les chemins terrestres Θtaient presque impraticables et aucune voie ferrΘe ne reliait les gisements aux marchΘs Θventuels de la rΘgion populeuse de Toronto-Hamilton. En outre, la sociΘtΘ manquait sans doute de capitaux pour acheter de l'Θquipement de distillation. La distillation du bitume, en transformant celui-ci en pΘtrole utilisable, aurait diversifiΘ la production et ouvert de nouveaux dΘbouchΘs.
Production de pΘtrole
L'oeuvre de pionnier de Tripp fut reprise par James Miller Williams, un des actionnaires de la sociΘtΘ. L'acquisition des installations de Tripp par Williams marqua le dΘbut d'une entreprise mieux organisΘe et intΘgrΘe en vue de transformer la matiΦre bitumeuse brute en produits de commerce. Williams avait un sens aigu des affaires, et les circonstances lui Θtaient de plus en plus favorables. Le chemin de fer atteignit le sud-ouest de l'Ontario en 1855, au moment o∙, l'huile de baleine se faisant rare, le besoin d'une nouvelle source d'huile d'Θclairage se faisait particuliΦrement sentir. Williams entrevoyait l'avenir du pΘtrole et apportait α l'entreprise qu'il venait d'acquΘrir α la fois son sens pratique et ses connaissances techniques. Tandis que Tripp s'Θtait contentΘ de faire bouillir le bitume pour produire de l'asphalte, Williams en fit la distillation pour obtenir de l'huile d'Θclairage. Tripp avait prΘlevΘ α la pelle et α la hache le bitume prΘsent α la surface, mais Williams creusa le sol afin d'atteindre la profondeur o∙ la matiΦre liquide, plus facile α raffiner, Θtait aussi plus abondante. Un rΘcit de l'Θpoque dΘcrit son premier puits: ½Le puits de Williams and Company est profond de 49 pieds (17,7 mΦtres), a une forme carrΘe de 7 pieds sur 9 (2 mΦtres sur 2,27) et est boisΘ de petits rondins; il n'atteint pas le roc, le pΘtrole s'ΘlΦve jusqu'α 10 pieds (3 mΦtres) dans le puits, qui contient 13 724 gallons (51 930 litres) ou 343 barils de pΘtrole et qui est en exploitation depuis deux ans. La plus grande quantitΘ extraite jusqu'α prΘsent a ΘtΘ de 1 500 gallons (5 675 litres) ou 37 barils (α la pompe α main) en 10 heures, ce qui a fait baisser de 3 pieds le niveau du pΘtrole dans le puits╗.
En 1859, Williams avait aussi forΘ un puits productif α travers la roche de fond et, en septembre de la mΩme annΘe, son huile d'Θclairage raffinΘe Θtait dΘjα bien Θtablie sur le marchΘ. La sociΘtΘ mit sur pied une deuxiΦme raffinerie α Hamilton en 1860. En cinq ans seulement, Williams avait crΘΘ le premier complexe intΘgrΘ -- forage, extraction, raffinage et mise en marchΘ -- de l'industrie du pΘtrole et jouissait d'un monopole absolu. Il n'avait pu, toutefois, arriver α son but que grΓce aux dΘcouvertes technologiques antΘrieures. Il avait empruntΘ ses techniques de raffinage α l'industrie de l'huile de houille et ses mΘthodes de forage α celle des puits artΘsiens. Il Θtait spΘcialement redevable α un mΘdecin de la Nouvelle-╔cosse du nom d'Abraham Gesner (1797-1864), qui avait mis au point un procΘdΘ de transformation, par raffinage, du charbon en pΘtrole lampant et en lubrifiants. En 1848, Gesner avait dΘmontrΘ que, en chauffant la matiΦre bitumeuse extraite dans le comtΘ d'Albert (Nouveau-Brunswick) α une tempΘrature ΘlevΘe dans une cornue fermΘe, on obtenait une huile α br√ler satisfaisante. Il fut ainsi le premier α distiller un hydrocarbure pour obtenir du pΘtrole lampant ou, comme il l'appelait, du kΘrosΦne.
Il n'est pas s√r que Gesner ait contribuΘ directement au succΦs de Williams. Certes, Gesner connaissait le pΘtrole d'Enniskillen, car il en mentionne les caractΘristiques particuliΦres dans son Practical Treatise on Coal and Petroleum and Other Distilled Oils (1860). Il se peut fort bien que Williams, avec son sens aigu des affaires, ait consultΘ un expert de la trempe de Gesner et il semble que ce dernier ait pu avoir part α la mise sur pied de la plus ancienne raffinerie du monde sur les bords du ruisseau Black en 1857. Bien que l'industrie de l'huile de houille que Gesner a contribuΘ α fonder ait ΘtΘ bient⌠t supplantΘe par celle du pΘtrole, c'est grΓce α ses innovations technologiques que Williams put Θviter de suivre la voie de l'asphalte et de la faillite comme son prΘdΘcesseur, Tripp.
Avant l'apparition des conserves et de la rΘfrigΘration domestique moderne, le sel constituait le principal moyen de conserver les aliments et, au fur et α mesure que la demande croissait, on en produisait de plus en plus dans les puits d'extraction de saumure. Dans les annΘes 1820, un puits creusΘ dans le sud des ╔tats-Unis produisit, au lieu de saumure, plus de 1 000 barils de pΘtrole par jour. Un autre puits d'extraction de saumure fut mis hors d'usage par une poche de gaz naturel dont le souffle projeta les outils de forage hors du puits. Au Canada, en 1855, un puits d'eau minΘrale avait ΘtΘ forΘ avec succΦs jusqu'α 150 mΦtres α St. Catharines. Les techniques de forage Θtaient donc trΦs avancΘes et dΘjα adaptΘes α l'extraction du pΘtrole α l'Θpoque o∙ Williams entra en scΦne α Enniskillen. Au cours des 20 annΘes qui suivirent, la technologie du forage Θvolua afin de rΘpondre aux besoins particuliers de la recherche du pΘtrole brut.
Pendant que Tripp et Williams Θtaient α l'oeuvre α Enniskillen, des ΘvΘnements de mΩme nature se dΘroulaient en Pennsylvanie, o∙ le ½colonel╗ Edwin L. Drake mettait en exploitation, en ao√t 1859, le premier puits de pΘtrole des ╔tats-Unis. Contrairement α l'entreprise de Williams, la dΘcouverte de Drake marqua le dΘbut d'une fiΦvre analogue α la ruΘe vers l'or de la Californie: d'innombrables puits furent forΘs et 74 puits productifs furent mis en exploitation en 15 mois. En moins d'un an, la production de l'industrie du pΘtrole des ╔tats-Unis dΘpassa celle du Canada et son avance s'accrut constamment par la suite.
Expansion du forage α Oil Springs
En 1862, James Miller Williams reτut deux mΘdailles α l'Exposition internationale de Londres, l'une pour avoir ΘtΘ le premier α produire du pΘtrole brut, et l'autre pour avoir ΘtΘ le premier α le raffiner. Mais, plus que les honneurs rendus α Williams, l'annΘe fut marquΘe par les ΘvΘnements dramatiques qui se produisirent α Enniskillen mΩme, agglomΘration en pleine croissance de plus de 1 600 habitants, maintenant appelΘe Oil Springs.
Par exemple, le nombre de puits augmentait d'une faτon spectaculaire. La mΘthode classique employΘe pour foncer un puits α cette Θpoque consistait α creuser et α boiser jusqu'α environ 15 mΦtres, profondeur α laquelle certains puits commenτaient α produire du pΘtrole. Lorsqu'on n'en trouvait pas α ce niveau, il ne restait qu'α abandonner le puits ou α creuser le roc. Une des mΘthodes utilisΘes α cette Θpoque Θtait celle du forage α sonde consistant α faire monter et descendre, sous le poids des foreurs, une perche Θlastique appuyΘe sur un pivot.
Aucun des ΘvΘnements qui transformΦrent le marΘcage d'Enniskillen en chantier pΘtrolier ne fut aussi spectaculaire que le forage d'un certain puits par Hugh Nixon Shaw (1811-1864) en 1862. Shaw avait commencΘ α travailler α son puits α l'ΘtΘ 1861, avec 50 $ en poche et des droits sur un emplacement d'un acre (0,5 hectare). Travaillant seul, il creusa α travers 15 mΦtres d'argile, puis fora α travers 71 mΦtres de roc. DΘcouragΘ et ayant ΘpuisΘ ses possibilitΘs de crΘdit, l'indomptable quinquagΘnaire poursuivit ses efforts jusqu'au dΘbut de la nouvelle annΘe. Finalement, le 16 janvier 1862, jaillit du puits de Shaw un jet spectaculaire de pΘtrole brut. L'Φre des grands puits α Θcoulement naturel commenτait α Enniskillen avec le puits Θruptif irrΘsistible de Shaw, qui dΘversait 2 000 barils par jour. En forant le roc plus profondΘment que personne ne l'avait fait, il avait atteint une formation de gravier poreux, imprΘgnΘ d'huile et de gaz sous pression. La pression Θtait si forte que le jet de pΘtrole montait α la hauteur de la cime des arbres.
Les puits creusΘs prΘcΘdemment α Oil Springs n'avaient captΘ que le pΘtrole suintant α la surface. Celui de Shaw, avec son flot de pΘtrole que rien ne pouvait arrΩter, prΘsentait un problΦme nouveau. Recourant α une technique conτue par les foreurs de puits artΘsiens, Shaw tenta de contenir le flot de pΘtrole sortant de son puits au moyen d'une garniture d'ΘtanchΘitΘ, sorte de manchon de cuir d'un demi-mΦtre de longueur environ, rempli de graines de lin et fermement attachΘ aux extrΘmitΘs supΘrieure et infΘrieure d'un tube. Lorsque la garniture Θtait introduite dans le puits, les graines de lin se dilataient au contact du pΘtrole liquide et lui bloquaient le passage, le forτant ainsi α s'Θcouler par le tube. Shaw contr⌠la son puits en faisant descendre de force par le trou de 76 millimΦtres de diamΦtre un gros tube entourΘ d'une garniture remplie de graines de lin; il enveloppa d'un autre manchon un tube plus petit, qu'il introduisit dans le premier. └ ce moment lα, le pΘtrole continuait de jaillir du puits de Shaw au rythme de 500 barils par jour, soit environ un baril (132,5 litres) toutes les trois minutes. L'Θruption Θtait maintenant contenue, mais de grandes quantitΘs de pΘtrole avaient ΘtΘ gaspillΘes. Un reporter du London Free Press Θcrivait trois semaines plus tard: ½En tout, quelque 100 000 barils de pΘtrole ont ΘtΘ perdus avant que le puits ne puisse Ωtre contr⌠lΘ. J'ai mesurΘ la couche d'huile dans le ruisseau et constatΘ qu'elle atteignait en moyenne de 3 α 4 pouces╗. Le puits Θruptif de Shaw n'Θtait qu'un prΘlude α ce qui allait suivre -- d'autres puits α Θcoulement naturel et encore plus de gaspillage. Plus de 30 puits α Θcoulement naturel furent dΘcouverts l'annΘe suivante α Oil Springs, tous situΘs dans une zone d'environ 1,5 kilomΦtre carrΘ s'Θtendant de chaque c⌠tΘ de Black Creek. Dans la mΩme pΘriode, le nombre de puits de tous types passa d'environ 300 α plus de 1 000. Au plus fort de cette pΘriode d'effervescence, les charretiers transportaient 500 chargements de pΘtrole par jour α travers le marΘcage d'Enniskillen, sur une distance de 19 kilomΦtres jusqu'au chemin de fer de Wyoming. Le village connut une explosion dΘmographique, sa population passant α 3 000 habitants, et les affaires connurent une vague de prospΘritΘ. Les h⌠tels louaient leurs chambres α l'heure aux pΘtroliers ΘpuisΘs. La grande rue d'Oil Springs fut revΩtue sur une longueur de 2,5 kilomΦtres de planches de chΩne blanc et brillamment illuminΘe avec des lampes α pΘtrole. Des coches faisaient quatre fois par jour le voyage jusqu'α Sarnia sur un chemin de 32 kilomΦtres couvert de planches. Le prix des terres monta en flΦche (jusqu'α 80 000 $ le lot). Dans un tel contexte, les fortunes se constituaient et s'effondraient en l'espace d'une journΘe.
└ la fin de 1862, la production des puits d'Oil Springs atteignait 12 000 barils par jour. Les fuites provenant de puits non contr⌠lΘs inondaient parfois le bassin de Black Creek, le recouvrant d'une nappe d'un mΦtre de profondeur. └ cette Θpoque, chaque producteur raffinait gΘnΘralement lui-mΩme son pΘtrole sur place et il lui fallait faire des pieds et des mains pour ne pas Ωtre dΘbordΘ par la production de son puits. Lorsque le temps Θtait mauvais, le transport vers le chemin de fer devenait impossible et l'on manquait invariablement de barils. La vague de prospΘritΘ se poursuivit pendant toute une annΘe, puis, en janvier 1863, elle se termina aussi soudainement et mystΘrieusement qu'elle avait commencΘ. L'un aprΦs l'autre, les grands puits α Θcoulement naturel se tarirent. SimultanΘment, le marchΘ commenτait α ressentir les effets d'une annΘe de production incontr⌠lΘe. La surabondance de pΘtrole fit tomber les prix de 10 $ α 10 cents le baril. Oil Springs fut ΘbranlΘe par le choc.
En 1865, toutefois, le prix du pΘtrole Θtait remontΘ α 11 $ le baril, et le village, florissant, comptait 4 000 habitants. La production de pΘtrole avait aussi dΘbutΘ α Bothwell, α 32 kilomΦtres environ au sud-est, et α Petrolia, α quelque 11 kilomΦtres au nord. └ Oil Springs, on espΘrait toujours une nouvelle vague de prospΘritΘ, mais le rΩve fut brisΘ α jamais par un concours de circonstances peu commun en 1866. La guerre de SΘcession amΘricaine Θtant terminΘe, les champs de Pennsylvanie, remis en exploitation, rΘpondaient α la demande sur le marchΘ amΘricain. Fuyant les raids des Fenians et la menace d'une guerre entre la Grande-Bretagne et les ╔tats-Unis, les pΘtroliers amΘricains regagnΦrent leur pays. Enfin, un certain nombre de trΦs bons puits ayant ΘtΘ dΘcouverts α Petrolia, l'attention des foreurs se porta rapidement sur les nouveaux champs. La population d'Oil Springs tomba α 300 habitants presque du jour au lendemain.
La fin d'Oil Springs fut peut-Ωtre prΘmaturΘe, mais son heure de gloire eut des consΘquences durables. Shaw et les autres foreurs, producteurs et raffineurs de l'Θpoque accrurent considΘrablement la productivitΘ d'une industrie qui en Θtait α ses premiers pas. Le kΘrosΦne Θtait devenu un produit domestique courant en Ontario en 1863. L'avenir de l'industrie du pΘtrole Θtait manifestement assurΘ.
Fondation et croissance de Petrolia
L'Θtape suivante de l'Θvolution eut lieu α 11 kilomΦtres au nord d'Oil Springs, dans le bassin de Bear Creek, o∙ il y avait environ 20 puits en 1865. └ l'est des puits se trouvaient quelques maisons en rondins, mais, moins d'un an plus tard, ce hameau Θtait devenu officiellement le village de Petrolia, avec neuf h⌠tels et une population de plus de 2 300 habitants. L'intΘrΩt pour le champ de Petrolia s'accrut rapidement en 1866, aprΦs que le capitaine Bernard King, de St. Catharines, directeur de la North Eastern Oil Company, eut dΘcouvert un puits α Θcoulement naturel sur la butte situΘe α l'ouest de l'ancien chantier de forage. Le puits King, qui donnait au dΘbut 2 000 barils par jour, produisit en moyenne 265 barils par jour pendant plus de 40 ans. Les puits de la rΘgion de Petrolia Θtaient plus profonds que ceux d'Oil Springs, certains atteignant jusqu'α 150 mΦtres. Leur forage co√tait cher et il fallait des moyens financiers plus importants aux foreurs de Petrolia qu'α ceux d'Oil Springs. Il ne semble pas cependant que le risque de creuser un puits sec ait ΘtΘ aussi ΘlevΘ α Petrolia. Le puits de King indiquait la prΘsence d'un nouveau champ lucratif que d'autres foreurs ne tardΦrent pas α confirmer. Les champs dΘcouverts α Petrolia offraient beaucoup plus de garanties que ceux d'Oil Springs, Θtaient dix fois plus vastes (environ 50 kilomΦtres carrΘs) et, en tout, 6 000 puits y furent forΘs. Tandis qu'Oil Springs avait ΘtΘ le berceau de l'industrie, Petrolia allait Ωtre le lieu o∙ les diffΘrents systΦmes de forage, d'extraction, de transport, de raffinage et de mise en marchΘ seraient finalement mis au point pour former la base d'une industrie efficace.
L'un des hommes qui jouΦrent un grand r⌠le dans cette pΘriode de consolidation fut John Henry Faibank (1831-1914). Ce pionnier, qui Θtait allΘ α Oil Springs en 1861, fut α l'origine de l'adoption du ½systΦme de cΓble α secousses╗ pour pomper l'huile des puits lorsque la pression Θtait insuffisante pour la faire monter α la surface. Ce systΦme permettait d'exploiter 100 puits ou plus avec une seule machine α vapeur et faisait du pompage une technique efficace et Θconomique qui prolongeait sensiblement l'existence productive d'un champ pΘtrolier.
La production de pΘtrole augmenta si rapidement α Petrolia en 1866 qu'un groupe de producteurs, sous la conduite de Fairbank, avait recueilli une somme de 50 000 $ pour construire un embranchement de huit kilomΦtres de long reliΘ α la ligne principale du Great Western Railway, plus au nord. Il existait dΦs lors un lien s√r avec les grands marchΘs urbains. L'embranchement ferroviaire n'Θtait toutefois que la derniΦre piΦce d'un systΦme intΘgrΘ de transport du pΘtrole, du puits au marchΘ. Les barils que Hugh Nixon Shaw avait remplis directement α son puits en 1862 avaient ΘtΘ remplacΘs par de grands rΘservoirs en bois α la tΩte du puits. Ces rΘservoirs Θtaient reliΘs par des tubes α la pompe placΘe dans le puits. Cette derniΦre aspirait le pΘtrole dans le sol et le refoulait directement dans le rΘservoir. Lorsque le rΘservoir Θtait plein, un camion-citerne α chevaux emportait le pΘtrole brut jusqu'α la station de recette de la raffinerie. En 1865, il Θtait devenu possible, grΓce α l'arrivΘe des wagons-citernes, de transporter par chemin de fer le pΘtrole brut et raffinΘ vers les marchΘs extΘrieurs.
En outre, au milieu des annΘes 1800, une modification proprement canadienne fut apportΘe aux mΘthodes de forage. On dΘcouvrit qu'un trΘpan reliΘ α la perche α ressort par une sΘrie de tiges en frΩne noir permettait de creuser le roc avec plus d'efficacitΘ qu'un trΘpan suspendu α un cΓble, car ces tiges rigides permettaient de mieux suivre le progrΦs du trΘpan α travers le roc. AprΦs 1874, les foreurs canadiens employΘs pour ouvrir des champs pΘtroliers dans le monde entier firent connaεtre ce systΦme modifiΘ sous le nom de ½derrick canadien╗.
Outre la technique de forage classique, les sociΘtΘs adoptΦrent une technique amΘricaine consistant α faire Θclater le roc avec une charge de nitroglycΘrine. Celle-ci Θtait descendue dans le puits, puis on la faisait exploser, dΘsagrΘgeant ainsi le roc autour du puits et amenant l'huile qui s'y trouvait α s'amasser dans la cavitΘ. └ un moment donnΘ, il y eut de si grandes quantitΘs de cet explosif α Petrolia que le conseil municipal adopta un rΦglement pour interdire son transport dans la ville. Plusieurs fabriques de nitroglycΘrine Θtaient situΘes α l'extrΘmitΘ nord de la ville et, comme il fallait s'y attendre, toutes finirent par exploser.
La concentration d'installations de production et de raffinage du pΘtrole Θtait α l'origine d'autres risques et inconvΘnients α Petrolia. Au fur et α mesure que la ville grandissait, la population devait faire face α d'autres problΦmes: la pollution industrielle Θtait trΦs forte, l'environnement marΘcageux se traduisait par un approvisionnement en eau insuffisant et un problΦme d'Θvacuation des eaux usΘes, et on souffrait d'une pΘnurie de services culturels et sociaux. Mais le plus grand danger Θtait l'incendie. Au cours de l'ΘtΘ 1867, un incendie Θclata α l'une des installations de forage dans le champ de Petrolia et s'Θtendit rapidement α un rΘservoir en bois. En peu de temps, le rΘservoir en flammes s'effondra, projetant α travers le champ de l'huile enflammΘe qui mit le feu α d'autres rΘservoirs. Le sinistre fit rage pendant plus de deux semaines sur une superficie de huit hectares, carbonisant le sol jusqu'α une profondeur de 0,6 mΦtre. └ la suite de cette expΘrience, un systΦme de grands rΘservoirs souterrains (d'une capacitΘ de 8 000 barils) fut mis au point et les citoyens de Petrolia se dotΦrent de deux services d'incendie.
La croissance du champ pΘtrolier de Petrolia se traduisit aussi par des changements dans l'organisation des opΘrations de raffinage. └ Oil Springs, presque tous les producteurs avaient leur propre ½alambic╗ (still), mais α Petrolia le raffinage devint un secteur spΘcialisΘ de l'industrie. L'adoption des t⌠les d'acier α chaudiΦre permit de construire des contenants beaucoup plus gros que les prΘcΘdents, fabriquΘs en fonte. En 1868, on utilisait des fours α distillation en forme de cylindres horizontaux d'une capacitΘ de 250 barils. faits de t⌠le α chaudiΦre. Le ½Big Still╗ de la Carbon Oil Company contenait 2 500 barils, soit la moitiΘ de la capacitΘ de toutes les autres raffineries du Canada rΘunies. Il produisit de vastes quantitΘs de kΘrosΦne pendant un an avant d'exploser α la fin des annΘes 1860. Un rΘcit de l'Θpoque dΘcrit le four α distillation d'un producteur :
Son four α distillation ressemblait α deux chaudiΦres α sucre placΘes l'une sur l'autre et formant ensemble un globe en fer au sommet duquel Θtait ajustΘ un serpentin. Les vapeurs montaient dans ce tuyau par un fin dispositif en fer puis passaient par un treillis mΘtallique en laiton qui Θtait censΘ, selon son inventeur, retenir une grande partie des impuretΘs. Partant de ce tuyau en fer qui reliait le four α distillation au serpentin, un autre petit tuyau en fer traversait le toit et Θvacuait les benzols α l'air libre. Le reste de la vapeur se condensait dans le serpentin, d'o∙ elle Θtait amenΘe dans un rΘservoir collecteur. Par cette mΘthode, on extrayait 50% de l'huile pour l'Θclairage, et le reste Θtait perdu.
L'inefficacitΘ de ce systΦme de raffinage fut un trait caractΘristique de l'industrie pendant toute la pΘriode de 1855 α 1875, o∙ de vastes quantitΘs de pΘtrole brut furent gaspillΘes. Au fur et α mesure que cette pΘriode initiale de dΘveloppement arrivait α sa fin, on s'efforτa d'en arriver α une certaine stabilisation et les efforts de l'industrie, orientΘs jusque-lα vers la production et le raffinage, se tournΦrent vers la mise en marchΘ. Un des ΘlΘments de cette Θvolution fut la fondation de la premiΦre banque de Petrolia. La circulation des capitaux α la banque Vaughn and Fairbank atteignit en 1869, sa premiΦre annΘe d'exercice, 1 500 000 $. En 1871, dans une tentative pour mettre un frein aux fluctuations de la production et des prix, les producteurs de Petrolia ouvrirent leur premiΦre bourse des pΘtroles dans le parc Victoria et, en 1884, la transfΘrΦrent α la ½petite banque rouge╗ Vaughn and Fairbank, o∙ elle servit de comptoir central pour l'achat et la vente de pΘtrole.
└ certains Θgards, l'importance de Petrolia se manifesta davantage par les hommes qu'elle produisit que par son pΘtrole. A partir de 1874 et jusqu'aprΦs la PremiΦre Guerre mondiale, des foreurs canadiens partirent de Petrolia pour exploiter des champs pΘtroliers dans 40 pays, y compris dans ces pays du Proche-Orient dont le r⌠le est si important sur la scΦne internationale aujourd'hui. Peu de ces ½foreurs Θtrangers╗ parvinrent eux-mΩmes α la richesse et α la cΘlΘbritΘ, α l'exception de William H. McGarvey (1844-1914), qui fonda et dirigea la plus importante sociΘtΘ pΘtroliΦre d'Europe jusqu'α son effondrement au dΘbut de la Grande Guerre.
Le dernier chapitre de l'histoire des dΘbuts de l'industrie pΘtroliΦre au Canada commence avec la crΘation en 1880 de la Compagnie ImpΘriale α London (Ontario). En 1883, la sociΘtΘ avait transportΘ sa tonnellerie α Petrolia, o∙ elle produisait plus de 30 000 barils par annΘe. Lorsque, la mΩme annΘe, la raffinerie ImpΘriale de London fut touchΘe par la foudre et incendiΘe, la sociΘtΘ dΘcida d'agrandir et de concentrer ses raffineries α Petrolia sous la direction de l'un des hommes d'affaires les plus avisΘs de l'ImpΘriale (et de Petrolia), Jacob Lew Englehart (1847-1921). Englehart avait construit avec succΦs sa propre raffinerie sur l'emplacement du ½Big Still╗ de la Carbon Oil Company au dΘbut des annΘes 1870. └ la suite de la fusion de son entreprise avec l'ImpΘriale, cette sociΘtΘ domina l'industrie du raffinage α Petrolia, o∙ dΘsormais se trouvaient concentrΘes toutes les installations de raffinage de l'ImpΘriale, qui couvraient 20 hectares. D'une capacitΘ de raffinage de 2 000 barils, elles pouvaient contenir 100 000 barils de pΘtrole brut. Avant longtemps, l'ImpΘriale avait mis sur pied un rΘseau national de distribution et de vente, et ses perspectives d'avenir Θtaient excellentes.
PropriΘtΘ ΘtrangΦre
Depuis la dΘcouverte de Drake en Pennsylvanie en 1859, les progrΦs de l'industrie pΘtroliΦre amΘricaine avaient devancΘ de beaucoup ceux de l'industrie canadienne. En 1889, la Standard Oil Company de John D. Rockfeller s'intΘressait de prΦs au marchΘ canadien. Les Canadiens, toutefois, rejetΦrent les offres d'achat de l'ImpΘriale par Rockfeller. DΘterminΘe α prendre pied au Canada, la Standard Oil commenτa α acheter de petites sociΘtΘs canadiennes et α les dΘvelopper grΓce α des capitaux apparemment illimitΘs. En 1895, l'ImpΘriale avait besoin d'argent pour se rΘorganiser et se doter d'un outillage neuf afin de faire face α la concurrence de plus en plus vive des sociΘtΘs financΘes par les AmΘricains. Elle fut incapable de rΘunir les fonds nΘcessaires et, le 1er juillet 1898, ½il fut convenu que la Standard Oil Company fournirait les capitaux nΘcessaires α l'expansion des installations au Canada en Θchange d'une participation majoritaire dans la Compagnie ImpΘriale╗. Peu de temps aprΦs, toutes les filiales de la Standard Oil au Canada fusionnaient avec l'ImpΘriale. Comme le mentionnait avec α propos le Sarnia Observer: ½Cela englobe pratiquement toutes les installations pΘtroliΦres et donne α la Standard la mainmise complΦte sur l'industrie pΘtroliΦre canadienne╗.
Au moment de cette acquisition, les chefs de file de l'industrie ne prΘvoyaient pas l'expansion qui Θtait sur le point de se produire dans le secteur pΘtrolier. Ils croyaient qu'une raffinerie d'une capacitΘ de 1 000 barils par jour rΘpondrait α la demande prΘvue. Mais, cette mΩme annΘe 1898, se produisit un ΘvΘnement qui marqua le dΘbut d'une transformation radicale de l'industrie pΘtroliΦre et, en mΩme temps, de la physionomie de tout le pays: l'arrivΘe au Canada de la premiΦre automobile. L'industrie du pΘtrole, aprΦs des dΘbuts modestes, allait devenir un secteur essentiel de l'Θconomie canadienne.