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Text File  |  1996-06-20  |  47KB  |  93 lines

  1. LA CAMPAGNE CANADIENNE EN FAVEUR DU SUFFRAGE FâMININ 
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  3. Veronica Strong-Boag 
  4.  
  5.      Le suffrage universel n'a jamais existÄ au Canada. MÉme aujourd'hui certaines catÄgories de citoyens, des directeurs gÄnÄraux des Älections aux dÄficients mentaux, ne peuvent pas voter. Au XIXe siÅcle, les pauvres et les non-propriÄtaires se voyaient ordinairement refuser le droit de vote dans les Älections municipales, provinciales et fÄdÄrales. Ces classes dÄfavorisÄes renfermaient des reprÄsentants des deux sexes, mais les femmes Ätaient exclues dÅs l'abord en raison mÉme de leur sexe. Bien qu'il y ait eu ici et lê certaines femmes autorisÄes ê voter au dÄbut du siÅcle dernier, le droit de vote au niveau fÄdÄral n'a ÄtÄ acquis pour toutes les femmes canadiennes qu'en 1918. L'admission au suffrage au niveau provincial n'a ÄtÄ gÄnÄralisÄ qu'en 1940 quand le QuÄbec, derniÅre place forte, eut cÄdÄ.
  6.  
  7.      La discrimination provenait du mythe selon lequel les intÄrÉts civiques des femmes Ätaient reprÄsentÄs par des hommes de leur famille. Les adversaires du suffrage fÄminin, comme l'humoriste Stephen Leacock, l'Äcrivain Goldwin Smith et le politicien Henri Bourassa, ont soutenu que les activitÄs politiques des femmes rendraient les mÅres insensibles, aggraveraient les relations matrimoniales et nuiraient ê la bonne tenue des foyers. En dÄfinitive, on Ätait s₧r qu'aprÅs avoir perverti la vie familiale et encouragÄ la dÄpravation, le mouvement finirait par anÄantir l'âtat lui-mÉme. Selon cette optique catastrophique, la soi-disant incapacitÄ de la femme ê prendre les armes pour dÄfendre son pays justifiait d'autant plus l'inÄgalitÄ des droits. Ces anti-fÄministes au ╟antis╚, comme on les appelait communÄment, prÄtendaient que l'influence des femmes n'Ätait jamais aussi salutaire et effective que lorsqu'elle s'exerìait par des voies personnelles et non publiques. La beautÄ, la spiritualitÄ et la douceur fÄminines devaient Étres conservÄes dans les foyers pour contrebalancer les fortes tendances agressives, Ägoòstes et matÄrialistes de l'homme. Ces tendances dominaient le monde extÄrieur et contribuaient ê sa puissance et ê sa corruption. L'intrusion de la femme dans l'arÅne masculine entraönerait inÄvitablement la disparition des qualitÄs fÄminines.
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  9.      En dÄpit de toutes ces prÄvisions dÄsastreuses, les femmes du Canada de la fin du XIXe et du dÄbut du XXe siÅcle en vinrent lentement ê considÄrer le vote comme un plus s₧r moyen d'atteindre leurs objectifs individuels et collectifs. Et cette transformation ne s'est pas opÄrÄe seulement chez les femmes. Le traitement injuste de la femme, combinÄ ê la rÄvÄlation de problÅmes sociaux plus gÄnÄraux, ont convaincu les philanthropes et les partisans de l'ÄgalitÄ des sexes du besoin d'une contribution directe des femmes dans la politique.
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  11. Les classes sociales et le mouvement 
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  13.      O¥ qu'elle soit ê travers le Dominion, la grande majoritÄ des partisans, hommes et femmes, du suffrage universel, Ätaient des anglo-saxons protestants de race blanche appartenant ê la classe moyenne. Leur dÄvouement ê la cause de l'Ämancipation de la femme leur Ätait dictÄ tant par leur classe et leurs intÄrÉts ethniques que par leurs instincts progressistes. Selon plusieurs des partisans Äminents, l'Ämancipation des femmes stabiliserait et assainirait un nouveau monde industriel urbain o¥ la rÄvolution sociale s'avÄrait Étre une ÄventualitÄ pas trop rÄelle. D'autre part, le vote assurerait aux femmes de la classe moyenne une participation plus entiÅre aux avantages de leur sociÄtÄ. La plupart des fÄministes croyaient, tout comme n'importe quel homme d'affaires comblÄ, que le pouvoir de la classe moyenne au Canada, en grande partie britannique, s'expliquait et se justifiait par son sens de l'Äconomie, son Änergie et son intelligence. L'octroi du droit de vote ê la femme reviendrait ê lui permettre de jouir de ces vertus et de leurs fruits au mÉme titre avec les hommes. Naturellement, les prÄjugÄs de classe inhÄrents ê de telles vues n'attiraient pas particuliÅrement la classe ouvriÅre qui peinait de longues journÄes dans les usines du Dominion ou supportait tant bien que mal la petitesse d'existence des ghettos ethniques de la nation. Aucun propos sur la ╟solidaritÄ fÄminine╚ n'aurait pu combler l'aböme qui sÄparait ces intÄrÉts si divergents.
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  15.      Bien que le mouvement en faveur du droit de vote se soit bornÄ dans une grande mesure ê ceux qui se situaient bien au-delê du seuil de pauvretÄ, jamais il n'a pu compter sur le soutien actif de la majoritÄ des femmes de la classe moyenne. ConfinÄes ê leurs maisons citadines ou ê leurs maisons de ferme, les femmes Ätaient souvent trop mal informÄes, indiffÄrentes ou trop craintives pour se rallier. Consentir ê faire ouvertement campagne pour les droits politiques Ätait une dÄcision intimidante dans une communautÄ conservatrice o¥ l'Äcart de la norme ou le radicalisme, si discrets qu'ils fussent, Ätaient souvent frappÄs d'ostracisme social.
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  17.      MalgrÄ ces handicaps, plusieurs facteurs jouaient en faveur de la cause du droit de vote. L'accroissement rapide de la population, surtout dans les annÄes qui prÄcÄdÅrent immÄdiatement la PremiÅre Guerre mondiale, offrit de nouvelles occasions de se rencontrer et de collaborer. Les grands centres comme Halifax, MontrÄal, Toronto, Winnipeg et Vancouver avaient longtemps ÄtÄ les places fortes des organisations fÄminines, mais elles devenaient maintenant le foyer d'associations nationales ambitieuses. La stabilisation de l'Ätablissement agricole, surtout dans l'Ouest, a aussi permis aux femmes de la campagne de se rassembler pour discuter de problÅmes communs et prendre conscience de certaines questions. Un nouveau sentiment d'assurance et la prise de conscience de leur rÖle dans la sociÄtÄ allait souvent de pair avec l'envergure croissante des efforts conjoints des femmes.
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  19.      D'autre part, les progrÅs de la technologie et l'augmentation du niveau de vie libÄraient de nombreuses femmes de la classe moyenne des plus grosses charges d'entretien du mÄnage et d'Äducation des enfants. La diminution du taux de natalitÄ constatÄe au Canada anglais ê partir de 1870 libÄra enfin les femmes des dangers et de l'esclavage de grossesses rÄpÄtÄes. ╦ une Äpoque o¥ l'on Ätait convaincu que les tëches domestiques constituaient le rÖle primordial et essentiel de la femme, il Ätait indispensable ê cette derniÅre d'avoir suffisamment de loisirs et d'argent pour participer ê des activitÄs extÄrieures au foyer.
  20.  
  21. ArriÅre-plan de l'activisme fÄminin 
  22.  
  23.      Les chances nouvelles de s'instruire avaient stimulÄ la conscience sociale de petits groupes de femmes privilÄgiÄes. Vers le milieu du XIXe siÅcle, les Äcoles secondaires publiques ouvraient leurs portes ê des jeunes filles. Des Ätablissements privÄs comme le Halifax Ladies' College, la Loretto Academy et le Wesleyan Female College contribuaient aussi ê l'Äducation des filles de familles riches. En 1870, les Ladies' Educational Associations de l'UniversitÄ de Toronto et de l'UniversitÄ McGill, et un groupe similaire ê Queen's, organisÅrent des cours qui n'Ätaient pas sanctionnÄes par un diplÖme pour les femmes en quÉte d'une culture personnelle et d'un Äveil social. Ces initiatives bÄnÄvoles prÄparÅrent les universitÄs conservatrices ê l'enseignement mixte. En 1875, la premiÅre diplÖmÄe d'universitÄ fait son apparition ê Mount Allison ê Sackville, et les annÄes qui suivirent furent tÄmoin de l'acceptation longtemps diffÄrÄe de l'Äducation mixte, l'Äpoque de la PremiÅre Guerre mondiale, la majoritÄ des Ätablissements d'enseignement supÄrieur de la nation offraient aux Ätudiantes une certaine Äducation, mais habituellement sans grand enthousiasme et en les dÄfavorisant.
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  25.      Le dÄsir d'avoir des chances Ägales, si fondamental dans la revendication de droits politiques, s'affermit quand des Äcoles professionnelles commencÅrent ê confÄrer des diplÖmes aux femmes en 1880. Les âcoles de mÄdecine (Medical Colleges) de Kingston et de Toronto pour les femmes, fondÄes en 1883, formÅrent des fÄministes aussi Äminentes que les docteurs HÄlÅne MacMurchy et Elizabeth Smith Shortt. En 1893, une femme obtient pour la premiÅre fois un diplÖme d'une Äcole dentaire, l'Ontario College of Dental Surgeons. Dans les annÄes 1890, l'Ontario reìut des avocates et des avouÄes. Les barriÅres ÄlevÄes par les partisans du monopole masculin dans le domaine de l'Äducation et de l'emploi, commencÅrent ê cÄder dans toutes les provinces devant l'insistance des femmes, mais cette libÄration fut particuliÅrement lente dans les Maritimes et le QuÄbec.
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  27.      L'accÅs ê des emplois traditionnels masculins, cependant, Ätait exceptionnel. Dans la plupart des cas, les femmes nouvellement instruites assaillaient des professions distinctes, souvent nouvellement crÄÄes, au salaire et au prestige dÄrisoires. L'enseignement Ätait une profession qui accueillait des candidates ambitieuses, souvent dans le besoin. Moins co₧teuses que leurs rivaux, les femmes formÅrent bientÖt la majoritÄ des enseignants de l'Äcole ÄlÄmentaire. La profession d'infirmiÅre inspirÄe de la ╟rÄvolution Nightingale╚ en Grande-Bretagne, surmonta sa rÄputation d'amoralitÄ et d'inefficacitÄ. ╦ compter des annÄes 1880, les hÖpitaux, dans l'espoir d'acquÄrir des travailleuses zÄlÄes ê bon compte, crÄÅrent des Äcoles de formation pour attirer des recrues appartenant ê la classe moyenne. Environ dix ans plus tard, l'enseignement mÄnager Ämergeait comme un domaine particuliÅrement adaptÄ ê l'idÄe qu'on se faisait couramment des qualitÄs fÄminines, c'est-ê-dire la puretÄ, l'altruisme, l'affection maternelle et l'ordre. Au dÄbut du siÅcle, le travail social et la bibliothÄconomie devinrent, elles aussi, des professions fÄminines respectables.
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  29.      En 1914, les Canadiens se retrouvÅrent, presque par mÄgarde, avec un important ╟vivier╚ de femmes instruites et de femmes professionnelles. Les immigrantes, plus particuliÅrement celles de Grande-Bretagne et des âtats-Unis, comprenaient aussi des diplÖmÄes d'Äcoles secondaires et professionnelles. Ni leur Äducation, ni leur emploi ne mettaient les femmes et les hommes sur un pied d'ÄgalitÄ. Qu'elles soient nÄes au Canada ou ê l'Ätranger, les femmes Ätaient en butte ê la discrimination gÄnÄrale dans le domaine de l'Äducation et de l'emploi. Presque sans exception, elles ne recevaient que la moitiÄ ou les deux tiers du salaire masculin pour des compÄtences et un travail analogues. La conscience et la colÅre du groupe, si importante pour le mouvement des femmes, Ätaient entretenues par l'exploitation commune.
  30.  
  31.     âvidemment, toutes les femmes, lorsqu'elles appartenaient ê la classe moyenne, n'entraient pas dans les rangs de la main-d'oeuvre salariÄe avec un diplÖme d'universitÄ et d'Äcole professionnelle. ╦ partir des annÄes 1890 au moins, toute une gamme d'Äcoles de secrÄtariat se mit ê former des jeunes filles pleines d'ambition ê des postes dans les affaires et la finance, prÄparant ainsi la voie ê la formation des ghettos de l'emploi fÄminin chez les cols blancs. Des ╟gribouilleuses╚ comme la romanciÅre Madge Macbeth affluÅrent dans les revues d'information et les maisons d'Ädition. Leur participation rÄelle et potentielle n'Ätait toutefois pas le seul changement dans la main-d'oeuvre salariÄe a intÄresser les suffragettes de la classe moyenne. Un sens des responsabilitÄs sociales, noblesse oblige, incita certaines femmes plus aisÄes ê offrir leur sympathie et une aide concrÅte ê leurs soeurs dÄfavorisÄes de la classe ouvriÅre. Comme la Commission royale sur les relations du travail et du capital l'a dramatiquement rÄvÄlÄ en 1889, plusieurs femmes avaient dÄsespÄrÄment besoin d'aide dans leur lutte pour la plus ÄlÄmentaire survie matÄrielle. Des conditions abominables dans les filatures de coton ou dans divers mÄtiers extÄnuants sur le plan physique semblaient apporter la preuve patente que les lÄgislateurs et les Älecteurs n'Ätaient pas suffisamment sensibles ê la souffrance des femmes. Les activistes de la classe moyenne Ätaient convaincues que le droit de vote leur permettrait de rectifier les plus mauvaises conditions de travail subies par les femmes et les enfants.
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  33.      En effet, le dÄveloppement industriel urbain crÄa plusieurs des situations qui amenÅrent les femmes attentives ê tenter d'obtenir le droit de vote. Le malaise et la misÅre existaient depuis la fondation des villes nord-amÄricaines; pourtant, ils avaient pris des proportions dramatiques au dÄbut du XXe siÅcle. Bien qu'il fut avantageux pour le produit national brut, le rÄgime des usines poussait les femmes ê se surmener, provoquait des conflits de classe et minait la santÄ publique. Les Ätrangers, souvent exploitÄs comme main-d'oeuvre ê bon marchÄ et considÄrÄs dangereux pour la moralitÄ, inquiÄtaient aussi ces citoyens qui Ätudiaient avec anxiÄtÄ l'Ätat de la nation. Avec l'arrivÄe notamment, de nombreux EuropÄens de l'Est aprÅs 1900, s'engagÅrent rapidement des campagnes de canadianisation auxquelles des femmes ╟respectables╚ se joignirent. En outre, les femmes ne manquaient pas de remarquer que l'immoralitÄ, la pauvretÄ et les problÅmes de main-d'oeuvre Ätaient souvent associÄs ê la consommation d'alcool. Les alcooliques firent l'objet d'attaques et furent qualifiÄs de menace directe ê la vie de famille et donc aux femmes et aux enfants. Le pouvoir solidement Ätabli des distillateurs et des brasseurs, comme la rÄsistance obstinÄe de plusieurs immigrants ê s'assimiler, justifiait pour les prohibitionnistes fÄminines la vigueur de leur action politique. En effet, l'abus de l'alcool Ätait un problÅme social flagrant. Malheureusement, de nombreuses fÄministes avaient oubliÄ de dÄterminer si l'alcoolisme Ätait une cause ou un symptÖme de la misÅre sociale.
  34.  
  35.      ╦ la fin du XIXe siÅcle, hommes et femmes se tournÅrent, de plus en plus nombreux, vers des systÅmes coopÄratifs o¥ il voyaient un espoir de salut contre les pÄrils du progrÅs industriel urbain. Des associations masculines comme la Young Men's Christian Association et la Dominion Alliance for the Suppression of Traffic in Liquor, fournirent de puissants modÅles aux femmes dotÄes d'un esprit rÄformateur. Des organisations bÄnÄvoles fÄminines ou mixtes constituÅrent les pivots de la rÄforme -- ou mouvement ╟progressiste╚ -- d'avant la PremiÅre Guerre mondiale au Canada. En tant qu'ÄlÄment de cette croisade constituÄe en grande partie de membres de la classe moyenne, les fÄministes partageaient l'optimisme enthousiaste des autres rÄformateurs. Elles aussi croyaient que le monde, ou du moins leur propre communautÄ, pourrait de leur vivant changer pour le mieux.
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  37.      Hommes et femmes trouvaient dans leur foi une source d'encouragement ê l'action sociale. De fait, les âglises protestantes offrirent ê de nombreuses femmes leurs premiÅres chances de reconstruire la communautÄ. EncouragÄes par les prÉtres qui prenaient souvent une part active aux tentatives de rÄforme, les femmes fondÅrent des foyers pour mÅres cÄlibataires, firent campagne pour la crÄation de cliniques pour enfants et inspectÅrent les usines locales. Les rumeurs selon lesquelles les femmes se livraient ê des activitÄs similaires aux âtats-Unis et en Grande-Bretagne justifiÅrent davantage encore les initiatives philanthropiques hors du foyer. Les intÄrÉts manifestÄs par des activistes non Canadiennes comme Lady Ishbel Aberdeen, femme du Gouverneur gÄnÄral en poste de 1893 ê 1898, et premiÅre prÄsidente du Conseil national des femmes du Canada (NCWC), stimulÅrent et rassurÅrent les femmes canadiennes. Le dÄbat mondial sur les mÄrites du fÄminisme fut Ägalement Ädifiant pour des Canadiennes comme Flora MacDonald Denison de Toronto et E.M. Murray de Halifax. Bien que la plupart des femmes aient critiquÄ l'extrÄmisme des suffragettes de Pankhurst en Grande-Bretagne et le radicalisme des fÄministes gauchisantes qui se manifestait partout, des tactiques et des analyses Ätaient rÄguliÅrement empruntÄes ê l'Ätranger pour combattre au Canada le sexisme dans tous ses retranchements.
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  39.      Le Canada anglais a produit, tant de faìon relative qu'absolue, un plus grand nombre d'activistes fÄminines que le Canada franìais. Un taux de natalitÄ plus ÄlevÄ et une classe moyenne plus restreinte, alliÄs ê l'antagonisme de l'âglise catholique, firent obstacle au dÄveloppement du fÄminisme canadien-franìais. Les francophones ne bÄnÄficiÅrent pas, dans la mÉme mesure des progrÅs dans le domaine de l'enseignement supÄrieur. Ni l'UniversitÄ Laval ni l'UniversitÄ de MontrÄal ne confÄrÅrent de diplÖmes aux Ätudiantes avant 1920, et peu d'Äcoles professionnelles accueillirent des femmes aspirant ê une carriÅre. ParallÅlement, un rÄseau puissant de communautÄs religieuses attirait de nombreuses femmes conscientes des problÅmes sociaux qui, autrement, auraient pu consacrer leur Änergie et leur volontÄ au mouvement fÄministe. Les contacts avec le mouvement fÄministe Ätranger, les immigrants et les confÄrenciers exposant des idÄes radicales, Ätaient en outre moins nombreux. La langue s'avÄra Étre un autre obstacle. ╦ la diffÄrence des femmes anglophones qui Ätaient fortement influencÄes par les mouvements fÄminins amÄricains et britanniques, leurs homologues francophones ne pouvaient bÄnÄficier de points de vue similaires.
  40.  
  41.      Au Canada, les femmes du XIXe et du dÄbut du XXe siÅcle avaient de quoi stimuler leur Änergie et leur colÅre. Toutefois, si le fÄminisme Ätait une rÄaction collective, il Ätait aussi intensÄment personnel et individuel. Le docteur Emily Stowe ne pardonna jamais ê ceux qui tentÅrent d'exclure les femmes des Äcoles de mÄdecine canadiennes. Marie GÄrin-Lajoie critiqua amÅrement un systÅme juridique qui traitait les femmes si injustement. Des femmes comme Nellie McClung et Helen Gregory MacGill Ätaient hantÄes par les effets tragiques des normes Äquivoques en matiÅre de sexualitÄ et de l'infÄrioritÄ Äconomique des femmes. ╦ Halifax, Elza Ritchie, dÄtentrice d'un doctorat de Cornell, se faisait sans cesse rappeler que les femmes Ätaient peu bienvenues dans les universitÄs. Celles-ci devinrent vite des militantes acharnÄes et se sacrifiÅrent au mouvement fÄministe.
  42.  
  43. L'apparition d'associations fÄminines nationales 
  44.  
  45.      L'Äventail des motifs auxquels rÄpondait l'activisme fÄminin Ätait comparable ê la variÄtÄ des efforts collectifs dÄployÄs par les femmes au Canada anglais. Bien que celles-ci se soient groupÄes, trÅs tÖt aprÅs la colonisation, pour mettre sur pied une foule de projets, les premiers organismes nationaux n'apparurent que dans les annÄes 1870. Les groupes ê affiliation religieuse comme les sociÄtÄs missionnaires, le Dominion Order of King's Daughters, la Girls' Friendly Society et la Young Women's Christian Association ont de bonne heure regroupÄ les fÄministes indÄcises ou conservatrices. Les organisations comme la Women's Christian Temperance Union (WCTU) et la Dominion Women's Enfranchisement Association attiraient celles qui se montraient plus s₧res et plus dÄterminÄes dans leur critique de la sociÄtÄ. Pendant de nombreuses annÄes, la WCTU a ÄtÄ de toutes les entreprises fÄminines collectives, la plus encline ê la polÄmique. ModelÄe, comme tant d'autres choses dans le Dominion, sur les initiatives amÄricaines, c'est dans le port d'Owen Sound (Ontario) o¥ sÄvissait l'alcoolisme qu'elle est sortie pour la premiÅre fois de l'ombre. DÅs 1900, ses membres se comptaient par milliers. En tant que championne de l'antialcoolisme, la WCTU se consacrait a l'application concrÅte de la loi sur la prohibition. Ses demandes auprÅs du gouvernement pour le financement d'hÖpitaux, l'amÄlioration des Äcoles et la rÄforme des prisons, faisaient partie d'un plan intÄgrÄ de promotion sociale. Le piÅtre accueil que reìurent ses premiers appels pourtant fort modÄrÄs conduisit ses membres ê embrasser la cause du rÖle des femmes comme le seul moyen de rÄÄduquer des gouvernements insensibles et corrompus. ╦ partir des annÄes 1890, la WCTU a ÄtÄ le dÄfenseur le plus agressif et le plus pÄnÄtrant de l'ÄgalitÄ politique.
  46.  
  47.      Le premier club fondÄ au Canada avec le but exprÅs de gagner la cause du vote des femmes fit son apparition en 1876 sous le titre innocent de Toronto Women's Literary Club, fondÄ par le Dr. Emily Stowe. Ce n'est en 1885 qu'il eut le courage d'arborer ses vraies couleurs comme la Toronto Women's Suffrage Association, prÄdÄcesseur de la Dominion Women's Enfranchisement Association (DWEA). Cette premiÅre agitation ne se limitait pas au centre du pays. Vers la mÉme Äpoque, les femmes de la cÖte Ouest mettaient Ägalement au point leurs premiÅres tactiques. Soucieuses de rassurer les conservatrices, ces suffragettes avant l'heure prÄtendaient que le droit de vote protÄgerait les femmes sans les priver de leur fÄminitÄ. Une fois le droit de vote accordÄ aux femmes, le foyer et les vertus fÄminines qu'il incarne, si menacÄs par les changements urbano-industriels, seraient enfin en sÄcuritÄ. La promesse, rÄpÄtÄe par presque tout fÄministe au Canada comme ailleurs, que le vote des femmes serait profitable ê l'ensemble de la communautÄ Ätait dans la ligne de la croyance gÄnÄrale ê l'immoralitÄ des hommes et ê la puretÄ des femmes.
  48.  
  49.      Au moins jusqu'au tournant du siÅcle, les femmes de la Colombie-Britannique ont ÄtÄ les plus actives dans la croisade du fÄminisme canadien. Ailleurs, l'agitation Ätait plus longue ê prendre forme. Avec la formation en 1893 de la fÄdÄration des organisations fÄminines du Dominion: le prudent et respectable Conseil national des femmes du Canada, le mouvement en faveur des droits politiques reìut un apport de sang nouveau. La DWEA (devenue plus tard la Canadian Suffrage Association) s'acquöt une audience plus vaste et un auditoire plus favorable grëce ê son affiliation au Conseil dÅs la premiÅre heure. En dÄpit de la neutralitÄ officielle de l'association nationale sur la question controversÄe du suffrage, les conseils locaux de femmes dans toutes les villes du pays informÅrent celles qui n'avaient auparavant que peu ou pas du tout de rapports avec la campagne. ╦ la mÉme Äpoque, l'Ächec des demandes de rÄforme prÄsentÄes par le Conseil national accrut le nombre des femmes qui avaient conscience de leur impuissance et se rendaient compte des rÄsultats positifs que pouvait donner le vote. L'apparition de sociÄtÄs en faveur de l'Ämancipation des Femmes comme la Manitoba Equal Franchise Association (1894), la St. John Enfranchisement Association (1894), la Political Equality League de Victoria (1910) et la Winnipeg Political Equality League (1912), reflÄtait l'idÄe qui commenìait ê se gÄnÄraliser que seul le vote des femmes garantirait une amÄlioration sociale. En 1910, le Conseil national toujours conservateur mais dÄjê puissant, adopta officiellement un programme en faveur du vote, montrant ainsi que l'admission des femmes au droit de vote Ätait gÄnÄralement reconnue comme le but d'une rÄforme utile et digne de respect.
  50.  
  51.      ╦ cette date, c'est dans l'Ouest que la cause du vote des femmes trouvait l'auditoire le plus sympathisant. Dans maintes rÄgions des prairies, la vie de pionnier et de fermier dont hommes et femmes partageaient les difficultÄs, impliquait que les hommes acceptaient presque unanimement le droit de la femme ê une ÄgalitÄ totale. C'est dans les provinces des prairies que trouvÅrent asile des fÄministes aussi dÄclarÄes que Violet McNaughton de la Saskatchewan Women Grain Growers, Francis Beynon du Grain Growers' Guide et Nellie McClung des Political Equality Leagues de Winnipeg et d'Edmonton. Ces femmes, encouragÄes par un milieu volontiers favorable ê toutes sortes de rÄformes, donnÅrent ê la cause du suffrage fÄminin une force et un dynamisme nouveaux. Parmi ces rÄformes, il faut citer les gouvernements de fermiers, la nationalisation des services d'utilitÄ publique, les allocations de la femme au foyer et la lÄgislation des usines. Dans le climat plus conservateur et moins agitÄ des Maritimes, les femmes avides de rÄformes comme Anna Leonowens, l'auteur de The English Governess at the Siamese Court (1890) et membre du Local Council of Women de Halifax, Ätaient plus isolÄes. Les fÄministes du QuÄbec, comme Marie GÄrin-Lajoie, fondatrice de la FÄdÄration Nationale St-Jean-Baptiste (la principale organisation de femmes canadiennes-franìaises, fondÄe en 1907) rÄcoltaient encore moins d'encouragements pour leur activitÄ politique. Il n'Ätait pas pour les gens de l'Est, cet ardent optimisme qui animait les partisans du droit de vote des femmes dans les prairies.
  52.  
  53. La campagne en marche 
  54.  
  55.      Tandis que le nombre de leurs partisans variait considÄrablement, les agitateurs en faveur du droit de vote pour les femmes pratiquaient des mÄthodes semblables dans tout le pays. Les pÄtitions adressÄes aux conseils municipaux et aux parlements provinciaux et fÄdÄral Ätaient monnaie courante. ╦ partir des annÄes 1880, de nombreux projets de loi apparurent dans presque toute assemblÄe mais ne connurent aucun succÅs. Quelques parlementaires courageux comme Alan Studholme, membre indÄpendant pour Hamilton East au Parlement de l'Ontario entre 1906 et 1919, se fit le champion obstinÄ de la cause des femmes. Des confÄrences publiques, au cours desquelles des fÄministes telles que Susan B. Anthony des âtats-Unis, Emmeline Pankhurst de Grande-Bretagne et Nellie McClung prÄsentaient d'Äloquents arguments, avaient Ägalement lieu sous l'Ägide des organisations en faveur du vote des femmes. DÄfilÄs et lettres Ätaient aussi des mÄthodes couramment employÄes pour faire pression sur les administrations rÄcalcitrantes. Les refus de payer les impÖts et les essais de participation au vote Ätaient des formes courantes de protestation individuelle. Le Parlement fantoche de 1914 tenu ê Winnipeg par la Ligue en faveur de l'ÄgalitÄ politique de cette ville compte parmi les rÄussites de la campagne visant ê s'attirer la sympathie du public. C'est lê que les partisans du vote des femmes ridiculisÅrent les opposants en renversant les arguments habituels. Des hommes prÄsentaient humblement une pÄtition devant une assemblÄe composÄe uniquement de femmes en vue d'obtenir le droit de vote, tandis que des oratrices comme Nellie McClung et Lillian Beynon Thomas leur criaient un refus arrogant et comique. La sympathie du public que cela engendra poussa les activistes de Vancouver et d'ailleurs ê recourir ê de semblables mÄthodes. La rÄforme et les efforts philanthropiques des clubs fÄminins en gÄnÄral mirent en vedette les capacitÄs des femmes et servirent ê la cause fÄminine.
  56.  
  57.      En dÄpit de tous leurs sacrifices, les partisans du vote des femmes au Canada ne remportÅrent que de maigres victoires avant 1914. Il est vrai qu'il y eut des moments d'optimisme. Dans certaines rÄgions, les femmes obtinrent le droit de vote dans les Älections scolaires ou municipales et celui de se prÄsenter comme candidates dans les mÉmes assemblÄes. Il y eut un moment au dÄbut des annÄes 1880 o¥ le Premier ministre John A. Macdonald semblait prÉt ê accorder le droit de vote aux veuves et aux cÄlibataires dans un projet de loi visant ê uniformiser la politique Älectorale du Dominion. La tendance dominante, cependant, comme cela fut le cas pour le retrait des initiatives de Macdonald, Ätait de rejeter toute proposition dans ce sens. Des premiers ministres comme le conservateur Sir James Whitney de l'Ontario et Sir Rodmond Roblin du Manitoba incarnaient le type du lÄgislateur qui, de faìon systÄmatique, tournait en dÄrision les pÄtitions et les projets de loi en faveur du vote des femmes et s'y opposaient. Le renvoi en 1898 du pouvoir de dÄtermination des droits de vote aux provinces par Sir Wilfrid Laurier entrava les efforts dans ce sens. Au lieu de pouvoir faire front contre un gouvernement central unique, les mouvements en faveur de vote devaient mener simultanÄment la lutte sur plusieurs fronts provinciaux. Ce n'est qu'en 1917 qu'Ottawa dut faire machine arriÅre en donnant le droit de vote sur le plan fÄdÄral ê certaines catÄgories de femmes, sans tenir compte de leur statut provincial.
  58.  
  59.      Les partisans du vote des femmes ne rÄussissaient pas non plus toujours ê gagner ê leur cause les autres femmes. L'δle-du-Prince-âdouard, par exemple, n'a jamais mis sur pied une sociÄtÄ officielle en faveur du droit de vote. Chaque annÄe apportait de nouvelles dÄceptions, le problÅme de l'apathie et du dÄcouragement se posait partout, mÉme lê o¥ la confiance semblait rÄgner. Il Ätait ê peine surprenant, surtout au sein d'une population composÄe en majoritÄ de migrants, que l'existence d'organisations en faveur du vote ne soit pas assurÄe. Les niveaux d'activitÄ dÄpendaient beaucoup de la prÄsence continue de personnalitÄs trÅs engagÄes. Notons parmi celles-ci la journaliste Mrs. E.M. Murray ê Halifax, le Professeur Carrie Derick et Madame Marie GÄrin-Lajoie ê MontrÄal, Margaret Patterson ê Toronto, la journaliste Lillian Beynon Thomas ê Winnipeg, la femme de lettres Emily Murphy ê Edmonton et Mrs. Helen Gregory MacGill ê Vancouver. Par leur dynamisme, ces personnalitÄs soutinrent le moral et les espoirs des militantes alors que les perspectives de victoire semblaient s'estomper.
  60.  
  61.     Alors que le Canada entrait dans le XXe siÅcle, la progression constante du nombre de femmes instruites et exerìant une profession donna au mouvement une stabilitÄ et des ressources croissantes. L'engagement de telles personnalitÄs dans toutes sortes de rÄformes sociales leur acquit aussi la sympathie et le soutien des hommes qui partageaient les mÉmes vues. DÅs ao₧t 1914, les partis politiques qui espÄraient tirer profit des idÄes progressistes tenaient de plus en plus compte des femmes. Les libÄraux de l'opposition au Manitoba Ätaient le seul grand parti ê soutenir un programme en faveur de vote fÄminin, toutefois, les hommes de l'opposition et du gouvernement dans tout le pays avaient abandonnÄ une partie de leurs prÄjugÄs et exprimaient mÉme personnellement leur soutien ê la cause fÄminine. PersÄvÄrantes et inlassables, spÄcialement ê l'ouest de l'Outaouais, les campagnes avaient agi sur de nombreux lÄgislateurs, auxquels il ne restait plus que le dernier pas ê faire avant la conversion dÄfinitive.
  62.  
  63. La Grande Guerre et le dernier effort 
  64.  
  65.      La PremiÅre Guerre mondiale marqua l'apogÄe du fÄminisme canadien. Les fÄministes accueillirent souvent le conflit comme une Äpoque riche en possibilitÄs pour la rÄgÄnÄration et la purification de la nation. Les femmes se prÄcipitÅrent au secours des alliÄs en aidant les soldats partis au front et les familles qu'ils avaient laissÄes au pays. Certaines femmes participaient ê des campagnes de recrutement; beaucoup envoyaient mari, pÅre, frÅres et fils combattre pour la dÄmocratie. De telles patriotes et la nation qu'elles servaient prirent de plus en plus conscience du potentiel fÄminin. Des associations comme le Conseil national des femmes du Canada, l'Imperial Order of the Daughters of the Empire et le YWCA bÄnÄficiÅrent de cette prise de conscience et virent le nombre de leurs membres grossir de faìon spectaculaire. La grande compÄtence dans le domaine de l'organisation, acquise par l'effort fourni en faveur du droit de vote et de rÄformes, fut appliquÄe au traitement des problÅmes engendrÄs par la lutte internationale. Les allocutions de la femme au foyer, le Canadian Patriotic Fund (au service des familles des soldats sur lesquelles ils exerìaient un certain contrÖle), les garderies de jour, les inspecteurs de la santÄ, les programmes de canadianisation et le logement urbain furent les bÄnÄficiaires de la contribution fÄminine. Encore plus prestigieux Ätait le travail entrepris par les infirmiÅres du corps mÄdical de l'ArmÄe canadienne. SensibilisÄs par les exigences de la guerre, les hommes reconnurent finalement la dette du Canada vis-ê-vis des femmes. La nomination de femmes auprÅs des tribunaux, dans la police, au sein de commissions gouvernementales, et l'Älection en 1917 des premiÅres femmes membres d'une assemblÄe provinciale (Alberta) vinrent affermir la faveur croissante du public. Enhardies par le patriotisme du temps de la guerre, par l'attention que leur portaient les gouvernements et par la sympathie populaire, les suffragettes comme Nellie McClung dans son best-seller In Times Like These (1915) prÄdisaient de grandes choses pour le jour o¥ les femmes seraient enfin ÄmancipÄes.
  66.  
  67.      Cependant, en dÄpit de l'Älargissement des perspectives fÄminines, un certain nombre de questions minaient la solidaritÄ des fÄministes. Le vote des femmes en Ätait une. Certaines femmes continuaient ê orienter le gros de leurs efforts vers ce but. D'autres, surtout celles qui s'opposaient prÄcÄdemment aux campagnes dans ce sens, soutenaient que cette cause dÄtournait de l'effort de guerre plus important, et qu'elle devait Étre mise en veilleuse pendant le conflit. Le dilemme devant lequel se trouvait le Conseil national des femmes du Canada est typique. Ses tentatives de compromis - il s'engageait dans des pÄtitions en faveur du droit de vote tout en maintenant d'autres activitÄs propres au temps de guerre - ne donnaient satisfaction ê personne. Devant de telles divisions, la Loi des Älections en temps de guerre de 1917 prÉtait d'autant plus ê controverse qu'elle accordait le droit de vote aux femmes de la famille des combattants outre-mer et le retirait ê certaines catÄgories d'Ätrangers de naissance. On avait toujours trouvÄ parmi les fÄministes des partisans d'un droit de vote rÄservÄ ê celles qui avaient des biens, qui Ätaient instruites ou Ätaient anglophones. La guerre, qui attisait la crainte des Allemands ê l'extÄrieur et des agitateurs sociaux au pays, ne faisait que renforcer de telles tendances. Il y eu toujours, cependant, des partisans plus libÄraux du droit de vote qui s'opposaient ê toute restriction, de quelque ordre qu'elle soit. Les rÄactions de 1917 devant le droit de vote restreint dÄpendaient beaucoup des allÄgeances politiques de chacun. Les partisans libÄraux de Sir Wilfrid Laurier attaquÅrent le projet de loi dans lequel ils voyaient un complot montÄ par le Premier ministre conservateur Sir Robert Borden en vue de faire rÄÄlire son gouvernement, en accordant le droit de vote ê ses partisans Äventuels et en le retirant ê ceux qui Ätaient susceptibles de lui Étre hostiles. Conservateurs et libÄraux en faveur de la coalition ou du gouvernement d'union proposÄ par Borden rÄpliquaient que la mesure visait seulement ê restreindre le droit de vote aux citoyens dont le patriotisme Ätait hors de doute et sauvegardait ainsi la nation. Quoi qu'il en soit, ils soutenaient que cette Loi n'Ätait qu'un expÄdient temporaire qui serait rapidement suivi par le suffrage universel. Les partisans du vote des femmes ne se mirent jamais d'accord sur les mÄrites relatifs de ces arguments.
  68.  
  69.      En mars 1918, le Premier ministre Borden, harassÄ sur le plan politique, se rÄfÄra ê la fois ê l'importante contribution militaire des femmes et ê sa nouvelle foi dans leur influence stimulante lorsqu'il introduisit un projet de loi en faveur du suffrage universel. Le doute qui planait encore sur la reconnaissance de l'ÄgalitÄ des femmes se reflÄtait dans l'Ächec de la mesure visant ê inclure le droit de siÄger ê la Chambre des Communes. Celle-ci dut attendre jusqu'en 1919 pour Étre adoptÄe. Lors de l'adoption du projet de loi de 1918, plusieurs Canadiens franìais membres du Parlement renouvelÅrent leur opposition; la reconnaissance des droits politiques aux femmes diminuerait la natalitÄ, dÄtruirait les liens du mariage et augmenterait l'immoralitÄ en gÄnÄral. Pendant les vingt-deux annÄes qui suivirent, ces arguments handicapÅrent les fÄministes quÄbÄcoises dans leur lutte pour le droit de vote au niveau provincial.
  70.  
  71. Les Provinces 
  72.  
  73.      Dans un certain nombre de cas, la victoire au fÄdÄral fut prÄcÄdÄe par des mesures prises au niveau provincial. Les victoires provinciales successives traduisaient la sympathie gÄnÄrale que s'Ätaient acquise, dans les Prairies, les fÄministes loyalement soutenues par les mouvements ruraux et radicaux de leur rÄgion: Manitoba (janvier 1916), Saskatchewan (mars 1916), Alberta (avril 1916), Ontario (fÄvrier 1917), Colombie-Britannique (avril 1917), Nouvelle-âcosse (avril 1918), Nouveau-Brunswick (avril 1919), δle-du-Prince-âdouard (mai 1922), Terre-Neuve (avril 1925) et QuÄbec (avril 1940). La lenteur relative des provinces de l'Est ê adopter le droit de vote est attestÄe par leur maintien occasionnel des restrictions. Le Nouveau-Brunswick, par exemple, ne leur a pas accordÄ en mÉme temps le droit ê une fonction politique, tandis que Terre-Neuve fixait ê l'origine une limite d'ëge supÄrieure, ce qui reflÄtait une prÄoccupation moindre dans ce domaine et un plus grand conservatisme. Les Canadiennes franìaises militantes comme le Professeur Idola Saint-Jean et ThÄrÅse Casgrain furent en outre victimes des administrations provinciales. Le Canada franìais avait assimilÄ la reconnaissance des droits politiques au sÄcularisme, aux Anglo-Saxons et, d'une faìon gÄnÄrale, ê tout ce qui est moderne; tous ces ÄlÄments Ätant perìus comme des menaces ê la survivance de la nation canadienne- franìaise. Les annÄes vingt et trente virent un renforcement des organisations et un renouveau de la coopÄration franco-anglaise, mais aucun renforcement du soutien de l'assemblÄe que dominaient Maurice Duplessis et les ultra-conservateurs de l'Union nationale. Ce n'est qu'avec l'Älection en temps de guerre d'un gouvernement libÄral, due aux LibÄraux fÄdÄraux sous William Lyon Mackenzie King, qu'une mesure favorable finira par Étre introduite. MÉme alors, il semble y avoir eu relativement peu de soutien de la part du peuple.
  74.  
  75.      Les gouvernements capitulÅrent devant les partisans du droit de vote pour toutes sortes de raisons. Dans chaque assemblÄe, il se trouvait des parlementaires pour lesquels la question de justice constituait une explication suffisante. Les sacrifices qu'imposait la guerre donnÅrent l'occasion ê maint ancien opposant de faire volte-face ÄlÄgamment. Il est indubitable que quelques lÄgislateurs se convertirent rÄellement, mais nombreux sont ceux que les besoins de la politique poussÅrent ê rechercher l'appui des voix fÄminines prÄcÄdemment indÄsirables. Pour certaines administrations, comme au Manitoba et en Colombie-Britannique, l'accession aux droits politiques Ätait, au moins en partie, un prix dÄcernÄ pour la contribution politique aux rÄcentes victoires Älectorales. Dans certains cas, comme au QuÄbec en 1940, c'Ätait une question de ╟rattrappage╚ liÄe ê la pression exercÄe par les autres gouvernements plus avancÄs. Sans entrer dans tous les dÄtails de ce qui a pu retarder ê ce point la promulgation d'une telle loi, il est clair que tous les gouvernements espÄraient que leur affectation de gÄnÄrositÄ vaudrait ê leur parti les suffrages des femmes.
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  77. ConsÄquences de la reconnaissance du droit de vote aux femmes 
  78.  
  79.      La lutte pour le suffrage fÄminin a ÄtÄ longue et souvent pÄnible et les rÄsultats, en terme d'occupation de postes politiques n'ont pas ÄtÄ spectaculaires. Avant 1949, cinq femmes seulement Ätaient parvenues ê pÄnÄtrer l'enceinte de la Chambre des Communes. La premiÅre, Agnes Macphail, avait ÄtÄ Älue dÄputÄ progressiste en 1921 et reprÄsentait les United Farmers of Ontario Fermiers Unis de l'Ontario. Au cours de cette pÄriode, seulement deux femmes Ätaient nommÄes sÄnateurs, ce qui reflÅte l'influence des nouveaux Älecteurs sur les hommes politiques. De 1921 ê 1975, il n'y a eu que vingt-sept femmes dÄputÄs. La situation n'Ätait guÅre plus brillante dans les provinces o¥ certaines chambres n'avaient pas encore jusque lê eu l'occasion d'accueillir dans leurs rangs une seule femme dÄputÄ. Au lieu de briguer elles-mÉmes les suffrages, de nombreuses femmes consacrent presque toute leur Änergie ê oeuvrer pour un parti traditionnel en amassant des fonds, sollicitant des votes et recrutant de nouveaux adhÄrents. Les dirigeants des partis n'ont que trÅs rarement jugÄ bon de rÄcompenser ce travail anonyme et bÄnÄvole et ont constamment donnÄ prÄfÄrence aux candidats masculins. Les quelques femmes qui ont eu le courage de se lancer en politique sous la banniÅre conservatrice ou libÄrale ne se voyaient confier d'ordinaire que de circonscriptions marginales ou perdues d'avance. Les partis radicaux et gauchistes ont ÄtÄ, par tradition, plus rÄceptifs aux candidatures fÄminines, mais le sexe de celles-ci ne faisait qu'ajouter aux difficultÄs quasi insurmontables a remporter un siÅge comme membre d'un parti minoritaire.
  80.  
  81.      Bien qu'elles aient vite avouÄ leur dÄcouragement face aux charges politiques, les fÄministes, surtout celles de l'Ouest, ont interprÄtÄ plusieurs mesures sociales prises au niveau provincial comme la preuve de l'influence grandissante de la femme sur le plan social. Certes, l'adoption d'une sÄrie de rÄformes rÄclamÄes par ces derniÅres, notamment un code de protection de l'enfant, des lois rÄgissant le travail dans les usines, la dot et les allocations aux mÅres de famille, ont en effet suivi la reconnaissance du droit de vote. Cependant, il serait erronÄ d'attribuer aux femmes seules tout le mÄrite de ces rÄformes; en effet, certains hommes progressistes s'intÄressaient tout autant ê leur mise en oeuvre. D'ailleurs, la lente Ävolution des lois au chapitre du bien-Étre social indique bien que, de faìon gÄnÄrale, les femmes n'Ätaient pas plus disposÄes que les hommes ê appuyer des lois ╟ÄclairÄes╚. Le sexisme dans l'emploi, l'Äducation et la loi, lui aussi, persistait toujours. La lutte victorieuse qu'ont menÄe les femmes pour obtenir le droit de siÄger au SÄnat, lors du cÄlÅbre ╟cas Persons╚ en 1929, constitue l'une des rares rÄalisations dont elles peuvent rÄclamer l'initiative. Le Rapport de la Commission royale d'enquÉte sur le statut de la femme, paru en 1970, fait Ätat du lourd fardeau de la discrimination que doit encore supporter la femme. Compte tenu des espoirs que caressaient les partisanes du droit de vote, la situation d'ensemble laisse ê dÄsirer. ╦ quoi cela tient-il?
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  83. Limites de la campagne pour le suffrage fÄminin 
  84.  
  85.      Les partisans du droit de vote pour les femmes ont reìu un appui enthousiaste dans la mesure ou un grand nombre de Canadiens acceptaient et approuvaient cette cause purement fÄminine. DÅs la naissance du mouvement, la plupart des fÄministes, notamment Nellie McClung, Augusta Stowe Gullen et Marie GÄrin-Lajoie affirmaient que l'instinct maternel constitue l'essence mÉme de la femme: il dicte le comportement ╟normal╚ de la femme et justifie sa participation distincte ê tous les niveaux de la vie sociale et politique. D'autres fÄministes plus radicales, comme Carrie Derrick, professeur ê l'UniversitÄ McGill, ont remis en question cette conception d'un Étre supÄrieur et spÄcial qui a cependant caractÄrisÄ le mouvement fÄministe au Canada et ê l'Ätranger. Rien d'Ätonnant ê cette doctrine puisque la religion, la culture, voire la science l'ont vÄhiculÄe et matÄrialisÄe si bien. L'argument selon lequel une psychologie fÄminine particuliÅre entraöne automatiquement une reprÄsentation politique distincte, prÄsentait un attrait certain, mais crÄait un prÄcÄdent ê double tranchant, susceptible d'ouvrir la voie ê une kyrielle de pratiques discriminatoires ê l'Ächelle internationale. NÄanmoins, cette opinion fÄministe de la femme, fort rÄpandue, n'a pas permis ê cette derniÅre d'explorer en toute libertÄ toutes les sphÅres d'activitÄs possibles en dehors du foyer, pas plus qu'une solidaritÄ fÄminine basÄe sur la foi envers un Étre particulier n'a rÄsistÄ au test du pouvoir politique.
  86.  
  87.      Dans les annÄes vingt et par la suite, les femmes ont montrÄ que leur philosophie se rapprochait de celle des hommes sous bien des aspects. Il n'Ätait pas, dÅs le dÄbut, Ävident que les femmes soient parvenues a rehausser la valeur morale du devoir civique. ParallÅlement ê la disparition de la foi en une supÄrioritÄ morale, l'instinct maternel en tant que service ê la sociÄtÄ perdait une partie de son attrait. AnimÄes par le dÄsir d'Äpanouissement personnel qui a suivi les deux Guerres mondiales et la vulgarisation de la thÄorie freudienne selon laquelle ╟l'anatomie dÄtermine la destinÄe╚, les femmes ont renoncÄ ê l'engagement politique prÖnÄ par les partisanes du suffrage fÄminin. Les premiÅres fÄministes canadiennes n'ont offert aucune thÄorie critique qui leur aurait permis de reconsidÄrer ê fond le rÖle de la femme dans la sociÄtÄ. Dans la conjoncture de l'Äpoque, les anciens prÄjugÄs interdisant la prÄsence des femmes au sein de la classe instruite ou salariÄe signifiaient toujours que pour l'ensemble de la communautÄ, les sphÅres d'activitÄ Ätaient entiÅrement diffÄrentes selon qu'elles s'appliquaient aux hommes ou aux femmes. 
  88.  
  89.      L'image bourgeoise que projetait le mouvement fÄministe a empÉchÄ toute rÄÄvaluation soutenue de principes fondamentaux. La plupart des partisans du suffrage fÄminin, une fois cantonnÄs au sein de comitÄs officiels, consultÄs de part et d'autre et applaudis pour leur leadership, se contentaient de rÄformes sociales partielles et souvent incohÄrentes. D'aucunes, comme Bella Hall Gauld, communiste, et Frances Beynon, socialiste chrÄtienne, prÄconisaient des changements Äconomiques et sociaux radicaux. Elles ont ÄtÄ les seules ê tenir compte des besoins des femmes de la classe ouvriÅre. Pourtant, tant que ces derniÅres Ätaient tenues ê l'Äcart du principal courant fÄministe, l'ampleur du mouvement fÄministe s'en trouvait considÄrablement limitÄe. Les partisans du droit de vote pour les femmes insistaient constamment sur le fait que le sexe Ätait le facteur dÄterminant des rapports sociaux. Cependant, leurs programmes contredisaient cette affirmation, puisqu'ils ne visaient qu'a satisfaire les aspirations d'un petit groupe de femmes privilÄgiÄes.
  90.  
  91.      En dÄpit de toutes ces lacunes, la campagne pour la reconnaissance du suffrage fÄminin a permis ê certaines femmes de mieux comprendre leur rÖle dans la sociÄtÄ canadienne. ParallÅlement, le mouvement a permis ê maintes femmes de partager des expÄriences et de rÄsoudre des problÅmes personnels. Il a Ägalement aidÄ ê Äliminer les pires abus du systÅme capitaliste et, par consÄquent, d'amÄliorer le niveau de vie de nombreuses Canadiennes. L'Ämancipation de la femme a Ägalement ÄtÄ une victoire importante: mÉme si elle n'a pas endiguÄ le lourd fardeau de la discrimination, elle a contribuÄ ê faire du Canada ╟la terre de l'ÄgalitÄ╚ promise par Nellie McClung et ses compagnes d'arme. Il appartenait aux gÄnÄrations futures d'achever l'Ävolution qu'elles avaient entreprises.  
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