Trois facteurs ont influΘ sur la sociΘtΘ de la Nouvelle-France: le milieu colonial, les institutions et la culture spΘcifiquement franτaises des colonisateurs et le fait que certaines autres institutions de la mΦre patrie brillaient par leur absence. Au dΘbut des annΘes 1700, α l'issue d'un siΦcle de guerre et de lutte acharnΘe contre un milieu hostile, une sociΘtΘ α la fois originale et marquΘe par la tradition franτaise a fini par Θmerger.
Une sociΘtΘ hiΘrarchisΘe
La sociΘtΘ de l'Θpoque reposait sur la hiΘrarchie et la structure sociale, le statut le plus ΘlevΘ Θtant attribuΘ aux hauts magistrats et aux officiers des troupes coloniales. Bon nombre de ceux-ci appartenaient α la noblesse ou aspiraient α y parvenir, et tous acceptaient les valeurs sociales de l'aristocratie en s'efforτant de s'y conformer. La richesse Θtait considΘrΘe comme un moyen de parvenir α cette fin, mais non comme un but en soi, la prodigalitΘ importait plus que la rΘalisation mΩme de la fortune. Cette attitude s'est Θtendue aux classes infΘrieures de la sociΘtΘ, et le peuple canadien Θtait rΘputΘ pour son gaspillage, car les gens se hΓtaient de croquer tout leur argent en vΩtements, en meubles co√teux et en distractions extravagantes dΦs qu'ils en avaient les moyens ou mΩme plus vite encore.
L'ArmΘe a beaucoup contribuΘ α enraciner ce comportement aristocratique dans la colonie. L'administration Θtait structurΘe sur le modΦle militaire; ainsi, le gouverneur gΘnΘral et les gouverneurs rΘgionaux Θtaient des officiers, notamment des officiers de marine. Les familles dominantes dΘployaient tous les efforts pour que leurs fils obtiennent des postes de commande au sein des troupes coloniales, et tous les hommes ΓgΘs de 16 α 60 ans devaient servir dans la milice. La considΘration accordΘe α un homme provenait davantage de sa valeur militaire que de sa richesse matΘrielle.
Un peuple riche et indΘpendant
Les Canadiens de l'Θpoque se caractΘrisaient aussi par leur esprit tenace d'indΘpendance, surtout ceux qui Θtaient issus des classes infΘrieures. Cela s'explique par plusieurs facteurs. Les habitants du Canada Θtaient relativement plus riches que ceux de la France, o∙, au XVIIIe siΦcle, les paysans avaient tout juste de quoi survivre et mΩme parfois pas assez. En raison des famines frΘquentes, le taux de mortalitΘ Θgalait celui de la natalitΘ, ce qui empΩchait la population d'augmenter. Le systΦme foncier seigneurial en vigueur au Canada, qui avait ΘtΘ conτu pour que le plus grand nombre de terres soient cultivΘes aussi rapidement que possible -- ce α quoi veillaient Θtroitement les autoritΘs -- garantissait jusqu'α 200 acres de terrain α toute famille disposΘe α travailler contre le paiement d'une redevance minime au seigneur: celle-ci ne s'Θlevait qu'α 10 ou 15% du produit de la ferme. De plus, la dεme α payer α l'Θglise ne correspondait qu'au vingt-sixiΦme de la production de blΘ, soit la moitiΘ du taux en cours dans le nord de la France. Les habitants avaient la permission de chasser et de pΩcher sur leur terre, disposaient d'amples provisions de bois de chauffage et, en acquittant un droit minime, pouvaient faire paεtre leur bΘtail sur le prΘ communal de la seigneurie. Certains seigneurs ne se prΘoccupaient guΦre de prΘlever ces droits, jugeant que cela n'en valait pas la peine. Un autre facteur a favorisΘ l'indΘpendance financiΦre et l'aisance relative des Canadiens: l'absence de taxes dans la colonie. Tandis qu'en France imp⌠ts et redevances de toutes sortes privaient le paysan de 10 α 50% de son revenu, les seules taxes perτues au Canada Θtaient les droits d'importation sur le vin, les spiritueux et le tabac ainsi que les droits d'importation sur les peaux de castor et d'orignal; ces derniers ont d'ailleurs ΘtΘ abolis en 1717. Les autoritΘs estimaient qu'il Θtait hors de question d'exiger des Canadiens le paiement d'imp⌠ts directs puisqu'ils devaient dΘjα accomplir leur service militaire et s'exposer α de graves pΘrils dans les guerres coloniales.
La situation gΘographique favorisait, elle aussi, cet esprit d'indΘpendance. Depuis l'octroi des premiΦres seigneuries au dΘbut du XVIIe siΦcle, les terrains ont toujours ΘtΘ divisΘs en longues bandes Θtroites perpendiculaires au Saint-Laurent, qui Θtait la principale voie de communication tant entre les diffΘrentes rΘgions de la colonie qu'avec le reste du monde connu. Tous les gens dΘsiraient donc avoir une terre donnant sur le fleuve, et les maisons de ferme Θtaient construites le long des rives. DΦs le XVIIIe siΦcle, toutes les terres comprises entre QuΘbec et la pointe ouest de l'εle de MontrΘal Θtaient habitΘes. Quelques centaines de verges sΘparaient les maisons, et on trouvait une Θglise, un manoir seigneurial et un moulin tous les quatre ou cinq milles. Vers la fin du XVIIe siΦcle, la Couronne a tentΘ d'implanter de nouveaux villages afin de mieux surveiller les habitants et les mettre α l'abri des attaques iroquoises, mais les colons ne voulurent rien savoir. Ils insistΦrent pour conserver leurs bandes de terrain alternΘes et garder suffisamment d'espace pour avoir les coudΘes franches. L'indΘpendance et la libertΘ Θtaient donc plus importantes α leurs yeux que la sΘcuritΘ, et bon nombre d'entre eux en payΦrent le prix de leur vie.
La vie Θtait rude pendant les premiΦres annΘes de la colonisation mais dΦs le XVIIIe siΦcle, lorsque les terres furent dΘfrichΘes et cultivΘes, le sort des habitants commenτa α s'amΘliorer. Les premiΦres habitations en rondins cΘdΦrent la place aux maisons en pierres blanchies α la chaux avec un toit inclinΘ et des murs qui mesuraient souvent deux pieds d'Θpaisseur. Le style architectural rappelait celui du nord de la France; le toit inclinΘ, quoique recouvert de planches ou de bardeaux, reprenait l'inclinaison nΘcessaire aux premiers toits de chaume pour que l'eau puisse s'Θcouler. Au cours du XVIIIe siΦcle, un trait proprement canadien est apparu. En effet, la ligne du toit s'est prolongΘe jusqu'α trois pieds au-delα des murs, ce qui donnait de l'ombre pendant la canicule estivale tout en permettant α la faible lumiΦre du soleil d'hiver d'atteindre les fenΩtres. Jusqu'au dΘbut du XVIIIe siΦcle les ½habitants╗ et les artisans des villes durent se contenter de maisons de deux piΦces avec un foyer ouvert au centre. L'une des piΦces servait α la fois de cuisine, de salle α manger et de salle de sΘjour, tandis que l'autre tenait lieu de chambre α coucher. On a pu chauffer davantage de piΦces pendant l'hiver, et convertir en chambres les greniers qui servaient d'espace de rangement, lorsque se rΘpandirent les poΩles carrΘs en fer fabriquΘs aux Forges de Saint-Maurice, prΦs de Trois-RiviΦres. Les familles les plus riches faisaient venir de Hollande des poΩles de fa∩ence qui servaient d'ornement dans les salons somptueux.
La ferme de l'½habitant╗ constituait presque une entitΘ Θconomique indΘpendante et autarcique. Les familles y trouvaient toute leur nourriture, tissaient des vΩtements frustes et durables avec la laine de leurs moutons, faisaient apprΩter leurs propres peaux par le tanneur du village et confectionnaient elles-mΩmes leurs souliers et mocassins. De plus, elles fabriquaient elles-mΩmes, presque tous leurs instruments aratoires, et le bois de pin blanc facile α travailler qu'elles trouvaient α proximitΘ de leurs terres permettait aussi la fabrication de leurs meubles. Ces hommes ½α tout faire╗ n'avaient rien α acheter de plus que de la vitre pour leurs fenΩtres, du mΘtal pour leurs travaux de forge, des objets en mΘtal, tels que des ustensiles de cuisine, des outils, des armes α feu, des verreries, de la poterie, des couverts et des articles de luxe comme de la lingerie fine pour les femmes, du vin, de l'eau-de-vie, du cafΘ, du chocolat, des cartes α jouer, sans oublier les pipes en argile α la grosse. En vendant l'excΘdent de leurs rΘcoltes dans les trois centres urbains de QuΘbec, de MontrΘal et de Trois-RiviΦres, ils disposaient d'assez d'argent pour se procurer tous ces biens. Ainsi, vingt α trente bateaux suffisaient chaque annΘe α approvisionner la colonie, et la majeure partie de la cargaison Θtait consacrΘe au commerce de la fourrure, notamment tissus, vins et spiritueux, verre et porcelaine. Lorsque la possibilitΘ de disposer de dΘbouchΘs extΘrieurs apparut pour les produits agricoles (Louisbourg Θtant le seul marchΘ disponible au cours des annΘes 1720), les habitants rΘagirent rapidement et la production de blΘ se mit α augmenter. Malheureusement, les rΘcoltes Θtaient souvent fort maigres, ce qui obligea les autoritΘs coloniales α importer des cΘrΘales. Les autoritΘs jugeaient cependant que le nombre de chevaux Θtait excessif: en effet, tous les hommes et les jeunes garτons possΘdaient leur propre monture, non pour travailler la terre mais pour leur bon plaisir.Le gouverneur et l'intendant se plaignaient que ces chevaux mangeaient le fourrage qui aurait pu permettre d'Θlever davantage de bestiaux. Un telle chose ne se serait jamais vue en Europe, o∙ les paysans les plus riches ne possΘdaient mΩme pas un cheval de somme. C'Θtait lα un autre signe de la richesse canadienne.
└ tout bien considΘrer, l'½habitant╗ canadien jouissait d'un niveau de vie plus ΘlevΘ que la grande majoritΘ des EuropΘens. Il Θtait mieux logΘ, mieux vΩtu et mieux nourri. Tandis que la plupart des EuropΘens se couchaient l'hiver, en grelottant et le ventre vide car ils ne se nourrissaient que de gros pain et de soupe de lΘgumes, les Canadiens disposaient, quant α eux, d'amples provisions de viande, de poisson, de lait, de beurre, de fruits et de lΘgumes frais en saison, et chacun consommait tous les jours une livre et demie de pain nourrissant fait au blΘ. Ils s'alimentaient probablement mieux que la plupart des Nord-AmΘricains d'aujourd'hui, qui se contentent d'aliments empaquetΘs et sans valeur nutritive. Il a donc suffi de quelques gΘnΘrations pour que les Canadiens soient en meilleure condition physique que les EuropΘens; un plus grand nombre d'enfants survivaient jusqu'α l'Γge traditionnel du mariage et la population doublait α chaque gΘnΘration.
Vie sociale
└ la campagne, la vie sociale se dΘroulait autour de l'Θglise paroissiale. C'Θtait α la messe du dimanche que les femmes exhibaient leurs vΩtements de luxe et les hommes, leurs chevaux, bien que les autoritΘs aient cherchΘ α interdire la mauvaise habitude qu'avaient les hommes de se rendre α la taverne locale dΦs que le curΘ commenτait son sermon. Les annonces publiques Θtaient faites de la chaire ou sur le parvis de l'Θglise, aprΦs la messe. C'Θtait aussi dans les processions religieuses que se manifestaient les diffΘrences entre les classes sociales. Le seigneur et sa famille occupaient le premier banc, recevaient la communion avant les autres, et il arrivait que le seigneur soit enterrΘ sous le plancher de l'Θglise. AprΦs lui venaient les notables moins importants de l'endroit: le capitaine de milice, les magistrats du palais de justice local et les marguilliers. Les questions de prΘsΘance engendrΦrent de si violents conflits au cours des premiΦres annΘes que le Roi dut finalement intervenir. Les bancs d'Θglise, louΘs α l'annΘe, Θtaient occupΘs par les mΩmes familles pendant des gΘnΘrations. Lorsqu'un banc devenait vacant, on l'offrait aux enchΦres, et les ambitieux pouvaient alors rehausser leur prestige en payant un prix exorbitant.
Tout en assurant les services religieux prescrits, l'Θglise paroissiale comblait le go√t du peuple pour l'art. Contrairement aux chapelles dΘnudΘes des colonies anglaises puritaines, les Θglises de la Nouvelle-France Θtaient somptueusement dΘcorΘes. L'intΘrieur des murs de pierre Θtait revΩtu de bois couleur crΦme et embelli de sculptures aux motifs recherchΘs. Les autels et les chaires de style baroque, regorgeaient d'ornements. Toutes ces dΘcorations, ajoutΘes aux vΩtements sacerdotaux du prΩtre, aux vases sacrΘs en argent vΘritable, au parfum de l'encens, aux chants interprΘtΘs par le choeur Θtaient une dΘlectation pour les sens. La riche tradition visuelle et spirituelle de la civilisation europΘenne y Θtait manifeste et rappelait aux colonisateurs leurs attaches culturelles.
La structure sociale Θtait Θvidemment beaucoup plus complexe dans les trois villes que dans les rΘgions rurales. Du point de vue Θconomique, ces villes constituaient de petites mΘtropoles au service de l'arriΦre-pays tout en survivant grΓce α lui. Elles Θtaient le siΦge de l'administration civile, militaire, judiciaire et religieuse, et le lieu de rΘsidence des dignitaires de ces institutions. Y habitaient Θgalement les marchands de la colonie et bon nombre de seigneurs. Les artisans, qui devaient leur fournir les biens et services nΘcessaires, devinrent vite prospΦres. On y trouvait en outre des maτons, des charpentiers, des menuisiers et des vitriers. Les tailleurs servaient les villageois et fournissaient de plus aux Indiens les vΩtements de style europΘen qu'ils affectionnaient; ces vΩtements devinrent par consΘquent indispensables au commerce de la fourrure. Ce fut aussi le cas des petits ornements en argent, dont la fabrication permit aux orfΦvres de MontrΘal de gagner leur vie. Les couturiers et les perruquiers s'empressaient de copier les derniers styles de la mode parisienne. Armuriers et serruriers, forgerons et tanneurs, ΘbΘnistes et cordonniers, chaudronniers et ramoneurs avaient Θgalement leur place dans la citΘ, qui avait par ailleurs recours aux services des bouchers, des boulangers, des chaudronniers, des poissonniers et des marchands de dΘtail; ces derniers devaient avoir en stock toutes sortes de produits, certains importΘs mais la plupart Θtaient fabriquΘs localement. └ Trois-RiviΦres, les Forges de Saint-Maurice produisaient du fer pour les forgerons et marΘchaux-ferrants, ainsi que des poΩles, des casseroles, des socs de charrue et des boulets de canon. C'Θtait Θgalement α Trois-RiviΦres qu'on trouvait la manufacture de canots en Θcorce de bouleau qui servaient au commerce de la fourrure dans l'Ouest. Les rives du fleuve Θtaient parsemΘes de petits chantiers navals o∙ l'on construisait les goΘlettes robustes qui transportaient les produits franτais et antillais de QuΘbec α MontrΘal, le blΘ de MontrΘal α QuΘbec, le blΘ, la farine et le bois d'oeuvre jusqu'α Louisbourg, o∙ on les transbordait pour les acheminer vers les Antilles. La population urbaine constituait un marchΘ pour les surplus agricoles des ½habitants╗ de la rΘgion. Chaque ville avait son marchΘ α ciel ouvert o∙ les cultivateurs s'installaient pour vendre leurs produits, et un rΦglement interdisait formellement aux aubergistes d'acheter les plus belles denrΘes avant que le reste de la population n'ait eu la possibilitΘ de s'approvisionner.
╔ducation
Non seulement l'╔glise avait un r⌠le religieux, mais encore elle Θtait responsable de l'Θducation des colons. Les religieuses s'occupaient des h⌠pitaux et des asiles d'orphelins, de vieillards indigents, de malades incurables et de jeunes filles aux moeurs lΘgΦres que les autoritΘs condamnaient α la rΘclusion. Les dΘlinquants mΓles, eux, subissaient un chΓtiment plus sΘvΦre. Bien des familles avaient des contrats privΘs avec des mΘdecins, tandis que les pauvres recevaient des soins gratuits dans les h⌠pitaux. La pauvretΘ n'Θtait qu'un problΦme occasionnel puisque chaque famille Θtait obligΘe de par la loi d'assurer sa subsistance, mais les sociΘtΘs de la Couronne intervenaient lorsqu'une crise Θconomique Θclatait. En rΘsumΘ, la colonie Θtait au bord de l'indigence.
Au XVIIIe siΦcle, l'Europe et ses diverses colonies ne comptaient guΦre de gens instruits. La majoritΘ de la population n'avait ni le go√t ni les moyens d'accΘder α l'instruction. Les enfants de moins de 10 ou 12 ans avaient du mal α manier la plume d'oie, car il fallait une grande dextΘritΘ manuelle tant pour la tailler et la fendre que pour Θcrire. En outre, l'instruction a d'abord ΘtΘ dispensΘe en latin; ce n'est que plus tard que les cours furent donnΘs en franτais. Les enfants d'Γge scolaire devaient rester α la ferme pour accomplir les besognes essentielles. Les familles qui le dΘsiraient avaient cependant la possibilitΘ d'envoyer leurs enfants α l'Θcole. └ QuΘbec, les jeunes garτons pouvaient faire leurs Θtudes ΘlΘmentaires au Petit SΘminaire, tandis qu'α MontrΘal, les Sulpiciens administraient une Θcole semblable. On espΘrait les voir se diriger vers le sacerdoce, mais peu d'entre eux prenaient cette voie. Au CollΦge de QuΘbec, les JΘsuites donnaient un cours plus avancΘ; ils avaient Θgalement mis sur pied une Θcole d'hydrographie pour former les pilotes et les navigateurs. Une Θcole de droit fut, par la suite, crΘΘe afin de former d'Θventuels juges; mais, lorsqu'il s'agissait de recevoir une formation plus poussΘe, les candidats devaient suivre les cours de la Sorbonne, puis se faire admettre au barreau de Paris. Les jeunes filles faisaient leurs Θtudes chez les Ursulines, qui s'appliquaient α leur enseigner les bonnes maniΦres et le bon maintien en sociΘtΘ. Il arrivait souvent que la femme soit la seule personne instruite de la famille. Dans les rΘgions rurales, les soeurs de la CongrΘgation de Notre-Dame tenaient des Θcoles de filles tandis que les prΩtres de paroisse dispensaient un enseignement rudimentaire aux fils d'habitants.
Le rΘgime sΘvΦre des Θcoles rebutait bien des gens. Au Petit SΘminaire, qui accueillait les enfants α partir de douze ans, les ΘlΦves devaient se lever α 4 heures du matin l'ΘtΘ et α 4 heures 30 l'hiver. L'ascΘtisme le plus rigoureux Θtait de rΦgle. Les ΘlΦves portaient un uniforme, coupaient leurs cheveux court et se contentaient de repas frugaux, α peine nutritifs. Les bains Θtant suspects, on ne les autorisait qu'une fois toutes les deux semaines, α moins de permission spΘciale. Les premiΦres annΘes, peu d'enfants persistaient: 135 des 200 premiers ΘlΦves abandonnΦrent leurs Θtudes aprΦs un ou deux ans. Les garτons qui persΘvΘraient et qui Θtaient suffisamment douΘs suivaient chez les JΘsuites le mΩme cours que s'ils avaient ΘtudiΘ en Europe. Le nombre d'Θcoles Θtant limitΘ, il fallait maintenir des normes ΘlevΘes.
Le systΦme d'apprentissage constituait une autre forme d'enseignement. En Europe, les maεtres artisans formaient des apprentis contre rΘmunΘration, et le rΦglement de la corporation faisait en sorte que peu d'entre eux accΘdaient α la maεtrise, de sorte que la plupart restaient compagnons leur vie durant et recevaient un salaire. Au Canada, toutefois, la main-d'oeuvre Θtait toujours limitΘe. Le maεtre artisan qui dΘsirait se faire assister dans son travail devait former des apprentis α ses frais, les loger, les nourrir et les vΩtir. Une fois formΘ, l'apprenti empruntait l'argent dont il avait besoin pour fonder son propre atelier, mais il devait d'abord obtenir la permission des autoritΘs qui veillaient α ce que, dans chaque mΘtier, les artisans ne soient pas trop nombreux pour la demande. Ils mettaient parfois des annΘes α rembourser la dette contractΘe pour ouvrir leur atelier, mais les Canadiens prΘfΘraient cette situation α celle de subalterne. Ils tenaient α Ωtre leurs propres maεtres.
Le travail des artisans Θtait souvent de trΦs haute qualitΘ; c'Θtait particuliΦrement le cas des orfΦvres et des sculpteurs sur bois. Les piΦces de monnaie introduites dans la colonie pour payer les militaires disparurent rapidement de la circulation. En effet, les habitants les faisaient fondre et demandaient ensuite aux orfΦvres de leur fabriquer rΘcipients et ustensiles de table. Comme il n'y avait pas de banque o∙ dΘposer les Θconomies, c'Θtait une faτon de conserver son actif liquide tout en l'utilisant. En outre, les petits ornements en argent Θtaient bien utiles pour le commerce des oeuvres remarquables pour les Θglises et les navires. Les ΘbΘnistes produisaient des meubles de qualitΘ, mais les familles plus aisΘes importaient de France leur ameublement, ainsi que la verrerie de Venise et les couverts en porcelaine.
MontrΘal: ville-frontiΦre
La gΘographie semble avoir pratiquΘ une curieuse division Θconomique dans la colonie. La marΘe, qui s'Θlevait α plus de 17 pieds α QuΘbec, Θtait inexistante α la hauteur de Trois-RiviΦres. En aval de cette petite ville, les habitants participaient en fonction des marΘes α des expΘditions de pΩche et de chasse au phoque dans le Golfe ou s'engageaient α bord des bateaux d'approvisionnement qui faisaient la navette entre Louisbourg, les Antilles et la France. En temps de guerre, les capitaines franτais venaient α QuΘbec se constituer un Θquipage, car ils trouvaient les marins canadiens plus belliqueux et habiles au combat que les marins franτais; ils les payaient d'ailleurs plus cher que ces derniers. En amont de Trois-RiviΦres, les habitants scrutaient le fleuve en direction de l'ouest. C'Θtait les hommes de la rΘgion comprise entre Trois-RiviΦres et MontrΘal qui convoyaient les trappeurs de l'Ouest.
La plupart quittaient leur village au printemps et y revenaient α l'automne mais un assez grand nombre restΦrent dans les postes lointains ou les villages indiens pendant des annΘes. └ leur retour, ces hommes rapportΦrent certaines caractΘristiques de l'Ouest qu'ils imposΦrent α toutes les maisons de la rΘgion, ce qui donna α MontrΘal un caractΦre unique. C'est Θgalement lα qu'Θtait postΘ le gros des troupes rΘguliΦres de la colonie, et les fermes avoisinantes portent encore les traces des guerres iroquoises. Les Θglises des RΘcollets, et des JΘsuites, le sΘminaire des Sulpiciens et le couvent des Ursulines rappelaient α la population que la ville avait ΘtΘ fondΘe en tant que colonie missionnaire destinΘe α convertir les Indiens.
Au XVIIIe siΦcle, les autoritΘs de MontrΘal se lancΦrent dans un vaste projet d'urbanisme. Les rues furent tracΘes selon un plan en Θchiquier et, au XVIIIe siΦcle, la palissade en bois fut remplacΘe par un mur de pierre qui entourait complΦtement la ville. Afin d'empΩcher les incendies de se propager la loi exigeait que les maisons des trois villes soient construites en pierre et que les murs excΦdent d'environ deux pieds le bord de la toiture. De mΩme, les planchers des greniers devaient Ωtre recouverts de pierres rΘfractaires, de sorte que si le toit prenait feu, l'incendie ne pouvait s'Θtendre en contre-bas. Les cheminΘes devaient Ωtre ramonΘes rΘguliΦrement et on trouvait de l'Θquipement de lutte contre le feu α tous les coins de rue. Les gens craignaient au plus haut point les incendies comme celui qui dΘtruisit la moitiΘ de MontrΘal.
Au dΘbut du XVIIIe siΦcle, la plupart des maisons avaient des fenΩtres en vitre, et non plus en papier; elles Θtaient munies de volets protecteurs en fer peint. Les artisans installaient leurs ateliers au rez-de-chaussΘe et rΘsidaient au-dessus ou α proximitΘ. Tous les bΓtiments s'alignaient le long des trottoirs de bois et Θtaient entourΘs de jardins de bonnes dimensions, avec vergers et Θcuries α l'arriΦre. Les demeures des riches marchands de fourrures Θtaient spacieuses et bien meublΘes, tandis que bien des seigneurs possΘdaient des maisons en ville. Vingt-cinq pour cent de la population de la colonie Θtaient des citadins, contre un peu plus de quinze pour cent en France.
Entre le mur de la ville et le fleuve, s'Θtendait le prΘ communal qui servait de pΓturage pour le bΘtail et de campement pour les Indiens qui allaient souvent rendre visite au gouverneur. De l'autre c⌠tΘ du fleuve et α l'extrΘmitΘ ouest de l'εle se trouvaient les villages des Indiens de la Mission qui avaient ΘtΘ convertis au christianisme. L'influence de ces tribus s'est faite sentir dans toute la colonie, et particuliΦrement α MontrΘal. En ville comme α la campagne, les Canadiennes adoptΦrent le style des vΩtements indiens, ce qui Θtonnait les visiteurs europΘens, en effet les robes descendaient tout juste α la hauteur du genou. Il Θtait difficile de distinguer les Canadiens des Indiens lorsqu'ils portaient leur costume d'hiver, si ce n'est que les Canadiens coiffaient leurs cheveux en queue de cheval. Les magistrats franτais et les officiers de l'armΘe se plaignaient que les Canadiens avaient ΘtΘ corrompus par les Indiens, qu'ils Θtaient devenus orgueilleux, indΘpendants, dΘbauchΘs, entΩtΘs et paresseux; mais aussi, α l'instar des Indiens, robustes, bons tireurs, sto∩ques, capables d'entreprendre des voyages incroyables et, par consΘquent, des combattants hors pair.
Tous ces facteurs ont contribuΘ α diffΘrencier la sociΘtΘ canadienne de la sociΘtΘ franτaise. La colonie ne comptait guΦre de gens trΦs riches et on ne trouvait pas de ½chΓteaux de la Loire╗ sur les rives du Saint-Laurent. Les Canadiens de l'Θpoque ont ΘtΘ modelΘs par le jeu de plusieurs ΘlΘments: l'aisance relative du peuple, qui rΘsultait de la gratuitΘ de la terre et de l'absence d'imp⌠t, la tradition militaire α l'honneur en temps de guerre, les ambitions militaires de la classe seigneuriale ainsi que les longs voyages dans le centre-ouest avec les convois de fourrures ou vers l'Atlantique α bord des barques de pΩche et de commerce, l'influence des nations indiennes, l'isolement de la colonie et la rigueur du climat.