home *** CD-ROM | disk | FTP | other *** search
/ Canadas Visual History / Canadas_Visual_History_CD-ROM_1996_WIN31-95.iso / mac / V11 / V11FPRE.MAC < prev    next >
Text File  |  1996-06-20  |  27KB  |  51 lines

  1. âVOLUTION DES MOYENS DE TRANSPORT DANS LA RâGION DU SAINT-LAURENT ET DES GRANDS LACS (1828-1860) 
  2.  
  3. Gerald Tulchinsky 
  4.  
  5.      Le transport a toujours ÄtÄ essentiel ê la vie Äconomique canadienne. Il est d'une importance capitale pour la circulation des personnes et des marchandises ainsi que pour l'extension des frontiÅres Äconomiques. La nation canadienne elle-mÉme est devenue une rÄalitÄ lorsque des moyens de transport modernes ont reliÄ des rÄgions dispersÄes. Pendant la courte pÄriode qui va de 1828 ê 1860, les dÄveloppements fructueux et rÄvolutionnaires que connurent les transports dans la vallÄe du St-Laurent et la rÄgion des Grands Lacs, posÅrent les fondements du systÅme qui, par la suite, reliera l'est ê l'ouest canadien. Les bateaux ê vapeur devinrent un moyen de transport d'usage courant. On dragua des riviÅres, on balisa des chenaux, on construisit de grands canaux, des ports et des phares. On procÄda aux premiers essais de transport par ballon et l'on construisit le premier rÄseau ferroviaire.
  6.  
  7.      Ce dÄveloppement des transports canadiens Ätait un phÄnomÅne nouveau et spectaculaire en ce milieu du dix-neuviÅme siÅcle. Il fut activÄ par le procÄdÄ traditionnel de mise en valeur du pays qui consistait ê exploiter les ressources agricoles et forestiÅres, ce que H.A. Innis a appelÄ l'╟Äconomie de denrÄes et de matiÅres premiÅres╚. Pour H.G.J. Aitken, Ägalement historien de l'Äconomie, cet essor des transports constitue un bon exemple d'une autre vieille tradition canadienne, celle de l'╟expansionnisme dÄfensif╚, d'aprÅs laquelle le gouvernement favorisait les grands travaux afin de parer ê la domination des âtats-Unis sur l'AmÄrique du Nord britannique. Il faut connaötre ces deux traditions si l'on veut saisir les rapports entre l'amÄlioration des moyens de transport et la place du Canada, puissance Äconomique en voie de dÄveloppement, dans le monde du commerce international. Cette connaissance nous permet aussi de mieux comprendre la stratÄgie d'expansion continentale dans laquelle le gouvernement a jouÄ un rÖle crucial. L'exploitation des ressources et matiÅres premiÅres ainsi que l'╟expansionnisme dÄfensif╚ Ätaient mis en pratique par le monde des affaires qui favorisait les innovations dans le secteur des transports et en Ätait le grand bÄnÄficiaire. Les rapports Ätroits entre les hommes d'affaires et les politiciens dont les mesures lÄgislatives affectaient grandement le climat du monde des affaires sont complexes et intÄressants ê analyser. L'essor des transports toucha aussi d'autres secteurs de l'Äconomie. Il est probable que les effets les plus profondÄment ressentis le furent par la population canadienne, dans sa vie quotidienne.
  8.  
  9. Les canaux 
  10.  
  11.      L'un des grands problÅmes de la colonisation du Haut-Canada, fut le co₧t ÄlevÄ du transport des marchandises en provenance de MontrÄal, principal port d'entrÄe du Saint-Laurent. Et ce n'Ätait pas qu'une question d'argent; il fallait compter avec les trÅs longs dÄlais et les grands risques qui menaìaient l'acheminement non seulement des produits, mais aussi de l'Äquipement militaire indispensable. Les leìons de la guerre de 1812-1814, amenÅrent le gouvernement britannique ê s'inquiÄter de l'approvisionnement des troupes chargÄes de dÄfendre les postes stratÄgiques le long de la frontiÅre canado-amÄricaine. C'est cette prÄoccupation, ê la fois commerciale et militaire, qui fut ê l'origine de la construction des premiers grands canaux du Saint-Laurent et des Grands Lacs au cours des annÄes 1820 et 1830: le canal Lachine, le canal Welland, (dont la premiÅre partie, qui permettait de franchir les chutes de Niagara, fut achevÄe en 1829), et le canal Rideau reliant Bytown ê Kingston. Ces deux derniers constituÅrent des tours de force sur le plan du gÄnie, de l'importance de la main-d'oeuvre, et des capitaux investis. Il est certain que ces projets n'auraient pu Étre menÄs ê bien sans le concours direct du gouvernement.
  12.  
  13.      La construction du canal Lachine qui contourne les dangereux rapides du mÉme nom, en amont de MontrÄal, dÄbuta lentement et sans satisfaire qui que ce soit tant qu'elle resta sous l'Ägide d'une sociÄtÄ privÄe; le gouvernement du Bas-Canada, bien qu'il ait eu la rÄputation de ne pas vouloir entreprendre d'affaires, endossa la responsabilitÄ financiÅre des travaux. Le gouvernement britannique, pour sa part, finanìa la construction du co₧teux canal Rideau (prÅs d'un million de livres) pour rÄpondre ê des besoins militaires et commerciaux. En fait, le canal Rideau fut construit sous la direction d'officiers du gÄnie de Sa MajestÄ qui engagÅrent des entrepreneurs locaux chargÄs de diverses parties du travail. Tout comme le canal Lachine, le canal Rideau fut construit surtout par des immigrants irlandais aidÄs par des artisans Äcossais et canadiens-franìais. Par contre, au tout dÄbut de la construction du canal Welland, c'est l'âtat de New York qui fournit les capitaux, les spÄcialistes et mÉme un bon nombre de travailleurs, choisis parmi ceux qui venaient ê peine de terminer la construction du canal âriÄ. Mais mÉme dans ce cas, le Haut-Canada (et, dans une moindre proportion, le Bas-Canada) investit de grosses sommes et, lorsque l'on constata que la premiÅre version du canal Welland, peu solide, ne rÄpondait pas aux attentes, le gouvernement le reprit au compte des travaux publics. C'Ätait lê pratique courante dans toute l'AmÄrique du Nord; aux âtats-Unis, la plupart des grands systÅmes de canalisation, y compris cet Änorme succÅs que fut le canal âriÄ, furent construits par l'âtat ou le gouvernement local. Les entrepreneurs ne manquaient pas, mais les capitaux, eux, Ätaient rares; de plus, il n'existait pas au Canada de mÄthode facile, comme celle qu'on crÄera vers la fin du dix-neuviÅme siÅcle, pour obtenir des investissements Ätrangers (surtout britanniques).
  14.  
  15.      Ces canaux des annÄes 1820 et du dÄbut des annÄes 1830 Ätaient d'une importance incalculable pour le Canada. Ils ne rÄussirent pas ê attirer le riche commerce de l'intÄrieur du continent, mais constituÅrent, nÄanmoins, une importante composante d'un systÅme de transport plus efficace. Avec le canal âriÄ, leur rival, ils ont possiblement favorisÄ une plus grande exploitation agricole du Haut-Canada en rÄduisant de beaucoup les co₧ts du transport des passagers, des produits d'importations et des biens exportÄs. Du mÉme coup, les canaux permirent d'ouvrir ê la colonisation des rÄgions trÅs difficiles d'accÅs, comme celle environnant les lacs Rideau. Leur construction donna de l'emploi ê des milliers d'immigrants qui travaillÅrent souvent dans des conditions trÅs dangereuses et pour de maigres salaires. Les employeurs utilisÅrent souvent le systÅme du troc, rÄmunÄrant leurs ouvriers en nature, par exemple en alcool, plutÖt qu'en argent. Les ouvriers des canalisations qui luttÅrent contre cette situation (par exemple, au cours de la grÅve qui affecta la construction du canal de Lachine en 1843) furent les premiers manifestants du syndicalisme au Canada. La construction des canaux amena au pays beaucoup d'argent et stimula dans l'ensemble l'activitÄ Äconomique, mÉme si cette nouvelle richesse fut inÄgalement rÄpartie entre les rÄgions et les classes sociales. La demande en main-d'oeuvre, en nourriture, en approvisionnements, en outils et en chevaux suscita l'expansion du secteur primaire de l'Äconomie canadienne.
  16.  
  17.      Cet emballement spectaculaire pour les canalisations dura de 1820 ê 1830. Il fallut ensuite attendre dix ans avant l'avÅnement d'une nouvelle Äpoque d'amÄlioration des voies maritimes aux Canadas. L'Äpuisement des ressources financiÅres (le gouvernement britannique Ätait stupÄfait et furieux du co₧t exorbitant du canal Rideau), la stagnation Äconomique et les conflits politiques dÄcouragÅrent les travaux jusqu'ê ce que la stabilitÄ et l'optimisme renaissent avec l'union des deux Canadas en 1840.
  18.  
  19.      Un nouveau programme, vaste et de grande portÄe, fut entrepris ê titre de travaux publics par le gouvernement canadien aidÄ du gouvernement britannique qui garantissait l'intÄrÉt sur les capitaux empruntÄs. On chercha surtout ê amÄliorer la navigabilitÄ du Saint-Laurent entre MontrÄal et Prescott o¥ rapides et hauts fonds avaient toujours entravÄ la navigation. On entreprit la construction de canaux ê Beauharnois, ê Cornwall et ê Williamsburg, et l'on procÄda ê l'Älargissement des canaux Lachine et Welland. Pour mener ê bien ces travaux, la province du Canada dut emprunter ê Londres la somme Änorme de prÅs de deux millions de livres. Mais lorsqu'ils furent terminÄs, les navires de fort tonnage purent circuler sur une mÉme voie d'eau de MontrÄal jusqu'au lac âriÄ.
  20.  
  21.      Dans l'ensemble, les canaux ne rÄussirent pas ê devenir le principal dÄbouchÄ des produits alimentaires canadiens et amÄricains des rÄgions avoisinant les Grands Lacs; nÄanmoins, ils constituÅrent une addition importante au rÄseau de transports canadien. Le commerce avec l'intÄrieur se faisait dÄsormais ê meilleur compte lorsque les marchandises passaient par MontrÄal plutÖt que par New York, (ce qui n'empÉcha pas New York de rester un port ocÄanique plus important que MontrÄal, parce que ses eaux ne gelaient pas en hiver) et l'industrie accrut de beaucoup sa puissance grëce ê l'un de ces canaux; en effet, vers la fin des annÄes 1840, de nombreuses industries nouvelles, farine, sucre, outils, bois, vÉtements, moteurs a vapeur, bateaux ainsi qu'un grand nombre d'autres produits, s'installÅrent au bord du canal Lachine, a MontrÄal. Le gouvernement, pour encourager l'industrie, louait ê bon compte des sites industriels, si bien que manufacturiers et spÄculateurs saisirent l'occasion pour s'installer ê MontrÄal donnant ainsi un aspect nouveau ê la vie Äconomique montrÄalaise axÄe jusqu'alors sur le commerce. En 1854, quelque vingt nouvelles usines employant environ deux milles personnes faisaient de MontrÄal le plus grand centre manufacturier du Canada.
  22.  
  23. Bateaux ê vapeur 
  24.  
  25.      Tandis que l'on procÄdait ê la construction des grands canaux, au cours des annÄes 1820 et 1830, ainsi qu'ê celle de canaux plus petits sur l'Outaouais, le Richelieu et le Saint-Laurent, l'usage du bateau ê vapeur sur les cours d'eau canadiens se rÄpandait rapidement. Bien que le bateau ê vapeur ne supplanta pas complÅtement les barges, bateaux Durham, sloops, goÄlettes, ou mÉme radeaux, qu'on utilisait pour transporter marchandises et passagers, on s'en servait de plus en plus pour le transport des marchandises de grande valeur et celui des passagers. Introduits dans le Bas Saint-Laurent dÅs 1809, les bateaux ê vapeur Ätaient couramment utilisÄs sur les Grands Lacs vers la fin de la dÄcennie suivante. Par la suite, et pendant de nombreuses annÄes, des vapeurs presque tous sortis des chantiers montrÄalais sillonnaient tous les cours d'eau des rÄgions habitÄes de l'AmÄrique du Nord britannique.
  26.  
  27.      AprÅs l'introduction du bateau ê vapeur, la construction de moteurs ê vapeur que ce soit pour les bateaux ou pour d'autres machines devint une industrie importante. DÅs 1818, des AmÄricains Ätablirent une petite fonderie ê MontrÄal et y produisirent des moteurs pour rÄpondre ê une demande croissante. Avec celle-ci d'autres usines qui s'Ätablirent ê MontrÄal et plus tard ê Kingston et ê Toronto constituÅrent la base de la premiÅre industrie mÄcanique canadienne. Elles permirent ê l'Äconomie de passer de l'╟ëge des matiÅres premiÅres╚ ê l'╟ëge de la vapeur et du fer╚, et furent l'un des facteurs de la rÄvolution des transports. Les transports et l'activitÄ industrielle Ätaient concentrÄs dans les grands centres commerciaux, et l'essor urbain de l'Äpoque se fit en rapport direct avec le rapprochement croissant de ces deux sphÅres d'activitÄ. Ce rapport se prÄcisa encore davantage au cours des annÄes 1850 quand la construction des chemins de fer stimula la croissance et l'expansion rapide des fonderies et d'autres industries.
  28.  
  29. Chemins de fer 
  30.  
  31.      L'ëge de la vapeur et du fer, annoncÄ sous d'heureux auspices en 1809 par le lancement du vapeur de John Molson, l'Accommodation, allait devenir une rÄalitÄ Äconomique sociale et politique vers les annÄes 1850. Les premiers essais de machines ê vapeur sur les chemins de fer britanniques propagÅrent, au cours des deux dÄcennies qui suivirent, la fiÅvre de la construction ferroviaire en Grande-Bretagne et aux âtats-Unis. L'enthousiasme que suscitÅrent les chemins de fer Ätait ê son comble au cours des annÄes 1840 et, Ävidemment, les Canadiens dÄsireux d'amÄliorer leurs transports et de rÄaliser des profits emboötÅrent le pas. Dans sa fameuse brochure sur la philosophie des chemins de fer publiÄe en 1850, Thomas Keefer, ingÄnieur canadien de grande rÄputation, chanta les vertus du monstre d'airain en termes ronflants:
  32.  
  33.      ╟L'effet civilisateur de la locomotive est l'une des anomalies contemporaines, qui, bien qu'inexplicable pour certains, apparaöt si Ävident pour tous qu'on en accepte l'existence, comme celle de l'Änergie que produit la vapeur, bien que la substance en soit invisible et que l'homme en ignore le secret. La pauvretÄ, l'indiffÄrence, l'Ätroitesse d'esprit ou la jalousie des diverses confessions religieuses, les dissensions locales ou le dÄmagogisme politique peuvent Ätouffer les meilleurs efforts du systÅme Äducatif et les neutraliser; mais cette Änergie invisible qui sort victorieuse d'une guerre contre les ÄlÄments vaincra assurÄment les prÄjugÄs, et les faiblesses de l'esprit, ou les dessins des tyrans psychologiques...elle n'attend pas la saison propice, mais, avec une vigueur sans relëche et une assiduitÄ ê toute Äpreuve, elle entretient de faìon inÄvitable et constante la curiositÄ et l'esprit de comparaison, et, tout en satisfaisant aux besoins matÄriels et en allÄchant la multitude, elle invite inconsciemment et irrÄsistiblement les Étres humains ê une communion plus intime.╚
  34.  
  35.      Depuis les annÄes 1830, la population canadienne s'intÄressait beaucoup ê la possibilitÄ de construire des chemins de fer; les journaux soulevaient la question, les AssemblÄes lÄgislatives en discutaient, car elles auraient ê fournir l'aide financiÅre nÄcessaire aux projets, et le premier chemin de fer du pays, un tronìon de portage de quatorze milles allant de Laprairie ê Saint-Jean, fut terminÄ en 1836. Vers le milieu des annÄes 1840, Ätant donnÄs la prospÄritÄ gÄnÄrale et les succÅs des chemins de fer d'Angleterre et des âtats-Unis, on se mit ê prÄvoir la construction de lignes reliant de nombreuses villes et villages canadiens et l'on rÉvait dÄjê d'une ligne de chemin de fer qui irait de l'Atlantique au Pacifique. ╦ l'Äpoque, la philosophie des chemins de fer ne se contentait pas d'Ävaluer les avantages Äconomiques et sociaux des chemins de fer, elle voyait en eux un instrument politique, un moyen d'amÄliorer les communications entre les deux collectivitÄs, de resserrer les frontiÅres, et enfin un instrument stratÄgique important pour la dÄfense de l'AmÄrique du Nord britannique. Toronto et MontrÄal devinrent les deux grands centres de promotion des chemins de fer. Les entrepreneurs de MontrÄal projetÅrent d'Ätablir des parcours jusqu'aux ports d'hiver sur l'Atlantique tandis que les hommes d'affaires de Toronto songeaient ê des lignes s'avanìant dans les terres au nord et ê l'ouest de la ville.
  36.  
  37.      Toutefois, on se rendit compte rapidement que, sans une aide substantielle du gouvernement, on ne rÄussirait ê construire que de petites voies de portage. En 1849, le gouvernement du Canada-Uni adopta une loi qui garantissait l'intÄrÉt (jusqu'ê 6%) sur les bons Ämis par les compagnies qui construiraient des chemins de fer d'une longueur de plus de 75 milles. Cette garantie entrait en vigueur aprÅs que la moitiÄ de la ligne ait ÄtÄ construite. La loi Ätait taillÄe sur mesure pour les grands projets comme celui de la Northern, qui devait relier Toronto ê la baie Georgienne, celui qui visait ê relier le Saint-Laurent ê l'Atlantique (entre MontrÄal et Portland, Maine) et celui de la Great Western, visant ê joindre Toronto ê Windsor. Grëce ê cette aide financiÅre, toutes ces voies ferrÄes progressÅrent rapidement, et Ätaient achevÄes dÅs 1854. Les capitaux vinrent, en grande partie, de Grande-Bretagne, certains des âtats-Unis, et une part apprÄciable des fonds avait ÄtÄ fournie par des investisseurs du secteur privÄ canadien. Chose plus importante, l'accord d'une charte ê ces chemins de fer et ê bien d'autres (dont plusieurs n'ont jamais ÄtÄ construits) reflÄtait la montÄe de nouveaux groupes d'hommes d'affaires: promoteurs de chemins de fer, spÄculateurs ê la bourse des valeurs ferroviaires et spÄculateurs fonciers, fournisseurs de matÄriaux de construction et d'outillage, entrepreneurs et bien d'autres encore. Il apparut aussi un nouveau type d'entrepreneurs ayant des intÄrÉts dans plus d'un domaine et qui, par d'adroites manipulations, rÄussissaient parfois ê rÄaliser d'Änormes profits. Bien que leur jeu soit difficile ê saisir ces entrepreneurs, enrichis grëce aux chemins de fer, entretenaient souvent des relations Ätroites avec les politiciens favorables aux lois des chemins de fer et responsables de ces lois. L'ÄnoncÄ cÄlÅbre et si souvent citÄ de sir Allan MacNab, chef du parti conservateur dans le Haut-Canada au cours des annÄes 1850, ╟les chemins de fer, voilê ma politique╚ tient beaucoup moins de l'aveu hÄsitant que de l'exultation. ╦ cette Äpoque d'optimisme et d'enthousiasme ê l'Ägard des chemins de fer, certains politiciens frÄquentaient les promoteurs du rail sans se dÄcontenancer. En ces jours enivrants pour les promoteurs de chemins de fer, peu s'opposaient ê cette pratique et l'on raconte qu'un grand nombre de politiciens avaient des obligations ê l'Ägard d'un certain entrepreneur, Samuel Zimmerman, ëme dirigeante de la Great Western Railway.
  38.  
  39.      Le plus grand projet ferroviaire de l'Äpoque fut celui du chemin de fer Grand Tronc, reliant MontrÄal ê Toronto, dont la construction commenìa en 1853 et qui devait Étre le tronìon canadien d'un chemin de fer traversant l'AmÄrique du Nord britannique d'Halifax ê Windsor. Une fois les travaux menÄs ê bien, certains magnats et politiciens avaient amassÄ une fortune; le public dut porter le fardeau d'une dette Änorme de $26 millions. ╦ eux seuls les intÄrÉts sur les prÉts (en fait c'Ätait des dons, carrÄment) que le gouvernement versa aux compagnies absorbÅrent une grande partie du revenu de l'âtat. Cet ╟hÄritage╚ gÄnÄreux que le gouvernement laissa au Grand Tronc Ätait bien petit si on le compare aux dons encore plus gÄnÄreux en terres, en argent, en lignes de chemin de fer et autres avantages accordÄs au Canadien Pacifique au cours des annÄes 1880. La construction du Grand Tronc fut accompagnÄe de gaspillage, de maladministration et de manoeuvres en coulisse. En 1853, la compagnie du Grand Tronc se vit chargÄe des problÅmes de la compagnie St. Lawrence and Atlantic Railway, de la ligne QuÄbec-Richmond, et elle devait aussi respecter ses engagements et construire le pont Victoria qui traversait le Saint-Laurent ê hauteur de MontrÄal; elle devait enfin construire quelque deux cent milles de voies inutiles pour relier Toronto a Guelph et ê Sarnia, rÄgion dÄjê desservie par la Great Western. Les promoteurs A.T. Gualt, Luther Holton, Casimir Gzwoski et David L. Macpherson figurent parmi les principaux bÄnÄficiaires de ces tractations. Les actionnaires britanniques et le peuple canadien en furent quittes pour un chemin de fer trop ÄlaborÄ, construit ê grand frais, et dont la sociÄtÄ criblÄe de dettes Ätait incapable de se renflouer par l'exploitation de voies dont l'Äcartement Ätait diffÄrent de celui des voies amÄricaines auxquelles elles devaient s'abouter.
  40.  
  41.      Cette construction d'envergure se solda cependant par certains avantages, dont le plus substantiel fut sans doute l'accÄlÄration rapide de la croissance Äconomique au cours des annÄes 1850 : l'accumulation des capitaux, surtout pour la construction des chemins de fer, s'Äleva au chiffre pharamineux de 100 millions de dollars. Exception faite d'une dÄpression brÅve mais grave, en 1857, cette dÄcennie fut tÄmoin d'une impressionnante expansion Äconomique. Toutefois, il serait inexact d'attribuer toute cette expansion ou mÉme la plus grande partie de celle-ci aux retombÄes de la construction ferroviaire. La montÄe rapide du prix du blÄ au cours de la guerre de CrimÄe, de 1853 ê 1856, l'expansion du marchÄ amÄricain du bois de coupe et d'autres produits et l'essor soutenu du Haut-Canada furent les grandes composantes de cette prospÄritÄ. On peut aussi maintenir que les chemins de fer ne furent pas la cause principale du taux ÄlevÄ d'immigration ni de la gÄnÄralisation de l'expansion industrielle de l'Äpoque; les bases Ätaient s₧rement dÄjê jetÄes en 1850, bien avant l'ascension phÄnomÄnale des chemins de fer. Il est tout aussi difficile de prouver que les chemins de fer Ätaient presque indispensables ê la circulation des marchandises et ê l'expansion de l'agriculture et de l'industrie du bois sur de nouveaux territoires. En effet, les transports par lacs, riviÅres et canaux Ätaient d'une efficacitÄ croissante et, avec l'amÄlioration du rÄseau routier, on aurait sans doute pu dÄvelopper ces moyens de transport sans immobiliser autant de capitaux que pour le rail. Cependant, c'est grëce aux chemins de fer que les transports devinrent possibles durant toute l'annÄe.
  42.  
  43.      Ceci ne veut toutefois pas dire que les Ächanges commerciaux se faisaient au mÉme rythme douze mois par annÄe. Les marchandises encombrantes comme le blÄ, le bois et le bois de coupe Ätaient gÄnÄralement expÄdiÄes par voie d'eau, mode de transport beaucoup moins co₧teux que les chemins de fer, et, de toute faìon, les chemins de fer ne pouvaient rien changer au fait que la production de ces matiÅres premiÅres se faisait sur une base saisonniÅre. Bien que la construction du pont Victoria en 1859 ait ouvert une voie ferrÄe de Sarnia et Windsor jusqu'ê Portland, dans l'âtat du Maine (dÄbouchÄ d'hiver de MontrÄal), la proportion des produits de base acheminÄe par lê demeura infime. En fait, une grande quantitÄ des exportations canadiennes Ätait toujours acheminÄe vers la mer par les canaux et les chemins de fer amÄricains. Quoi qu'il en soit, c'Ätait l'ëge d'or des chemins de fer et, s'il est bon d'Étre sceptique quant aux bienfaits qu'on leur attribue habituellement, il ne faut pas oublier qu'ê l'Äpoque, presque tout le monde croyait que les chemins de fer allaient semer la prospÄritÄ sur leur passage.
  44.  
  45.      En dÄpit du fait qu'il n'Ätait peut-Étre pas nÄcessaire, Äconomiquement parlant, le rail devint presque un signe des temps. Les voies ferrÄes traversaient les campagnes paisibles et atteignaient la plupart des villes importantes; elles passaient en pleine rue et les locomotives crachaient fumÄe et bruit excitant la colÅre des citadins. Les chemins de fer transformÅrent considÄrablement les rÄgions o¥ ils furent construits et altÄrÅrent souvent profondÄment la vie des gens ordinaires en leur offrant la possibilitÄ de voyager relativement vite. En effet, les dÄplacements en train Ätaient rapides et peu co₧teux. En allant jusque dans les cantons reculÄs, o¥ le droit de passage se vendait ê prix modique, le rail desservait une population bien plus importante que les bateaux ê vapeur. MalgrÄ un dÄbut peu brillant marquÄ de nombreux dÄraillements et d'autres accidents, le train gagna rapidement beaucoup de popularitÄ. Ceux qui pouvaient se l'offrir prisaient le confort des couchettes et des wagons-restaurants; en deuxiÅme classe, les siÅges Ätaient rembourrÄs alors qu'en troisiÅme classe les banquettes Ätaient en bois.
  46.  
  47.      Le chemin de fer mena en peu de temps ê la crÄation d'un nouveau secteur de la classe ouvriÅre. La construction des lignes Ätait assurÄe par de grosses Äquipes de travailleurs, o¥ l'on retrouvait des immigrants, plus mobiles que les citoyens dÄjê Ätablis. Une fois les assises construites, les rails posÄs, les ponts construits, il fallait voir ê l'entretien de la voie: souvent, il fallut amÄliorer les assises et l'on dut rÄduire la dÄclivitÄ sur de grands tronìons de nombreuses lignes. On avait besoin de conducteurs et de personnel d'entretien. La demande en locomotives et autre matÄriel Älargit le marchÄ et encouragea l'expansion des fonderies ê MontrÄal, ainsi que des autres ateliers de mÄtal. De nouvelles usines ouvrirent leurs portes ê Kingston, Toronto, Hamilton et London. Les sociÄtÄs ferroviaires, et surtout le Grand Tronc et la Great Western, construisirent des ateliers, immenses pour l'Äpoque, dans leurs cours de triage de MontrÄal et d'Hamilton. En 1860, les compagnies de chemin de fer canadiennes employaient 6,600 hommes; de nombreux autres ouvriers travaillaient dans les usines Ätablies dans diverses villes ê produire l'Äquipement dont on avait besoin.
  48.  
  49.      Il faut bien admettre que les chemins de fer ne constituent qu'une chapitre de l'histoire de la rÄvolution des transports, mais il ne faut pas pour autant sous-estimer leur rÖle. Les chemins de fer furent un important facteur d'Ävolution rapide de l'activitÄ socio-Äconomique du pays. Le rail Ätait vouÄ ê l'expansion. En 1860, le rÄseau ferroviaire de l'Ontario et du QuÄbec se limitait ê la vallÄe du Saint-Laurent et aux Grands Lacs, la rÄgion la plus peuplÄe, mais les promoteurs prÄvoyaient dÄjê la construction de lignes dans la vallÄe de l'Outaouais et, vers l'est, jusqu'ê QuÄbec et jusqu'aux Maritimes. L'idÄe de construire une ligne qui traverserait le continent d'est en ouest persistait. Ailleurs en AmÄrique du Nord britannique et notamment dans les Maritimes, o¥ un programme de dÄveloppement ferroviaire distinct et trÅs ambitieux avait ÄtÄ entrepris au cours des annÄes 1850, plusieurs plans prÄvoyaient la liaison des villes et l'ouverture de nouvelles rÄgions. Beaucoup de ces projets prirent des dÄcennies ê se rÄaliser mais, grëce ê l'aide importante des gouvernements fÄdÄral, provincial et municipal, ê laquelle vinrent s'ajouter d'Änormes capitaux Ätrangers, on construisit de nombreuses lignes importantes. ╦ vrai dire, la caractÄristique prÄdominante de l'Äpoque des chemins de fer, fut la participation du gouvernement aux divers projets de construction, la plupart d'entre eux Ätant d'une utilitÄ douteuse. On trouve ê la source des grandes fortunes d'un groupe de plus en plus dÄterminÄ d'entrepreneurs une aptitude de plus en plus marquÄe ê manipuler la structure financiÅre des sociÄtÄs ferroviaires et ê influencer tous les paliers de gouvernement. La vallÄe du Saint-Laurent et la rÄgion des Grands Lacs Ätaient entrÄs dans l'Åre des chemins de fer; pourtant, elles dÄpendaient encore, dans une large mesure, des transports par eau qui, grëce ê l'essor de la canalisation, ê la meilleure navigabilitÄ des cours d'eau, et ê d'importantes innovations technologiques comme l'hÄlice, le chargeur ê grain et les coques d'acier, continuÅrent ê prendre de l'expansion au cours de cette pÄriode qui, si elle fut transitoire, eut des effets ê longue portÄe.  
  50.  
  51.