Vers la syndicalisation des enseignants : de 1845 à 1935

Introduction

La première étape qui s'échelonne sur presqu'un siècle en est une d'hésitation quant à l'objet même de l'association des enseignants: pédagogique ou professionnel. Cette période se caractérise par la féminisation et la cléricalisation du métier enseignant. Dans les deux cas, il s'agit d'une main-d'oeuvre bon marché. Dans le second cas, l'Église et l'État exercent ainsi un contrôle certain sur l'éducation. L'éducation scolaire est peu valorisée, de même que l'enseignement comme métier: la précarité domine. Il faut aussi rappeler que pendant cette période, d'une manière générale, en milieu urbain, les enseignants du secteur public sont laïques et masculins, s'occupant surtout de l'enseignement primaire, et ceux du secteur privé sont principalement religieux, masculins et féminins, en raison de l'expulsion des communautés religieuses par les autorités françaises, entraînant leur immigration vers le Québec et s'occupant de l'enseignement primaire et secondaire (dit ½classique╗). En milieu rural, les effectifs sont laïques et féminins, les institutrices étant célibataires ou exerçant leur métier jusqu'à leur mariage. Cette différenciation fondée sur le sexe, la religion, le milieu et l'ordre d'enseignement marque profondément à la fois la professionnalisation et la syndicalisation enseignantes, et ce, pendant toute la période examinée dans la présente section. On peut y distinguer deux moments entrecoupés par la Première Guerre mondiale (1914-1918).

Les premières associations enseignantes

Au Québec, la création des premières associations enseignantes à Montréal (AIM) et à Québec (SDIQ) en 1845 est tributaire d'un contexte très dur aux plans économique et sociopolitique. Ces regroupements à caractère volontaire, urbain, laïque et masculin sont donc axés sur l'entraide et le progrès mutuels. La SDIQ est remplacée en 1849 par l'ABIDQ qui veut améliorer la formation des membres et la perception du travail enseignant dans le public, en recherchant une certaine uniformisation de la pratique enseignante. Sur le plan pédagogique, elle réclame la création d'un bureau d'examinateurs et la nomination d'inspecteurs d'écoles, la mise sur pied d'écoles normales, et, au plan professionnel, elle réclame une caisse d'épargne, une liste d'emploi et s'oppose au congédiement sans raison valable. Un journal (½LA SEMAINE╗) est publié à l'intention des membres de l'ABDIQ pendant un an (1864). Par la suite, les associations des instituteurs des écoles normales d'État, créées en 1857 à Montréal (AIENJC) et à Québec (AIENL), occupent toute la place. Étroitement liées aux écoles normales et aux inspecteurs, ces associations sont des instruments du perfectionnement des enseignants placés sous l'autorité des formateurs, qui sont à la fois les gardiens et les responsables des savoirs pédagogiques.

Du côté des institutrices, il faut attendre le début du XXe siècle, où les associations sont concentrées à Montréal (1901: AICM) et à Québec (1902: AICQ). L'accent est mis sur l'amélioration de la pédagogie et de la morale des membres. Au chapitre de leurs revendications salariales, les associations d'institutrices, d'abord dépendantes des associations d'instituteurs, se démarquent de celles-ci à partir de 1910. Dans l'ensemble, l'adhésion aux associations est plutôt faible, la participation plutôt modérée et après cela décroissante, compte tenu des difficultés de toutes sortes (manque d'intérêt, éloignement, éparpillement des effectifs, moyens financiers limités, etc.). En milieu rural, où les effectifs sont majoritairement féminins, l'isolement empêche tout regroupement revendicateur et/ou professionnel, laissant les institutrices à la merci du bon vouloir des commissaires et des inspecteurs.

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