Les années 1970 et la critique sociopolitique de l'école

Cette conjoncture est l'héritage de la Révolution tranquille qui, comme nous venons de le voir, a été caractérisée par de grands changements du contexte institutionnel et par des conditions économiques favorables à ce changement. Pendant cette décennie, la contestation sociale se radicalise et les rapports sociaux se durcissent. Le mouvement syndical, surtout par les deux centrales les plus combatives (Confédération des syndicats nationaux [CSN] et la Centrale de l'enseignement du Québec [CEQ]), s'engage dans un refus social à caractère contestataire. Le syndicalisme veut devenir la base d'une profonde transformation de la société. La conjoncture syndicale se caractérise, en même temps, par un durcissement des luttes contre l'État. Ces luttes sont causées par une politique salariale restrictive, par le début des coupures budgétaires imposées par le gouvernement et par le fait que pour la première fois, les négociations du secteur public se déroulent autour d'une table commune: les syndicats étaient regroupés en ½front commun╗.

Concernant l'éducation, nous avons vu que pendant la deuxième moitié des années 60, le ministère de l'Éducation, récemment créé, affirme son leadership et amorce les programmes d'action issus du rapport Parent. Une série des règlements sont adoptés avec l'objectif de déterminer des normes et des conditions claires relatives à l'organisation de l'enseignement, aux programmes scolaires de la maternelle et des ordres primaire et secondaire, à l'évaluation, au permis d'enseignement, etc.

Entretemps, la CEQ fait connaître ses critiques les plus virulentes sur le système scolaire. Elle publie L'école au service de la classe dominante, présentant un cadre d'analyse qui définit la société québécoise comme une société capitaliste. Ainsi, elle participe activement au dossier de l'éducation afin de critiquer le système scolaire québécois, la confessionnalité des écoles et l'existence des écoles privées: ces éléments n'avaient pas été touchés par la réforme.

En 1977, le MEQ publie L'enseignement primaire et secondaire au Québec, le livre Vert qui prétend porter un diagnostic, une évaluation de la réforme scolaire. Ce document a été l'objet d'une vaste opération de consultation auprès de la population et, conséquemment, de plusieurs réactions. Celle de la CEQ en était une de déception, elle conteste la conception de l'éducation que reflète le gouvernement du Parti québécois. Un an plus tard, elle élabore une proposition d'école, Pour une école de masse à bâtir maintenant, et se présente comme porteuse d'un projet d'école au service de la classe ouvrière et semble s'engager à élaborer et à rendre cohérents les problèmes scolaires rencontrés par les enfants de cette classe. [Anadon, 1989] Son projet est de rendre l'institution scolaire moins répressive, moins discriminatoire et plus conscientisante pour les enfants des classes ouvrières et populaires.

D'autres voix dénoncent les paradoxes de la société capitaliste qui, loin de libérer les êtres humains, provoque la division de la société en classes antagonistes et l'aliénation. Cette critique de la société s'inspire des courants de pensée de la ½gauche╗, des théoriciens de la pensée marxiste et de l'analyse conflictuelle de la société et de l'école. [Anadon, 1989]

Dans ce contexte, l'humanisme laisse la place à un projet technocratique où la productivité, l'efficacité et la rationalité sont les mots d'ordre. Les critiques contre l'école affirment qu'elle est à l'image de cette société, qu'elle reproduit la société de classes et que ses structures et modes de fonctionnement sont au service de la classe au pouvoir. Dans ce sens, l'école ne peut pas être démocratique et ne peut pas offrir l'égalité des chances qui était la principale visée des années 1960. Plusieurs études et recherches confirment que les inégalités sociales et scolaires persistent dans les années 1970. La grande enquête sur les aspirations scolaires et les orientations professionnelles des étudiantes (ASOPE) montre que l'appartenance de classe conditionne l'orientation des études. Par exemple, les jeunes des classes favorisées fréquentent en majorité le secondaire général qui ouvre les portes de l'université, pendant que ceux issus des classes populaires sont plus nombreux au secondaire professionnel qui mène au marché du travail.

En outre, les clivages sociaux selon le sexe continuent à s'exprimer à l'école. Les filles continuent à s'orienter vers les professions traditionnellement féminines, moins rémunératrices, moins reconnues socialement et plus touchées par le chômage.

Ainsi, même à la fin de la décennie, après vingt ans de réforme du système éducatif, les inégalités scolaires et sociales persistent malgré le fait qu'on observe une volonté du gouvernement de pallier la situation. Cependant, de nouvelles mutations sociales prennent place à la fin des années 1970: la prospérité économique disparaît et une nouvelle crise économique modifie sensiblement l'équilibre social. L'État est de plus en plus endetté et émerge un discours néolibéral et conservateur favorisant une nouvelle définition du rôle de l'école dans la société québécoise.

Voici les principaux points de repère de la décennie:

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