La syndicalisation des enseignants : de 1936 à 1967

Un virage déterminant pour le syndicalisme enseignant: 1960-1967 (suite)

En effet, la CIC, du moins une partie de ses membres, appuie les recommandations du rapport Parent : création du ministère de l'Éducation, réforme en profondeur du système éducatif, accessibilité à la formation universitaire, amélioration des conditions de travail, du statut social et économique, individualisation de l'enseignement, etc. L'enseignant est ainsi perçu comme l'un des principaux agents de la réforme scolaire, de la démocratisation et de la modernisation de la société québécoise. La perception de sa fonction sociale, de son rôle dans l'école, en est donc profondément modifiée : l'enseignement se conçoit dorénavant comme une profession. La CIC, ayant d'ailleurs déjà développé de son côté certaines modalités de perfectionnement de ses membres pendant les années cinquante, participe alors aux travaux du comité ministériel du plan de la formation des maîtres (1965-66) et à d'autres comités consultatifs (jusqu'à une cinquantaine en 1967). Plusieurs enseignants, aussi, s'engagent dans la vie politique, permettant à treize d'entre eux, militants, d'être élus députés en 1966, où le parti au pouvoir, le libéral, est battu.

Par ailleurs, l'État souhaite intervenir de plus en plus dans la négociation locale ou régionale, et adopte en 1965-1966 les règles de normalisation des dépenses : ½les commissions scolaires et les contribuables locaux devront assumer seuls et intégralement des dépenses inadmissibles╗ incluant les dépenses résultant des ½nouvelles conventions collectives╗ (MEQ). Tout en comportant des mesures visant l'équité salariale (améliorant le sort des femmes en particulier) et l'amélioration du financement des régions, cette directive constitue bel et bien un virage de l'État, qui fait ainsi main basse sur les négociations et les conditions de travail. Le mécontentement qui s'ensuit marque le début de conflits entre la CIC, opposée à la négociation provinciale, et l'État, qui vont entraîner de nombreuses grèves à l'hiver 1967. C'est le début d'une crise scolaire, en somme, qui aboutit à la promulgation de la ½Loi assurant le droit de l'enfant à l'éducation et instituant un nouveau régime de convention collective dans le secteur scolaire╗ (bill 25), le 17 février. Rappelons que cette loi ordonne le retour au travail, établit une échelle de traitement fondée sur l'expérience et la scolarité, supprimant du même coup les critères traditionnels (sexe, milieu, état civil, ordre d'enseignement), prolonge les conventions existantes jusqu'en juin 1968 (par le fait même, elle suspend le droit de grève), oblige les syndicats (CIC, PAPT, PACT) à négocier conjointement.

Face à l'État employeur/législateur, la CIC met graduellement un terme à sa participation/concertation qualifiée de ½bon-ententisme╗, et qui aura duré à peine deux ans (1964-1966). Lors d'un congrès spécial tenu en mars 1967, le syndicat s'organise rapidement en vue des négociations avec le gouvernement et fixe ses priorités: perfectionnement des maîtres, participation, amélioration des conditions de travail au primaire et dans certaines régions, sécurité d'emploi.

Puis, en août 1967, la restructuration amorcée depuis deux ans entraîne une modification de la charte de la CIC (Corporation des instituteurs catholiques) qui devient la ½Corporation des enseignants du Québec (CEQ)╗. L'organisme opère ainsi son propre virage idéologique marqué par l'abandon en quelque sorte de la doctrine corporatiste (ou professionnelle), par la déconfessionnalisation et par le recrutement d'autres personnels de l'enseignement que ceux du primaire et du secondaire. Forte de ses quelques 71 140 membres, la CEQ étend alors la réflexion amorcée à l'interne depuis quelques années au-delà de l'école et de la négociation [Tardif, J-C.], à savoir la revendication de conditions de travail en solidarité avec les autres associations de travailleurs et travailleuses (par opposition aux entrepreneurs et aux professionnels). Les années qui suivent sont mouvementées, ainsi qu'on le verra dans la prochaine section.

Conclusion

En résumé, la période écoulée entre les années 1936-1967, en dépit d'embûches, est une période fertile, en ce qui concerne à la fois la syndicalisation et la professionnalisation de l'enseignement : ½le creuset et le véhicule d'une certaine unification de la profession╗, diront plus tard Lessard et Tardif. [Lessard, C. et M. Tardif] Les premières associations forment la CIC (1946), qui devient la CEQ (1967). La possibilité de faire carrière dans l'enseignement se précise aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Au début des années soixante, le va-et-vient idéologique (syndicaliste/corporatiste) qui caractérise depuis toujours la CIC, se stabilise sur la dimension professionnelle pendant une brève période en lien avec la réforme scolaire. Celle-ci se voit soudainement neutralisée par le bill 25 en 1967. Cette période se termine sur des affrontements entre l'État employeur/législateur et le corps enseignant affirmant de plus en plus son orientation syndicale.




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