La syndicalisation des enseignants : de 1936 à 1967

Introduction

La seconde étape de l'histoire de la syndicalisation enseignante s'étend sur une trentaine d'années et constitue sans doute une phase déterminante de ce processus. Plusieurs facteurs sont en cause. D'abord, une certaine prise de conscience s'est faite à cet égard depuis la fin de la guerre. Puis, en contexte de crise économique, les salaires des enseignants sont coupés en milieu urbain et en milieu rural. Aussi, des lois favorables sont votées, dont celle de 1924 mentionnée ci-dessus, remplacée en 1944 par une autre loi favorable aux employés en général. Finalement, l'Église elle-même encourage ces regroupements pour contrer l'influence des syndicats internationaux (non confessionnels) inspirés par l'idéologie marxiste (athée). Il s'agit d'une étape comprenant des hauts et des bas, principalement marquée à l'enseigne du corporatisme véhiculé par l'Église catholique. Les trois sections suivantes examinent les moments les plus marquants de cette période.

Vers la fondation de la Corporation générale des instituteurs et institutrices catholiques (CIC): 1936-1946

La décennie 1936-1946 est principalement portée par Laure Gaudreault et marque le passage des préoccupations pédagogiques vers des préoccupations professionnelles. Cette enseignante de Charlevoix fonde en effet, à l'automne 1936, l'Association des institutrices rurales catholiques en réaction aux coupures de salaires (jusqu'à 30% en région et 10% dans les villes) suscitées par la crise économique de 1929, aux retards de paiement et à l'iniquité:

Le but de cette association est essentiellement professionnel: la sauvegarde de nos intérêts, le souci de nous assurer le pain quotidien (...) parce que, dans cette province, trop nombreuses sont les institutrices qui ne gagnent pas un salaire suffisant pour pourvoir aux exigences les plus élémentaires de la vie (...) L'association a donc raison de proclamer que son but principal est d'assurer le pain quotidien à ses membres. [Dionne, P.]
Il ne s'agit pas d'une véritable mobilisation, mais un mouvement de masse se dessine. Ainsi, l'ACPM décide de réviser sa charte. Aussi, le Cercle d'études Morissette de Québec fonde le Syndicat professionnel des instituteurs laïques, à Québec, en 1937. Pendant cette même année, les associations locales (représentant le territoire d'inspection primaire, subdivisé en sections locales ou paroissiales), organisées sous l'impulsion de Laure Gaudreault, forment la FCIR. Les instituteurs des campagnes emboîtent le pas en 1939 (FPIR). En 1942, les associations urbaines s'unissent dans une fédération (FICV). En 1944, l'ACPM devient officiellement un syndicat professionnel (se nomme dès lors Association des professeurs catholiques de Montréal: APCM).

Le clergé encourage ce mouvement à travers la nomination d'un aumônier, tout en pressant l'État d'encadrer les revendications, majoritairement féminines, jugées exagérées. De son côté, Laure Gaudreault, dans LA PETITE FEUILLE (fondée en 1941, deviendra L'Enseignement en 1946) milite en faveur d'une perspective nettement laïque et syndicale. Les premières conventions collectives locales sont signées en 1940. Dans le sillon de ce mouvement, et de la loi votée en 1944 (½Loi des relations ouvrières╗ qui oblige entre autres les employeurs à négocier des conventions collectives), le recrutement de la FCIR représente bientôt 90% des institutrices rurales. En 1945, 769 commissions scolaires sont appelées à négocier. La ½Loi des différends entre les services publics et leurs salariés╗, aussi sanctionnée en 1944 pour faire contrepoids au retrait du droit de grève voté en 1939 (en raison de la Seconde Guerre mondiale), rend l'arbitrage obligatoire : entraînant ainsi une foule de sentences sur les commissions scolaires, portant sur les salaires. Il en découle de nettes améliorations.

En 1946, les trois fédérations déjà existantes (FCIR, FPIR, FICV) se regroupent et forment la Corporation générale des instituteurs et institutrices catholiques de la Province de Québec (CIC : Bill 64), accueillant les enseignantes, les enseignants, les cadres scolaires et les directeurs d'écoles, comme membres sur une base individuelle. La CIC, fidèle en cela à la doctrine sociale de l'Église, le corporatisme social, vise des objectifs aussi bien syndicaux que professionnels : conditions de travail et de vie, éthique, perfectionnement. Laure Gaudreault (FCIR) en sera la vice-présidente et Léo Guidon (APCM) le président. On pourrait penser que la syndicalisation enseignante en est ainsi rendue à un état à peu près irréversible et assez solide.

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