Cette premiΦre mise en ligne de Tr@verses manifestera, du moins se plaεt-on α l'espΘrer, les intentions qui ont prΘsidΘ α la conception de cette nouvelle revue pluridisciplinaire publiΘe par le Centre national d'art et de culture Georges Pompidou. Dans le concert quelque peu cacophonique de commentaires et autres prophΘties de toute nature qui, depuis quelques annΘes, accompagne, presque seconde par seconde, l'Θmergence planΘtaire des nouvelles technologies de l'information que sont les CD-Rom ou autres supports Θlectroniques "multimΘdia", et qui portent Θgalement au centre de l'attention l'Θmergence du rΘseau mondial de l'Internet, la rΘflexion s'est portΘe au Centre Pompidou, non sur la dimension proprement technologique de cette Θmergence, mais plut⌠t sur les effets qu'il est permis de supposer qu'elle induira dans le champ de la production artistique, littΘraire ou thΘorique.

Aussi sceptique α l'Θgard des prΘdictions de ceux qui n'en finissent plus de dΘnoncer la dissolution apocalyptique du rΘel sous les coups de butoir des techniques de la communication ou de l'imagerie gΘnΘralisΘes qu'envers celles de ceux qui annoncent l'avΦnement imminent et radieux d'une pensΘe ou d'un art enfin collectivisΘs et surmultipliΘs par la mise en rΘseau universelle, on a plut⌠t choisi de s'interroger sur ce que les nouvelles technologies de traitement et de diffusion de l'information pourraient entraεner comme effet sur les messages qu'elles ne sauraient naturellement se contenter de "traiter" ou de vΘhiculer, pas plus que ne le purent autrefois l'invention de l'Θcriture, puis celles du codex ou, enfin, de l'imprimerie. Autant dire en somme qu'on a voulu refuser la dichotomie simplette qui veut opposer pensΘe (thΘorique ou artistique) et technique, message et support, etc. Ainsi a-t-on admis en principe que, qu'on le veuille ou non, un texte sur Θcran demeure un texte, comme dΘjα les textes demeurΦrent textes en passant du manuscrit α l'imprimΘ ou du rouleau au livre reliΘ. Admettant cela, on n'a pas pour autant voulu ignorer que, de mΩme que le passage α l'imprimΘ a permis en son temps l'apparition de nombreuses opΘrations intellectuelles impossibles auparavant, de mΩme, le codage numΘrique induit des effets dont on n'a, selon toute vraisemblance, encore mesurΘ que les plus ΘlΘmentaires.

De cette rΘflexion tΘmoigne tout particuliΦrement l'Θtude menΘe par Norbert Hillaire en 1994 et publiΘe sur l'Internet en janvier 1995. En tΘmoigne Θgalement ce premier numΘro dont on veut souligner ici que, mΩme si certains des textes ou œuvres qui le composent, intΦgrent dΘlibΘrement certaines des possibilitΘs hypertextuelles ou multimΘdia propres aux nouveaux supports, il rΘpond cependant avant tout α cette position de principe toute simple : qu'il soit lu sur un Θcran, dans les pages d'un livre ou dans le dΘroulΘ d'un rouleau, un texte est un texte. En d'autres termes, l'invention de la numΘrisation et des Θcrans ne change probablement pas grand chose, du moins pour l'instant, α ce qui fait la qualitΘ d'une œuvre littΘraire ou l'intΘrΩt d'un Θcrit thΘorique ou philosophique. La stupiditΘ ou l'intelligence sur Θcran n'est pas moins stupide ou Θclairante que sur papier, mais l'inverse est Θvidemment Θgalement vrai de mΩme qu'est Θgalement vrai le fait qu'un bon texte n'est pas bon parce qu'il est imprimΘ, mais pour d'autres raisons dont on ne voit pas qu'elles pourraient Ωtre affectΘes par la numΘrisation et les modes de transmission qui s'ensuivent. On peut certes penser que les possibilitΘs proprement hypertextuelles (en son temps, le livre avait dΘjα dΘveloppΘ de telles possibilitΘs α l'Θgard du rouleau) offertes par la numΘrisation gΘnΘralisΘe auront des consΘquences aujourd'hui impossibles α mesurer non seulement sur la lecture des textes, mais Θgalement sur leur conception, et Tr@verses entend bien participer α l'exploration de ces champs de possibles nouveaux, comme en tΘmoignent dΦs ce premier numΘro aussi bien l'œuvre littΘraire conτue tout exprΦs par Jacques Roubaud ou l'exercice philosophique proposΘ α partir d'un cΘlΦbre passage de Descartes par AndrΘ Brisard et Roger Pouivet. Mais cela ne signifie pas α nos yeux que tout texte devra aujourd'hui Ωtre en quelque sorte condamnΘ α l'hypertextualitΘ ou pire, au rΘgime du multimΘdia. Les textes signΘs respectivement par Thierry de Duve, Jean-Pierre Le Dantec et Peter Szendy (1) manifestent en effet plut⌠t le souci pluridisciplinaire de croiser art, design, architecture et musique plut⌠t que le souci d'exploiter systΘmatiquement les possibilitΘs de l'hypertextualisation. De mΩme, l'idΘe de proposer dans chaque livraison un "introuvable" vise certes α mΘtamorphoser, grΓce aux possibilitΘs de diffusion propres au rΘseau, la raretΘ ou l'inaccessibilitΘ de textes oubliΘs en disponibilitΘ universelle, mais cela n'a pas d'autre consΘquence sur la nature mΩme des textes qu'on exhumera et dont on espΦre qu'ils constitueront α chaque fois en eux-mΩmes une dΘcouverte aussi gratifiante qu'inattendue. L'espace de la crΘation s'ouvrira bien s√r au possibilitΘs multimΘdia, comme le fait dΦs maintenant Jean-Franτois Lacalmontie, mais on ne cherchera pas pour autant α s'illusionner sur le statut des objets ainsi mis en rΘseau : Θchantillon ou Θvocation d'œuvres plut⌠t qu'œuvres proprement dites, les objets en question auront alors pour objectif d'ouvrir la discussion sur ce que pourraient Ωtre α la fois un usage artistique du rΘseau et son articulation avec les espaces habituels de l'art. Reste enfin cependant, outre les chroniques normales dans une publication pΘriodique, celle concernant le rΘseau lui-mΩme qui alimentera la rubrique “Y a-t-il une vie intellectuelle sur l'Internet ?”, promenade inaugurΘe par Norbert Hillaire, mais qui sera proposΘe α chaque livraison par un auteur diffΘrent et, bient⌠t, l'ouverture, sous l'appellation "Le net nous tr@verse", de pages o∙ pourront s'exprimer les lecteurs.


NOTE

On notera au passage que le texte de ce dernier auteur parcourt l'histoire des machines musicales au moment mΩme o∙ l'Ircam vient d'Θlargir considΘrablement son champ d'action. C'est un extrait du livre qui a saluΘ cet ΘvΘnement : Lire l'Ircam, prΘface de Jean-Jacques Aillagon, textes de Laurent Bayle et Peter Szendy, suivis d'une confΘrence de Gilles Deleuze α l'Ircam. Paris, Editions Ircam / Centre Georges Pompidou, 1996, 184 p.