Je les aime tant avec leur grand chapeau à larges ailes et leur long tablier de cuir! Ils ont de la terre aux mains, dans la barbe et jusque dans le poil de leur poitrail: ils ont la peau comme de l'écorce, et des veines comme des racines d'arbres. Quelquefois, quand leur tablier de cuir est à bas, le vent entrouvre leur chemise toute grande, et en dessous du triangle de hâle qui fait pointe au creux de l'estomac, on voit de la chair blanche, tendre comme un dos de brebis tondue ou de cochon jeune. L'enfant - Jules VALLES Les arbres, les arbrisseaux, les plantes sont la parure et le vêtement de la terre. Rien n'est si triste que l'aspect d'une campagne nue et pelée qui n'étale aux yeux que des pierres, du limon et des sables. Mais vivifiée par la nature et revêtue de sa robe de noces au milieu du cours des eaux et du chant des oiseaux, la terre offre à l'homme dans l'harmonie des trois règnes un spectacle plein de vie, d'intérêt et de charmes, le seul spectacle au monde dont ses yeux et son corps ne se lassent jamais. Septième promenade - J.-J. ROUSSEAU Et quand, arrivée à ma hauteur, elle me faisait un salut auquel s'ajoutait parfois un mince sourire, c'était comme si elle eût exécuté pour moi en y ajoutant une dédicace, un lavis qui était un chef-d'oeuvre. Chacune de ses robes m'apparaissait comme une ambiance naturelle, nécessaire, comme la projection d'un aspect particulier de son âme. Un de ces matins de carême où elle allait déjeuner en ville, je la rencontrai dans une robe d'un velours rouge clair, laquelle était légèrement échancrée au cou. Le côté de Guermantes - Marcel PROUST A mesure que j'avançais dans cette longue rue, les maisons devenaient plus humbles et plus rustiques; j'y observais des métiers et des moeurs inconnus dans les beaux quartiers où s'écoulait mon enfance. C'est là que je vis pour la première fois des maraîchers en grand chapeau de paille arroser leur jardin, des filles hâlées traire les vaches, des marchands de bois dresser dans les chantiers les bûches en arcs de triomphe, et le maréchal, sur le seuil de sa forge, dans une âcre odeur de corne brûlée... La vie en fleur - Anatole FRANCE Tous ces monts autour de lui, comme des flots pétrifiés, les gouffres noirs sur les flancs des falaises, l'immensité du ciel bleu, l'éclat violent du jour, la profondeur des abîmes le troublaient; et une désolation l'envahissait au spectacle du désert, qui figure dans le bouleversement de ses terrains, des amphithéâtres et des palais abattus. Le vent chaud apportait, avec l'odeur du souffre, comme l'exhalaison des villes maudites, ensevelies plus bas que le rivage sous les eaux pesantes. Hérodias - Gustave FLAUBERT Les voix, les rires, les mots gras, se mêlaient dans le grand gargouillement de l'eau. Les robinets crachaient, les seaux jetaient des flaquées, une rivière coulait sous les batteries. C'était le chien de l'après-midi, le linge pilé à coups de battoir. Dans l'immense salle, les fumées devenaient rousses, trouées seulement par les ronds de soleil, des balles d'or, que les déchirures des rideaux laissaient passer. On respirait l'étouffement tiède des odeurs savonneuses. L'Assomoir - Emile ZOLA Ce fut alors une course de vitesse, car l'attelage de la berline, excité sans doute par la présence et l'allure des chevaux qui le dépassaient, retrouva des forces pour se maintenir pendant quelques minutes. Les trois voitures avaient disparu dans un nuage de poussière. De ces nuages blanchâtres s'échappaient, comme une pétarade, des claquements de fouet, mêlés de cris d'excitation et d'interjection de colère. Michel Strogoff - Jules VERNE Les jours qu'il faisait trop chaud, ils ne sortaient pas de leur chambre. L'éblouissante clarté du dehors plaquait des barres de lumière entre les lames des jalousies. Aucun bruit dans le village. En bas, sur le trottoir, personne. Ce silence épandu augmentait la tranquilité des choses. Au loin, les marteaux des calfats tamponnaient des carènes, et une brise lourde apportait la senteur du goudron. Le principal divertissement était le retour des barques... Un Coeur simple - Gustave FLAUBERT Le bonheur n'a point d'enseigne extérieure; pour le connaître il faudrait lire dans le coeur de l'homme heureux; mais le contentement se lit dans les yeux, dans le maintien, dans l'accent, dans la démarche, et semble se communiquer à celui qui l'aperçoit. Est-il une jouissance plus douce que de voir un peuple entier se livrer à la joie un jour de fête et tous les coeurs s'épanouir aux rayons expansifs du plaisir qui passe rapidement, mais vivement, à travers les nuages de la vie ? La Neuvième Promenade - J.-J. ROUSSEAU