Les tout premiers conflits de travail ont été provoqués par le refus des employeurs de faire participer les travailleurs à la définition du processus de production. Les travailleurs des Maritimes, à l'instar de leurs collègues en tous lieux, ont défendu les pratiques traditionnelles durant les années de formation du syndicalisme. Malgré l'hostilité des employeurs, le nombre de syndicats actifs dans la région, extrêmement réduit au cours des années 1880, se situait au-delà de 200 au cours des années 1920 et regroupait tous les niveaux de qualification dans des communautés largement répandues. Parmi ces syndicats, certains n'étaient que des petites divisions de grandes organisations nationales ou internationales, d'autres constituaient principalement un mouvement local en réponse aux conditions régionales. Le gros de ces organisations était caractérisé par le recrutement croissant de membres exerçant des métiers et des emplois peu qualifiés, malgré le fait que les premières associations d'artisans -- ironique retour des choses -- avaient été créées spécialement pour éliminer la concurrence de la main-d'oeuvre non qualifiée. Malgré ces tendances, les travailleurs des Maritimes, dans leur immense majorité, sont restés inorganisés jusqu'aux années 1920. À l'exception des mineurs de l'industrie du charbonnage, les travailleurs du secteur primaire ignoraient le syndicalisme. La communauté industrielle présentait de grosses lacunes, à preuve que des groupes aussi importants que les ouvriers des aciéries sont restés fragmentés et inorganisés jusque après la Seconde Guerre mondiale. Les travailleurs des Maritimes ont-ils jamais été motivés par une prise de conscience à la dimension de la région? Cela reste à prouver. L'industrialisation postérieure à 1880 a donné naissance à une main-d'oeuvre urbaine qui était, à de rares exceptions près, entièrement nouvelle, et dont le plus grand segment ne représentait qu'une seule génération arrachée de son milieu rural. Les luttes pour la reconnaissance des droits n'étaient peut-être pas coordonnées, mais la classe ouvrière a commencé à se considérer comme telle, malgré la rigueur qui caractérisait la définition de ses objectifs. Eu égard à la fragmentation politique et sociale, tous les sentiments d'unité régionale -- comme la plupart des aspects de la vie des Maritimes -- étaient plus virtuels que réels. Les mineurs de la Nouvelle-Écosse ont milité plus que les autres groupes pour la redéfinition des relations patron-ouvrier, mais malgré l'influence qu'ils ont exercée, ils ne représentaient pas la communauté régionale, au sens large du terme, qui tendait plus à la modération ainsi qu'à l'application des normes nord-américaines. Les villes de l'industrie lourde, notamment les villes relevant des mines de charbon et des aciéries, étaient les plus avancées sur le plan de l'organisation syndicale et des politiques ouvrières. Leurs grosses concentrations d'ouvriers qualifiés ont donné naissance à une élite d'«aristocrates» expérimentés qui étaient soucieux d'exercer une certaine influence sur le régime du travail et de participer aux décisions touchant le bien-être général de leurs communautés. Dans ces villes, les mouvements syndicaux étaient dans le droit fil de ceux qui se sont développés dans les autres régions de l'Amérique du Nord durant l'industrialisation. Les ouvriers qualifiés de New Glasgow, d'Amherst et de Moncton relevaient les mêmes défis et aspiraient au même rôle que leurs collègues d'Ontario ou de Pennsylvanie. Leurs syndicats étaient affiliés à des équivalents nationaux ou internationaux et l'on peut dire qu'ils ont frayé la voie à la formation des fédérations nationales du travail. Au sein de leurs communautés respectives, ils ont souvent combiné les actions politiques et les interventions auprès des gouvernements locaux et provinciaux dans le but d'accorder plus de droits aux ouvriers. Ils n'ont pas obtenu autant de succès qu'ils l'auraient voulu; n'empêche qu'ils étaient disposés, le cas échéant, à agir de concert pour atteindre les objectifs communs. Le trait distinctif de la région des Maritimes résidait dans la grande diversité de son expérience industrielle et, de cause à effet, dans la fragmentation de la conscience de classe. Lorsque le processus de désindustrialisation provoqua l'effondrement de la plus grande partie de la base industrielle de la région, les travailleurs des Maritimes ne disposaient d'aucune stratégie efficace pour empêcher la fuite des capitaux et des emplois. Avec le transfert des capitaux vers les autres régions du pays, les syndicats n'avaient plus leurs coudées franches. Lorsque les capitalistes non résidants décidèrent de fermer les usines plutôt que de négocier avec les représentants des travailleurs, ce fut un coup de Jarnac même pour les syndicats bien établis. Les mineurs ont fait face à des pressions accablantes, après la Première Guerre mondiale, lorsque la British Empire Steel and Coal Company tenta de les priver du tiers environ de leur salaire. La chaîne de grèves acharnées et d'actes de violence, qui s'est soldée par leur défaite en 1925, annonça au reste de la communauté que le syndicalisme militant ne pouvait pas freiner le déclin. Étant donné qu'il fallait choisir entre la réduction du salaire et le chômage indéfini ou le déménagement à l'extérieur de la région, ceux qui sont restés ont dû accepter un revenu moindre et se résigner à un rôle secondaire dans la détermination du régime de travail. Que récoltent les Maritimes de tous ces événements? Une industrie bouleversée et un mouvement ouvrier qui, gravement fractionné et chroniquement miné par l'émigration de ses plus puissants dirigeants, ne compte dans ses rangs que des travailleurs résignés à jouer un rôle relativement mineur dans les affaires régionales. Page 2 de 2 (Cliquez "suite" pour aller à la première partie)