L'EXPLOITATION CHARBONNIÈRE EN NOUVELLE-ÉCOSSE JUSQU'EN 1925 D.A. Muise Introduction Les gisements de charbon se sont formés à l'époque lointaine où, disparaissant sous l'action des forces telluriques, les grands marais préhistoriques se décomposaient pour donner une matière combustible solide à base de carbone. Dans la plupart des régions, le charbon s'est déposé en une série de couches (ou veines) qui représentaient les vestiges de la croissance de la végétation à différentes périodes. Le charbon se classe en fonction de l'âge de la matière organique des couches respectives et de la pression qu'elles ont subie au cours de leur formation. L'anthracite, que l'on ne trouve que dans quelques régions, est le plus dur et le plus pur de ces charbons; c'est aussi le meilleur combustible. La houille bitumineuse, plus commune et de qualité inégale, contient plus d'impuretés -- du soufre, le plus souvent. En outre, plus tendre que l'anthracite, elle brûle rapidement en dégageant beaucoup de fumée et de vapeurs. Le lignite vient au dernier rang: trouvé en général à peu de profondeur, c'est un piètre combustible et le plus tendre et le moins pur de tous les charbons. Dépôt de surface, la tourbe est un combustible médiocre constitué de fragments végétaux en décomposition. À l'autre extrémité du spectre, on trouve le pétrole et le gaz naturel qui, à l'instar du charbon, sont deux combustibles fossiles. Beaucoup plus rentables que le charbon dans la plupart des cas, ils en diffèrent aussi par la provenance. Les Européens et les Asiatiques se servent de charbon pour se chauffer depuis des temps reculés, de sorte que, à l'arrivée des premiers Européens en Amérique, le commerce du charbon était déjà très actif en Europe occidentale et l'on était en voie de lui trouver de multiples usages. Au XVIIIe siècle, on connaissait plusieurs méthodes pour vérifier la combustibilité du charbon et certains états réglementaient l'exploitation du charbon dans leur propre intérêt. Cette réglementation tendait en général à ralentir le commerce du charbon entre les pays concurrents et incluait l'imposition de permis aux entrepreneurs miniers. Tout comme les forêts royales, les mines de sel et les autres grandes richesses naturelles, le charbon allait tomber sous la coupe de l'État, désireux tout d'abord d'en tirer des revenus, puis, en fin de compte, d'en tirer parti pour diriger l'avenir économique des nations. La cession de réserves de charbon devint aussi un moyen comme un autre de récompenser ses amis ou ses relations politiques. Le charbon était une ressource importante dans les pays à climat froid et humide où le bois de chauffage était de plus en plus rare. En Europe occidentale, on employait le charbon surtout pour chauffer et, comme ce combustible produit une fumée fuligineuse en se consumant, quelques villes en faisaient un usage restreint. Malgré tout, l'usage du charbon se répandit dans l'industrie, surtout chez les forgerons, les ferronniers et les autres utilisateurs qui appréciaient sa chaleur aussi égale que durable. Vers la fin du XVIIIe siècle, l'avènement des machines à vapeur vint offrir de nouveaux débouchés aux exploitants miniers. Non seulement la demande de charbon s'intensifiait pour faire fonctionner ces machines, mais l'introduction des pompes à vapeur et du matériel de roulage allait aussi déclencher une révolution technique au sein même de l'industrie du charbon. Vers la fin du siècle, on considérait le charbon comme élément essentiel de la révolution industrielle alors en cours en Angleterre et en France, les deux principaux artisans de la colonisation de l'Amérique du Nord. Quelques-uns des premiers explorateurs venus d'Europe avaient bien constaté l'existence de gisements de charbon en Amérique du Nord, mais ils n'en faisaient mention qu'à titre indicatif dans leurs relations de voyage. Il y avait peu de chance que le charbon devienne un article de première nécessité au même titre que le poisson ou les fourrures, car ce produit était loin de faire défaut en Europe occidentale où les intéressés n'auraient guère prisé la concurrence de leurs propres colonies. De plus, comme le charbon était trop bon marché, il aurait fallu d'énormes cargaisons pour que les transports transatlantiques soient rentables à cette époque lointaine. Le charbon enfoui profondément à l'intérieur du continent était trop éloigné, d'autre part, pour attirer l'attention. Par contre, les gisements du littoral de la Nouvelle-Ecosse ne manquèrent pas d'intéresser les spéculateurs, et cela pour la simple raison qu'ils étaient très facilement accessibles. Néanmoins, même ces gisements restèrent inexploités jusqu'au XVIIIe siècle. Les gisements de charbon de la Nouvelle-Écosse Il existe quatre principaux gisements de charbon en Nouvelle-Écosse: deux sur le continent et deux dans l'île du Cap-Breton. Tous contiennent de la houille bitumeuse, mais de qualité variable. Des deux côtés de Spanish Bay -- plus tard, port de Sydney -- les principaux gisements de charbon de l'île du Cap-Breton affleurent près de la rive. Situés près du port de Pictou, sur les bords du détroit de Northumberland, les gisements de Pictou avaient une superficie d'exploitation plus restreinte que ceux de l'île du Cap-Breton. Quelques couches, plus pures que d'autres, furent réservées à certains usages industriels dès leur exploitation au XIXe siècle. Le troisième gisement par ordre d'importance est situé dans le comté de Cumberland, près de la baie de Fundy, dans l'isthme réunissant la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. À l'exception des petits gisements côtiers de Joggins, le charbon de Cumberland est, en règle générale, moins accessible par eau que les gisements de Pictou ou de l'île du Cap-Breton. Enfin, on trouve une série de gisements dans le comté d'Inverness, adjacent au détroit de Northumberland. Ces gisements, découverts seulement plus tard au XIXe siècle, n'ont été exploités qu'à titre d'appoint aux grandes exploitations des comtés de Pictou et du Cap-Breton. Contrairement aux gisements de surface existant en d'autres parties du monde, le charbon de la Nouvelle-Écosse gît profondément sous terre, parfois plusieurs kilomètres sous la mer. Généralement, les couches se succèdent, séparées par une strate d'argile ou de roc. Elles ont de six pieds (1,82 m) à quelques pouces seulement (plusieurs centimètres) d'épaisseur, mais seules celles de deux pieds ou plus (61 cm) sont jugées rentables. Dans quelques régions, la présence de failles importantes aurait pu rendre dangereuse toute exploitation systématique, mais de nombreuses couches étaient exploitées, à partir de la surface, sur une distance pouvant atteindre cinq milles (8 km) et bien loin sous l'océan sans grande interruption. Ce phénomène naturel a rendu le charbon de la Nouvelle-Écosse comparativement plus cher que la plupart des autres charbons. En effet, d'année en année, comme on s'éloigne de plus en plus de la surface, l'extraction du charbon prend plus de temps et les frais d'exploitation finissent par devenir excessifs. Au cours des ans, les meilleurs ingénieurs du monde entier se sont succédé dans ces mines profondes pour y résoudre les problèmes complexes occasionnés par l'aérage, le pompage de l'eau et la remontée du charbon. Malgré le très haut degré de mécanisation qu'elle finit par atteindre, l'industrie de la Nouvelle-Écosse se classe pour la partie la plus active de son histoire parmi celles qui, dans le monde, dépendent étroitement d'une main-d'oeuvre nombreuse. L'exploitation charbonnière pré-industrielle en Nouvelle-Écosse Au temps où les Français occupaient l'Acadie, les réserves de charbon ne suscitaient tout au plus qu'un vague intérêt. À l'occasion, les colons acadiens extrayaient bien du charbon près de Joggins, dans le comté de Cumberland, mais l'exploitation ne se faisait pas d'une façon systématique. En 1713, les Français, défaits par les Britanniques, dans l'un des conflits où l'Acadie se trouva prise au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, abandonnèrent la partie continentale de la Nouvelle-Écosse. Confinés à l'île du Cap-Breton (rebaptisée île Royale), les Français y construisirent la forteresse de Louisbourg, quelques kilomètres à peine au sud des grands gisements de charbon de Spanish Bay. Ainsi se constitua la première colonie européenne d'importance sur l'île, qui avait auparavant servi de base aux pêcheurs. Les officiers français du génie s'intéressèrent rapidement aux gisements de charbon, en firent analyser des échantillons en France et utilisèrent le charbon comme combustible pour leurs fours à chaux. Louisbourg se révélait le lieu le plus humide et le plus froid de toute la côte atlantique, de sorte que, pour le chauffage la garnison réclamait de plus en plus le charbon. L'importance que prit Louisbourg comme comptoir commercial facilita l'exploitation des réserves de charbon, activité qui commença à donner lieu à des transactions illicites entre les marchands français et ceux de la Nouvelle Angleterre. Faute de gisements sur leur littoral, les colons de la Nouvelle-Angleterre durent aller ailleurs pour extraire le charbon des affleurements directement accessibles par la mer. Il ne faudrait toutefois pas exagérer l'importance de cette première forme d'exploitation qui, caractérisée par une extraction peu abondante, ne donna jamais lieu à l'établissement de colonies. De fait, seuls débarquaient sur ces côtes, les capitaines soucieux de compléter leur cargaison clandestine habituelle (venant de Louisbourg) de poisson et de produits des Antilles; leurs équipages se contentaient d'extraire de ces affleurements la quantité de charbon nécessaire, quelques tonnes tout au plus. À part quelques trous creusés ici et là, la plupart à quelques verges du rivage, ces premières initiatives n'avaient guère laissé de traces à l'époque où les Britanniques infligèrent une dernière défaite aux Français en prenant possession de l'île du Cap-Breton en 1758. Après le départ des Français de l'est de l'Amérique du Nord, conséquence du traité de Paris (1763), les administrateurs coloniaux de la Grande-Bretagne accordèrent de grands territoires et divers privilèges à des entrepreneurs britanniques en Amérique du Nord. Par exemple, l'île du Prince-Édouard fut séparée de la Nouvelle-Écosse en 1769 et fut entièrement cédée selon un décret de la Couronne, à un groupe de spéculateurs. Dans toutes les colonies, on accorda des concessions territoriales semblables. Après tout, n'y avait-il pas de nombreuses dettes politiques à acquitter après la longue guerre contre les Français? Des entrepreneurs de la Grande-Bretagne et des colonies manifestèrent un intérêt immédiat envers le charbon de l'île du Cap-Breton, mais les fonctionnaires britanniques, eux, avaient certaines réticences envers les richesses naturelles de leur grand empire américain. Inquiets à l'idée qu'une expansion coloniale désordonnée puisse susciter une certaine concurrence aux manufacturiers britanniques, les fonctionnaires de Londres essayèrent d'orienter et de consolider l'expansion pour le plus grand bien de la mère patrie. En Nouvelle-Écosse, on interdit totalement l'exploitation du charbon et on découragea toute forme de colonisation dans l'île du Cap-Breton, annexée à la Nouvelle-Écosse en 1763. Les Britanniques craignaient que l'exploitation du charbon ne suscite inévitablement l'avènement du régime manufacturier dans les colonies. Ce mercantilisme patent caractérisait la politique coloniale de la Grande-Bretagne à l'aube de la Révolution américaine. Ces restrictions pré-révolutionnaires s'adoucirent quelque peu en 1784, année où l'île du Cap-Breton devint, encore une fois, colonie distincte. Vue comme un refuge pour les Loyalistes, elle donnait une nouvelle chance à ceux qui avaient perdu leur propriété et leur foyer en servant la Couronne. L'île du Cap-Breton ne devint pas une importante colonie loyaliste, mais la création d'une capitale pour la colonie, à la tête de Spanish Bay (rebaptisée plus tard Sydney d'après le nom du secrétaire d'État de la Grande-Bretagne), permit aux Britanniques de contrôler de près les réserves de charbon. Les gisements de charbon de l'île du Cap-Breton furent alors mis en exploitation, le gouvernement de l'île se mit en quête d'un bon preneur, mais les Britanniques ne voulurent approuver que les baux à court terme ne dépassant pas sept ans. Cette restriction découragea les grands investisseurs, et les entrepreneurs de Londres, qui avaient exprimé plus tôt leur intérêt, se retirèrent. Les marchands d'Halifax se lancèrent dans l'aventure et créèrent un marché quelque peu limité dans la région. De 1784 à 1820, période durant laquelle l'île du Cap-Breton fut une colonie distincte, la production de charbon y demeura relativement négligeable, dépassant rarement 10 000 tonnes (9 000 tonnes métriques) par année. Par comparaison, la production annuelle de la Grande-Bretagne au cours de la même période approchait les 10 millions de tonnes (9 millions de tonnes métriques). On expédiait habituellement le charbon à Saint-Jean (N.-B.), à Saint-Jean (T.-N.), à Charlottetown et parfois à Boston. L'île du Cap-Breton servait ce marché local en lui fournissant principalement du combustible. Toutefois, le gouvernement impérial continuait à défendre l'exploitation de tout gisement sur le continent. Des entrepreneurs firent des démarches auprès du gouvernement provincial pour obtenir des concessions à Pictou, mais les administrateurs impériaux rejetèrent toutes les demandes même si le gouvernement local les appuyait. Le Board of Trade de Londres permit d'accorder des baux à Pictou aux mêmes conditions que ceux en vigueur pour l'île du Cap-Breton en 1811. Avant les années 1820, la production des mines de Pictou se révélait bien moins importante que celle de l'île du Cap-Breton. Au cours de cette période, l'extraction du charbon en Nouvelle-Écosse ne prit jamais les proportions d'une entreprise industrielle. Les mines étaient plus ou moins ouvertes en permanence, mais le travail réel demeurait saisonnier, comme c'était le cas, à ce moment-là, pour l'industrie du bois. Dans les mines, les saisons de travail avaient toutefois tendance à être à l'opposé: l'extraction et l'expédition du charbon se faisaient la plupart du temps au printemps, à l'été et à l'automne. La main-d'oeuvre, assez semblable à celle de l'industrie du bois, se composait généralement de célibataires sans expérience et de passage; nombre d'entre eux étaient des immigrants irlandais récemment arrivés après un court séjour à Terre-Neuve. On embauchait les travailleurs à la saison et on les logeait dans des dortoirs spacieux. Il semble que peu soient restés plus d'une saison, car les maigres salaires étaient presque totalement rongés par les frais de pension qu'exigeait l'entreprise minière. Par conséquent, il y avait peu d'agglomérations autour des mines. À Pictou et à Sydney, les mines étaient à l'extérieur de la ville, et la population locale avait tendance à considérer ce genre d'activité, à juste titre, comme un travail difficile et fruste. Il semble qu'à ce moment-là il ait été impossible d'échapper à ces conditions sociales primitives, typiques d'une telle industrie, car les agglomérations minières qui se constituèrent plus tard devaient encore présenter les mêmes caractéristiques. Les mines elles-mêmes restaient également à l'état embryonnaire, car les dernières techniques européennes y étaient rarement appliquées. Faute d'engins à vapeur pour pomper l'eau ou ventiler les galeries, on ne creusait pas de puits profonds, si bien que la majeure partie du charbon était extraite tout près de la surface. D'autre part, la courte durée des baux accordés n'encourageait pas les investissements requis pour aller de l'avant bien que le gouvernement local construisait les quais nécessaires à l'expédition. Entre 1785 et 1820, l'activité minière restait donc aussi aléatoire que l'exploitation occasionnelle que caractérisait le demi-siècle précédent. Les gouvernements coloniaux prenaient toutefois de plus en plus conscience de l'importance des gisements de charbon, non seulement en raison de la création d'emplois qui en découlait directement ou indirectement, mais aussi des redevances que l'exploitation des mines pouvait rapporter à leur Trésor qui n'était pas bien nanti. En 1820, la réunion de l'île du Cap-Breton à la Nouvelle-Écosse ne manqua pas de susciter beaucoup d'intérêt, à Halifax, quant aux avantages possibles à retirer des réserves de charbon, mais ni le gouvernement de la Nouvelle-Écosse et ni le gouvernement impérial n'apportèrent de modifications immédiates relativement à la politique ou aux investissements. La General Mining Association La situation de l'industrie prit une toute autre tournure en 1826, année où le gouvernement impérial intervint pour accorder un bail exclusif à long terme, sur toutes les ressources minérales (y compris les mines de charbon) de la Nouvelle-Écosse, à la General Mining Association (G.M.A.), société dont le siège était à Londres. Cette décision allait rendre viable une concession restée longtemps en veilleuse, celle des ressources minérales de la Nouvelle-Écosse à Frederic, duc d'York, jeune frère du roi George IV. Cette concession remontait aux années 1790 et faisait suite à une rumeur selon laquelle il existait des gisements importants de métaux précieux dans la province. Lorsque ces rumeurs se révélèrent sans fondement, la concession ne fut jamais réclamée. Le duc, notoirement prodigue, avait fait des dettes énormes. Aussi ses conseillers convainquirent-ils la société Bridge, Rundell and Bridge, l'un de ses plus gros créanciers, d'accepter la cession du bail de la Nouvelle-Écosse comme paiement. Ce transfert se fit par l'intermédiaire de hauts fonctionnaires du Trésor à Londres sans que le gouvernement de la Nouvelle-Écosse eût été consulté et presque à l'insu des fonctionnaires du Colonial Office. Londres avisa les administrateurs de la Nouvelle-Écosse que tous les baux en vigueur devaient être annulés pour donner libre champ au nouvel accord: il s'agissait d'une décision typique à une époque où les richesses naturelles de l'Empire étaient considérées comme la chasse gardée des capitalistes et des hommes d'État britanniques. Au cours de la même année, toutes les difficultés furent aplanies et le corps législatif provincial, peu coopératif, fut mis au pas. Les détenteurs de baux protestèrent vertement et d'aucun s'interrogèrent sur l'inclusion éventuelle de l'île du Cap-Breton dans cette concession puisque l'île ne faisait pas partie de la Nouvelle-Écosse lorsque le duc en devint le bénéficiaire. La G.M.A. eut bientôt la haute main sur l'industrie, accepta de payer une redevance au gouvernement provincial ainsi qu'un loyer déterminé à la succession du duc d'York. Ce dernier mourut moins d'une année après la conclusion des accords, mais le bail exclusif de la G.M.A. devait durer 60 ans. Le loyer continua d'être versé à sa succession. Après quelques discussions à Londres et une analyse superficielle des minéraux de la province, la société décida que le charbon était ce qu'il y avait de plus profitable, embaucha Richard Smith à titre de directeur général et l'envoya sur place. Smith, qui s'établit à Pictou, possédait une grande expérience des gisements charbonniers britanniques de Newcastle et vint en Nouvelle-Écosse avec l'ordre de moderniser l'industrie. Richard Brown, autre ingénieur des mines britanniques, fut envoyé pour veiller sur les intérêts que l'Association avait dans l'île du Cap-Breton. Ces hommes et leurs successeurs se vouèrent à l'expansion de l'industrie dans la province. Les dirigeants de la G.M.A. affirmèrent que l'expansion reposait sur l'accès des marchés extra-régionaux, spécialement ceux de la Nouvelle-Angleterre où ils nouèrent immédiatement des relations commerciales. Dans l'incapacité d'influer sur le tarif américain, ils n'eurent accès à ce marché que par intermittence, et la production augmenta de façon régulière mais non fulgurante au cours des 30 années suivantes. En plus d'augmenter la production, la G.M.A. propulsa la Nouvelle-Écosse dans une ère de révolution industrielle. On fit venir des ouvriers expérimentés d'agglomérations minières du nord de l'Angleterre et de l'Écosse, et on se servit des machines à vapeur les plus modernes. Grâce à ces techniques nouvelles, les problèmes de roulage, de drainage et de ventilation des mines; profondes furent enfin résolus. À la surface, la traction à vapeur, première en Amérique du Nord britannique, fut introduite dans les mines Albion pour transporter le charbon par chemin de fer de la tête du puits au port de Pictou, et de petits navires à vapeur furent mis en service pour faciliter le chargement. On investit, en outre, de fortes sommes pour améliorer la productivité des mines; à l'époque, on estima à £250 000 la somme investie par la G.M.A. au cours des 20 premières années d'exploitation, somme fabuleuse d'après les normes coloniales. Les mineurs amenés de Grande-Bretagne eurent recours aux techniques les plus modernes d'extraction du charbon. Embauchés à contrat, ils étaient payés selon la quantité de charbon qu'ils creusaient et ramenaient à la surface plutôt qu'à la saison ou selon un taux horaire ou quotidien. L'Association mit aussi au point les services de soutien nécessaires à la création d'agglomérations minières permanentes. Suivant l'exemple britannique, elle fit construire des maisons pour les mineurs, encourageant ces derniers à faire venir leurs familles ou à en fonder sur place. De plus, elle ouvrit des magasins, instaura un régime primitif d'assurance-maladie ainsi qu'une foule d'autres services, et obligea les mineurs à avoir recours à la retenue salariale pour en bénéficier. La direction fournissait et entretenait aussi les outils et les engins à vapeur nécessaires à l'exploitation souterraine. De telles dispositions poussaient souvent les mineurs à s'endetter sérieusement, du jour même où ils acceptaient de travailler pour la G.M.A. Cette dépendance créait une association très étroite et quelque peu à tendance paternaliste. En stimulant la demande pour une quantité de biens et de services, l'augmentation de la production des mines de charbon entraîna toute une série de réactions en chaîne sur l'économie de la Nouvelle-Écosse, et calma l'opposition qui fut soulevée par la concession primaire. Chevaux et fourrage, indispensables à l'exploitation souterraine, étaient constamment en demande tout comme le bois pour consolider les galeries. Des centaines d'habitants de la Nouvelle-Écosse trouvèrent du travail dans les mines ou autour de ces dernières: on pouvait prendre part au roulage du charbon ou participer à divers travaux de construction à la surface. Ils ne tardèrent pas à se joindre aussi sur le front de taille aux mineurs britanniques qualifiés, débutant comme simples ouvriers avant de devenir mineurs qualifiés. Les cargaisons de charbon en vrac contribuèrent largement à l'expansion du commerce maritime de la province. Les marchands et les hommes de loi d'Halifax représentaient les intérêts de la G.M.A. devant l'administration provinciale et fixaient tous les aspects de l'activité de la société, de l'acquisition de parcelles de terrain à la négociation de droits de passage pour ses chemins de fer. Samuel Cunard, qui mit sur pied sa fameuse société de navigation à vapeur, était l'agent de l'Association à Halifax dans les années 1840, et J.W. Johnstone, plus tard premier ministre de la Nouvelle-Écosse, en fut l'avocat pendant un certain temps. Toutefois, l'expansion et le monopole de la G.M.A. ne manquèrent pas de susciter de l'opposition. Dans les années 1840, un groupe de réformateurs politiques se forma pour défier les conservateurs et on fit du monopole de la G.M.A. un thème de débat central à l'Assemblée législative et dans les journaux de l'opposition. Les entrepreneurs exclus par le monopole furent les premiers adversaires, mais plus tard, ce furent les politiciens, soutenant que les réalisations de la G.M.A. restaient en deçà des possibilités offertes par l'industrie, qui prirent les choses en main. Assez curieusement, plus la G.M.A. augmentait sa production et envahissait le marché américain, plus l'opposition politique se faisait forte. La raison en était fort simple: le revenu des mines de charbon prises à bail par la G.M.A. dépendait jusqu'à un certain point des conditions du bail et prêtait toujours à litige. Les réformateurs exigeaient un droit de regard absolu sur toutes les richesses naturelles de la province, afin de pouvoir préparer l'établissement d'un gouvernement responsable. Il s'agissait alors d'un point clé du débat et d'un pas logique vers une prise de conscience provinciale. Après tout, le Nouveau-Brunswick avait, 20 ans plus tôt, acquis les droits administratifs pour ses vastes forêts. L'accord de monopole était aussi non conforme à la nouvelle attitude des Britanniques face au système mercantiliste qui avait été la pierre d'angle de l'Empire à la fin du XVIIIe siècle. Vu l'abolition des lois sur les céréales, des privilèges accordés pour le bois des colonies, et de divers règlements de commerce impériaux, le monopole des réserves de charbon devenait moins défendable. Quand le gouvernement réformateur fut finalement établi en 1848, le bail de la G.M.A. fit l'objet de très longues négociations. Les débats atteignirent leur paroxysme après 1854 au moment où le gouvernement britannique réussit à négocier un traité de réciprocité avec les États-Unis au nom de ses colonies d'Amérique du Nord. L'inscription du charbon sur la liste des produits libres dans le cadre de ce traité et le potentiel d'expansion du marché américain qui en a résulté rendit la position de monopole de la G.M.A. encore plus odieuse aux yeux des hommes politiques de la province. Les fluctuations du tarif américain enfin réglées, les investisseurs eurent un regain d'intérêt pour le charbon de la Nouvelle-Écosse, non seulement à Halifax, mais aussi en Nouvelle-Angleterre. En 1857-1858, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse conclut finalement une entente avec le gouvernement impérial et la G.M.A., et la colonie acquit un droit de regard illimité sur toutes les ressources minérales. Ce fut une étape décisive et les réformateurs de la Nouvelle-Écosse se félicitèrent d'avoir acquis les moyens qu'il leur fallait pour diriger l'économie. La G.M.A. continua à détenir les propriétés qu'elle avait mises en valeur jusqu'en 1857 ainsi que suffisamment de biens pour garantir son expansion. De fait, elle demeura l'un des plus importants producteurs de la province jusqu'à la fin du siècle. On pouvait investir librement dans les réserves restantes de charbon. Les principales régions laissées libres aux nouveaux entrepreneurs se trouvaient du côté sud des gisements du port de Sydney dans l'île du Cap-Breton et englobaient la majeure partie de Cumberland et une bonne part de Pictou. Grâce au marché libre américain et à l'impulsion subséquente apportée par la guerre de Sécession, la production de charbon, de 100 000 tonnes avant 1854 (90 000 tonnes métriques), passa à 700 000 tonnes (630 000 tonnes métriques) en 1865, dernière année complète d'exploitation dans le cadre du traité. Il s'agissait là d'une période décisive pour l'industrie du charbon. De nouveaux producteurs, une expansion rapide et un nouveau ministère provincial des Mines étaient le reflet de la vigueur de l'industrie non seulement comme facteur important de l'économie de la Nouvelle-Écosse, mais aussi comme source de revenu pour le gouvernement local. Quelques hommes politiques en venaient même à souligner l'importance du rapport existant entre l'accessibilité du charbon et l'implantation de manufactures, l'un des thèmes dominants du dernier tiers du XIXe siècle. La période nationale La prépondérance américaine sur l'industrie charbonnière fut relativement de courte durée. Près des deux tiers de la production alimentaient la Nouvelle-Angleterre au cours du traité de réciprocité, mais quand les États-Unis, après la guerre de Sécession, eurent adopté le protectionnisme, la conjoncture s'annonçait à tout le moins difficile pour le commerce du charbon de la Nouvelle-Écosse. Les producteurs de charbon firent alors l'impossible pour trouver d'autres débouchés que le marché américain, et, dès ce moment-là, l'intégration politique et économique devint le sujet favori de discussion des colonies de l'Amérique du Nord britannique. Les exploitants des mines de charbon appuyèrent l'union, soutenant que la perte du marché américain pouvait être compensée par les débouchés offerts par la région du Saint-Laurent. Avec la promesse de la construction d'un chemin de fer intercolonial, prévue dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, et conquis par la perspective de tarifs douaniers plus élevés applicables aux produits fabriqués à l'étranger, certains partisans de la Confédération s'attendaient à un avenir prometteur pour l'industrie de la Nouvelle-Écosse au sein du nouveau pays. Tous ces facteurs mis ensemble amenèrent les capitalistes de l'industrie charbonnière et le gouvernement provincial conservateur dirigé par Charles Tupper, représentant du comté de Cumberland et spéculateur charbonnier, à opter pour la Confédération, seule solution de remplacement possible à leurs yeux, vu la caducité des accords de réciprocité. Ils persévérèrent dans cette voie malgré la forte opposition d'une grande partie des commerçants et la province entra dans la Confédération en 1867. La récession suivant la fermeture du marché libre américain n'eut ni l'ampleur ni la gravité escomptées. De fait, la Nouvelle-Angleterre demeura un élément important, quoique déclinant, du marché, spécialement pour quelques-uns des producteurs de l'île du Cap-Breton qui avaient des liens financiers avec les consommateurs de Boston et de New York. Le marché du Saint-Laurent, de peu d'importance avant la Confédération, atteint bientôt des dimensions que seuls les plus optimistes avaient prévues, si bien qu'il en résulta par la suite une augmentation spectaculaire de la production de charbon: une production annuelle de 3 000 000 tonnes (2 700 000 tonnes métriques) à la fin du siècle et de près de 7 000 000 tonnes (6 300 000 tonnes métriques) quand la production se stabilisa juste avant la Première Guerre mondiale. L'achèvement du chemin de fer intercolonial au milieu des années 1870 et l'expansion graduelle des moyens de transport par rail dans les Maritimes offrit un marche local immédiat, mais l'expansion industrielle régionale, spécialement dans les régions du nord et de l'est de la Nouvelle-Écosse, fut probablement plus importante à long terme. La révolution industrielle vit le jour en Nouvelle-Écosse dans les années 1880, période où de nombreux établissements manufacturiers transforment des villes comme New Glasgow, Truro et Amherst. Toutefois, l'expansion la plus frappante se produisit lors de la création d'immenses aciéries à Trenton et à Sydney à la fin du siècle. Ces aciéries seules traiteront plus du tiers de la production totale au cours de la décennie précédant la guerre. Au moment où la Nouvelle-Écosse entre dans le XXe siècle, même les prédictions les plus enthousiastes concernant les conséquences de la Confédération semblent réalisées. Page 1 de 2 (Cliquez "suite" pour aller à la deuxième partie)