LA PRÉHISTOIRE DU QUÉBEC J. V. Wright Le présent texte expose à grands traits la préhistoire du Québec. Les notions et les termes techniques ont été évités, mais, afin de présenter une vue générale du sujet, il a été nécessaire de simplifier ce qui est complexe, de rendre clair ce qui est obscur, et de pencher en faveur d'une interprétation donnée lorsque, en fait, plusieurs interprétations contradictoires existent. Toutefois, la plupart des archéologues seront essentiellement d'accord avec les grands thèmes présentés ici. Le Québec a une superficie de 1 356 791 km², et la nature du territoire ainsi que les communautés végétales et animales présentent selon les lieux des différences considérables. Dans le nord, des troupeaux de caribous passent l'été dans la toundra, tandis que les eaux côtières sont le domaine des baleines, des morses, des phoques et des ours blancs. La plus grande partie de la province est recouverte de forêts de conifères. Celles-ci sont répandues sur les roches précambriennes du Bouclier canadien. Dans ces sombres forêts et dans leurs myriades de lacs et de rivières, on trouve des orignaux, des caribous et des ours noirs, des castors et d'autres animaux, et de nombreuses espèces de poissons, dont la truite, le corégone et le brochet. Dans le sud, la forêt mixte croît sur des sols déposés par les glaciers ou refaçonnés par l'antique mer de Champlain. Les paysages plats ou vallonnés sont souvent interrompus par les massifs vestiges rocheux des Appalaches. Cette région est peuplée de cerfs de Virginie, d'ours noirs, d'orignaux et d'une grande variété de petits animaux, de poissons et d'oiseaux. À l'époque préhistorique, le wapiti, le cougar et le pigeon voyageur, aujourd'hui éteint, occupaient également la région. Le Saint-Laurent constitue à peu près la limite entre la région tempérée du sud et les rudes étendues du Bouclier, au nord. L'estuaire du fleuve regorge de baleines, de marsouins, de phoques, de saumons, d'anguilles, de capelans et de nombreuses autres espèces. Une exploitation exagérée de la plupart de ces espèces par les Européens à partir du XVIe siècle a causé une réduction marquée du nombre d'individus. Les peuples préhistoriques devaient s'adapter à cette grande diversité de paysages, de climats et de communautés animales et végétales. Les plus anciens documents historiques mentionnent la présence d'Inuit (Esquimaux) le long des côtes septentrionales et occidentales de la province, de chasseurs parlant des idiomes algonquiens du nord dans les forêts du Bouclier ainsi que le long de la côte nord du golfe du Saint-Laurent, et d'agriculteurs iroquoiens dans la vallée supérieure du Saint-Laurent. Il y a 11 000 ans, les premiers chasseurs pénétrèrent peut-être dans ce qui est aujourd'hui le Québec au sud du Saint-Laurent, tandis qu'il y à peine 5 000 ans, dans certaines parties des régions septentrionales du Bouclier, les derniers vestiges du glacier continental venaient à peine de se retirer. Des fluctuations climatiques subséquentes ont entraîné le déplacement de communautés végétales et des espèces animales qui leur sont associées, dont l'homme. Malgré l'immensité du territoire de la province, les milliers d'années de préhistoire, et les considérables difficultés qui se présentent lorsqu'on essaie de comprendre les facteurs intimement liés qui président au changement environnemental et culturel, les archéologues ne cessent de débrouiller l'écheveau que constituent les témoignages qui nous restent de la préhistoire du Québec. Jacques Cartier, Samuel de Champlain, Paul Lejeune et d'autres explorateurs et missionnaires du XVIe et du XVIIe siècle firent de nombreuses observations intéressantes concernant les peuples autochtones du Québec. Ces observateurs européens ne pouvaient évidemment pas savoir, cependant, depuis combien de temps le territoire de la province était occupé et d'où venaient ses premiers habitants, ni quand et comment les Inuit arrivèrent là où ils vivent aujourd'hui, quand et où le maïs fut cultivé pour la première fois dans la province, et d'où il venait. Seuls les archéologues peuvent répondre à ces questions, et à une foule d'autres questions. Comme la vaste majorité des vestiges matériels consistent en outils brisés et en os jetés, les archéologues sont dans une grande mesure de simples collectionneurs et analystes de déchets préhistoriques. Malgré ces limites, suffisamment de vestiges ont pu traverser les siècles et résister aux assauts de la nature pour qu'on puisse déchiffrer au moins partiellement le passé. Différents peuples préhistoriques fabriquaient des outils de pierre et d'os, construisaient des maisons et ensevelissaient les morts de différentes façons. Certains étaient des chasseurs et d'autres étaient des agriculteurs, certains fabriquaient des poteries et d'autres pas. Ces ressemblances et ces différences permettent à l'archéologue de différencier les groupes culturels et de retracer leur évolution dans le temps. Les archéologues doivent faire appel à d'autres disciplines. La biologie et les sciences de la terre sont particulièrement importantes; la physique, la chimie et d'autres disciplines contribuent directement au travail de l'archéologue. Et nous pourrions continuer cette liste. On ne peut cependant connaître en totalité l'humanité par une méthode scientifique rigoureuse. Étant donné que des facteurs culturels complexes ont déterminé de quelle façon les gens durent s'adapter à leur milieu, l'archéologue se doit d'interpréter, jetant ainsi un pont entre l'humanisme et la science. LES RÉGIONS ET LES PÉRIODES ARCHÉOLOGIQUES DU QUÉBEC La préhistoire du Québec concerne deux populations distinctes -- les Indiens et les Inuit (Esquimaux) et leurs prédécesseurs préhistoriques, qu'on peut regrouper en fonction de quatre régions différentes (carte 1): la région méridionale comprenant la vallée supérieure du Saint-Laurent (y compris la vallée de l'Outaouais) et les Cantons de l'Est; la région septentrionale constituée par le Bouclier canadien; la région de l'estuaire du Saint-Laurent; la région des côtes septentrionales. La préhistoire de chacune de ces quatre régions est dans l'ensemble distincte. Celle de la forêt mixte des basses terres du Saint-Laurent est étroitement apparentée à celle du sud de l'Ontario et du nord de l'État de New York et du Vermont. C'est la seule région du Québec où l'on pratiquait l'agriculture, et, à l'époque historique, elle était occupée par des peuples iroquoiens. La préhistoire des immenses étendues du Bouclier est plus étroitement apparentée à celle des régions adjacentes du nord de l'Ontario; ces deux régions étaient occupées à l'époque historique par des bandes de chasseurs de langue algonquine. L'estuaire du Saint-Laurent fut occupé tout au long de sa préhistoire par des populations qui tiraient leur subsistance des riches ressources maritimes et qui avaient des liens étroits avec la côte atlantique. À l'époque historique, des Iroquoiens occupaient la partie supérieure de l'estuaire, tandis que des Algonquins vivaient sur la Basse-Côte-Nord. Les populations de ces régions n'étaient pas isolées, et on trouve des témoignages de contacts importants. La préhistoire des Inuit et des Paléo-Esquimaux du Québec se déroula sur la côte est de la baie d'Hudson, la côte septentrionale et l'extrême est de la côte nord du golfe du Saint-Laurent. Les Paléo-Esquimaux, venus récemment d'Asie, occupèrent l'Arctique vers 2 000 av. J.-C., mais ils furent remplacés par les ancêtres des actuels Esquimaux à partir de l'an 900 de notre ère. Aussi bien les Inuit que les Paléo-Esquimaux avaient des liens culturels avec l'Extrême-Arctique. La préhistoire du Québec sera divisée en cinq périodes: La période I (de 10 000 av. J.-C. à 8 000 av. J.-C.); la période II (de 8 000 av. J.-C. à 4 000 av. J.-C.); la période III de 4 000 av. J.-C. à 1 000 av. J.-C.); la période IV (de 1 000 av. J.-C. à 500 apr. J.-C.); la période V (de 500 apr. J.-C. à l'arrivée des Européens). Dans la mesure du possible, au sein de chacune de ces périodes, on commencera avec la région méridionale (basses terres du Saint-Laurent), puis on passera dans l'ordre à la région de l'estuaire du Saint-Laurent, à la région septentrionale (intérieur du Bouclier) et à la région des côtes septentrionales. PÉRIODE I (de 10 000 av. J.-C. à 8 000 av. J.-C.) Il y a environ 12 000 ans, des chasseurs de gros gibier commencèrent à se répandre dans une grande partie de l'Amérique du Nord. Leurs ancêtres avaient vraisemblablement emprunté le large isthme qui reliait l'Asie à l'Amérique avant que celui-ci ne soit recouvert par les eaux il y a environ 14 000 ans. Chassant dans les régions non recouvertes de glaces d'Alaska et du Yukon jusqu'à il y a environ 13 000 ans, ils purent ensuite se frayer un chemin dans un corridor formé par le retrait des glaces. La plus grande partie du Canada était toujours recouverte de glaciers et de lacs glaciaires, et, au Québec, suite à la fonte des glaciers de la vallée du Saint-Laurent, la mer envahit celle-ci et pénétra jusqu'en Ontario et au Vermont. Comme le montrent les diapositives 1 et 2, la configuration de la province était bien différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Le glacier continental recouvrait la plus grande partie du territoire au nord du Saint-Laurent tandis que des baleines, des phoques et des morses peuplaient ce bras de l'Atlantique qu'on appelle mer de Champlain, qui devait être bordé au sud-est par une toundra et des pessières peu denses occupées par des troupeaux de caribous et des espèces d'animaux disparues telles que le mastodonte et le mammouth. En fait, comme le montre la diapositive 3, ce n'est pas avant 6 000 av. J.-C., et la disparition de la mer de Champlain, que la vallée du Saint-Laurent commença lentement à ressembler à ce qu'elle est aujourd'hui. Dans la plus grande partie de l'Amérique du Nord, on appelle la plus ancienne culture, à pointe cannelée, d'après un style distinctif de pointes de lance en pierre. Bien qu'on n'ait rien trouvé de la culture à pointe cannelée dans la partie habitable du Québec, la probabilité de sa présence est suggérée par l'existence de sites de cette culture dans les provinces Maritimes et les États adjacents de Nouvelle-Angleterre. Des sites seront vraisemblablement localisés dans des zones convenant à l'interception ou la prise au piège du caribou ou, peut-être, près de carrières favorables à la fabrication d'outils. Parmi ces outils pourraient figurer des pointes de lance, des couteaux, des grattoirs, des forets et des gravoirs en pierre. Il est très peu probable qu'on trouve jamais des os dans cette région aux sols naturellement acides. PÉRIODE II (8 000 av. J.-C. à 4 000 av. J.-C.) Il y a 6 000 ans, la province était libre de glaces à l'exception des hauteurs du nord-est du Québec et des régions adjacentes du Labrador. Mais comme le montrent clairement les diapositives 2 et 3, la géographie physique subit des modifications importantes au cours de la première moitié de la période. Les premières populations qui nous sont connues par des vestiges appartiennent à la culture planoenne de la vallée du Saint-Laurent, mais il semble que des populations de l'Archaïque ancien étaient également présentes. Les cultures planoenne et archaïque ancienne sont issues de la culture à pointe cannelée, qui est antérieure, mais dans des régions différentes de l'Amérique du Nord. Subséquemment, la partie supérieure de la vallée fut le domaine de l'Archaïque laurentien, et la région de l'estuaire celui de l'Archaïque maritimien. Vers la fin de la période, des chasseurs de l'archaïque bouclérien du nord de l'Ontario pénétrèrent dans la partie ouest du Bouclier québécois. La région côtière septentrionale n'était pas occupée, mais il y a 6 000 ans, des chasseurs de l'archaïque maritimien avaient presque atteint la pointe septentrionale du Labrador. LE PLANOEN: La culture planoenne naquit dans les Prairies de l'Amérique du Nord, issue de la culture à pointe cannelée, qui l'avait précédée il y a environ 10 000 ans. Des bandes de ces premiers chasseurs commencèrent à se répandre vers l'est entre le glacier qui se retirait et les lacs glaciaires, au nord, et les chasseurs de l'Archaïque ancien, au sud. La culture de ces derniers dérivait également de la culture à pointe cannelée, mais s'était développée dans l'est de l'Amérique du Nord d'une façon tout à fait distincte de la culture planoenne. Contournant la rive nord du lac Supérieur et du lac Huron, les populations planoennes atteignirent la haute vallée du Saint-Laurent, où, il y a 9 000 ans, le niveau de l'eau était le même qu'aujourd'hui. En aval de Cornwall, cependant, le lac Lampsilis (un vestige de la mer de Champlain) se retirait graduellement. Comme ces chasseurs anciens se rendirent jusqu'à la côte de Gaspésie, ils devaient posséder de bonnes embarcations et, vraisemblablement, pouvaient exploiter les riches ressources maritimes du golfe du Saint-Laurent. En fait, même pour cette période ancienne, on trouve des outils fabriqués à partir de silex noir de Gaspésie jusqu'à 800 km en amont, ce qui indique que des contacts avaient lieu entre les habitants de l'intérieur et ceux de la côte, tous de culture planoenne. La caractéristique la plus remarquable de cette culture est la remarquable délicatesse des outils en pierre taillée (pointes de lance, couteaux, grattoirs et forets). Des vestiges attestent également que des contacts culturels eurent lieu à cette époque entre la culture planoenne et la culture archaïque ancienne du Saint-Laurent, la première ayant d'ailleurs plus tard absorbé cette dernière. L'ARCHAÏQUE LAURENTIEN: Presque rien ne nous est connu de la culture archaïque laurentienne pendant cette période. Les larges pointes de dard à encoches ressemblent étroitement à des objets de l'Archaïque ancien, et on croit que l'Archaïque laurentien est issu de cultures antérieures de la haute vallée du Saint-Laurent et des Grands Lacs inférieurs. Malheureusement, les outils trouvés -- pointes à encoches, simples couteaux et grattoirs -- ressemblent beaucoup à des formes ultérieures, et il arrive souvent que les archéologues ne reconnaissent tout simplement pas l'ancienneté de ces outils omniprésents. C'est également une période où le milieu naturel était extrêmement instable, et l'habitat humain devait donc être dispersé afin d'exploiter de façon efficace des communautés animales et végétales sans cesse mouvantes. Ce mode d'établissement, allié aux transformations importantes de la géographie physique, rend très difficile la découverte de sites. Décrite pour la première fois dans l'État de New York, cette culture tire son nom de l'hypothèse (qu'on sait maintenant erronée) qu'elle est apparue dans le Bouclier laurentien. L'ARCHAÏQUE MARITIMIEN: On possède beaucoup de données sur l'Archaïque maritimien par rapport à l'Archaïque laurentien. Le golfe du Saint-Laurent et les régions adjacentes étaient peut-être déjà occupés il y a 9 000 ans. Ces populations provenaient d'une culture archaïque ancienne méridionale et se fusionnèrent vraisemblablement avec la population locale dont la culture dérivait de la culture à pointe cannelée. Ces Maritimiens pouvaient exploiter les riches ressources marines de la région, d'où leur nom. Ils possédaient sans doute des embarcations assez grosses, avec lesquelles ils voyageaient, et qui les aidaient à capturer de grands mammifères marins tels que le morse. Ils avaient parmi leurs outils des pointes de dard et de lance en pierre et de grandes haches polies pour le travail du bois. C'est au sujet des Maritimiens que nous possédons les données les plus anciennes sur de complexes rites religieux. Il y a environ 7 500 ans, on construisait des tertres funéraires faits de gros galets le long de la côte nord du golfe du Saint-Laurent et de la côte du Labrador. L'ARCHAÏQUE BOUCLÉRIEN: On croit que l'Archaïque bouclérien, contrairement à ses voisins méridionaux et orientaux, descend d'une culture planoenne de l'est du Manitoba et du district voisin de Keewatin, dans les Territoires du Nord-Ouest. En même temps que les communautés végétales et animales occupaient les terres libérées par le recul des glaciers et des étendues d'eau qui leur étaient associées, des chasseurs bouclériens se déplacèrent vers l'est et en vinrent à occuper presque tout le Bouclier canadien. D'ordinaire, les sols acides de la région dissolvent les os, mais d'après l'emplacement des sites, on en déduit que le caribou et le poisson constituaient vraisemblablement la base de l'alimentation de ces chasseurs anciens, dont les principaux outils en pierre étaient des grattoirs, des couteaux et des têtes de dard en pierre taillée. Dans ces terres subarctiques parsemées de rivières et de lacs, les gens possédaient sans doute des vêtements façonnés, des canots d'écorce et des raquettes, malgré l'absence de témoignages directs. L'Archaïque bouclérien ne se répandit pas dans tout le nord du Québec avant la dernière partie de cette période, étant donné qu'une grande partie de la région était toujours sous l'influence des glaciers qui se retiraient. PÉRIODE III (4 000 av. J.-C. à 1 000 av. J.-C.) Au cours de ces trois mille ans, la plus grande partie du Québec fut occupée par les populations laurentiennes, maritimiennes et bouclériennes de la période précédente. Toutefois, dans l'extrême nord, une population entièrement nouvelle, les Paléo-Esquimaux anciens, occupèrent il y a environ 4 000 ans les régions côtières. L'environnement devint plus stable au cours de cette période; il semble par conséquent qu'on ait occupé plus régulièrement des lieux donnés, et les sites archéologiques sont ainsi plus étendus et plus évidents. L'ARCHAÏQUE LAURENTIEN: Dans les forêts mixtes de la vallée supérieure du Saint-Laurent et du sud du Québec, les petites bandes de chasseurs laurentiens profitaient des ressources saisonnières -- surtout le gros gibier, particulièrement le cerf, régime complété par du poisson et un vaste éventail de petits animaux et de végétaux tels que les noix et les glands. Parmi les outils anciens, on trouvait des pointes de dard, des couteaux et divers outils de pierre polie, notamment des pointes de dard et des lances en ardoise, des couteaux en forme de demi-lune, des plombs à pêche ainsi que des gouges pour travailler le bois. Les outils en pierre polie furent empruntés aux Maritimiens avec lesquels ces gens étaient en contact étroit. Chez les populations vivant au sud de leur territoire, ils empruntèrent les délicats lests en pierre polie qu'ils attachaient à leurs propulseurs. Dans la vallée de l'Outaouais, antérieurement à il y a 5 000 ans, on utilisait du cuivre natif sous forme de pépites brutes provenant du lac Supérieur, et on en faisait divers outils et ornements qui étaient échangés au sud et à l'est. Ces mêmes sites ont livré des vestiges d'une complexe technologie des outils en os, et notamment des harpons et de délicates aiguilles percées. Le corps des morts était saupoudré d'ocre rouge et était enterré avec des outils, qui devaient accompagner l'esprit dans l'autre monde. L'ARCHAÏQUE MARITIMIEN: Il y a environ 7 000 ans, les Maritimiens commencèrent à pénétrer dans la vallée du Saint-Laurent en amont du confluent du fleuve et de la rivière des Outaouais et se trouvèrent ainsi en contact étroit avec les populations laurentiennes indigènes. L'étude des restes de squelettes de ces deux populations indique que celles-ci étaient robustes et en santé, mais qu'elles souffraient d'arthrite et avaient quelques fractures. Parmi les outils courants chez les Maritimiens, on trouve des têtes de dard et des lances en ardoise polie, des couteaux en forme de demi-lune, des plombs à pêche, des herminettes et des gouges ainsi que des pointes de dard et des couteaux en pierre taillée. À partir d'il y a 3 500 ans, il devient difficile de retracer ces populations. Leur disparition apparente coïncide avec la détérioration du climat dans le nord et l'expansion de la culture paléo-esquimaude ancienne et de la culture bouclérienne dans d'anciens territoires maritimiens. La technologie maritimienne ne fut pas annihilée, mais subit vraisemblablement une mutation rapide, ce qui rend difficile de reconnaître la transition vers une nouvelle culture. L'ARCHAÏQUE BOUCLÉRIEN: La population régionale d'autres cultures augmenta à cette époque, mais cela ne semble pas avoir été le cas chez les bandes bouclériennes des forêts de conifères du nord. Cela est probablement dû au fait que ces petites bandes de chasseurs continuaient de se répandre dans l'intérieur du Québec. De même, étant donné que les ressources de cette énorme région étaient limitées et fluctuantes, les possibilités d'exploitation de ce territoire par l'homme étaient plus réduites que dans d'autres régions, et la population se stabilisa donc vraisemblablement assez tôt. Parmi les outils, on retrouvait encore surtout des grattoirs, des couteaux et des pointes de dard en pierre taillée, mais l'arc et la flèche apparurent vers la fin de cette période, empruntés, semble-t-il, à la culture paléo-esquimaude ancienne. LE PALÉO-ESQUIMAU ANCIEN: Il ne fait aucun doute que l'occupation de l'Arctique, y compris du Groenland, par des populations paléo-esquimaudes anciennes il y a environ 4 000 ans est un des faits les plus spectaculaires de cette période. Les descendants de ces premiers habitants de la dernière grande région habitable du monde allaient se répandre vers le sud jusqu'au nord de la Saskatchewan, du Manitoba et du Québec, sur toute la côte du Labrador, sur une partie de celle du golfe du Saint-Laurent et, enfin, dans l'île de Terre-Neuve. Le lieu d'origine de ces gens est encore obscur, mais leur technologie laisse clairement supposer qu'ils sont originaires d'Alaska, et, antérieurement, de Sibérie. Capables d'exploiter les riches ressources marines et terrestres de l'Arctique, les Paléo-Esquimaux anciens se répandirent rapidement dans les confins septentrionaux du continent. Une caractéristique étonnante de leur technologie est la très petite dimension et la qualité remarquable d'articles tels que les microlames, les accessoires de harpons à tête basculante, les extrémités d'armes, les couteaux et les grattoirs. Ces populations sont également sans doute responsables de l'introduction de l'arc et de la flèche dans le Nouveau Monde. Chaque famille habitait une tente comportant un foyer central bordé de pierres. Le phoque et le caribou devaient constituer le gros gibier le plus important dans le nord du Québec. Enfin, il faut observer que rien ne permet d'identifier à coup sur ces gens comme étant des «Esquimaux». PÉRIODE IV (1 000 av. J.-C. à 500 apr. J.-C.) Il y a 3 000 ans, le milieu naturel de la province était semblable à celui que connurent les premiers explorateurs européens. C'est également à cette époque que se dessinent généralement les caractères culturels fondamentaux qui survécurent jusqu'à la période historique. LE POINTE-PÉNINSULIEN / LE MEADOWOODIEN: Les connaissances nécessaires pour fabriquer des récipients en terre arrivèrent dans l'est du Canada il y a 3 000 ans, venues du sud, et furent adoptées par une grande partie des peuples indigènes de l'Archaïque. Comme les poteries traversent les siècles et sont relativement abondantes, elles constituent, grâce à l'évolution des formes, un excellent repère temporel pour les archéologues et contribuent donc à différencier et à nommer diverses cultures. Cela tend à donner l'impression qu'il existait d'importantes différences entre le mode de vie des peuples de l'Archaïque et celui de leurs descendants qui faisaient usage de céramique, mais cela n'est pas le cas. Les termes «pointe-péninsulien» et «meadowoodien» désignent simplement des emplacements géographiques, dans ces deux cas dans l'État de New York, où les cultures furent d'abord reconnues. Comme l'indiquent les diapositives, la culture pointe-péninsulienne se distingue de la culture meadowoodienne sur la base de la céramique et de certains autres traits, mais comme ces deux cultures sont issues de la culture laurentienne, elles sont traitées comme des variantes d'une seule culture plutôt que comme des cultures distinctes. Notre connaissance de la culture meadowoodienne provient surtout de sépultures mises au jour accidentellement, bien qu'il existe également des sites d'habitation. Les coutumes funéraires, qui dérivent directement de celles de l'Archaïque récent, comportent l'incinération du corps des décédés ainsi que l'utilisation abondante d'ocre rouge et de nombreuses offrandes. En plus de la céramique et d'une technologie de la pierre et de l'os ayant des antécédents dans la culture laurentienne antérieure, l'arc et la flèche furent généralement adoptés au début de cette période et en vinrent à remplacer le propulseur. Occupant les forêts mixtes, ces bandes de chasseurs et de pêcheurs transformèrent leur culture sous des influences venues principalement du sud, dont les plus importantes étaient les suivantes: une culture funéraire de l'Ohio, qui pénétra dans la région du Saint-Laurent il y a environ 2 600 ans et comportait des sépultures tumulaires de terre; l'apparition, à la même époque, de pipes en pierre; et d'autres traits qui indiquaient clairement que la région faisait partie d'un actif réseau d'échanges avec d'autres cultures. LE PROTO-MICMAC: Notre connaissance de ce qui s'est produit dans le golfe du Saint-Laurent au cours de cette période de 1 500 ans est très incomplète. En Gaspésie, on croit que la culture proto-micmaque est issue de la culture maritimienne. Des liens étroits entre le Nouveau-Brunswick et cette région du Québec auraient été favorisés par des déplacements le long de la côte et le long des cours d'eau du bassin de la rivière Saint-Jean. L'ARCHAÏQUE BOUCLÉRIEN: Dans la plus grande partie du Québec au nord du Saint-Laurent, la technologie antérieure de cette culture fut conservée, mais transformée dans une certaine mesure par l'adoption de l'arc et la flèche. On retrouve également des poteries pointe-péninsuliennes très éparses le long de la côte nord jusqu'au Labrador, sur une partie de la côte de Gaspésie ainsi que dans l'intérieur, jusqu'au lac Saint-Jean, mais cet élément de technologie ne fut jamais adopté dans ces régions autant qu'il le fut plus au sud. LE LAURELLIEN: Le Laurellien est l'héritier direct du Bouclérien, qui l'avait précédé dans l'extrême ouest du Québec, mais la céramique y est présente, alors qu'elle était absente du Bouclérien. Le fait que des os aient été conservés dans des sites apparentés de l'Ontario suggère l'existence de couteaux en incisive de castor, d'aiguilles à raquette, d'alênes, de harpons détachables et de décorateurs de céramique. Les sites laurelliens de l'ouest du Québec témoignent que dans cette région, tout comme dans les régions adjacentes de l'Ontario, on utilisait des petits rognons de silex de haute qualité pour fabriquer les outils au lieu des massifs dépôts de quartzite. Les outils tendent donc à être plus petits que ceux que l'on trouve plus à l'est. LE PALÉO-ESQUIMAU RÉCENT: Il semble y avoir eu une transition de cinq siècles à partir d'il y a 3 000 ans, période au cours de laquelle le Paléo-esquimau ancien évolua pour devenir le Paléo-esquimau récent. La fusion de différents caractères, qui produisit la culture paléo-esquimaude récente, se produisit surtout dans la région de l'île de Baffin, dans les Territoires du Nord-Ouest. Apparurent des habitations hivernales semi-souterraines, des lampes à huile en pierre, des outils en ardoise polie et des burins polis. La culture paléo-esquimaude récente présente toutefois une parenté évidente avec celle du Paléo-esquimau ancien, qui l'avait précédée, comme en témoignent les microlames, le style général des harpons et d'autres traits. Certains indices donnent à croire que ces populations abandonnèrent l'arc et la flèche. On ne sait pas grand-chose de leurs coutumes religieuses, mais il est possible de s'en faire une certaine idée grâce à leurs sculptures et à leurs gravures tout à fait exceptionnelles en os, en ivoire et en bois, dont un grand nombre sont vraisemblablement reliées au chamanisme. Déjà, il y a 3 000 ans, les ancêtres des populations du Paléo-esquimau récent avaient atteint l'extrême nord-est du golfe du Saint-Laurent. PÉRIODE V (500 APR. J.-C. - CONTACTS AVEC LES EUROPÉENS) Il est très probable, bien que cela ne soit pas attesté, que des contacts eurent lieu dans le golfe du Saint-Laurent, à la fin du XVe siècle, entre pêcheurs et baleiniers autochtones et européens; les premiers échanges connus eurent cependant lieu au début du XVIe siècle à l'occasion des voyages de Jacques Cartier. Dès le début du XVIIe siècle, les contacts entre Autochtones et Européens devinrent de plus en plus importants pour les deux groupes. Toutefois, les marchandises européennes atteignirent les localités autochtones de l'intérieur bien avant les Européens eux-mêmes en raison de l'excellent réseau d'échanges autochtone. À cette époque, les cultures archéologiques du Québec peuvent être identifiées avec les cultures autochtones de la période historique que connurent les premiers Européens. C'est une période où les documents historiques peuvent jouer un rôle fondamental dans l'interprétation archéologique. Pour cette période d'à peine plus de 1 000 ans, les peuples suivants feront l'objet de notre étude: les Iroquoiens du Saint-Laurent, de la haute vallée du Saint-Laurent, les Algonquiens des Maritimes, en Gaspésie; les Algonquiens du nord, dans le Bouclier, et les Esquimaux thuléens, sur les côtes septentrionales du Québec. LES IROQUOIENS DU SAlNT-LAURENT: Page 1 de 2 (Cliquez "suite" pour aller à la deuxième partie)