LA PRÉHISTOIRE DES MARITIMES David Keenlyside Les premiers Nord-Américains La plupart des archéologues sont maintenant d'accord pour dire que les premiers habitants du Nouveau Monde arrivèrent il y a plus de 25 000 ans par le pont terrestre de l'Isthme de Béring, «Beringia». Au cours du Pleistocène supérieur, ces premiers arrivants s'adaptèrent rapidement aux conditions périglaciaires qu'ils rencontrèrent au Nouveau Monde. La recherche de nourriture et de matières premières provoqua un mouvement de population vers le sud, le long d'un couloir libre de glaces, entre la nappe glacière de la Cordillère et celle des Laurentides, jusqu'au coeur du continent. Des vestiges datés par le radiocarbone attestent que la plupart des régions des deux Amériques étaient habitées il y a 10 000 à 12 000 ans. L'est du Canada ne faisait pas exception. De 10 000 à 11 000 années avant nos jours, la plus grande partie des (provinces) Maritimes était libre de glace. À cette époque, en particulier le long de la rive sud du golfe Saint-Laurent, les terres étaient plus étendues que maintenant, du fait que le niveau de l'océan était moins élevé. Les vastes zones côtières qui émergeaient jadis sont maintenant recouvertes de vingt ou quarante mètres d'eau. La manifestation la plus spectaculaire de cette différence de physiographie était le pont terrestre qui réunissait l'Île-du-Prince-Édouard au continent, et que nous désignerons par le nom de «Northumbria». Les vestiges de paléontologie végétale de cette période de l'Holocène inférieur révèlent que le paysage d'alors ressemblait à la toundra ou à la forêt boréale et que l'épinette en était l'essence dominante. Les premiers habitants des Maritimes La présence de l'homme dans les Maritimes est un fait bien établi grâce aux découvertes archéologiques. Un des sites préhistoriques ou paléo-indiens les mieux documentés de l'est de l'Amérique du Nord se trouve près de Debert (Nouvelle-Écosse). Des fouilles pratiquées à cet endroit au début des années 1960 ont révélé l'existence d'un ancien campement de chasse au caribou. Une série de treize dates établies par le radiocarbone font remonter l'occupation de ce site à quelque 10 600 ans avant nos jours. Durant cette période de fouilles, on a exhumé une grande variété d'instruments de pierre ayant servi à la chasse et à la préparation des aliments, dont les plus remarquables sont les nombreux projectiles et couteaux cannelés qui sont considérés comme caractéristiques de ces Paléo-Indiens primitifs en Amérique du Nord. Des projectiles du même type, que l'on appelle Clovis, ont été découverts dans le sud-ouest des États-Unis, associés à des ossements d'animaux disparus, en particulier de mastodontes. Si l'on n'a pu découvrir aucun autre site aussi bien documenté que Debert dans les Maritimes, on a mis au jour dans le Maine et dans les États de la Nouvelle-Angleterre des sites semblables en ce qui a trait à l'âge et à la culture. Par ailleurs, d'autres découvertes isolées dans chacune des trois provinces Maritimes attestent la présence, à cette époque reculée, de populations anciennes dans l'ensemble de la région. On sait peu de chose au sujet des trois à cinq millénaires qui suivirent la première période d'occupation des Maritimes. Cependant, la découverte récente sur la côte septentrionale du détroit de Belle-Isle d'une ancienne culture datant d'il y a 6 000 à 8 000 ans confirme une fois pour toutes la présence d'êtres humains à cette époque. Des découvertes identiques ont été faites dans l'Île-du-Prince-Édouard et dans le centre de la Nouvelle-Écosse, elles sont étroitement apparentées à des vestiges exhumés dans le sud, jusqu'au Piedmont dans les Carolines. Ces découvertes indiquent que la plaine littorale de l'Atlantique était occupée par une population adaptée au milieu maritime et fluvial, dont les membres furent peut-être les ancêtres directs des premiers chasseurs paléo-indiens. Probablement peu nombreuses, ces populations étaient peut-être composées de petits groupes qui effectuaient des migrations saisonnières vers le nord, à la recherche de ressources particulières, et qui retournaient passer l'hiver dans le sud. Des découvertes isolées faites le long de la côte septentrionale de la Gaspésie, au coeur du Nouveau-Brunswick et au coeur de la Nouvelle-Écosse attestent des échanges culturels ininterrompus entre l'intérieur du continent et les Maritimes. Appartenant à une culture distincte connue sous le nom de Plano et datant d'il y a 7 000 à 9 000 ans, ces vestiges sont étroitement apparentés aux témoins de la culture Plano découverts dans les Grandes Plaines. Les sites de culture Plano découverts dans les Maritimes sont peu nombreux, ce qui donne à penser que l'influence de cette culture ne fut pas considérable. Depuis 10 000 ans, le climat s'est nettement modifié, devenant plus chaud et plus sec. La forêt composée en majeure partie d'épinettes a peu à peu fait place aux pins, puis à un peuplement mixte, principalement de sapins du Canada, de hêtres et de bouleaux durant l'époque de l'optimum climatique post-glaciaire de l'Holocène moyen, de 1 500 à 8 000 ans avant nos jours. De 5 000 à 6 000 ans avant aujourd'hui, une importante tradition culturelle concentrée à l'intérieur des terres et connue sous le nom de Laurentienne archaïque prit racine dans le Nord-Est. Plus marquée dans les États de New York et du Vermont, dans le sud de l'Ontario et au Québec, cette influence Laurentienne ne joua qu'un rôle mineur dans les Maritimes. En revanche, cette région vit se développer une tradition apparentée, connue sous le nom de Maritime archaïque, dont l'origine n'est pas tout à fait claire, bien que les gens de cette tradition fussent probablement les descendants des populations qui habitaient la plaine côtière de l'Atlantique et dont il est fait mention plus haut. Les premiers témoins de la culture Maritime archaïque furent découverts en Nouvelle-Angleterre, au XIXe siècle. Les lieux de sépultures complexes qu'on y mit au jour furent par la suite désignés par le nom de Tradition Moorehead des Indiens aux sépultures d'ocre rouge, en raison des ossements et des objets façonnés que l'on y trouva enduits d'ocre rouge. L'un des sites les plus importants du Maritime archaïque a été découvert à Cow Point (Nouveau-Brunswick). La datation par le radiocarbone a permis d'établir l'âge du site à 3 800 ans. Des sites identiques du nord-est des Maritimes datent d'il y a 3 400 à 5 000 ans. À Cow Point, les archéologues ont mis au jour de nombreuses sépultures associées à un grand nombre d'objets fonctionnels et ornementaux. La culture Maritime archaïque et la culture Laurentienne archaïque se caractérisaient toutes deux par une technologie avancée de la pierre polie, comme l'attestent les divers objets remarquablement façonnés en ardoise polie. Ces populations ont également laissé des herminettes, des gouges et des pendentifs en pierre. Leur culture se caractérisait par des technologies maritimes et fluviales, dont on sait que les traditions se sont propagées du Labrador jusqu'au sud de la Nouvelle-Angleterre. Elles reflètent par conséquent la mobilité croissante d'une population capable de naviguer. D'après ce que nous savons actuellement de l'archéologie des Maritimes, la culture Maritime archaïque fut suivie d'un hiatus d'environ 1 000 ans. On retrouve ensuite des sites vieux de 2 300 ans. À cette époque, une industrie de la céramique bien développée fait son apparition dans les Maritimes. La technologie de la céramique avait pris naissance en Amérique du Sud ou en Amérique centrale, où l'on fait remonter à 5 500 ans avant nos jours les premiers vestiges de cette tradition. On ignore toujours si les populations des Maritimes apprirent cette nouvelle technologie à la suite de mouvements migratoires ou par simple transmission des connaissances. Dans le cas de la céramique, la dernière hypothèse semble la plus plausible. Si l'on fait abstraction de la céramique, l'outillage de l'époque préhistorique récente ne diffère pas considérablement de celui de la période archaïque. Cependant, l'industrie de la pierre polie est en nette régression. Ce fait peut s'expliquer par un usage accru de l'écorce de bouleau comme matériau de construction, qui aurait réduit le besoin d'outillage lourd pour le travail du bois. Le mystère de la culture Adena Les témoignages de l'évolution des populations indigènes dans les Maritimes présentent une déviation fort intéressante. Il s'agit des vestiges du site d'Augustine, un vaste tertre funéraire situé sur un bras de la rivière Miramichi, dans le nord-est du Nouveau-Brunswick, et datant des IIIe et IVe siècles av. J.-C. Ce site a livré des preuves de l'existence d'un culte funéraire complexe relevant d'une culture qui n'avait pas pris naissance dans les Maritimes, mais dans la région de la rivière Ohio, dans le Midwest américain. Connue sous le nom d'Adena, cette culture exerça une influence dans toute la partie orientale du continent. Les objets exhumés au site d'Augustine diffèrent des objets associés à la culture matérielle locale. Des matières premières provenant de carrières connues situées à l'ouest jusque dans l'Illinois, le Michigan et l'Ohio avaient servi à fabriquer des objets et elles se distinguaient souvent par leur qualité exceptionnelle. Les vestiges les plus remarquables du tertre funéraire étaient peut-être les 1 500 perles roulées et plus, fabriquées avec du cuivre extrait du sous-sol de la région du nord du lac Michigan ou du lac Supérieur. La formation de sels de cuivre dans le tertre funéraire d'Augustine avait permis la préservation de nombreux objets périssables tels que des pièces de vannerie, des tissus, de la corde et des cheveux. De leur coté, les Adenas disparurent aussi rapidement qu'ils étaient apparus. Il est fort probable que les derniers survivants de cette culture finirent par être assimilés par les populations locales. La vie près de l'eau Les 2 000 dernières années de la préhistoire des Maritimes constituent la période la mieux connue des archéologues. Ce fait est attribuable non seulement à un accroissement de la population, mais à un plus grand nombre de sites préservés. Les régions des Maritimes qui furent les plus exploitées par les populations préhistoriques sont les estuaires de marée abrités et les lagunes d'eau salée, qui se caractérisent par l'abondance de la faune marine, en particulier des oiseaux aquatiques, des coquillages et des crustacés. Les espèces migratrices telles que le saumon et l'anguille étaient particulièrement recherchées dans ces zones. Le site archéologique d'Oxbow sur le réseau du Miramichi recèle les vestiges documentés d'une série d'occupations s'échelonnant sur des milliers d'années et coïncidant avec les remontes saisonnières du saumon. C'est au cours de ces 2 000 dernières années que se sont déposés la plupart des amas de coquillages ou déchets de cuisine bien connus au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Une centaine de ces amas ont été signalés autour de la baie Passamaquoddy seulement, dans le sud du Nouveau-Brunswick. La plupart de ces accumulations de coquillages datent d'il y a 500 à 1 300 ans. Des sites remontant à peu près de la même époque ont été découverts en Nouvelle-Écosse, près du port de Merigomish, de la baie Mahone et de la rivière Bear, ainsi que le long de la côte septentrionale de l'Île-du-Prince-Édouard. À certaines époques de l'année, les coquillages constituaient un élément très important du régime des populations préhistoriques. La pêche et la chasse aux oiseaux et aux mammifères marins et terrestres se pratiquaient à longueur d'année, mais surtout en saison. Le mode de subsistance par migrations périodiques qui consistait à choisir d'une saison à l'autre la région la plus productive fut probablement adopté très tôt dans les Maritimes. Ce n'est toutefois que depuis environ deux mille ans que les débris d'animaux se sont suffisamment bien préservés pour permettre aux archéologues de déterminer l'utilisation saisonnière de ces sites. Les écarts d'ordre temporel et culturel que présentent les collections de l'époque préhistorique récente se rapportent surtout à la forme et à la décoration des céramiques. Les changements technologiques et de style qu'a subis l'industrie des outils de pierre fournissent également des indices permettant d'identifier les objets façonnés de cette période. Début de la période historique Les événements marquants qui se sont produits dans les Maritimes au début de la période historique soulignent l'importance de cette partie du Nouveau Monde, où les explorateurs européens commencèrent leur découverte du continent. Du XIe au XIVe siècle, des marins scandinaves naviguant vers l'ouest à partir de l'Islande et du Groenland atteignirent l'est de l'Arctique canadien et le nord de Terre-Neuve et pénétrèrent peut-être aussi dans le golfe Saint-Laurent, mais ces premières incursions ne semblent pas avoir laissé de traces sur les populations indigènes. À l'époque des premiers contacts avec les Européens, la population autochtone des Maritimes s'élevait à quelque 5 000 à 6 000 habitants appartenant à la famille linguistique algonquienne et divisés en deux groupes linguistiques distincts. Les Micmacs (Souriquois), au nombre d'environ 4 000, occupaient l'ensemble de la Nouvelle-Écosse, la péninsule de Gaspé, l'île du Cap-Breton, l'Île-du-Prince-Édouard et le nord-est du Nouveau-Brunswick. Les Malécites (Etchemins) de Passamaquoddy, qui comptaient environ un millier d'individus, occupaient l'ouest et le sud du Nouveau-Brunswick. L'histoire du passé lointain de l'homme dans la région des Maritimes est longue et complexe, et s'échelonne sur plus de 500 générations d'occupants autochtones. Bien que les archéologues soient maintenant en mesure de brosser un tableau des particularités des divers groupes culturels et de leurs traditions technologiques, de nombreuses questions demeurent sans réponse. Étant donné la destruction accélérée des sites archéologiques par l'action de l'homme et de la nature - en particulier par l'érosion côtière - il est urgent d'accélérer les recherches si nous voulons préserver les témoignages de la période la plus reculée et la plus longue de notre passé national.