LA PRÉHISTOIRE DE L'ONTARIO J.V. Wright Introduction Cet essai offre un aperçu des événements qui se sont déroulés en Ontario durant 11 000 ans. L'auteur s'est efforcé d'employer un langage simple et d'éviter les concepts abstraits; sa tâche a consisté à rendre clair ce qui est en réalité obscur et complexe et, d'autre part, à retenir une seule interprétation, alors qu'il en existe plusieurs qui sont contradictoires. Néanmoins, la plupart des archéologues souscriront aux idées de fond qui sont présentées. L'archéologie est une discipline qui reconstitue l'évolution de l'homme et ses réalisations avant l'apparition des documents écrits. Même si Samuel de Champlain fut en mesure de faire de précieuses observations sur les Hurons avec qui il hiverna en 1615-1616, il fut incapable d'expliquer leurs origines, comment ils avaient appris à cultiver le maïs, les haricots et la courge, ou encore quand ils commencèrent à fumer. Le rôle de l'archéologue consiste à élucider ces mystères. Pour y parvenir, les archéologues ont mis au point un vaste éventail de techniques de travail sur le terrain et en laboratoire qui permettent de reconstituer les cultures d'antan. Ces reconstitutions ne sont évidemment que des approximations grossières, mais avec les nouveaux éléments qui viennent constamment s'y ajouter, elles se modifient sans cesse et, en général, se raffinent. La masse considérable d'objets qu'étudient les archéologues consistent surtout en outils fragmentaires et en ossements provenant de dépotoirs. En fait, les archéologues sont de simples collectionneurs et analystes de «déchets préhistoriques». Cependant, la plupart des cultures qu'ils tentent de reconstituer sont depuis longtemps disparues. Si vous jetez un coup d'oeil autour de vous dans la pièce où vous lisez actuellement et faites abstraction de tout ce qui vous entoure, sauf du verre, de la porcelaine, de la brique et de quelques autres objets impérissables, vous vous rendrez compte du peu de données dont disposera l'archéologue de demain pour analyser notre propre culture. Toutefois, un assez grand nombre d'indices échappent aux ravages du temps et de la nature pour permettre aux archéologues de lever le voile sur le passé. La fabrication des outils en pierre et en os, la construction des maisons et l'inhumation des morts variaient d'une culture préhistorique à l'autre. Certains groupes étaient axés sur la chasse, d'autres sur l'agriculture; quelques-uns étaient orientés vers la fabrication de céramiques, d'autres pas. C'est précisément cette myriade de similitudes et de différences qui permet à l'archéologue de distinguer les divers groupes culturels préhistoriques et d'évoquer leur évolution dans le temps. Lorsqu'ils traitent des cultures préhistoriques, les archéologues commencent habituellement par les plus anciens groupes connus pour arriver ensuite à la période historique, qui correspond à l'époque des récits que nous léguèrent les explorateurs européens. En procédant ainsi, ils peuvent passer du plan simple (ignorance) au plus complexe (connaissance). Cependant, lorsqu'il s'agit d'établir des rapports, ils partent souvent de la période historique et remontent progressivement jusqu'à la préhistoire. En d'autres termes, ils vont du connu à l'inconnu. Après avoir été repérés, les villages autochtones de l'ère historique décrits par les premiers explorateurs et missionnaires ont pu être attestés par la présence d'objets de troc européens et d'autres indices. Les objets en terre cuite, en pierre et en os des Aborigènes, trouvés à côté des outils en métal et des perles en verre des Européens, sont ensuite comparés à ceux d'un site voisin ne contenant pas d'objets européens; s'il y a similitude, on peut supposer que le dernier site a été occupé par les ancêtres de la population qui y vécut. Les pièces et autres vestiges recueillis dans le village préhistorique sont ensuite comparés à ceux d'autres villages, et partant de l'hypothèse selon laquelle le degré de similitude traduit un lien dans le temps, il est possible de remonter dans le passé en suivant une chaîne de sites successifs ayant comme point de départ les sites historiques identifiés. Cette série de sites représente l'évolution préhistorique d'une population qu'ont identifiée les documents historiques. L'avantage appréciable de cette méthode tient au fait qu'elle permet aux archéologues d'établir des reconstitutions plus justes sur la culture des Autochtones en recourant à des études historiques et contemporaines. En effet, les quelques vestiges exhumés des sites préhistoriques ne pourraient nous fournir de telles données. Pour recréer l'histoire à partir des documents vagues et fragmentaires légués par l'homme préhistorique, l'archéologue doit se transformer en homme à tout faire. Ainsi, il doit posséder suffisamment de connaissances en géologie pour distinguer ce qui est l'oeuvre de l'homme de celle de la nature, pour identifier les différentes variétés de roches, et pour analyser la formation et l'évolution des sols; une connaissance suffisante de la biologie doit lui permettre d'identifier et d'expliquer les restes animaux et végétaux. Des notions de chimie, de physique, de mathématique et de plusieurs autres disciplines sont en outre indispensables à la recherche archéologique. Cependant, l'archéologue doit avant tout s'efforcer de mieux connaître et comprendre l'homme. Les outils fragmentaires découverts autour des anciens campements ne sont que des déchets. Les contours imprécis et autres traits caractéristiques des maisons anciennes ne constituent que l'ombre de ce qui existait. Mais tout cela est l'oeuvre du génie créateur de l'homme. Le Nord et le Sud de l'Ontario et les périodes archéologiques La division de l'Ontario en deux grandes régions, le Nord et le Sud, permet de mieux cerner la préhistoire des Amérindiens qui occupèrent jadis la province. Presque toute la région septentrionale fait partie du Bouclier canadien et est surtout couverte par des forêts de conifères, alors que la région méridionale se compose principalement de feuillus. À la faveur de son climat plus doux, le Sud de l'Ontario a toujours été beaucoup plus densément peuplé que le Nord, caractérisé par des conditions plus rigoureuses. Les mêmes conditions persistent de nos jours, tel que le démontre l'emplacement des noyaux de populations. Les richesses archéologiques qui se trouvent dans le Sud sont plus difficiles à identifier, en raison d'interactions très complexes entre les divers groupes culturels qui s'y implantèrent et d'autres venus de l'extérieur. En revanche, le Nord est caractérisé par une grande homogénéité culturelle, ce qui permet de tirer certaines conclusions à partir de données archéologiques relativement limitées. Les indices dont nous disposons tendent à prouver que la préhistoire de ces deux régions s'est déroulée de façon très différente depuis les temps les plus reculés jusqu'à la période historique. Il y eut certes des échanges culturels entre les populations limitrophes de ces deux régions mal définies, mais qui auraient été relativement peu déterminants. La préhistoire de l'Ontario se divise en quatre périodes: le Paléo-Indien (9 000 à 5 000 av. J.-C.), l'Archaïque (5 000 à 1 000 av. J.-C.), le Sylvicole initial (1 000 av. J.-C. à 1 000 apr. J.-C.) et enfin, le Sylvicole tardif (de l'an 1 000 apr. J.-C à la période historique). Cette dernière période prit fin peu de temps après l'arrivée des Européens qui introduisirent les documents écrits décrivant les populations autochtones, ce qui marque les débuts de l'ère historique. Les périodes susmentionnées sont les divisions arbitraires choisies par les archéologues afin de faciliter l'étude des quelque onze millénaires de préhistoire ontarienne. Il serait pratique de pouvoir découper le temps en quatre périodes distinctes et de les traiter indépendamment les unes des autres. Or, la réalité n'est pas aussi simple et il nous faut tenir compte de zones obscures entre ces quatre grandes périodes et à l'intérieur de chacune d'elles. Toutes possèdent cependant des caractéristiques qui leur sont propres. La période paléo-indienne (9 000 à 5 000 av. J.-C.) En archéologie, on a désigné de «Clovis» les premiers habitants de l'Ontario. La culture de Clovis couvrait tout le continent nord-américain, à l'est des Rocheuses, et s'étendait au sud jusqu'en Amérique centrale. D'aucuns croient que ces peuples traversèrent d'Asie en Amérique du Nord à une époque où les deux continents étaient réunis par un isthme assez large dans la région connue de nos jours comme le détroit de Bering. La similitude des vestiges archéologiques recueillis sur une très vaste étendue révèle une occupation rapide de l'Amérique du Nord. Les populations qui habitaient l'Ontario étaient sans doute des chasseurs de caribou et, semble-t-il, de mammouth et de mastodonte, maintenant disparus. Des pointes de jet propres à cette culture furent trouvées dans le Sud de l'Ontario seulement, car le Nord était encore recouvert par le glacier continental à l'époque. Des campements jadis occupés par les chasseurs furent récemment mis au jour le long de la ligne de rivage du lac Algonquin, ancien lac glaciaire couvrant une partie du Sud de l'Ontario et qui, aujourd'hui, est asséché. À la culture de Clovis succéda la culture de Plano. Il semble qu'elle se soit surtout développée dans les Plaines et qu'elle ait pénétré l'Ontario septentrionale par l'ouest et un peu aussi par le sud-ouest. Les peuples de cette culture étaient également chasseurs de gros gibier. Nombre de carrières occupées par ces populations furent découvertes le long des rives des lacs Supérieur et Huron, où des pierres telles que la taconite et le quartzite servirent à la fabrication d'outils. Ces carrières, autrefois situées sur la rive du lac, se trouvent maintenant à environ six milles à l'intérieur des terres et à quelque 200 pieds au-dessus du niveau actuel du lac Supérieur. L'archéologue en quête de gisements paléo-indiens doit donc avoir des notions de géologie pour comprendre les phénomènes qui modifièrent le niveau des lacs et la configuration du terrain. Les outils typiques des cultures de Clovis et de Plano comprennent des pointes de jet servant à abattre le gibier, des couteaux à dépecer, des grattoirs utilisés pour façonner des outils en bois et en os et pour apprêter les peaux, et enfin des becs pour le travail délicat du bois. Reconstituer le mode de vie de ces anciens chasseurs à partir des quelques outils de pierre qui ont survécu aux années représente une tâche considérable. D'après ce que nous connaissons du climat d'alors, nous pouvons déduire que les Paléo-Indiens portaient des vêtements en peaux et construisaient des cabanes pour se protéger contre les intempéries. Leurs croyances religieuses étaient sans doute étroitement liées au succès de la chasse dont dépendait leur survie. Pendant presque toute l'année, ils chassaient en petits groupes isolés de familles, mais se réunissaient périodiquement en bandes lorsque le gibier était plus abondant, notamment lors des déplacements saisonniers des caribous. Les cultures paléo-indiennes continuèrent d'exister, mais leur évolution amena les archéologues à les désigner autrement. Dans l'est de l'Amérique du Nord, la culture de Clovis donna naissance à diverses traditions archaïques; dans l'ouest, la culture de Plano, qui provenait de celle de Clovis, engendra, à son tour, plusieurs cultures qui ont été regroupées pour constituer la période archaïque. La période de l'Archaïque (5 000 à 1 000 av. J.-C.) Il y eut en Ontario deux cultures archaïques fort différentes l'une de l'autre. Dans le nord de la province, on retrouve la culture archaïque du Bouclier, vraisemblablement issue de la culture de Plano et dont elle conserva presque intégralement le mode de vie. Cette culture tire son nom des sites mis au jour sur une vaste étendue du Bouclier canadien, allant du Labrador au nord du Manitoba, jusqu'au district de Keewatin au centre des Territoires du Nord-Ouest. On se nourrissait surtout de caribou et de poisson, mais aussi d'ours, de castor, de lièvre et de gibier d'eau. Soulignons cependant que ces énoncés ne sont que conjectures, car l'acidité des sols n'a épargné que peu d'ossements. L'emplacement de ces sites le long des cours d'eau et dans les îles porte à croire que les populations du Bouclier utilisaient un type quelconque d'embarcation, probablement le canot d'écorce de bouleau. Afin de pouvoir se déplacer dans la neige profonde de l'hiver, elles fabriquaient sans doute des raquettes. En bref, leur mode de vie semble sur bien des points analogue à celui des populations algonquiennes qui habitaient le nord au début de l'ère historique. En effet, on a avancé une hypothèse selon laquelle les Saulteux, les Cris, les Algonquins et les Montagnais tiraient leur origine de la culture du Bouclier. Les forêts de feuillus du Sud de l'Ontario étaient occupées par des habitants, dont la culture était tout à fait différente de celle de leurs voisins du Nord et qu'on désigna de populations de la tradition archaïque laurentienne. Ils se nourrissaient de chevreuils, d'élans, d'ours et de castors qu'ils chassaient avec des chiens et complétaient leur alimentation avec du petit gibier, du poisson, des crustacés et des baies. Ils fabriquaient, outre des pointes de projectile, des couteaux et des grattoirs en pierre taillée, des haches et des herminettes en pierre polie pour travailler le bois, ainsi que des pointes en ardoise polie, des lances et des couteaux et un vaste éventail d'objets en os tels que harpons, ciseaux, hameçons, alênes, aiguilles, perles et peignes. Le troc avec les populations archaïques du Bouclier leur procura du cuivre natif du lac Supérieur qu'ils employaient pour fabriquer des pointes de jet, des alênes, des aiguilles, des bracelets, des perles, des herminettes et maints objets pratiques ou décoratifs. D'après des fouilles effectuées dans des cimetières archaïques laurentiens des régions frontalières du Québec et de l'État de New York, nous savons que ces populations étaient robustes et que rares étaient les fractures, l'arthrite et les pertes de dents dues à des infections des gencives. On a constaté quelques cas de mort violente: fractures du crâne, pointes de jet logées dans les os ou la poitrine, et squelettes décapités. Il est même attesté qu'une opération, ratée, s'est déroulée dans l'État de New York pour extraire le fût d'une pointe de jet logée dans le front d'un homme. Les populations de la tradition archaïque laurentienne participaient à un vaste réseau commercial: d'où leurs objets de parure faits de conques du golfe du Mexique, de perles de coquillage de la Côte atlantique, de cuivre du lac Supérieur et de silex étranger provenant de sources très diverses. Il est à peu près certain que ces pièces furent introduites dans le Sud de l'Ontario par le troc plutôt que par des groupes de commerçants qui auraient parcouru les grandes étendues de l'Amérique du Nord. On ne possède aucune donnée sur le type d'habitations des populations de la tradition archaïque laurentienne de l'Ontario. Cela n'est guère étonnant, car les sites fouillés par des archéologues n'étaient que des campements saisonniers faits de constructions temporaires qui n'ont laissé aucune trace. Par ailleurs, il est également prouvé qu'à la suite d'un réchauffement du climat survenu il y a plus de 5 000 ans, l'été se serait prolongé d'un mois, rendant d'autant moins nécessaire la construction d'habitations plus résistantes. Toutefois, vers la fin de l'automne, les familles se dispersaient pour gagner leur territoire de chasse respectif pour l'hiver, où elles bâtissaient probablement des maisons plus solides. Celles-ci étaient, semble-t-il, très petites, ce qui expliquerait pourquoi aujourd'hui l'archéologue a tant de mal à les repérer, plusieurs milliers d'années après qu'elles furent abandonnées. La période du Sylvicole (1 000 av. J.-C. à la période historique) L'apparition de vases en poterie dans les sites de l'Ontario marqua le début de la période du Sylvicole. C'est l'événement culturel le plus important de cette période. Durable et souvent abondante (une seule pièce donne de nombreux tessons), la céramique fournit à l'archéologue un moyen pratique de distinguer les sites sylvicoles (présence de céramique) des sites archaïques ou plus anciens encore (absence de céramique). Il existe maintenant maintes preuves attestant que la culture laurentienne et la culture archaïque du Bouclier s'adonnaient à la poterie, et pour faciliter la tâche de l'archéologue, elles ont été regroupées sous le vocable de «culture du Sylvicole». Il n'y a pas de rupture dans l'évolution culturelle qui s'étend de la période paléo-indienne à la période archaïque. Dès l'an 2 000 av. J.-C., on fabriquait des récipients en terre cuite dans le sud-est des États-Unis. En l'an 1 000 avant notre ère, les techniques de fabrication de la poterie gagnèrent le Nord et atteignirent plusieurs régions du Sud de l'Ontario. La période du Sylvicole est bien mieux connue que les périodes archaïque et paléo-indienne qui la précèdèrent, car elle fut, selon toute évidence, marquée par une expansion démographique, d'où une augmentation du nombre de sites; en outre, les vestiges archéologiques de cette époque résistèrent davantage aux ravages du temps. Afin de faciliter l'étude de cet imposant corpus, la période du Sylvicole a été divisée en deux: le Sylvicole initial et le Sylvicole tardif. Le Sylvicole initial englobe les peuples des traditions archaïques qui s'adonnèrent à la poterie entre 1 000 et 700 av. J.-C. ainsi que leurs descendants jusqu'à environ 1 000 apr. J.-C. Le Sylvicole tardif recouvre les cultures préhistoriques, ancêtres des populations autochtones historiques telles que les Cris et les Hurons. À mesure que progresseront les recherches archéologiques, le Sylvicole tardif couvrira probablement une période plus reculée, et l'an 1 000 av. J.-C., point de démarcation entre les deux Sylvicoles, devra donc être modifié en conséquence. La période du Sylvicole initial (1 000 av. J.-C. à 1 000 apr. J.-C.) Cinq cultures principales appartenant au Sylvicole initial ont été identifiées en Ontario: Meadowood, Pointe Péninsule, Saugeen et Pointe Princesse dans le Sud de l'Ontario et les régions limitrophes du Québec et de l'État de New York, et enfin, la culture de Laurel dans le Nord de l'Ontario et les provinces et états voisins. La culture de Meadowood semble s'être fixée au sud de l'Ontario dans les régions frontalières à partir de son foyer principal situé au Québec et dans l'État de New York. Des récipients en poterie attribués à cette culture furent trouvés dans presque tout le Sud de l'Ontario, mais généralement en parallèle avec des vestiges appartenant aux cultures de Pointe Péninsule et de Saugeen. Le peu que l'on sait de la culture de Meadowood provient de sites du Québec et de l'État de New York, particulièrement des cimetières découverts par accident. Les rites de sépulture de la fin de la période archaïque se poursuivirent et se raffinèrent, et l'incinération devint pratique courante. Les sépultures renfermaient souvent un riche mobilier funéraire en pierre et en cuivre et un nombre considérable de lames en silex triangulaires, taillées avec soin, dans le seul but d'être placées dans les tombes. En outre, des minéraux naturels tels que l'hématite, la limonite et le graphite utilisés pour peindre le corps et certains objets furent fréquemment retrouvés dans les sépultures. La culture de Meadowood se développa de l'an 1000 à 500 av. J.-C., puis se transforma progressivement pour s'intégrer à la culture de Pointe Péninsule. La culture de Pointe Péninsule occupa le Sud de l'Ontario et s'étendit de Toronto vers l'est jusqu'au Québec et à l'État de New York pendant environ 1 000 ans, soit de 700 av. J.-C. à 700 de notre ère. Plusieurs villages et cimetières appartenant à la tradition de Pointe Péninsule furent mis au jour. La plupart n'étaient que de petits camps, sauf quelques-uns dont la superficie couvrait plusieurs acres. Il s'agissait manifestement de campements saisonniers qui furent non seulement occupés par des générations successives de la culture de Pointe Péninsule, mais aussi par d'autres peuplades qui la précédèrent et la suivirent. Ces lieux recelaient d'ordinaire d'abondantes ressources alimentaires saisonnières, notamment d'esturgeons du printemps, ce qui attira les pêcheurs pendant plusieurs millénaires. Les populations de Pointe Peninsule fréquentèrent ainsi les mêmes emplacements saisonniers que leurs ancêtres de la culture archaïque. Ils apportèrent assurément des changements internes, notamment dans la fabrication de leurs outils; on assista à l'abandon de certaines pratiques et à l'adoption de nouvelles idées. Mais dans l'ensemble, ils ne connurent pas de changements majeurs; on s'imagine de petits groupes de chasseurs se déplaçant inlassablement d'un campement à l'autre pour assurer leur subsistance sans se soucier outre mesure des événements qui se déroulaient à l'extérieur de leur territoire immédiat. Vers le début de l'ère chrétienne, les populations de la culture de Pointe Péninsule subirent l'influence d'idées nouvelles concernant les rites funéraires. Originaires de la culture Hopewell dans la région de l'Ohio, ces idées à caractère religieux leur parvinrent via l'État de New York. Le changement le plus remarquable emprunté au Sud fut la tradition des monticules funéraires. Au cours de cette période, les pièces trouvées dans les sépultures consistèrent principalement en objets de silex provenant de l'Ohio, de la Pennsylvanie et de l'est de l'État de New York. Les anciens réseaux d'échanges de conques du golfe du Mexique et de la côte de l'Atlantique à l'est et de cuivre natif du lac Supérieur, qui furent établis à la période archaïque, demeurèrent inchangés. Des objets en catlinite de l'Ohio et en argent de Cobalt (Ontario) apparaissent dans les sépultures. D'autres, provenant de la vallée de l'Ohio, tels des boucles d'oreille en cuivre, des pipes en pierre, des fragments ciselés de crânes de loups et d'ours (probablement des éléments de coiffure) et des «flûtes de Pan» en cuivre font également leur apparition. La manifestation la plus impressionnante de ces nouvelles pratiques funéraires est certes le monticule du Serpent, long de 194 pieds, découvert au lac Rice au sud-est de Peterborough. Cependant, dans le Sud de l'Ontario, les sites où l'on a découvert des tertres et des signes de cérémonial de Hopewell sont relativement peu nombreux et confinés à la vallée du Saint-Laurent et aux limites méridionales de la province. La culture de Saugeen se développa dans le Sud de l'Ontario, concurremment avec la culture de Pointe Péninsule, ainsi que dans la région située entre les lacs Huron et Érié, à l'ouest de Toronto. Cette culture, très proche de celle de Pointe Péninsule, s'en distingua par une légère différence dans l'ascendance archaïque et la situation géographique. La plupart des villages et campements de la culture de Saugeen découverts jusqu'à présent furent trouvés en bordure de rapides ou à l'embouchure de rivières et de ruisseaux se déversant dans les lacs Huron et Érié. Les ossements, vestiges alimentaires, qui en furent exhumés consistaient surtout en arêtes de poissons qui frayaient dans les rivières avoisinantes, du printemps au début de l'été. Ces sites constituaient sans doute les emplacements saisonniers où séjournaient périodiquement les populations de Saugeen; il s'agissait de lieux de pêche privilégiés où se réunissaient au printemps plusieurs familles pour former une petite communauté. Ils saisissaient sans doute ces occasions pour célébrer les mariages et les autres cérémonies auxquelles était conviée toute la population. Ils occupaient probablement ces villages pendant l'été et une partie de l'automne. C'est sans conteste la première fois que des maisons rectangulaires aussi grandes, munies de foyers et de fosses furent identifiées à partir des traces laissées dans le sol par les murs et les pieux intérieurs. Selon toute vraisemblance, ces villages étaient abandonnés à la venue de l'hiver. C'est alors que les familles se dispersaient pour regagner leur territoire de chasse respectif. Ces migrations étaient essentielles à la survie, car faute de réserves alimentaires, notamment de maïs, de nombreuses familles ne pouvaient se nourrir pendant l'hiver et devaient se disperser à travers le pays. Bien que la naissance de la culture Saugeen, issue du peuple archaïque aux alentours de 700 av. J.-C., soit bien documentée, son sort reste un mystère. Il est possible qu'elle se soit peu à peu transformée pour engendrer la culture de Pointe Princesse. La culture de Pointe Princesse occupa la rive nord du lac Érié et l'extrémité ouest du lac Ontario entre 500 et 1 000 apr. J.-C. On connaît peu de choses de ces populations, si ce n'est que leurs sites étaient petits et souvent situés dans des vallées fluviales où les sédiments déposés par les crues printanières finissaient par les recouvrir. Un fait est cependant digne de mention: les populations de la culture de Pointe Princesse furent les premières en Ontario à cultiver le mais. Toutes les plantes cultivées par les Autochtones furent d'abord domestiquées dans des contrées très au sud, puis elles pénétrèrent progressivement les régions du Nord. Ainsi, le maïs, qui était cultivé dans le nord du Mexique il y a environ 5 000 ans, ne fut introduit en Ontario que vers l'an 500 apr. J.-C., dans les régions de Windsor et de Niagara. Ces diverses plantes ne s'adaptèrent que graduellement aux saisons de croissance de plus en plus courtes et au climat de plus en plus rigoureux à mesure qu'elles étendaient leur aire de distribution vers le nord. Elles furent en outre introduites individuellement. Ainsi, l'introduction d'une sorte de tabac dans l'est du Canada est antérieure à celle du maïs d'à peu près 1 000 ans. En revanche, la culture de celui-ci précéda d'environ 1 000 ans celle du haricot. Les archéologues ne font que commencer à se pencher sur les changements qu'engendrèrent la culture du maïs et la sédentarisation d'un peuple jusque-là nomade et chasseur. Pendant que se déroulèrent dans le Sud de l'Ontario les événements décrits ci-haut, la culture de Laurel se répandit, de 700 av. J.-C. à l'an 1 000 de notre ère, dans l'ouest du Québec, le centre du Manitoba jusqu'en Saskatchewan ainsi que dans le nord du Minnesota. Cette culture qui occupa la forêt boréale du Bouclier canadien remplaça la tradition archaïque du Bouclier, avec en plus l'apport de la céramique. La poterie de Laurel est très apparentée à celles de Pointe Péninsule et de Laurel du Sud de l'Ontario, ce qui porte à croire que les populations nordiques empruntèrent à leurs voisins du sud leurs techniques de fabrication de la céramique. Divers types de grattoirs en pierre pour apprêter les peaux, travailler le bois ou façonner les os dominaient l'outillage des populations de Laurel; l'usage des pointes de flèches, des lances, des couteaux, des percuteurs et des plombées de filet était également assez répandu. Les outils en os comprenaient des alênes, des harpons, des couteaux faits d'incisives de castor, des aiguilles à filet servant à fabriquer les raquettes, et des poinçons à poterie. Parmi les objets en cuivre, on a trouvé des perles, des bracelets, des alênes, des morceaux d'hameçons composites et des ciseaux. Rien n'a subsisté de leurs objets en bois, en écorce et en cuir qui pourtant constituaient les pièces les plus communes et les plus raffinées de leur culture matérielle. Il appert maintenant que ces chasseurs de l'âpre forêt boréale n'ont pas entièrement vécu isolés du monde extérieur. Des vestiges des cultures matérielles de Meadowood et de Saugeen ont été trouvés dans des gisements de Laurel et vice versa. Dans l'ouest, entre le lac Supérieur et la frontière du Manitoba, plus particulièrement en bordure de la rivière à la Pluie, les populations de Laurel ont construit nombre de tumulus, hauts de 24 pieds sur, souvent, plus de 100 pieds de diamètre, qui constituent les structures les plus imposantes de toute la préhistoire ontarienne. Il n'y a aucun doute que le rituel des tertres funéraires a été transmis à la culture de Laurel par la tradition de Hopewell, du sud du Minnesota. Il semble cependant que ce rite funéraire n'ait eu qu'une diffusion très restreinte, du moins chez les populations de Laurel. En effet, ces tumulus ne se retrouvent que dans une petite partie du Nord de l'Ontario et sont tout à fait absents dans les zones limitrophes du Québec et du Manitoba. Cette brève description de la culture de Laurel termine notre survol de la période du Sylvicole initial. Comme vous le constaterez à la lecture de la section suivante, les cultures qui lui ont succédé sont, selon toute probabilité, directement issues de celles de cette période. La période du Sylvicole tardif (an 1 000 av. J.-C. à la période historique) Trois groupes principaux seront étudiés dans cette section. Ce sont, au Sud de l'Ontario, la tradition iroquoienne de l'Ontario qui a donné naissance aux peuples historiques hurons, pétuns, neutres, ériés, les Iroquois du Saint-Laurent, population que Jacques Cartier rencontra en 1535 mais qui avait disparu lorsque Samuel de Champlain se rendit sur les mêmes lieux en 1603. Et, enfin, dans le Nord de l'Ontario, nous étudierons les populations historiques de langue algonquienne les Cris, les Saulteux et les Algonquins, issues de l'évolution de cultures préhistoriques. Les Iroquois de l'Ontario Le groupe archéologique le mieux documenté en Ontario est indubitablement celui des Iroquois de l'Ontario. Cela ne signifie pas que nous savons tout à leur sujet ou que nous faisons l'unanimité, loin de là. Cela signifie cependant que de tous les peuples reconnus du point de vue archéologique dans la province, ce sont les Iroquois de l'Ontario, et plus particulièrement les Hurons, sur lesquels nous pouvons nous prononcer avec le plus de certitude. Des données archéologiques indiquent qu'avant la période s'échelonnant de 900 à 1300 de notre ère, le Sud de l'Ontario était occupé par deux populations étroitement apparentées dont l'alimentation de base, fondée sur la culture du maïs, était complétée par la pêche et la chasse. À l'est, se trouvait la culture de Pickering qui s'était développée à partir de la culture de Pointe Péninsule. À l'ouest, il y avait la culture de Glen Meyer, directement issue de la culture de Pointe Princesse. L'emplacement de villages palissadés sur des collines facilement défendables témoigne d'un état de guerre entre les diverses tribus. La présence des longues-maisons démontre que les grandes résidences multifamiliales avaient remplacé les constructions unifamiliales. Les moeurs funéraires s'orientaient, de toute évidence, vers la pratique des fosses communes typiques d'une période ultérieure. En bref, une longue série de coutumes particulières aux cultures de Glen Meyer et de Pickering présageaient la culture historique iroquoienne. Vers 1300 apr. J.-C., une partie de la population de Pickering avait étendu son territoire vers le sud-ouest et conquis la population de Glen Meyer. Cet élément marquant a donné lieu à une culture très analogue dans le Sud de l'Ontario qui se répandit dans le sud-ouest de l'État de New York. C'est de cette racine commune que sont nés, au fil des années, les peuples historiques hurons, pétuns, neutres et ériés. Page 1 de 2 (Cliquez "suite" pour aller à la deuxième partie)