ÉVOLUTION DE LA MODE VESTIMENTAIRE CANADIENNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE K.B. Brett Autrefois, c'était les membres de la famille royale et ceux de la noblesse ou les personnes influentes qui donnaient le ton de la mode. Selon la façon dont ils s'habillaient, ils imposaient l'extravagance ou la sobriété: les femmes, habituellement, choisissaient de préférence l'extravagance et c'était à qui porterait, par exemple, les paniers les plus vastes ou les coiffures les plus hautes; les hommes, comme le beau Brummel et Lord Byron, choisissaient la sobriété. Ce n'est qu'à l'arrivée du premier couturier, le dessinateur de mode Charles Worth qui habillait l'élégante princesse française Eugénie dans les années 1850, que l'influence exercée par la femme du monde s'estompa au profit de celle de son couturier. Aujourd'hui, les couturiers exercent encore une influence considérable, mais ils ne réservent pas leur talent aux seules femmes riches à la mode; ils habillent aussi les femmes qui poursuivent une carrière et les jeunes personnes actives aux moyens plus limités. Mary Quant et le groupe de jeunes dessinateurs de Londres qui ont mis la mini-jupe à la mode sont parmi les plus représentatifs de cette tendance. Ce changement a abouti à la diversité du vêtement aujourd'hui adapté aux différents modes de vie. Les jeunes personnes n'ont plus à attendre le jour où elles pourront enfin s'habiller comme des adultes, comme c'était le cas dans le passé. Les Canadiens et les Canadiennes, comme leurs ancêtres français, britanniques ou américains, étaient extrêmement désireux de connaître la dernière mode, mais, seuls, ceux des grandes et petites villes, qui recevaient des nouvelles directes de Paris, de Londres, ou, par la suite, de New York et San Francisco, pouvaient espérer rester au courant des tendances et des engouements du jour. Plus la ville ou le village était éloigné, plus il fallait de temps pour que ces intéressantes nouvelles ne les atteignent. Fréquemment, il n'était ni économique ni facile de suivre les caprices de la mode. Plus d'une jeune mariée est venue au Canada avec un trousseau élégant pour découvrir qu'elle ne pourrait pas porter de telles parures tant que la terre ne serait pas défrichée, la maison construite et la ferme bien établie. Ce n'est qu'à ce moment-là que le village disposait d'assez de loisirs pour organiser, à l'occasion, des réunions d'amis et, alors, le trousseau était généralement démodé. Parfois, il était soigneusement rangé comme un précieux héritage familial. Plus souvent, les vêtements avaient été refaits ou coupés pour faire des vêtements d'enfants. Si vous vous promenez dans la rue principale de quelque ville ou village, un jour plein d'animation, il vous arrivera rarement de voir tout le monde vêtu à la dernière mode. Il y a souvent un décalage de dix ans, ou même plus, dans les différentes tenues. Habituellement ce sont les hommes et les femmes les plus âgés qui sont le moins à la mode et les jeunes qui sont au goût du jour; cela a toujours été. La plupart des femmes dans les communautés rurales n'avaient qu'une seule belle robe, autant que possible une robe de soie. Si c'était leur robe de noce et qu'elle avait été faite de tissu de couleur plutôt que de tissu blanc, elle pouvait suffire, après avoir subi d'adroites modifications, pour le dimanche et les grandes occasions pendant plusieurs années. Ces robes ont généralement été soigneusement conservées. Certaines sont maintenant dans les musées mais la plupart de celles que l'on portait tous les jours ont servi et resservi; on les a usées jusqu'à la corde. À King's Landing (Nouveau-Brunswick) on a trouvé des morceaux de vêtements d'hommes de fabrication domestique dans les gouttières de maisons en démolition que l'on a rapportées jusqu'au site. Les bons morceaux avaient peut-être été coupés pour faire des courtepointes ou d'autres ouvrages formés de pièces, et le reste avait été bourré dans les fentes du toit pour éviter les courants d'air. Beaucoup de tapis à point noué, garnis de pompons, et de tapis de catalogne étaient faits de tissus usagés. Nos ancêtres étaient des gens économes. La plupart des vêtements portés au Canada qui sont parvenus jusqu'à nous ou bien que nous connaissons par des gravures, des dessins et des photographies datent du XIXe siècle. Il n'y a que dans nos provinces les plus anciennes, les Provinces Maritimes et le Québec que l'on trouve quelques spécimens précieux de beaux vêtements portés à Québec, Montréal et Halifax. Ces vêtements élégants nous donnent une idée de l'éclat que devaient présenter les fêtes lorsque tous les invités y paraissaient, parés de leurs plus beaux atours. Penelope Winslow, écrivant d'Halifax en 1784, décrit ainsi l'une de ces fêtes: . . . La dernière assemblée a été particulièrement brillante, les robes des dames plus magnifiques que tout ce qu'on avait vu auparavant en Nouvelle-Angleterre. Madame Wentworth remporta la palme pour la splendeur de sa robe au dernier goût du jour (par la suite son mari fut nommé gouverneur). Elle portait une robe avec jupon de soie à dessins sylvestres, garnie de fleurs d'Italie et de la plus jolie dentelle de blonde que l'on put voir, avec une traîne de quatre verges, les cheveux et les poignets ornés de vrais diamants. Mademoiselle Duncan était très élégante dans un satin couleur fauve recouvert de crêpe et noué d'une ceinture de velours noir, les cheveux ornés de motifs de perles, sans plumes ni fleurs. Elle a été extrêmement admirée ainsi que Kitty Taylor en blanc tout simple . . . Lady D - - - et Mlle Bayley se déplaçaient dans une profusion de plumes et de fleurs ondoyantes . . . Tout cela était sur le point de changer et Kitty Taylor, «en blanc tout simple», nous l'annonce. La mode des simples robes de mousseline, de préférence blanches, serrées par une large ceinture, allait poindre. C'est ce qu'on appelait des robes chemises. Et les tissus de soie brochée, les crinolines et les paniers ainsi que les échafaudages de cheveux allaient disparaître. Certaines femmes âgées regrettaient ce changement et se cramponnaient à leurs robes démodées, mais Édouard Winslow encouragea de son mieux sa femme à suivre la nouvelle mode qu'il approuvait. Lui écrivant d'Halifax, en 1785, il lui dit «. . . Je vous ai aussi acheté une autre robe de mousseline au goût du jour . . .» On associe souvent ce changement dans les modes féminines à la Révolution française avec laquelle il a coïncidé et qu'elle a stimulé, mais nous pouvons voir par la lettre d'Édouard Winslow que le mouvement avait commencé auparavant. Cette mode s'est inspirée des vêtements plus faciles à porter, mieux adaptés, des femmes anglaises qui vivaient la plupart du temps sur les propriétés de leur mari à la campagne, et non pas à la cour, comme les femmes de la noblesse française. Ces vêtements confortables plurent aux Françaises à la mode; ils répondaient tout à fait à leur goût de la vie pastorale telle que la concevait Marie-Antoinette. Les Françaises tiraient orgueil de s'habiller en style anglais. En 1790, on avait adopté à Paris, haut lieu de la mode, ces toilettes champêtres. Toutes les nouveautés suivantes, comme l'influence classique qui se fit sentir vers le milieu des années 1790 étaient d'origine française. Les Canadiennes se mirent rapidement au diapason et écrivirent en Europe pour avoir des nouvelles de la dernière mode et, si possible, commander une robe. Par robe, à cette époque, on entendait un métrage suffisant de tissu pour en confectionner une. La coupe de la robe-chemise était si simple qu'on pouvait la faire à la maison puisque toutes les femmes savaient coudre; l'art de coudre était un des éléments fondamentaux de l'éducation des petites filles. De ces robes simples qui ont été portées ici, très peu sont parvenues jusqu'à nous; même celles du début du XIXe siècle qui comportaient des corsages ajustés et des jupes plus serrées sont rares. Elles pouvaient toutes être facilement retaillées pour servir à d'autres fins. Les robes qui subsistent encore sont de mousseline blanche, de guingan écossais et de soies fines et douces. À la fin du XVIIIe siècle, la mode des hommes changea également, elle aussi par l'influence exercée d'Angleterre qui devint ainsi chef de file en ce domaine, situation quelle a conservée pendant tout le XIXe siècle. Les draps anglais de fine laine remplacèrent alors les velours et les satins de couleur pour les tenues de soirée. On attachait beaucoup d'importance à la qualité et les couleurs préférées était le bleu sombre, le prune, le brun, le vert bouteille et, dans une moindre mesure, le noir. On tenait essentiellement à ce que les vêtements soient bien coupés et aillent à la perfection. Les vêtements masculins ont toujours évolué dans le même sens; ce sont les vêtements usuels qui se sont peu à peu transformés en vêtements d'apparat. La redingote au XVIIIe siècle a d'abord été un manteau à col rabattu que l'on portait pour monter à cheval mais au XIXe siècle, elle est devenue peu a peu un vêtement de cérémonie. Les pantalons étaient, à l'origine, les vêtements usuels de ceux qui travaillent en plein air. Mais dans la première décennie du XIXe siècle, ils étaient devenus des tenues de ville. Au milieu du siècle, il était admis de les porter en soirée. À la fin du XVIIIe siècle apparut le chapeau haut-de-forme pour accompagner les tenues sportives. Au début du XIXe, tout le monde le portait; il avait remplacé le tricorne du siècle précédent. Les chapeaux hauts-de-forme étaient de préférence de castor ou de vrai feutre; la soie n'est apparue que vers 1790. Inventé en 1797 par un chemisier de Londres, John Hetherington, ce chapeau fut très remarqué avec ses reflets brillants et son aspect plutôt tapageur. Pour cette raison, le chapeau de soie ne fut pas immédiatement accepté par les messieurs élégants, mais vers 1830, il remplaça le chapeau de castor, entraînant une perte énorme pour le commerce de la fourrure du Canada. Telles étaient les différentes modes qu'arboraient les belles dames et leurs cavaliers dans les réunions mondaines des villes et villages de l'Est du Canada, au cours des premières années du XIXe siècle, mais il n'était pas toujours facile d'obtenir ces parures. On dit qu'un jeune homme avait été obligé d'emprunter un anneau de mariage pour sa fiancée, car il n'avait pu en trouver un à temps pour les noces. Les expéditions de marchandises en provenance de l'étranger arrivaient lorsque les lacs, les rivières et la baie d'Hudson étaient navigables et les routes carrossables. On annonçait les arrivages dans les journaux locaux. On y trouvait des accessoires comme des châles, des mouchoirs, des bottines, des souliers, des bonnets, des glands, des rubans, des dentelles et des éventails. Il y avait aussi de nombreuses sortes de tissus, la plupart de laine et de coton, et du matériel de couture comme des aiguilles, des épingles, du fil, des ciseaux et des dés. Toutes ces marchandises étaient immédiatement enlevées par les élégants du pays, les couturières et les tailleurs. Du fait que l'approvisionnement, bien que varié, était limité, les acheteurs qui devaient parcourir de longues distances n'arrivaient pas aussi vite que ceux qui étaient sur place et trouvaient souvent le stock entièrement vendu. Plus les gens étaient loin d'une ville ou d'un village, plus ils étaient obligés de compter sur leurs seules ressources; il y avait beaucoup de régions comme cela, en particulier dans le Nouveau-Brunswick et dans l'Ontario, qui au début du XIXe siècle venaient tout juste de s'ouvrir au peuplement. Les femmes, avec de l'habileté et de l'imagination, pouvaient se charger des travaux de couture, du ménage et de la confection des robes, mais il fallait d'autres compétences pour faire les vêtements d'hommes et les souliers. Pourtant certaines femmes faisaient les vêtements des hommes de la famille et certains hommes tannaient les peaux et faisaient leurs propres souliers. Le diacre Elihu Woodworth, de Grand Pré (Nouvelle-Écosse), raconte dans son journal de 1835-1836, qu'il préparait le cuir et faisait ses propres souliers. De nombreuses personnes, enfin, portaient les mocassins des Indiens, parfois par nécessité mais le plus souvent parce que ces chaussures étaient pratiques et confortables. Sur les bords du Saint-Laurent et en Nouvelle-Écosse où le peuplement avait débuté plus tôt qu'ailleurs, on trouvait des villages qui depuis longtemps avaient leurs cordonniers, leurs tisserands et leurs tailleurs. Les cordonniers étaient les ouvriers les plus réclamés dans les nouveaux villages où le dur labeur nécessitait le remplacement fréquent des souliers. Parmi les Loyalistes qui étaient venus de New York à Saint-Jean (Nouveau-Brunswick), à bord de l'Union en 1783, il y avait huit cordonniers. Une fois les terres défrichées, on élevait des moutons afin d'avoir de la laine pour tisser les couvertures, tailler les vêtements et tricoter des bonnets, des écharpes, des mitaines, des chaussettes et des sous-vêtements pour toute la famille. Au Musée national de l'Homme, on trouve des spécimens de sous-vêtements tricotés qui ont été portés par des pêcheurs de Terre-Neuve; ils semblent avoir fait beaucoup d'usage, de nombreuses parties ayant été retricotées. Lorsque c'était possible, on faisait pousser du lin pour tisser le linge de maison, les sousvêtements et les chemises d'homme. Parfois, il se trouvait un homme qui avait été tisserand dans les vieux pays ou aux États-Unis et il tissait pour la communauté pendant les mois d'hiver lorsqu'il avait moins de travail sur ses terres. Samuel Fry, de Vineland (Ontario), était un de ces artisans: les livres de comptes de cet excellent tisserand montrent qu'il était un ouvrier saisonnier, qui exécutait ses commandes pendant les mois plus tranquilles de l'hiver. Ces pionniers subvenaient à leurs propres besoins, menaient une vie très occupée. Même les enfants avaient leurs tâches à accomplir. La plupart d'entre eux apprenaient à se montrer utiles dès leur jeune âge. Les petits étaient habiles à enrouler la laine sur des bobines pour le tisserand de la famille. Ce mode de vie s'est maintenu pendant tout le XIXe siècle alors que les villages essaimaient à travers le pays. Les femmes avaient peu de temps pour s'occuper de la mode, l'auraient-elles souhaité. Quelques privilégiées, qui avaient des parents aux îles Britanniques et ailleurs, recevaient des colis qu'elles partageaient souvent généreusement avec leurs voisines moins heureuses. L'hiver, les hommes et les femmes portaient des vêtements de fabrication domestique. Les jupes de tissage artisanal des femmes, portées avec des jaquettes ou des corsages, n'entraient pas dans la catégorie des vêtements à la mode au début du XIXe siècle. On les portait depuis le XVIIIe siècle et, chaudes et pratiques, elles restaient populaires ici. John Lambert, voyageant au Québec dans les années 1806-1808, parle des robes démodées des femmes d'habitants. Elles avaient conservé quelque chose de l'habillement traditionnel apporté de France pendant le régime français. Lambert note aussi qu'hommes et femmes portaient «des vêtements de leur fabrication». Voici, entre autres, une description des habits d'hommes: . . . L'habillement de l'habitant est simple, à la bonne franquette. Il se compose d'un manteau à longues basques,ou redingote, gris, muni d'un capuchon dont on se couvre la tête en hiver on en cas de pluie. L'habitant noue autour de sa taille, par-dessus son manteau, une ceinture de laine peignée aux diverses couleurs, ornée de perles. Son gilet et ses pantalons sont de la même étoffe. Une paire de mocassins, ou de bottes imperméables complètent la tenue . . . L'habitant est coiffé d'un bonnet rouge; on pourrait dire d'un bonnet de nuit rouge . . . De nombreux voyageurs qui ont traversé le Québec ont parlé des vêtements gris de fabrication domestique qu'ils ont vus. La ceinture dont il est question est la fameuse ceinture fléchée. Les hommes qui travaillaient à l'extérieur portaient sur leurs vêtements un survêtement, sorte de combinaison, destiné à les protéger des intempéries. Ces tenues pratiques avaient fait leur apparition au XVIIIe siècle, dans le paquetage des soldats de la cavalerie, pour protéger des éclaboussures les culottes blanches de leur uniforme. C'est au début du XIXe siècle que les livres de comptes de l'Ontario nous apprennent que ces tenues font désormais partie de la garde-robe des civils. Certains hommes, en particulier les premiers voyageurs et explorateurs, avaient adopté les guêtres de peau de daim des autochtones. Non seulement étaient-elles confortables, mais elles assuraient aussi une excellente protection contre les moustiques et les autres insectes voraces qui infestaient les terres sauvages. Les pionniers, pour s'en protéger, devaient s'entourer de la boucane (fumée) de leurs feux de bois. Avec ces combinaisons on portait, pour faire les gros travaux, d'amples chemises de flanelle rouge tissées à la main en hiver et l'été, des chemises de lin et de coton. Les vêtements chauds pour se protéger contre nos durs hivers étaient absolument nécessaires, pour un nouveau venu qui n'était pas habitué au froid. Les vêtements garnis de fourrure, à l'extérieur ou à l'intérieur, étaient les plus recherchés. On en doublait et on en bordait des manteaux, habillés ou non, des bonnets, des moufles et des guêtres. Dans tout le pays, on portait des manteaux faits de drap molletonné ou taillés dans les couvertures de la Baie d'Hudson. De nombreux vêtements de femme étaient doublés de matelassage de laine ou de coton: bonnets, de soie ou de laine, appelés «bonnets tempêtes», jupons, capes, jaquettes et même robes de soie. Il existe une belle robe de soie matelassée au Musée du Nouveau-Brunswick. On gardait à portée de la main de lourds châles de laine pour pouvoir les jeter sur ses épaules lorsqu'on s'aventurait jusqu'à la grange ou au tas de bois, les jours de froid et de tempête. Les hommes s'enroulaient autour du corps de longues et larges écharpes; l'une au Royal Ontario Museum a appartenu à un pasteur qui la portait lors de ses voyages à cheval d'une paroisse à l'autre. Dans les régions du pays où le froid était extrême, il fallait porter autant de vêtements que possible. Andrew Graham, dans ses Observations on Hudson's Bay 1767-91 donne une description vivante de sa garde-robe d'hiver. On y trouve un manteau d'orignal et, pour la période la plus froide, un manteau de castor doublé de fourrure; il portait aussi un gilet à manches doublées de flanelle et des pantalons de daim doublés également de flanelle. Il faut ajouter à cette tenue des guêtres de laine à la mode indienne attachées sous le genou par des cordons ou des jarretières indiennes et des mocassins enfilés sur trois paires de longs bas de molleton ou de lainage. Un morceau de cuir ou de tissu cousu à la partie supérieure des mocassins et enroulé autour des chevilles empêchait le froid et la neige de pénétrer à l'intérieur. Andrew Graham portait une coiffure d'étoffe doublée de flanelle, munie d'une sorte de rabat ou collet qui tombait sur les épaules et venait s'attacher sous le menton. Une mentonnière de castor, de molleton, de flanelle ou de lainage, attachée par des cordons sur le sommet de la tête, protégeait la figure. Seuls les yeux, le nez et la bouche restaient exposés au froid. Les moufles de castor, avec la fourrure à l'extérieur pour protéger le visage si nécessaire, en complétaient l'ajustement. C'était un mélange de vêtements indiens et européens. Voici une autre description, celle-ci de Bard MacLean, qui s'installa au Cap-Breton en 1819. «Si confortables que soient vos pantalons, ils ne vous protègeront pas si vous ne portez aussi deux paires de bas et des mocassins doublés de fourrure étroitement lacés de lanières de cuir. La dernière mode pour nous, c'est de porter la peau, la fourrure et toutes les autres choses dont nous avons dépouillé la bête sauvage le jour précédent . . .» Ce passage est traduit d'un poème gaélique, de Charles W. Dunn, dans Highland Settler. Dunn remarque que les pionniers écossais du Cap-Breton préféraient souvent les «mogans» de leur pays qu'il décrit comme « . . . une sorte de pantoufle tricotée renforcée de plusieurs couches de tissus cousus aux semelles. Ces pantoufles confortables et sûres pour marcher dans la neige épaisse et sèche, lorsqu'elles étaient étroitement attachées sur des bas chauds, étaient encore employées par les descendants des pionniers quand ils devaient aller dans les bois en hiver faire la provision de bois de chauffage . . .» En réalité, les mogans étaient des bas épais, sans pieds, où l'on avait cousu plusieurs épaisseurs de tissus pour faire des semelles afin qu'on puisse les utiliser en hiver. Sans aucun doute les autres pionniers portaient la même sorte de chaussure (les pionniers de Selkirk, par exemple, au cours de leur long voyage d'hiver en chariots vers la rivière Rouge, en 1812 et 1813). John Lambert nous renseigne sur les autres sortes de chaussures d'hiver qu'il a vues au Québec, où: . . . la quantité de neige et de glace . . . oblige les habitants à porter à l'extérieur des chaussures ferrées, avec des clous ou des crampons de fer. Ils les appellent des galoches et les emploient fréquemment à l'automne et au printemps, saison où en général il gèle et dégèle tourà tour pendant deux ou trois semaines. Une fois la neige bien installée et devenue sèche, les Québécois portent des bas de Shetland et des souliers de lisière par-dessus leurs bottes et leurs chaussures afin de garder leurs pieds au chaud et bien secs et d'éviter les glissades . . . Aucun de ces vêtements de protection et de travail n'a rien à voir avec la mode, sauf lorsqu'il s'agit de vêtements de femme. Ceux-ci portent souvent la marque de changement de style. Lorsque Eaton a publié une édition pour Winnipeg et une pour Toronto de son catalogue de commandes par correspondance, le catalogue de Winnipeg contenait un plus grand nombre de pages consacrées aux vêtements de fourrure à la mode que celui de Toronto. Dans les provinces des Prairies où les hivers étaient durs, la demande pour des fourrures à la mode était plus importante. Au fur et à mesure que nous avançons dans le XIXe siècle, même s'il était plus facile de se procurer des étoffes, nous constatons qu'un souci d'économie dominait la mode féminine. Sur les robes de 1820 à 1840, aux manches courtes et au grand décolleté, on peut ajuster des manches supplémentaires jusqu'au poignet et de petites pèlerines pour qu'elles puissent servir dans la journée. Anne Langton, de Sturgeon Lake, Ontario, a si bien modifié une robe qu'elle avait amenée au Canada en 1837 qu'il lui restait suffisamment d'étoffe pour une petite pèlerine après avoir coupé les larges manches démodées et les avoir transformées en manches étroites plus au goût du jour. L'inverse pouvait aussi se faire, c'est ainsi qu'on s'est aperçu après un examen attentif que les larges manches pagodes à la mode de 1850 (d'une robe au Royal Ontario Museum) avaient été tirées d'une petite cape assortie qui devait couvrir les épaules. Ces petites capes n'étaient plus à la mode dans les années 1850. C'est à cette époque que la crinoline fit son apparition sur le marché. Cette solution au problème du poids et de l'embonpoint a été immédiatement acceptée. Il n'était pas commode de porter des crinolines dans la maison, mais toute femme avec quelques prétentions à l'élégance en portait lorsqu'elle sortait, surtout pour aller en soirée. W.J. Healy dans Women of Red River, nous dit le souvenir que Mme William Cowan, née en 1832 sur la rive est de la rivière, là où se trouve à présent un quartier de Winnipeg, avait conservé d'une de ses tantes, insistant pour qu'elle porte une jupe à cerceaux: «Ma chère Harriet», lui disait-elle, «vous ne pouvez absolument pas sortir comme vous êtes, c'est impensable». Les cerceaux dont les crinolines étaient composées étaient fabriqués et vendus en tailles soigneusement graduées pour donner à la jupe la courbure à la mode. Il semble qu'on ait aussi cherché à fabriquer des crinolines à la maison, parfois avec des résultats désastreux. Le lieutenant Charles W. Wilson décrit ainsi certaines de ces crinolines vues à une fête à Victoria, C.-B., en 1859: . . . Les dames étaient très joliment habillées et certaines, parmi elles, dansaient bien; cependant elles auraient été beaucoup mieux si elles avaient appris à porter correctement leur crinoline. Rien n'est plus pénible que de voir la façon dont elles le font; certaines portent des cerceaux absolument ovales tandisque d'autres n'ont qu'un seul cercle, plutôt haut placé, d'où la robe pend perpendiculairement. À ce moment de la description, les mots lui firent défaut et il fit un dessin illustrant les efforts malheureux de ces dames pour être à la mode. Au milieu du XIXe siècle, les communications s'amélioraient en de nombreux endroits. Avec des routes plus nombreuses et meilleures, on recevait de plus grandes quantités de marchandises et on avait un meilleur choix. Par conséquent, au fur et à mesure que les villages prospéraient et que l'industrialisation progressait, il y avait davantage de vêtements tout faits dans les magasins. L'habitude de confectionner le plus de choses possibles à la maison aussi bien que celle de faire durer et durer, n'était plus une nécessité du pays. Néanmoins, Catherine Parr Traill, dans son livre The Canadian Settler's Guide, publié en 1855, recommande avec insistance de tisser à la maison les étoffes des vêtements parce qu'elles sont alors «beaucoup plus durables que celles achetées en usine ou en magasin». C'était aussi meilleur marché. Elle conseille également si la femme du pionnier ne sait pas filer d'avoir recours à des filandières pour le faire. C'était important car on avait coutume de porter son propre fil au tisserand professionnel local ou à la manufacture de lainage pour le faire tisser selon ses besoins. On avait également l'habitude, dans le même ordre d'idées, de porter la laine brute des moutons de la propriété à une manufacture et d'obtenir en échange une couverture finie qui représentait le paiement ou une partie du paiement de la laine offerte, compte tenu de son volume; cette coutume a persisté bien longtemps encore, au XXe siècle, dans certaines zones rurales. On pouvait aussi engager des femmes pour tricoter des bas, des chaussettes, des moufles et d'autres articles pour les familles nombreuses. C'était souvent un travail à plein temps. En 1856, on trouvait sur le marché une machine à coudre pratique à l'usage des particuliers, mais ce n'est pas avant 1860 environ que l'on trouve beaucoup de vêtements cousus à la machine et même, alors, on ne cousait à la machine que les principales coutures. Autrefois, ces coutures étaient habituellement cousues au point arrière, très long à faire, mais solide, et qui pouvait supporter une tension considérable et résister. Des couturières et des tailleurs hautement qualifiés, en particulier ces derniers qui étaient fiers de leur habileté, avaient beaucoup hésité au début à adopter la machine à coudre. Les ouvrières-couturières craignaient de perdre leurs emplois avec cette forme de mécanisation mais cette machine qui épargnait du temps devait s'imposer et se révéler un bienfait de Dieu pour la maîtresse de maison affairée. Néanmoins, les belles toilettes et les beaux vêtements d'homme ont toujours été finis à la main jusqu'à la fin du siècle et même longtemps après. Les tailleurs s'abonnaient à la publication anglaise hautement renommée et bien informée Tailor and Cutter qui remonte à 1866. Comme les couturières, ils gardaient un choix de modèles de mode avec tout un éventail de façons pour permettre à leurs clients de choisir. La diffusion de plus en plus étendue après le milieu du siècle d'un nombre croissant de journaux féminins, avec des nouvelles de la mode, des illustrations et parfois des patrons a permis une autre forme de communication. Les journaux féminins anglais, envoyés depuis le commencement du siècle, passaient de mains en mains. Les journaux américains suivirent, en particulier Godey's Lady's Book, mensuel qui vit le jour en 1830 et continua à paraître presque jusqu'à la fin du siècle. Un autre, publié pendant la même période, était le Peterson's Magazine, mais celui qui s'occupait le plus de mode était le Demorest's Magazine. Il avait commencé à paraître en 1860 comme une publication trimestrielle de patrons, mais il devint bientôt un journal de mode mensuel en 1865 et continua d'être imprimé jusque dans les années 1890. On retrouve ces publications de temps à autre dans les greniers canadiens. Le journal canadien le plus ancien qui ait donné des nouvelles de la mode, le New Dominion Monthly a d'abord été publié à Montréal en 1867. Un journal plus ambitieux était L'Album de la Minerve qui contenait des planches de mode et des patrons; son premier numéro parut en janvier 1872. Un autre journal canadien a été le Ladies' Journal qui parut dans les années 1880 et 1890. On trouvait dans certains journaux des patrons et des instructions pour faire de la broderie, du tricot, du crochet, de la dentelle et même des bijoux en cheveux. La plupart des patrons aidaient à confectionner des accessoires de toilette allant des bonnets de maison aux pantoufles de saut du lit; d'autres permettaient de faire des objets pour la maison comme des enveloppes de coussin, des têtières et des couvre-théières. Page 1 de 2 (Clique