Les Mississagues de New Credit Donald B. Smith avec le concours de Bryan LaForme Introduction La presse publie fréquemment des articles sur la «condition des Indiens», leur pauvreté, leur santé précaire et leur incapacité générale à s'adapter au «mode de vie de l'homme blanc». Elle souligne des problèmes réels, mais ne raconte que la moitié de l'histoire. Dans un certain nombre d'endroits, des groupes d'autochtones se sont très bien adaptés au monde de l'homme blanc. La bande des Mississagues, ou Sauteux, de New Credit est de ceux-là. Aujourd'hui, la bande de New Credit, qui compte 600 membres, vit sur un territoire de neuf milles carrés, situé immédiatement à l'ouest de Hagersville, en Ontario. Elle côtoie au nord les Iroquois de la Ligue des Six-Nations, ces «Loyalistes emplumés de l'Empire uni», arrivés au Canada après la Révolution américaine. Au sud, des agriculteurs blancs cultivent la terre que les ancêtres des Indiens de la bande de New Credit ont cédée à la Couronne britannique il y a près de deux cents ans. Pendant presque un siècle, de 1700 à 1780 environ, les Mississagues sont les seuls occupants de la région s'étendant de Pointe Longue, sur le lac Erié, au cours supérieur des rivières Thames, Grande, Crédit, Humber et Rouge. Les cinq cents Mississagues des années 1780 vivent de la chasse, du piégeage et de la cueillette, sur la rive nord-est du lac Ontario. Aujourd'hui, deux siècles plus tard, environ quatre millions de personnes habitent leur territoire de chasse. Voici le récit de leur récente histoire, tirée des écrits laissés par les Européens et par un remarquable Mississague, le révérend Peter Jones (1802-1856). Les autochtones des Grands Lacs vers 1600 À l'arrivée des Européens, des représentants de deux familles linguistiques, les Iroquoiens et les Algiques, occupent l'Ontario d'aujourd'hui. Les Algiques, nomades et migrateurs, dont les représentants modernes sont notamment les Algonquins, les Cris, les Outaouais et les Sauteux, vivent au nord. Les Iroquoiens sédentaires, que les Européens appellent les Hurons (une confédération regroupant quatre tribus), les Pétuns et les Neutres, habitent au sud. De l'autre côté du lac Ontario, dans l'État de New York actuel, vivent les Agniers, les Onneiouts, les Onontagués, les Goyogouins et les Tsonnontouans, tous réunis dans la «Confédération des Cinq-Nations» qui devient la «Confédération des Six-Nations» avec l'arrivée des Tuscaroras, groupe iroquoien du sud, au début du XVIIIe siècle. Les Iroquoiens, en particulier les Hurons et les membres des Cinq-Nations, ou Iroquois, sont politiquement beaucoup plus organisés que les Algiques éparpillés dans le nord. La vie des Algiques des Grands Lacs supérieurs avant l'arrivée des Européens À l'inverse des Iroquoiens, autant agriculteurs que chasseurs, les Sauteux du XVIIe siècle vivent presque uniquement de la chasse et de la pêche. Pendant l'hiver, armés d'arcs et de flèches, de pièges, de collets et de lances, ils se dispersent dans leur vaste territoire de chasse. À l'approche de l'été, les groupes de familles se réunissent aux embouchures des cours d'eau, ou établissent des campements dans des clairières, près des lacs, où les baies, le bois et le poisson abondent. Ils célèbrent les cérémonies religieuses sacrées de la tribu et, tandis que les hommes vont à la pêche, les femmes plantent un peu de maïs. Les familles se retrouvent après leur longue séparation. Durant l'été, les Sauteux font la récolte de fruits sauvages, tels bleuets, framboises et aronias, et vers les dernières semaines de septembre, ils moissonnent une autre des denrées de base, le riz sauvage. Après la récolte du riz sauvage, le cycle recommence, et les chasseurs du Nord reprennent leurs quartiers d'hiver. Au début du XVIIe siècle, les Algiques entretiennent d'étroites relations commerciales avec leurs voisins hurons. Les Sauteux troquent leurs canots d'écorce, leur viande et leurs fourrures contre le maïs des Hurons. Pour les tribus du Nord, l'importance du maïs est telle qu'en 1635, un missionnaire français appelle la Huronnie «le grenier de la plupart des Algiques». Ces liens commerciaux sont renforcés par une solide alliance militaire entre les Algonquins et les Hurons contre les Iroquois des Cinq-Nations, ennemis des Hurons, auxquels ils sont culturellement et linguistiquement apparentés. L'hostilité des Algonquins et des Hurons envers les Iroquois En 1615, lorsque Samuel de Champlain visite la Huronnie, ses alliés Hurons lui apprennent que leur lutte avec les Iroquois date d'un demi-siècle. Il se peut qu'une querelle à mort soit à l'origine de cette hostilité intertribale. Par exemple, si un membre d'une tribu était tué, la bande offensée se sentait obligée de le venger. En outre, la participation à un raid conférant un certain prestige, les jeunes hommes avaient souvent hâte de monter à l'assaut. Une fois le sang versé à nouveau, la nouvelle offense aggravait le grief et l'inimitié pouvait s'amplifier pour devenir une guerre intertribale générale, comme celle qui opposait les Hurons aux Iroquois. Une autre cause possible de ce conflit est certes la dispute que se faisaient les tribus pour les territoires de chasse. L'hostilité que nourrissent les Cinq-Nations envers les Hurons augmente avec l'arrivée des Européens. Après le contact avec les commerçants blancs, les deux camps apprennent à apprécier les marchandises européennes. Les outils métalliques et les vêtements manufacturés leur rendent la vie plus facile et sont immédiatement de plus en plus convoités. Jusqu'en 1640, les Iroquois arrivent à piéger assez de castors pour pouvoir troquer avec les Hollandais. Par la suite, cependant, les animaux à fourrure ont presque disparu de leur territoire. Pour pouvoir obtenir les marchandises désirées, il leur faut avoir immédiatement accès aux fourrures du nord, ce que leur refusent les Hurons (soutenus par les Français, peu désireux de voir les fourrures être détournées du Saint-Laurent vers l'Hudson au profit de leurs concurrents hollandais). Au début des années 1640, les Iroquois commencent à harceler les brigades huronnes et algiques qui font la navette entre Québec et la Huronnie. Le nombre croissant de fusils qu'ils ont obtenus dans les postes hollandais, anglais et suédois de la côte atlantique, leur donne une supériorité militaire certaine sur leurs ennemis hurons, que les Français, craignant une révolte, refusent en général d'armer. Également affaiblie par la vague d'épidémies qui déciment plus de la moitié de la population huronne entre 1635 et 1640, la Huronnie se révèle une cible facile. (Heureusement pour les Iroquois, les nouvelles maladies contagieuses n'avaient pas encore frappé avec la même force les communautés plus isolées des Cinq-Nations.) La Huronnie tombe en 1649. Après avoir défait les Hurons, les Cinq-Nations attaquent les Pétuns, les Neutres, puis les Algiques eux-mêmes, qu'ils forcent à abandonner la rive nord du lac Huron. Pendant près d'un demi-siècle, les Iroquois dominent le lac Huron. Ensuite, le vent tourne. Lorsqu'ils se rendent compte que la guerre contre les Français a complètement épuisé la Confédération (le nombre de guerriers iroquois a diminué de moitié entre 1687 et 1698), les Algiques contre-attaquent. À la fin des années 1690, lors d'une série de batailles, les Sauteux tentent de chasser les Iroquois de leur territoire. Usées par cinquante ans de guerre contre les Français, les Cinq-Nations fléchissent et se retirent sur les rives sud des lacs Ontario et Erié. Les «Mississagues» Principaux partenaires commerciaux des marchands de fourrures français sur les Grands Lacs supérieurs à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, les Sauteux prennent une expansion considérable au cours du XVIIIe siècle. C'est ainsi que le groupe d'Indiens qui a donné son nom aux autres s'établit au-delà du lac Supérieur, dans les Prairies, où on les appelle «Saulteaux» ou «peuple du Sault», vocable qui indique leur origine, aux environs du Sault-Sainte-Marie. Une autre bande s'enfonce vers le sud, dans les états actuels du Wisconsin et du Minnesota, où on les appelle aujourd'hui «Chippewa», déformation américaine du mot «Ojibwa». D'autres bandes déjà citées pénètrent dans le sud-est pour prendre possession des riches territoires de piégeage laissés vacants après le départ des Iroquois. Ce groupe prend le nom de «Mississagues». Cette appellation s'appliquait à l'origine à une bande précise vivant près du Sault-Sainte-Marie, en face de l'extrémité ouest de l'île Manitoulin, à proximité de la rivière du même nom; mais à partir de cette époque les Français l'étendent à tous les Algiques émigrant vers le sud-est. Les Sauteux qui s'établissent sur la rive nord du lac Ontario, en particulier à l'extrémité sud du lac, acceptent cette désignation qui signifie «embouchures de nombreuses rivières», appellation qui décrit très bien leur pays. En fait, les Indiens établis sur la rive nord du lac Ontario ont pensé par la suite que leur nom faisait allusion aux embouchures des rivières Trent, Moira, Shannon, Napanee, Cataraqui et Gananoque. L'influence du commerce des fourrures À partir de la fin du XVIIe siècle et tout au long du XVIIIe siècle, les autochtones acceptent de plus en plus les marchandises européennes. Les guerres iroquoises ont en partie été engendrées par le besoin des Cinq-Nations d'acquérir des peaux de castor et autres pelleteries qu'elles pourraient ensuite troquer contre des armes, des outils et des vêtements manufacturés. Comme le castor avait pratiquement disparu de leur propre pays, ces Iroquois ont essayé de s'assurer le contrôle des riches territoires situés plus au nord. Au XVIIIe siècle, les Mississagues ont également adopté de nombreuses marchandises européennes. Par exemple, le briquet à silex remplace peu à peu l'ancienne méthode d'allumer le feu par friction à l'aide d'un morceau de cèdre ou de pin sec et d'un petit arc. Beaucoup préfèrent les haches des commerçants aux haches de pierre peu tranchantes, fixées à un manche à l'aide de lanières et de colle de tête d'esturgeon. Les Indiens délaissent progressivement leurs poteries d'argile cuite pour des ustensiles plus pratiques, en cuivre et en laiton. Le fusil, arme beaucoup plus perfectionnée que l'arc, facilite la chasse et devient par conséquent un article de commerce très prisé. Toutefois, la nouvelle culture matérielle se paie cher, et si les pelleteries permettent bien d'acquérir les marchandises convoitées, elles forcent en même temps les Mississagues à dépendre de plus en plus de l'homme blanc. L'arrivée des Loyalistes Les Mississagues ne contrôlent la rive nord du lac Ontario que jusqu'au milieu des années 1780. C'est alors qu'arrivent presque du jour au lendemain des milliers de «Loyalistes» parmi lesquels se trouvent environ deux mille membres de la ligue iroquoise qui avaient soutenu le côté britannique pendant la Révolution américaine. Le gouvernement anglais commence à saisir les territoires de chasse des Mississagues pour les donner aux réfugiés blancs et à ses alliés autochtones, qui s'étaient fidèlement battus pour le Roi durant la guerre de révolution aux États-Unis. Jusqu'alors isolés des Européens, les Mississagues ne peuvent même pas comprendre la nature de la déclaration qu'on leur demande d'approuver en y opposant leurs totems ou les symboles de leur clan. Le jargon juridique particulier d'un transfert de propriété, toujours incompréhensible aujourd'hui pour la majorité des blancs, les déconcerte totalement. À la base de cette difficulté, on retrouve en effet le problème de la conception indigène de propriété, car dans les langues autochtones, comme celle des Sauteux, il n'existe pas de concept équivalent pour les termes «céder» ou «abandonner» ses biens. Ils ne peuvent pas plus vendre leurs terres que l'air qui les entoure. Chez les Mississagues, personne en tant qu'individu ne possède de terre à elle seule; tel n'est pas le cas dans la société européenne où le titre et la propriété passe d'une génération à l'autre. Dans la coutume indienne, la bande tenait les biens-fonds par fidéicommis, bien que selon un droit garanti par la loi, il soit possible de concéder aux colons le privilège d'exploiter certaines parcelles de terrain. Toutefois, le fait demeure qu'en conformité aux moeurs et lois autochtones, la terre ne pouvait être vendue. Il est vrai que chez les Iroquois des Six-Nations, des hommes comme le chef de guerre Joseph Brant, qui est allé à l'école des blancs pendant deux ans, comprennent parfaitement le concept européen d'une «vente de terrain». Toutefois, avant l'arrivée de Peter Jones, au début du XIXe siècle, les Mississagues n'avaient pas de Joseph Brant qui connaisse les usages de l'homme blanc. Comme les Mississagues avaient grandement besoin des cadeaux qu'on leur offrait à la signature des traités de cession de terres, ils acceptèrent les ententes et les clauses qu'elles renfermaient sans vraiment les comprendre. Comme ils n'ont aucune idée du grand nombre d'immigrants blancs qui va suivre, et que les Britanniques leur ont dit que leurs droits de chasse et de pêche seraient toujours protégés, les Mississagues de l'extrémité ouest du lac consentent à abandonner leurs terres. Dans la première cession de 1784, les Indiens renoncent à environ la moitié de leur territoire. Des milliers d'immigrants américains arrivent au cours des deux décennies suivantes. À la fin du XVIIIe siècle, ils ont transformé la vie quotidienne des Mississagues en cauchemar: les cultivateurs menacent de leur tirer dessus s'ils «mettent le pied sur leur terrain» et des vandales profanent leurs tombes; de 1787 à 1798, de nouvelles maladies infectieuses, contre lesquelles ils ne sont pas immunisés, déciment un tiers de la population autochtone (sur plus de 500, il en reste approximativement 350). Au début, lorsque les Iroquois des Six-Nations, leurs ennemis de toujours, émigrent vers le nord, les Mississagues les redoutent, mais dix ans plus tard, ils se réjouissent de l'arrivée de ces Iroquois, qui sont devenus des alliés précieux dans la lutte contre l'ennemi commun. La fin de la forêt Bien que l'homme blanc s'en rende rarement compte, le conflit commence dès l'arrivée des Loyalistes. Pour les nouveaux venus, la forêt est un ennemi qu'il faut exterminer le plus vite possible. Durant tout l'été, ils débroussaillent, abattent des arbres, brûlent des troncs, récupèrent les cendres pour en faire de la potasse, hersent et sèment. Leurs gestes horrifient les Indiens qui, selon le révérend Peter Jones, croient que les arbres, à l'image de la roche et de l'eau, de la flore et de la faune, ont des «esprits immortels et possèdent le pouvoir surnaturel de punir ceux qui osent les dédaigner ou les gaspiller inutilement». Ils sont tellement sensibles à leur milieu, ajoute-t-il dans son History of the Ojebway Indians, qu'avant d'être convertis, «ils abattent rarement des arbres verts ou vivants, car ils pensent leur faire mal».(p. 104). Proscrits sur leur propre terre Au cours des deux premières décennies du XIXe siècle, les Européens s'approprient d'autres parties du territoire de chasse des Indiens et la plupart de leurs lieux de pêche. Alors même que les villes grandissent au bord du lac puis aux croisements des routes, les Mississagues continuent à sillonner la campagne en quête de gibier et de poisson de plus en plus rares. En 1805, sous la pression des Britanniques, ils consentent à abandonner toutes leurs terres situées le long du littoral, de la pointe du lac (Hamilton) à York (Toronto). Ils ne possèdent plus que l'arrière-pays de ce qu'on appelle la «bande de terre des Mississagues» qu'ils cèdent finalement en 1818. À un contre cent, les Indiens ne peuvent résister. Ils nourrissent leur ressentiment en silence. De quelle façon considèrent-ils les blancs? En 1820, un Mississague de l'extrémité est du lac dit à un voyageur anglais: Vous êtes venus comme un vent qui traverse le grand lac. Le vent vous a transportés sur nos rivages.Nous vous avons reçus, nous vous avons établis, nous vous avons abrités. Nous vous avons protégés jusqu'à ce que vous deveniez un arbre puissant qui s'étend sur notre territoire de chasse.Aujourd'hui vous nous frappez de ses branches. La démoralisation totale Disséminés en petits groupes le long de la rive nord-ouest du lac, les Mississagues ou Indiens de la rivière Crédit, comme les blancs les appellent souvent, arrondissent leur revenu minimal en fabriquant des paniers, des balais, des bols en bois et d'autres objets d'artisanat qu'ils vendent aux Européens. Lentement, toutefois, une faible minorité de la bande se résigne péniblement au changement, c'est-à-dire à abandonner la chasse pour cultiver la terre. Mais comment peut-elle changer les vieux usages? Le service des Affaires indiennes les encourage verbalement à devenir des cultivateurs, mais fait peu de chose, voire rien, pour les aider. Les autochtones ont besoin d'un intermédiaire, d'un homme qui connaisse les habitudes des Indiens et des Européens, d'un homme qui puisse faire connaître leurs besoins aux fonctionnaires qui leur distribuent chaque année des vêtements, des couvertures et des fusils en échange de l'aide que les Indiens leur avaient apportée pendant la guerre), et des pensions (versées chaque année après l'abandon de la bande de terre des Mississagues en 1818). À moins qu'un chef ne s'impose rapidement, les Indiens de la rivière Crédit semblent condamnés. En 1819, ils sont si démoralisés qu'ils permettent au gouvernement de s'emparer d'un quart des 10,000 acres de terre qui leur restent, consistant en de petites réserves situées aux embouchures des ruisseaux Crédit, Sixteen Mile et Bronte. En 1820, ils autorisent la Couronne à vendre ces réserves à leur profit. Les Mississagues de la rivière Crédit ne sont plus que deux cents, soit environ 40% de la population de la génération précédente. Ils pensent eux aussi qu'ils ne survivront pas longtemps. En 1818, (après la vente de la bande de terre des Mississagues) lorsque le chef Acheton demande que les embouchures des trois cours d'eau soient constituées en réserve, il ajoute que «ce ne sera pas pour longtemps». Peter Jones Heureusement, c'est à cette époque qu'apparaît un chef qui se sent dans son élément autant chez les Mississagues que chez les Européens. En sauteux, on l'appelle Kahkewaquonaby («Plumes sacrées agitées»), en anglais, Peter Jones. Les quatorze premières années de sa vie, de 1802 à 1816, sont passées chez sa mère parmi les Mississagues de la rivière Crédit. Pendant les sept années qui suivent, l'adolescent vit avec son père, l'arpenteur blanc Augustus Jones, et la deuxième femme de celui-ci, Catherine, fille de Henry Tekarihoken, un grand chef Agnier de la confédération iroquoise le long de la Grande Rivière. De 1816 à 1823, Peter fréquente une école anglaise pendant deux ans, puis retourne aider son père à exploiter son immense propriété de la Grande Rivière. Chez son père, il est initié au christianisme. Il refuse tout d'abord d'adopter la nouvelle foi car, ainsi qu'il l'écrit par la suite, «lorsque je me suis rendu compte de la conduite des blancs, que l'on dit chrétiens, et que je les ai vus s'enivrer, se quereller et se battre, tromper les pauvres Indiens et agir comme s'il n'existait aucun Dieu, j'ai été amené à conclure qu'il ne pouvait y avoir rien de vrai dans la religion de l'homme blanc». Finalement, en 1823, durant une assemblée méthodiste à Ancaster (près de l'actuelle Hamilton), Peter est converti au christianisme. Il a vingt-et-un ans. Une fois qu'il a embrassé la foi de l'Évangile, il éprouve le besoin pressant de le faire connaître à sa mère et aux Mississagues. Sans plus attendre, il entreprend des études pour devenir missionnaire autochtone. Étant donné qu'il peut prêcher en sauteux, il convertit à l'Église méthodiste sa propre famille, puis les autres membres de la bande. Les prosélytes vont ensuite porter la bonne parole dans les autres villages sauteux. En 1840, dix membres de la bande sont interprètes, enseignants et missionnaires, parfois à des centaines de milles de leur foyer. La mission de Old Credit Une fois qu'ils ont convaincu presque tous les Mississagues de l'extrémité ouest du lac Ontario de se convertir au christianisme, Jones et ses collègues missionnaires européens fondent une mission sur la rivière Crédit. Ils y prêchent non seulement l'Évangile mais également le nouveau mode de vie qu'est l'agriculture. Un jeune homme du nom d'Egerton Ryerson, qui devait créer plus tard le système scolaire ontarien, est le premier missionnaire blanc à assurer son ministère à la mission de la rivière Crédit. Les Indiens convertis font face à des changements rapides: une nouvelle foi, des noms européens, un lieu de résidence fixe, puis l'adoption de l'agriculture. À l'origine, la société indienne est fondée sur la chasse. L'homme consacre toute son énergie à la tâche essentielle de tuer du gibier pour nourrir sa famille. Pour qu'elle puisse mener à bien la tâche qui lui est assignée, la femme effectue tous les travaux secondaires: construire le wigwam, ramasser le bois pour le feu, planter et biner le maïs. Les rôles sont maintenant changés: les travaux des champs, traditionnellement réservés aux femmes, incombent maintenant à l'homme et les tâches de la femme sont modifiées; désormais, elle reste à la maison pour «s'occuper des travaux ménagers» . Après avoir connu quelques difficultés au départ, la mission prospère. Dans les années 1830, les champs et les pâturages occupent près du tiers de la réserve, soit quelque 900 acres. Les Indiens ont construit de leurs propres mains un hôpital, un atelier de mécanique, huit granges et plus de vingt maisons neuves. Même à l'embouchure de la rivière, ils ont effectué des travaux très importants. Les Mississagues eux-mêmes sont propriétaires des deux tiers de la Credit Harbour Company, société qui vient de finir d'aménager un port pouvant recevoir n'importe quel vaisseau naviguant sur le lac Ontario. Les Indiens de Old Credit se sont très bien adaptés au mode de vie de l'homme blanc. En 1836 et 1837, lorsque le gouverneur Bond Head cherche à les déporter à l'île Manitoulin, pour s'emparer de leurs terres au profit des colons blancs, leur grand chef Joseph Sawyer proteste énergiquement: Maintenant, nous cultivons notre maïs, nos pommes de terre, notre blé, nous élevons du bétail, nous avons de nombreuses commodités et des avantages. Si nous allons à l'île Manitoulin, nous ne pourrons pas vivre, notre peuple s'éteindra rapidement, nous ne pourrons pas cultiver de pommes de terre ou de maïs, ni élever des porcs ou des vaches, rien ne poussera sur la roche nue. Nous ne pourrons prendre que très peu de ces oiseaux dont le gouverneur parle, et il n'y a pas de cerfs. Bien des aspects de la société mississague préchrétienne ont changé: le culte, les occupations, même la tenue vestimentaire. Pourtant, malgré cela, les Mississagues veulent toujours rester distincts et séparés de l'homme blanc. Après la moisson, la plupart des hommes continuent de partir pour la chasse d'automne. Ils font une autre expédition au printemps, juste avant les semailles. De même, les femmes de Old Credit, comme Catharine Sunegoo, fabriquent comme auparavant des objets du très vieil artisanat de leur peuple. La fondation de «New Credit» Lorsque les colons blancs se sont finalement établis tout autour de la mission de la rivière Crédit, le chef Sawyer réunit toute la bande en conseil et décide qu'il est temps de partir pour un territoire agricole plus isolé. Soucieux de décourager les squatters blancs d'occuper le sud-ouest de leur réserve, les Indiens des Six-Nations, habitant le long de la Grande Rivière, invitent les Mississagues à s'établir sur leurs terres. Au printemps 1847, après avoir obtenu l'approbation du service des Affaires indiennes, les Indiens de Old Credit s'installent sur une bande de terre fertile, près de Hagersville, dans le canton de Tuscarora. À l'une de ses premières réunions, le conseil décide, avec beaucoup d'à-propos, de baptiser le nouveau village «New Credit». En dépit de leur désir d'être isolés des Européens, la majorité des Mississagues restent très attachés à l'Église méthodiste. Après avoir construit une nouvelle église en 1852, ils y installent la cloche de l'ancienne chapelle de Old Credit. Une génération plus tard, en 1890, les paroissiens autochtones dépensent plus de mille dollars - une somme considérable à la fin du XIXe siècle - pour revêtir l'église d'un parement de briques et agrandir le choeur. Tant que vivent ceux qui sont nés avant l'époque de la christianisation, les Mississagues de New Credit conservent une profonde connaissance de leurs traditions orales et de leurs croyances, comme c'est le cas de la veuve Wahbanosay, convertie au méthodisme en 1825. Dans les années 1850, le révérend Peter Jones la décrit comme l'une des «plus saintes femmes» du village, mais elle continue à vivre la plupart du temps dans son propre univers. Une fois, par exemple, au début de cette décennie, la vieille se joint à un groupe de femmes de New Credit partant vendre des paniers et des balais à Toronto. À la ville, tout se passe bien. Pour rentrer plus vite, les marchands décident de prendre le train jusqu'à Hamilton. Une fois installée, la veuve, qui n'a jamais pris le train auparavant, reste immobile et muette. Lorsque le train arrive à Hamilton, elle se précipite immédiatement à l'extérieur et se jette à terre. Le chef de train, accouru pour lui venir en aide, demande à ses compagnes de quoi elle souffre. La veuve répond calmement: «J'attends le retour de mon âme». Traditionnellement, les Sauteux croient que l'âme, qui a pour siège le coeur, quitte le corps pendant de courts instants, et que si elle s'en sépare trop longtemps, le corps meurt. Adaptation Au début, la réinstallation à New Credit est très difficile. Les problèmes avec les squatters continuent à tourmenter le village et, de fait, un pyromane incendie le moulin de la réserve en 1851. Bien que le sol soit fertile, les Indiens doivent défricher des terres très boisées. De plus, au printemps et à l'hiver, les routes sont impraticables. Mais la communauté persévère, incontestablement encouragée par l'exemple de ses voisins iroquois qui pratiquent l'agriculture depuis des siècles. En 1860, les maisons, les clôtures et les granges sont enfin construites, et les fermes sont toutes exploitées. Peter Jones, décédé quatre années auparavant, en 1856, a vécu assez longtemps pour voir son rêve se réaliser. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la plupart des hommes cultivent leurs propres terres sur la réserve. Un certain nombre d'entre eux connaissent un certain succès. Ainsi, au tournant du siècle, un fermier mississague possède trois attelages de chevaux et vingt-huit têtes de bétail. Le Manuel des Indiens du Canada, écrit en 1912, remarque que les Indiens de New Credit «ont souvent remporté des prix dans des concours d'agriculture avec les blancs». Ceux qui ne désirent pas cultiver le terrain qui leur a été assigné par le conseil de bande (donné à l'Indien à condition qu'il ne la vende jamais à un non-membre), peuvent le louer, mais non le vendre, à un blanc. Certains d'entre eux louent leur terre et vont travailler l'été dans les vergers de la péninsule du Niagara. Pour arrondir le revenu de la famille, bon nombre de femmes de New Credit partent rejoindre les hommes durant la saison de la cueillette des fruits et des baies. Grâce aux efforts de chacun, lorsque la récolte est bonne et les prix élevés, New Credit réalise des bénéfices. Lorsque les prix baissent et que la récolte est mauvaise, l'argent gagné «à l'extérieur» permet aux familles de survivre jusqu'à la prochaine saison. À la fin du XIXe siècle, New Credit est assez prospère, non seulement pour entretenir une église et une école, mais également pour construire une impressionnante salle du conseil. Le nouvel édifice est terminé en 1882. Il compte 300 places assises. Trois mille personnes, dont la moitié sont des Indiens des Six-Nations et des Sauteux des réserves du sud de l'Ontario, et l'autre moitié des blancs, assistent à l'inauguration officielle. Pour la circonstance, la fanfare de New Credit se joint à trois autres ensembles des Six-Nations pour accueillir les visiteurs. La plupart des améliorations apportées à New Credit durant le dernier quart du XIXe siècle sont le résultat des efforts du fils de Peter Jones, Peter Edmund Jones. En 1874, la bande choisit le jeune homme, qui a suivi des cours de médecine à l'Université Queen's, comme l'un de ses chefs. Le docteur Jones est également le médecin de la bande. Avec l'aide du conseil, il impose de strictes mesures de quarantaine chaque fois qu'une épidémie éclate dans la région. À la suite de ces mesures préventives, le taux de mortalité infantile de New Credit tombe. À la fin des années 1880, la population dépasse 250 âmes. C'est le plus haut chiffre atteint dans la deuxième moitié du siècle. La Première Guerre mondiale Dès que la guerre est déclarée en Europe en 1914, Cameron Brant, Indien de New Credit, s'engage. En mars 1916, vingt-quatre des hommes les plus jeunes de la réserve l'ont rejoint. En fin de compte, sur un total de quatre-vingt-six hommes adultes, trente-deux Mississagues de New Credit se sont enrôlés. Comme tant d'autres Canadiens, ils sont probablement attirés par le goût du voyage et l'excitation de la bataille, de même que par leurs propres sentiments patriotiques. Qui aurait cru, lorsqu'il étudiait des cartes de l'Angleterre dans son école, qu'il traverserait un jour l'Atlantique. Malheureusement, après l'arrivée en Flandre, devant l'horreur des tranchées, l'atmosphère de fête ne tarde pas à se dissiper. Le premier Indien tombé durant la Première Guerre mondiale est un autochtone de New Credit. Au printemps 1916, le lieutenant Cameron Brant meurt en héros à la tête de son unité au cours de la deuxième bataille d'Ypres. Il est tué le jour même où il allait être promu capitaine. Les soixante dernières années Pendant l'entre-deux-guerres, la situation évolue, particulièrement durant la crise économique, où l'agriculture commence à perdre de son importance et où un nombre croissant de membres de la bande quittent la réserve pour aller gagner leur vie ailleurs. À l'ère nouvelle, l'achat de machines agricoles nécessite de gros investissements de sorte que le petit cultivateur mississague ne peut soutenir la concurrence. En effet, étant donné que la Loi sur les Indiens précise que la Couronne demeure le propriétaire légal de la réserve, les Indiens ne peuvent vendre leurs terres ou les hypothéquer pour obtenir des prêts à l'extérieur de la réserve. Sans nantissement, il leur est impossible d'emprunter à une banque. Peu à peu, les Mississagues, qui travaillaient autrefois pour leur propre compte, s'expatrient de New Credit pour devenir des salariés. Si les Indiens avaient pu obtenir des prêts durant la crise, la base agricole autochtone de la réserve aurait pu être sauvée. Page 1 de 2 (Cliquez "suite" pour aller à la deuxième partie)