LA GRÈVE DE L'AMIANTE (1949) Jocelyn St-Pierre L'histoire des travailleurs est jalonnée, entre autres choses, d'une multitude de conflits de travail. Mais pourquoi tant insister sur la violence, alors qu'il y a beaucoup de conventions collectives qui se signent sans bruit? Dans notre société, seule une grève, parce qu'elle dérange notre tranquillité, mais aussi parce qu'elle découpe plus clairement l'ensemble des problèmes des travailleurs (conditions de travail, sécurité d'emploi, salaires, etc.), de même que les préoccupations du patronat et souvent du gouvernement, impose à l'attention du grand public les problèmes de la condition ouvrière. Durant les années quarante et cinquante, les grèves furent nombreuses; certaines plus brutales que d'autres. Parmi les grèves les plus farouches, il suffit de nommer celles de Montmorency, de Louiseville, de Shawinigan, de Murdochville et d'Asbestos. Pourquoi donc avoir choisi Asbestos? Parmi les différentes luttes ouvrières survenues à cette époque, les milieux syndicaux et intellectuels ont accordé une place privilégiée à la Grève de l'amiante". Cet arrêt de travail a eu un impact considérable sur l'évolution de la C.T.C.C. (Confédération des travailleurs catholiques du Canada) et a donné le coup d'envoi de ce que l'on a appelé plus tard la «Révolution tranquille». Une société conservatrice Le Québec en 1949 a un caractère assez particulier. Les Canadiens français vivent sous une économie contrôlée par d'autres et ils s'adaptent plutôt lentement aux changements amenés par le dix-neuvième siècle. En outre, les problèmes sociaux ne font qu'aggraver dans une société qui, l'élite en tête, refuse tout changement qui pourrait moderniser le Québec et lui faire assumer son caractère nord-américain. Le personnel politique qui dirige la province incarne le conservatisme. L'Union Nationale, parti de Maurice Duplessis fondé en 1936, est élue la même année, mais ne garde que brièvement le pouvoir, puis le reprend lors des élections de 1944 et le conserve jusqu'en 1959. Lors de l'élection de 1948, elle porte sa représentation à l'Assemblée législative, de 82 à 91 sièges sur 108. L'opposition parlementaire, représentée par le Parti Libéral est pratiquement inexistante. Le gouvernement Duplessis est passé maître dans l'art du jeu électoral. Une carte électorale déficiente où les comtés urbains sont sous-représentés, permet à Duplessis de compter sur une clientèle électorale surtout rurale, peu ouverte aux changements. Le parti unioniste dispose d'une machine électorale bien huilée et retorse. L'Union Nationale est de plus alimentée par une caisse électorale bien garnie. La corruption, le népotisme et le patronage règnent dans l'administration provinciale. Depuis le début du siècle, l'économie québécoise a connu une révolution industrielle accélérée; l'industrie supplante l'agriculture. Cette expansion s'intègre dans les progrès industriels de l'économie canadienne durant la guerre 1939-1945. La production industrielle du pays, contrôlée par le gouvernement, est orientée vers les besoins de la guerre. Les textiles, l'acier, les produits minéraux, dont l'amiante, sont en pleine expansion. Seulement le tiers de la production nationale est destinée à la consommation locale. Après la laine, le sucre, le cuir, le bois, l'acier et l'huile, le rationnement s'étend a tous les produits de consommation courante. Les gens ont de l'argent, car le travail ne manque pas, mais il ne peuvent obtenir suffisamment de biens de consommation. La fin des hostilités en 1945 suscite quelques problèmes de reconversion, mais la prospérité se maintient. Cette prospérité s'accompagne d'une flambée inflationniste causée par la fin du contrôle de guerre sur les prix. Les salaires restent cependant stables. Les travailleurs voient donc leur pouvoir d'achat diminuer et font pression pour hausser les salaires. Au Québec, ce développement économique repose sur une main-d'oeuvre abondante et sur l'existence de matières premières. Les industries du textile, des pâtes et papiers et des mines font des affaires d'or. La plupart de ces entreprises sont financées par des capitaux américains et gérées par un personnel anglais ou américain. L'industrie canadienne-française en est une d'arrière-garde; il n'y a pratiquement pas de capitalistes canadiens-français, et elle demeure absente de l'exploitation des richesses naturelles qui sont à la base de la prospérité économique du continent. Néanmoins, la structure industrielle se modifie quelque peu: le nombre des établissements diminuent, alors que le capital financier moyen par entreprise augmente. Le gouvernement Duplessis profite de la prospérité de l'après-guerre. Adversaire acharné de l'intervention étatique, il a foi dans les vertus de l'entreprise privée, gardienne de la liberté et rempart contre le communisme. Duplessis fait appel systématiquement aux capitaux américains à des conditions peu avantageuses pour le Québec. Ainsi, au début des années cinquante, le gouvernement québécois a concédé une mine de fer du Labrador à une entreprise -américaine, moyennant une redevance d'un cent la tonne de minerai extrait, alors que celui de Terre-Neuve en recevait 33 cents. Le gouvernement assure aux investisseurs étrangers, une administration stable, peu entreprenante et surtout bienveillante. La Révolution industrielle, accélérée par la dernière guerre, a provoqué l'exode rural. En 1901, 40% de la population québécoise vit en ville. Cinquante années plus tard, ce pourcentage est passé à 67%. Pour les élites traditionnelles, l'urbanisation ne pouvait avoir que des résultats désastreux sur les Canadiens français. La grande ville consume le corps et l'âme, désorganise la famille, favorise l'éclosion des idées révolutionnaires et des troubles sociaux. La crise économique de 1929 a forcé les gouvernements a intervenir de plus en plus dans le domaine social. La dépression qui en résulta a poussé le Fédéral à adopter successivement la Loi de l'assurance chômage (1936-1940) et la Loi des allocations familiales (1944). Au Québec, le gouvernement Duplessis, en dépit des pressions des milieux urbains, refuse toute intervention sociale de l'État. L'individu est responsable de ses difficultés et doit s'en sortir seul. Les organismes de secours privés, le plus souvent à caractère religieux, sont là pour soulager la misère. Cette absence de mesures sociales s'explique par la crainte du premier ministre qu'en intervenant sur le plan social, on accentue l'instabilité des gens et la multiplication de leurs besoins. Le patronage et le népotisme font souvent figure de mesures sociales. Après la guerre, le monde syndical se heurte au libéralisme économique. Même s'ils avaient le droit d'exister, cela ne veut pas dire que l'État et le patronat ont toujours créé les conditions favorables au respect de la liberté syndicale. Au Québec, le monde syndical apparaît comme une des seules forces d'opposition aux élites dominantes et l'outil essentiel à la formulation de problèmes sociaux. Près du tiers de la main-d'oeuvre industrielle est syndiquée. Sa tâche est compliquée par l'anticommunisme alimenté par la guerre froide. Toute opposition ou tout groupe progressiste est présenté comme étant révolutionnaire. Souvent les unions ouvrières luttent pour leur survie. Elles réclament le droit d'association, la formule Rand*, l'amélioration des conditions de travail et surtout des hausses de salaire. Effectivement, les travailleurs québécois sont les plus mal payés du pays. Pour un même travail, certaines entreprises oeuvrant au Québec, paient 45 cents l'heure de moins qu'en Ontario. Les revendications syndicales débordent le cadre professionnel et débouchent sur les besoins sociaux. On réclame l'intervention de l'État au niveau de l'assurance-santé, de l'éducation, de la sécurité au travail, du logement, etc. Sur le plan interne, le mouvement ouvrier, et particulièrement le syndicalisme catholique, est secoué par l'amorce de profondes mutations. Sous l'influence conjuguée des grèves des années trente et des progrès industriels, le syndicalisme catholique passe d'une phase de gestation à une phase transitoire qui le mènera vers une action plus revendicatrice. Désormais, la C.T.C.C. deviendra graduellement un mouvement syndical et, de moins en moins, un mouvement nationaliste. Des préoccupations socio-économiques l'emporteront sur la religion et le nationalisme. Cette évolution suit de près les changements de la société québécoise où la vocation agraire s'estompe. Cette transformation de la C.T.C.C. est liée au renouveau du leadership syndical. Les cadres syndicaux sont désormais des universitaires formés par les sciences sociales et de moins en moins des travailleurs de la base. Gérard Picard et Jean Marchand incarnent ce nouveau personnel syndical. Ils restent inspirés de la doctrine sociale de l'Église, mais sans l'esprit apostolique de leurs prédécesseurs. Le régime Duplessis ne cesse de répéter aux investisseurs américains que la classe ouvrière du Québec est la meilleure au monde, laborieuse, respectueuse de l'ordre et des lois. Dans cette société conservatrice, pour préserver la stabilité nécessaire au développement économique, la politique ouvrière du gouvernement est fort restrictive. Dans un de ses calembours coutumiers, Duplessis disait: «Les travailleurs ont le droit de s'organiser, mais pas de désorganiser». Le gouvernement Duplessis, quand il n'est pas violemment anti-syndical, favorise des relations paternalistes entre le capital et le travail. Il s'attaque en particulier aux chefs syndicaux, qu'il discrédite aux yeux de leurs commettants. Les législations ouvrières, votées par l'Assemblée législative, constituent autant de baillons pour le syndicalisme. Par une interprétation légaliste de cette législation, on restreint encore davantage les droits syndicaux. La Commission des relations ouvrières est d'une lenteur exaspérante et les tribunaux d'arbitrage souvent partiaux. La police provinciale se fait souvent l'instrument de cette répression syndicale. Les patrons se sentant appuyés en haut lieu, dénient à la classe ouvrière la plupart des droits qu'elle réclame. Souvent leurs actions prennent l'allure de provocations pour les ouvriers. L'emploi de briseurs de grève, de manoeuvres dilatoires et de campagnes publicitaires trompeuses, accroissent les tensions dans le monde ouvrier. Ceux-ci doivent se battre farouchement pour conserver leur liberté et leurs droits. Les grèves sont le théâtre d'affrontements sauvages, en particulier dans l'industrie textile et dans l'industrie manufacturière. Les grèves de Montmorency en 1937, de Valleyfield en 1946, de Louiseville de 1947, et surtout d'Asbestos en 1949, offrent un scénario immuable; après d'interminables négociations, les travailleurs entrent en grève. Cette grève est souvent déclarée illégale. Le patron engage des scabs et reprend sa production. Les grévistes s'agitent, la police provinciale intervient, les bagarres et la violence éclatent. Les antagonistes se retrouvent souvent devant les tribunaux, les procès sont interminables. De guerre lasse, les travailleurs retournent au travail. Le litige est alors porté devant les tribunaux d'arbitrage souvent partiaux. Après des mois d'attente, le verdict est presque toujours défavorable aux ouvriers. La grève de l'amiante est conforme en tous points à ce scénario. *Selon la formule Rand, la cotisation syndicale est prélevée sur le salaire de l'ouvrier, qu'il soit syndicalisé ou non. La grève de l'amiante Représentés par des unions locales, affiliées à la Fédération nationale des employés de l'industrie minière (C.T.C.C.), près de 5,000 travailleurs furent affectés par cet arrêt de travail, paralysant plusieurs entreprises minières d'Asbestos, de Thetford Mines et des alentours. Les mineurs réclamaient des hausses de salaire de base de 15 cents l'heure, portant le salaire horaire à un dollar l'heure. Cette demande semblait justifiée. Alors que le taux horaire dans les mines d'amiante était de 85 cents l'heure, il était de plus d'un dollar dans les autres mines. Les mineurs voulaient en plus, deux semaines de vacances annuelles, une contribution de 3% du salaire par la compagnie pour le fond de bien-être des ouvriers. On exigeait le paiement de huit fêtes catholiques chômées et une enquête sur le travail du dimanche. Les travailleurs demandaient la formule Rand ou la cotisation syndicale obligatoire à la source. Cette formule garantissait la force de leur syndicat. On parlait également d'un droit de consultation de la partie syndicale dans le cas de promotion, de mutation ou de congédiement. La grève de l'amiante avait enfin comme cause, l'épineux problème de l'amiantose. À l'époque, les conditions de travail des mineurs ont pris l'allure d'un scandale. On dénonçait cette maladie mortelle. Pour certains, il était criminel de laisser travailler des individus dans de telles conditions. Gérard Filion écrivait dans Le Devoir du 12 juin 1949, en faisant allusion à l'amiantose: «Avec la complaisance des autorités civiles, il y a dans le Québec des crimes qui restent sans châtiment». Face aux demandes syndicales, les six compagnies minières offraient peu de chose: une hausse de 5 cents l'heure et l'octroi de 2 congés payés supplémentaires. On refuse la formule Rand que l'on qualifie d'anti-démocratique. Les employeurs ne veulent pas entendre parler de co-gestion ou d'un quelconque droit de regard du syndicat sur la direction du personnel. On dénonce cette demande comme étant socialiste et une atteinte au droit de gérance de l'employeur. Les deux parties étaient très loin d'une entente. Les négociations s'annonçaient longues et difficiles. Elles débutèrent dès les premiers mois de l'année 1949, mais furent rompues le 24 janvier 1949. C'est alors que le ministère provincial du Travail désigne M. Léopold Rodgers comme conciliateur. Devant l'échec de cette conciliation, les deux parties devaient aller en arbitrage. Le 13 février 1949, 1,500 mineurs se réunissent en assemblée générale. Jean Marchand leur propose deux solutions: l'arbitrage ou la grève illégale. C'est aux cris de «on veut la grève» qu'ils refusent l'arbitrage. Pour eux, ce n'est qu'une arme dans les mains des patrons. Ils craignent surtout qu'après de longs délais, le verdict de l'arbitrage leur soit défavorable comme cela arrivait souvent dans les conflits ouvriers de l'époque. Tous étaient unanimes à réclamer la grève. Le jour même, 2,500 travailleurs de la Canadian Johns-Manville Company Limited, débrayaient à Asbestos. Quelques jours plus tard, le nombre total des grévistes atteint 5,000 travailleurs, avec l'arrêt de travail des mineurs de Thetford Mines et des alentours. La Compagnie et le ministre québécois du Travail, M. A. Barrette, déclarent aussitôt la grève illégale. L'arrêt de travail était considéré comme illégal parce que les mineurs étaient entrés en grève à la fin de la période de conciliation sans être allés à l'arbitrage comme le prescrivait la loi. Le premier ministre Duplessis accuse, pour sa part, les chefs syndicaux d'agir par intérêt personnel, de monter la tête des ouvriers et de saboter les lois ouvrières de la province. Le 19 février 1949, la Commission des relations ouvrières enlève aux Syndicats de l'Amiante d'Asbestos et de Thetford Mines, et à la Fédération nationale des employés de l'industrie minière Inc., leur certificat d'accréditation, pour avoir déclenché une grève illégale. Ce geste porte directement atteinte aux droits syndicaux, car il enlevait à une association ouvrière dûment représentative, son pouvoir de négociation. Les ouvriers accusent la C.R.O d'avoir outrepassé ses fonctions. Dès le lendemain, plus d'une centaine d'agents de la police provinciale se rendent à Asbestos. La police patrouille systématiquement les routes avoisinantes. Le lendemain, le Conseil municipal se plaint et réclame le rappel des forces de l'ordre, à la suite d'allégations que certains agents, sous l'effet de boissons alcooliques, commettent des actes de violence, d'indécence, et effectuent des arrestations sommaires. La présence policière accroît le mécontentement des ouvriers. Fin avril, la Compagnie a recruté des briseurs de grève, des scabs. Elle annonce, à grand renfort publicitaire, tant dans les journaux qu'à l'usine, qu'ils auront priorité lors du règlement du conflit. Le mois de mai est marqué d'une extrême violence. Les grévistes, devant un conflit qui traîne en longueur, veulent arrêter l'embauche de briseurs de grève et paralyser la production. La compagnie réclame la protection de la police. Un convoi de vingt-cinq voitures de la police provinciale part de Sherbrooke pour mettre les grévistes à la raison. Les travailleurs établissent des lignes de piquetage étanches et des barrages sur les routes principales. Des automobiles sont renversées, la dynamite se fait entendre. On parade dans la ville. Le 6 mai, à bonne heure, l'acte de l'émeute est lu. La police arrête 180 ouvriers et fait preuve de brutalité. Le bilan de l'échauffourée, des travailleurs ont le visage tuméfié ou portent des marques de rudesse. Certains agents ont menacé des grévistes de les arrêter de nouveau s'ils ne rentraient pas au travail le matin même. Le clergé avait l'habitude d'intervenir dans les conflits ouvriers en raison de la place qu'il occupait dans la société québécoise. L'aggravation du conflit de l'amiante et les dénonciations de la C.T.C.C. par les autorités patronales et gouvernementales, menaçaient l'existence même du syndicalisme catholique. Le clergé ne pouvait rester indifférent devant ces attaques contre un mouvement qu'il avait créé. Les abbés Pichette de la C.T.C.C. et Camirand du syndicat local appuyèrent publiquement les grévistes. Ce dernier déclara: «Si j'étais mineur, je serais gréviste." Mais devant un conflit qui s'éternisait, les autorités religieuses intervinrent à leur tour. Certains évêques firent pression sur les autorités publiques pour les amener à manifester une attitude moins légaliste. Mgr Georges Courchesne, dans une lettre au premier ministre écrivait: «La grève d'Asbestos est illégale mais juste.» Mgr Maurice Roy, de Québec, de son côté, joua tout au long du conflit le rôle de médiateur entre les parties. Mgr Philippe Desranleau, de Sherbrooke, et Joseph Charbonneau, de Montréal, prirent fait et cause pour les grévistes du haut de la chaire. Dans de nombreux diocèses de la province, au nom de la charité et de la justice, des quêtes aux portes des églises furent ordonnées pour secourir les familles en grève. Au mois de juin, la tension diminue et trois compagnies de Thetford Mines signent un règlement. Monseigneur Maurice Roy reçoit tour à tour, à Québec, les deux parties. Le 1er juillet, la grève qui aura duré cinq mois est enfin terminée par une entente entre le syndicat et la partie patronale. Chacun proclame sa satisfaction au sujet de cet arrangement de principe. L'entente prévoit la reconnaissance syndicale, le réemploi de tous les grévistes, l'arrêt des procédures judiciaires, une hausse de salaire de 10 cents l'heure et le recours à un tribunal d'arbitrage pour négocier les points litigieux de la nouvelle convention. Pour le syndicat, la victoire est mince. Il reconnait le droit de gérance de la compagnie et renonce à son droit de regard sur les congédiements et les mutations. La formule Rand n'est pas établie et la création d'un fond de bien-être social, abandonnée. Il a cependant gagné la bataille de la certification et obtenu une faible hausse de salaire. Les résultats de l'arbitrage sur les points litigieux ne furent guère plus favorables aux ouvriers. Le 15 janvier 1950, les mineurs signaient une nouvelle convention de travail. Le conflit aura occupé la scène québécoise durant près d'une année. Asbestos devant l'histoire Cette grève a soulevé et soulève encore beaucoup d'intérêt. De nombreux sociologues, historiens et syndicalistes l'ont analysée: pour certains, ce fut le début de la révolution tranquille, pour d'autres, on a surestimé l'impact de ce conflit. Ces deux interprétations peuvent être aussi valides l'une que l'autre. La grève d'Asbestos marque en effet le début de la révolution tranquille. Elle a incarné une victoire des forces, du renouveau sur le conservatisme social. Désormais, le régime Duplessis paraît sous son vrai jour. Certains membres de la société réclamaient l'intervention socio-économique de l'État, qui serait plus favorable aux québécois. On refuse la société traditionnelle et l'on veut assumer les conséquences sociales de la révolution industrielle. Cette grève représente l'émergence de groupes d'opposition extra-parlementaires, l'éveil d'une forte minorité de québécois: intellectuels, journalistes, syndicalistes, politiciens, universitaires, même une partie du clergé, sensibles aux tares du régime. Cette grève représente un tournant de l'évolution de la C.T.C.C. Le syndicalisme catholique a pris conscience de sa force. Cette grève représente une victoire contre la coalition patronale- gouvernementale, qui voulait affaiblir les syndicats. Le syndicalisme catholique a changé d'orientation. La C.T.C.C. passe d'une attitude conservatrice, inspirée de la doctrine sociale de l'Église, qui prêchait un bon «ententisme» patron-syndicat, à une attitude fortement revendicatrice. Les relations patronales-ouvrières seront donc conflictuelles. Ce sera désormais une épreuve de forces pour améliorer le statut socio-professionnel du travailleur. La C.T.C.C. avait donc acquis sa maturité. Désormais, on ne pouvait certes plus l'accuser de «jaunisme». On n'est pas tous d'accord pour donner cet impact à la grève d'Asbestos. Ainsi, Pierre Vallières écrivait, selon le point de vue de la gauche radicale, dans la revue Révolution québécoise de janvier 1965, que cette grève a «donné lieu à beaucoup de phrases, beaucoup de mots, mais concrètement, il n'en sortit rien de révolutionnaire. Au lendemain de ce conflit majeur, la classe ouvrière québécoise n'était pas plus avancée qu'avant. Seuls quelques intellectuels avaient pris goût aux sciences sociales». Le jugement est sévère, pour Vallières, on a beaucoup trop glorifié cet arrêt de travail, on l'a trop chargé de signification, alors que les résultats à court terme furent peu glorieux. C'est une interprétation qui mériterait que l'on s'y attarde. À Asbestos, de nos jours encore, les travailleurs sont atteints de cette maladie mortelle, l'amiantose, et la province demeure le théâtre de nombreux conflits ouvriers. Pour certains Québécois, le conflit qui entoure la grève d'amiante constitue le début d'une série de changements qui se continuent; pour d'autres, à tendance plus radicale, cette grève signifie le symbole d'un compromis qu'ils considèrent la source de plusieurs des difficultés syndicales actuelles. C'est en examinant les diverses thèses, qui s'opposent, sur cet événement majeur de l'évolution ouvrière du Québec que l'étudiant en histoire se renseigne sur la corrélation entre philosophie politique et interprétation historique.